Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
QUE CHERCHEZ-VOUS ?

poesie

La vie intense est silencieuse ..

8 Janvier 2020, 05:58am

Publié par Grégoire.

La vie intense est silencieuse ..

Je n'aime ni la sagesse courte des humanistes ni le délire vague des révoltés. J'aime le coup de tonnerre dans un ciel bleu, le cri de la chouette à midi, le mystère en pleine lumière.

Certains êtres parlent peu, ne font pas de grands gestes, déplacent peu d'air et pourtant rayonnent. Ce sont des étangs dormants où brillent des flaques lumineuses. Je crois qu'une vie peut être ainsi, si elle sait être attentive aux choses qui ne font pas de bruit. La vie intense est silencieuse. Ce grand secret prête aux malentendus. Le silence n'est pas le mutisme. Le silence a quelque chose à dire mais ne fait que le suggérer. Tel est le rôle des blancs entre les paragraphes. La phrase terminée résonne encore.

Sur notre balcon, tous les matins, un moineau vient se baigner dans l'assiette remplie d'eau où L. a posé un pot de géranium. Il doit penser que les humains ont été créés pour procurer aux oiseaux le moyen de se baigner à bon compte. Notre finalisme est-il beaucoup moins naïf ?

J.  Bourbon Busset, Bien plus qu'aux premiers jours.

Voir les commentaires

Je n'aime pas le luxe

2 Janvier 2020, 05:11am

Publié par Grégoire.

Je n'aime pas le luxe

Chaque fois qu'on lui parle d'un soleil couchant, la petite fille lâche tous ses jeux et court le voir. À 3 ans, à une cousine qui lui offre une bague, elle répond : « Je n'aime pas le luxe. » La réponse fait rire la famille aux éclats. Les familles se trompent toujours sur les anges qu'elles hébergent. La petite Simone Weil n'aimait en vérité que le plus grand luxe - celui de la contemplation.

Les premières années de notre vie sont plus chargées de visions qu'une vieille Bible de Gutenberg. En vacances à Penthièvre au bord de la mer, chaque soir, du haut de ses 9 ans, Simone Weil contemplait le soleil d'or fondu dans le néant des eaux. Accompagnant de sa pensée le dieu mourant, elle recevait en retour une leçon de courage - ne rien retenir près de soi, simplement saluer ce qui s'en va après nous avoir frôlés de son amour. Sa pensée peu à peu s'éleva comme un deuxième soleil. Les jeunes mères attentives au lumineux ruisselet du souffle de leur nouveau-né le savent d'instinct : il n'est pas nécessaire de mourir pour connaître un autre monde. Aimer et se taire suffisent. Le silence est le cadeau des anges dont nous ne voulons plus, que nous ne cherchons plus à ouvrir. Faire de son cœur un vitrail qui extrait de la lumière des jours les couleurs de l'Éternel : la petite fille de 3 ans exerçait déjà cet art supérieur de l'attention. Que reste-t-il de tous les livres lus ? Leurs cendres retombent sur le cerveau, un courant d'air les chasse.

Nous n'avons besoin pour traverser la nuit du monde que de quelques étincelles - quelques paroles d'un proche ou d'un inconnu, même pas des paroles, juste une intonation de bienveillance, assez pour y voir clair une seconde et continuer d'avancer. Lorsque quelqu'un est mort, on l'entend mieux. Le mardi 24 août 1943, vers dix heures et demie du soir, Simone Weil meurt et rejoint le soleil couchant de l'autre côté de l'horizon. Sa mort fleurit à Londres, ville aussi dépaysante pour un Français que l'Orient extrême. Trois jours avant, alitée, elle demande à une amie de lui préparer, quand elle reviendra la voir, une purée de pommes de terre à la française - « comme en faisait ma mère », précise-t-elle. Les mères enfièvrent jusqu'à la fin du monde le sang de leurs enfants. La nourriture est chose divine. Simone Weil n'eut pas le temps de goûter à la réconfortante purée.

Cette mort anglaise ressemble à l'extinction d'une étoile qui a donné jusqu'à son dernier gramme de lumière. Une petite fille saute à la corde dans le ciel rouge. Cette corde est un rayon de soleil. Ce rayon est une pensée. La fraîche attention à la vie fuyante vaut toutes les sagesses. J'ai été ébloui, presque aveuglé, quand j'ai vu hier cet homme et son enfant traverser la place de la Poste au Creusot : il portait sa petite fille sur ses épaules et j'ai cru voir les pyramides d'Égypte, l'élévation d'une prière jusqu'au soleil.

Christian Bobin

 

Voir les commentaires

Qu'est-ce que le sacré, sinon le souffle que chacun porte en soi jusqu'au bout, donnant à ses yeux cette lueur d'infini ?

30 Décembre 2019, 04:58am

Publié par Grégoire.

Qu'est-ce que le sacré, sinon le souffle que chacun porte en soi jusqu'au bout, donnant à ses yeux cette lueur d'infini ?

" J., que beaucoup appelaient " mademoiselle " alors qu'elle avait déjà soixante ans,  travaillait comme bibliothécaire dans un centre culturel, recouvrant de plastique de lourds livres d'art qu'aucun lecteur ne venait emprunter. Ses goûts , son  humour et les teintes de ses robes : tout en elle semblait fragile et quelque peu désuet comme une aquarelle où la couleur rose eût dominé.  Une douceur et une bienveillance cernaient les yeux de celle qui, parce qu'elle n'avait jamais causé de mal, aura traversé cette vie sur la pointe des pieds sans que nul ne la voie, sa mort ne faisant pas plus de bruit que de la  neige tombant sur de la neige. Peut- être le monde est-il continuellement sauvé de l'anéantissement auquel il tend par de tels êtres que personne, jamais, ne remarque. "

Christian Bobin.

Voir les commentaires

Je ne reconnais l'éclat du vrai que dans la joie et dans cette conscience de nous-mêmes qui l'accompagne toujours, cette conscience radieuse de n'être rien...

28 Décembre 2019, 04:54am

Publié par Grégoire.

Je ne reconnais l'éclat du vrai que dans la joie et dans cette conscience de nous-mêmes qui l'accompagne toujours, cette conscience radieuse de n'être rien...

"S'il y a un lien entre l'artiste et le reste de l'humanité, et je crois qu'il y a un lien, et je crois que rien de vivant ne peut être créé sans une conscience obscure de ce lien là, ce ne peut-être qu'un lien d'amour et de révolte.

C'est dans la mesure où il s'oppose à l'organisation marchande de la vie que l'artiste rejoint ceux qui doivent s'y soumettre : il est comme celui à qui on demande de garder la maison, le temps de notre absence. Son travail c'est de ne pas travailler et de veiller sur la part enfantine de notre vie qui ne peut jamais rentrer dans rien d'utilitaire."

Christian Bobin, l'épuisement .

Voir les commentaires

Traversé

18 Décembre 2019, 10:52am

Publié par Grégoire.

Traversé

 

Djanet, Tassili n’ajjer, novembre 2019.

 

Imaginer une forêt de pierres en plein désert, mots jetés sur une page de sable par un Dieu amoureux et poète. Des troncs pétrifiés en mégalithes plantés dans le sable. Une forêt de conte que le souverain d’un royaume aurait minéralisé comme d’immortels visiteurs du soir. Chacun de ces arbres est un penseur silencieux auquel le temps et son érosion ont donné des profils fantastiques. Dans quelques failles on peut voir danser leurs pensées.

 

 

Certains portent ensemble ou séparément, dans un équilibre fragile et une fuite immobile, des baluchons semblant tombés du bleu du ciel, d’autres pleurent des larmes de pierres roulant à leurs pieds, certains se soutiennent dans un écroulement mêlé. Dans chacun bat un cœur que passent remonter des moula-moula et autres petits passereaux du désert. Je me suis couché au pied d’un de ces migrants pétrifiés, fuyant dans un de ces cauchemars où la course se fige. Au loin, une armée au garde à vous met en joue la voie lactée. Quelqu’un là-haut a détaché d’un coup de serpe lunaire le manteau d’étoiles. Dans cet infiniment grand, naviguant aux étoiles, l’infiniment petit sort alors inscrire son histoire et déplier ses cartes dans les grains du sable. Dans un décor de clairière sableuse, des corps abandonnés caressés d’absolu, statues grattant l’azur sourd de prières muettes.

 

J’ai vu tant de pierres dressées dans la hamada de Tindouf, de l’autre côté du désert, autour des camps sahraouis. Les pépinières d’âmes semées deviennent elles à leur tour forêts de pierre ?

 

 

Le ciel est d’un bleu de faïence profondément innocent, d’un bleu qui regarde ailleurs. Il a pourtant dû pleuvoir des pierres. Autour de chacune d’elles, un trou dans le sable semble l’attester. De quelle table céleste sont elles tombées, de quelle nappe ont-elles été secouées ? Qui a refermé cette porte qu’effleurent quelques motifs nuageux et dans laquelle un œil de bœuf laisse entrevoir l’omniprésence d’un œil de feu. Nos esprits encombrés cherchent des comparaisons pour exprimer l’indicible du simplement beau.

 

 

 

Quelques herbes pliées sous le souffle du vent sont devenues compas, dessinant sur le sable des cercles à brins levés. Un insecte, sans doute attiré par la marionnette végétale, s’est trouvé enfermé dans cette prison circulaire à ciel ouvert et y a tracé une folle cartographie de mers et de continents. Les prisons élaborent les rêves, les voyages, cette part de nous en liberté conditionnelle. Sur ses pointes de saphir une danseuse chorégraphie son ballet et grave dans les sillons le chant du vent. Certaines de ces herbes, trop sèches, ont fini par se couper à la base et à s’envoler, laissant des cercles parfaits et anonymes, pupilles regardant les nôtres, comme des points d’interrogation au bout de phrases effacées. Danses de vie, en cercles circonscris.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Au loin, à flanc de sable et de pierre, des tombeaux millénaires dessinent leurs motifs de serrures, priant le ciel d’en accorder les clefs. Compas réclamant compassion.

De quelles âmes les herbes sèches sont-elles les scribes ? De quelles prières tremblantes le vent les agite elles, fragiles aiguilles affolées de sismographe, petits derviches tourneurs de clefs ?

Danses de mort, en cercles circonscris.

 

 

L’espace et le temps, dans l’infiniment vaste et l’infiniment petit, dans la pérennité et l’éphémère, dans le silence tumultueux des dunes et des pierres, gravent et effacent dans un même mouvement imperceptible et perpétue, dans l’érosion du grès ou l’ondulation des barkanes sableuses l’histoire minérale, végétale, animale.

Le désert est le testament de Dieu. Un testament vivant, sans cesse modifié. Nos empreintes sont ses dernières volontés dans la mémoire des sables, paraphes boiteux de nos pas ou trace d’un front y déposant sa prière.

 

 

 

Pourquoi, gavés d’images, courir et s’ébahir devant des traces ocrées parfois difficilement discernables ou des gravures taillées sur la pierre ? Entre gavé et gravé, il manque l’r.

L’air de l’enfant curieux d’un trésor à trouver, l’air soufflé en buée sur nos yeux pour en éclaircir la vision. L’air respirable, tout simplement, celui qui va nous manquer, parce que nous ne gravons plus l’essentiel pour nous gaver de superflu.

 

Une trainée vue de loin sur la roche est parfois une veine qui fait palpiter les nôtres de la même façon que l’image peinte ou gravée qu’on finit par voir, « là juste devant tes yeux » après d’interminables secondes de recherche. En les découvrant enfin, nos yeux basculent en nous, révulsés dans la conversion. Ces peintures ou ces gravures ont la modernité d’un temps millénaire qui bouscule nos idées reçues.

 

Comment ces hommes ont-ils été retenus par la roche d’où ils semblent vouloir s’extraire ?  Comment ces coureurs de fond ont-ils pu transformer les mètres en années, l’espace en temps ? Comment ces véritables artistes ont-ils su s’arrêter à l’essentiel d’une vie quotidienne tout en croquant une esquisse divine ?

 

 

 

Scènes de chasse, d’élevage, de nomadisme, de regards timides ou de mains effleurées, éternelles. Nous avons depuis inventé puis chassé et expatrié nos Dieux dans des livres sacrés, la religion, le culte et les symboles, le cléricalisme. Les hommes d’il y a 10 000 ans ignoraient en être simplement habités, lorsque leurs mains traçaient ou gravaient des larmes aux yeux des vaches ou de minuscules danseurs étonnants et émouvants. Savaient ils qu’ils convertiraient nos yeux à voir cette part divine en nous reléguée ?

 

 

Autour du cercle d’une case ou d’une caverne ronde comme une terre où dorment des enfants et que veillent des mères assises, une autre personne en garde l’entrée. Autour, quelques vieillards appuyés sur des bâtons sont assistés de personnes marchant à leur côté. Dans un troisième horizon, femmes et hommes courent en « grand jetés », pour assurer la vie. Ronds concentriques dans la mémoire d’une eau évaporée. Quelle image de nous demain ?

 

 

 

 

 

 

On croit traverser le désert. C’est lui qui vous traverse.

 

Son immensité s’infiltre par les yeux, son infiniment petit pénètre en vent de sable par les pores de la peau. Une part d’inexpliqué s’installe en vous, une page oubliée mais qui vous appartient, qui va vous revenir, comme un nom, sur le bout de la langue.

 

Vous devenez un voyageur troué, à jamais irréparable. Une érosion vous transforme, des graffitis apparaissent à vos frontons, des pigments sur vos mains, votre équilibre défie les lois. Vous devenez le bivouac d’une nuit d’étoiles, ce minuscule point sur l’horizon d’où le soleil choisira de surgir, cette arche sous laquelle son ombre passera, cette guelta qui se baigne dans votre reflet, cette figurine nomade oxydée qui danse l’éternité.

 

 

 

 

Jean-François Debargue

 

Voir les commentaires

Ceux qui vécurent fidèlement une vie cachée ...

15 Décembre 2019, 15:45pm

Publié par Grégoire.

Ceux qui vécurent fidèlement une vie cachée ...

"Si les choses ne vont pas aussi mal pour vous et pour moi qu'elles eussent pu aller, remercions-en pour une grande part ceux qui vécurent fidèlement une vie cachée et qui reposent dans des tombes que personne ne visite plus.

Georges Eliot.

 

Malick a toujours été, en un sens, hors du temps : que ce soit par ses figures qui semblent traverser l’espace sans que la société n’ait de prise sur eux (La balade sauvage, Les moissons du ciel), par un regard en surplomb qui essore la vanité d’une époque (Song to Song, The Knight Cup) ou embrasse carrément l’infinité du temps (The Tree of Life, Voyage of Time), son œuvre a toujours doublé le récit d’un lyrisme voué à lui donner les proportions du sublime.

 

Ses deux incursions dans le film d’époque (La Ligne Rouge, puis Le Nouveau Monde) procédaient de la même manière, avec cette modulation pourtant fondamentale d’être en prise avec l’Histoire, teintée d’une approche plus mélancolique encore sur la violence et les erreurs qui la jalonnent. Alors que ses derniers films semblaient progressivement s’évaporer dans leur écriture, au profit d’une poésie dissertative qui s’affranchirait de la colonne vertébrale d’un récit, Une vie cachée opère une sorte de retour aux sources, à la fois de l’écriture et de l’Histoire elle-même. En restituant la vie d’un autrichien refusant de prêter allégeance à Hitler, Malick embrasse une figure presque absente dans son œuvre, celle du véritable héros.

 

 

Bien entendu, il ne s’agit nullement d’un brusque revirement dans son travail, et tout le traitement du sujet se fait dans la continuité des expérimentations précédentes, et avec toute la maestria qu’on est forcé de reconnaître au maître. (Cette question de l’évolution du personnage dans toute la filmographie de Malick a été abordée de façon très éclairante par WeSTiiX dans son étude sur les liens entre le cinéaste et la philosophie de Kierkegaard.)

 

Le regard se porte ici sur un paysan et le travail qu’il opère avec son épouse dans les Alpes autrichiennes, l’occasion pour Malick de contempler un paysage d’un virginité brutale, où les cimes accrochent le ciel et l’herbe sombre offre ce que la terre semble avoir de plus pur. Le temps passé est celui des Travaux et des Jours, contemplation bucolique où les protagonistes densifient leur présence au monde par le rapport artisanal qu’ils entretiennent avec lui : la traite, la semaille, les fauchages, le travail du bois et de la terre. La beauté brute, l’évidence d’un tel lien à la nature qui n’oblitère jamais la sueur du front exigée par le Texte fondateur, est le matériau idéal pour Malick, qui, épaulé cette fois par Jörg Widmer à la photographie, offre un tableau qu’aucun autre cinéaste ne peut peindre.

 

 

La longueur du récit, qui approche les 3 heures, est donc la garantie d’une réelle incarnation : ce travail, que l’on retrouvera dans un autre rapport à la matière en prison (le cirage des chaussures, le maniement des sacs de sable) est abordé comme l’un des ancrages de la condition humaine, sur laquelle se greffe une autre valeur absolue, celle de l’amour. La famille immergée dans ce décor relève de l’évidence, et décline une vision qui prolonge le regard de Malick sur ses personnages, s’épanouissant dans un silence tactile face au monde. La musique, le mouvement des caméras, la lumière s’occupent de magnifier ce que les mots ne pourraient retranscrire. 

 

Il y a quelque chose qui manque cruellement à nos sociétés modernes, c’est quelqu’un qui dit non. » 

 

Ce rapport à un langage averbal – qui semblait justement phagocyter la possibilité d’un récit dans les films précédents du réalisateur – est d’autant plus essentiel qu’il va offrir le contrepoint à l’élément perturbateur, à savoir le bouleversement par l’Histoire de cet Eden à dimension humaine (un motif qui structurait aussi la vision de l’île du Pacifique dans La Ligne Rouge). Alors que le couple parle anglais, - une curiosité qu’on peut expliquer comme une forme de complicité de surplomb entre le cinéaste et ses personnages -, l’autrichien est la langue du village, bientôt souillée par des bribes de discours nationalistes, avant l’émergence violente de l’allemand des SS. Le cœur de la violence se situe bien là : Franz objecte, refuse l’engagement, mais surtout, face aux compromis qu’on lui proposera, s’oppose surtout à toute déclaration, quand bien même on lui rétorque qu’il n’est pas obligé de penser ce qu’il affirmera pour rester en vie.

 

 

Contempler, parler, agir : alors que les films d’archives imposent aussi une lucidité sur une époque qu’un film à la beauté si manifeste ne doit jamais oublier (allant jusqu’à montrer le Führer lui-même dans un moment familial et d’une simplicité accessible à tous), Malick interroge sa propre posture. Le dialogue qui se joue lors de la restauration des peintures de l’église est tout sauf anodin : “We just Create. Some day I’ll paint the true Christ” affirme le peintre, bien conscient que l’esthétique ne doit être que le marchepied vers une présence active au monde.

 

 

La question de l’engagement a donc été mûrement réfléchie, et s’affranchira de longs discours : il n’est pas nécessaire de démontrer, il suffit de rester debout – et mutique, s’il le faut. Le cinéaste, qui va et vient entre la prison et le village où l’épouse poursuit la tâche, accompagne son objecteur de toutes les valeurs qui sont sa force, construisant à grand renfort de musique, de surplomb et de réminiscences sa liberté spirituelle. L’emphase n’est certes pas loin, et quelques longueur peuvent surgir ici ou là, mais le propos ne s’enlise jamais, parce que le cinéaste tient un sujet qui va donner chair à son esthétique, et que l’on sait qu’il s’agit là de sa langue, d’une sincérité indiscutable, et non d’une pose. L’utilisation de la voix off et la mise en sourdine des voix in, véritable signature malickienne, sont ainsi ici parfaitement exploitées, permettant l’émergence d’une parole intime qui deviendra indestructible face à la violence d’un monde qu’une force intérieure pourra héroïquement maintenir à distance.

 

 

Dans ce monde livré aux ténèbres (“Is this the death of the light ?”), on songe souvent au destin d’Antigone, celle dont le rôle sera de dire « Non ». Le monde face à lui s’organise, s’agite, parlemente, négocie, mais reste inéluctablement passé au filtre de celui qui sait : que son engagement inconditionnel se double d’un amour tout aussi absolu de son épouse (“Do what is right.”), et que la beauté du vrai (ces montagnes, au loin, mais dans son cœur) perdure.

You won’t change the world. The world is stronger. ” A cette assertion indéniable, Malick répond par une histoire moins racontée que vécue, omettant volontairement, par exemple, de mentionner la béatification de Franz Jägerstätter et lui substituant la citation de George Eliot qui donne son titre au film, sur « ceux qui vécurent fidèlement une vie cachée et qui reposent dans des tombes que personne ne visite plus ». Une vie que le créateur, conscient de la minorité de son geste face à la grandeur de son personnage, révèle ainsi par un chant profond en réponse à la noirceur du monde.

Une symphonie visuelle, qui, à nouveau, pourra s’affranchir du temps.

 

https://www.senscritique.com/film/Une_vie_cachee/critique/193027952

Voir les commentaires

Survivre au pays du mensonge, grâce au seul pouvoir de la poésie. Anna Akhmatova, une voix libre sous la terreur

13 Décembre 2019, 16:03pm

Publié par Grégoire.

La poète russe Anna Akhmatova.

La poète russe Anna Akhmatova.

La grande poétesse russe s’est confiée, de 1938 à 1966, à l’écrivaine Lydia Tchoukovskaïa. « Entretiens avec Anna Akhmatova » est un témoignage magnifique sur l’URSS – et sur la capacité de résistance de la littérature.

 

 

Survivre au pays du mensonge, grâce au seul pouvoir de la poésie. Telle est sans doute la leçon intemporelle que nous offre la rencontre entre deux femmes, Anna Akhmatova (1889-1966), joyau de la poésie russe moderne, et l’écrivaine Lydia Tchoukovskaïa (1907-1996). Du récit de leur conver­sation continuée, de 1938 à 1966, cette ­dernière a tiré un journal exceptionnel d’émotion et d’intelligence.

 

 

Leurs chemins se croisent alors qu’elles partagent un sort commun à l’époque, la détention de leurs proches. Liova, le fils ­qu’Akhmatova a eu de son mari, le poète Nicolaï Goumiliov (lui-même fusillé en 1921), vient d’être arrêté, tout comme le mari de Lydia Tchoukovskaïa, Matveï Bronstein, dont elle finit par comprendre qu’il est tombé sous les balles de la Grande Terreur. En 1937, alors que le chaos sanglant frappe à l’aveugle l’intelligentsia ­urbaine, une relation asymétrique s’instaure entre Akhmatova, figure emblématique de la littérature de l’« âge d’argent » d’avant 1914, peinte par Modigliani, laissée en vie et en liberté par le régime soviétique mais interdite de publication jusqu’en 1940, et Tchoukovskaïa, son admiratrice.

 

D’abord diffusés par samizdat (manuscrits transmis clandestinement), ces ­Entretiens ont partiellement paru chez ­Albin Michel, dès 1980, en version ­française. Mais la troisième partie, ­concernant la période 1963-1966, était ­demeurée inédite, ainsi que les Cahiers de Tachkent, ville où les deux femmes se replient pendant la guerre. Le Bruit du temps propose donc une édition enfin intégrale, assortie des notes précieuses dues à la traductrice Sophie Benech, qui complètent les éclaircissements de Lydia Tchoukovskaïa elle-même. Outre un panorama de la littérature russe du temps, les centaines d’entrées en forme de saynètes dévoilent la complexité d’une amitié passionnée, quelquefois orageuse. Malgré une estime réciproque, Akhmatova et Tchoukovskaïa se brouillent de 1942 à 1952, pour une raison inexpliquée.

 

Ces conversations entre proscrites, qui ne survivent que d’expédients ou de traductions, sont imprégnées par l’atmosphère étouffante propre au monde soviétique : « C’était un temps où seuls les morts souriaient,/ Contents d’avoir trouvé la paix… », résume Akhmatova. Face aux exécutions décidées par quotas, sur les bases les plus arbitraires, face aux arrestations de parents, destinées à tenir en respect la moindre velléité d’opposition, « les gens avaient tout simplement cessé d’être sensibles au principe de causalité », constate Tchoukovskaïa.

 

La dictature communiste inculque à la population « une léthargie obtenue à force de dressage », « une peur qui devait durer une vie entière ». Le lecteur d’aujourd’hui trouvera aussi dans ces pages un tableau très précis de la vie quotidienne et intime ; il peut se figurer la pénurie, la souffrance y compris physique, sous la tyrannie stalinienne et poststalinienne – malgré la très relative accalmie provoquée par le « dégel » khrouchtchévien (1953-1964).

 

« Portrait d’Anna Akhmatova », de Nathan Altman (1914). Musée russe, Saint-Pertersbourg. 

 

Comment relever un tant soit peu la tête dans un pays « dépossédé de sa littérature et de son histoire », quand Akhmatova elle-même se voit contrainte, en 1950, pour sauver son fils, Liova, une nouvelle fois incarcéré, de publier Gloire à la paix, une adresse à Staline ? Comment, quand on est poète, exhumer l’horreur réelle sous les euphémismes qui pullulent à l’envi dans l’univers soviétique : « Sciences récréatives », « Fonds littéraire », « Maison de la création », « dix ans de camp avec interdiction de correspondance » ?

 

Les discussions retranscrites ici offrent un vrai manuel de survie. Les deux amies codent toute allusion politique de références littéraires ou artistiques. Alexandre Pouchkine (1799-1837), dont Akhmatova est une spécialiste, sert ainsi de cryptogramme aux poèmes inspirés par la Terreur, Requiem ou Poème sans héros, tout comme le tsar Nicolas Ier (1796-1855) renvoie discrètement aux autocrates modernes.

 

Akhmatova compose la nuit et récite ses vers le lendemain à Tchoukovskaïa. Instantanément, celle-ci les retient tandis qu’Akhmatova brûle les notes avec ses cigarettes. Sept à onze amis sûrs sont métamorphosés en livres vivants, en attendant que l’étau se desserre et que les « temps nouveaux » de la période Krouchtchev, qui se révéleront bien décevants, permettent quand même de sortir quelques plaquettes, dûment filtrées par la censure.

 

Longtemps avant que le numérique atrophie la mémoire, ce récit nous rappelle un temps où la littérature se faisait par cœur ; on découvre comment pouvait s’élaborer une contre-histoire de l’oppression, dans un pays où ingénieurs, chauffeurs de taxi ou paysans connaissaient les vers d’Akhmatova. L’Etat aura beau adopter deux résolutions contre elle, en 1925 et en 1946, « la conscience que même dans la misère, dans le ­malheur et dans la souffrance, elle était la poésie, que c’était elle la vraie grandeur et non le pouvoir qui l’humiliait, cette conscience lui donnait la force de supporter la pauvreté, les humiliations et le malheur ».

 

Akhmatova compose la nuit et récite ses vers le lendemain à Tchoukovskaïa. Instantanément, celle-ci les retient tandis qu’Akhmatova brûle les notes avec ses cigarette.

 

Dans ce journal, véritable anthologie de la grande poésie russe du XXe siècle grâce aux innombrables citations, Akhmatova se voit souvent campée en impératrice byzantine sans couronne, exploiteuse à l’occasion, conciliant en une seule personne « l’orgueil et la vulnérabilité ». Elle sait pourtant montrer de la compassion pour d’autres désastres que les siens. En 1940, depuis Leningrad, elle évoque Paris sous une botte, allemande cette fois : « Mais le fils ne reconnaît pas sa mère,/ Le petit-fils se détourne en pleurant,/ Et les têtes s’inclinent plus bas./ La lune oscille comme un balancier. Eh bien, voilà quel ­silence s’abat/ Aujourd’hui sur Paris occupé. »

Elle se passionne pour l’histoire, pour la littérature étrangère. Elle ­confie avoir lu six fois Ulysse, de Joyce (malgré son côté « pornographique », dit-elle), s’intéresse à Faulkner, à Leopardi et même à Thérèse Desqueyroux, de Mauriac (qui, selon elle, sonne faux)… Elle accueille à bras ouverts les ­premiers poètes et écrivains de la génération dissidente, Joseph Brodsky ou Alexandre Soljenitsyne, qui la fréquentent à la fin de son existence.

 

 

« Venez me voir le plus vite possible », martèle Anna tout au long du livre à son amie, pas seulement pour transmettre des plaintes ou son indignation, mais aussi pour échanger potins et anecdotes. Et Lydia de s’exécuter, sur la glace de Léningrad ou sous la canicule ouzbèke. Parfois elle explose, quand Akhmatova, jamais avare de jugements tranchés, dénigre Tchekhov ou Anna Karénine, juge raté Le Docteur ­Jivago, de son ami Boris Pasternak (Gallimard, 1958), contraint de renoncer à son prix Nobel en 1958. La description, par Lydia Tchoukovskaïa, de l’enterrement de celui-ci, manifestation muette de protestation contre le Kremlin, le 2 juin 1960, est l’un des sommets de ce livre incroyablement riche. Car, ces Entretiens le montrent, la poésie écrit l’histoire autant qu’elle peut en être la victime.

 

La couverture du livre reproduit un portrait d’Anna Akhmatova par Modigliani.

 

 

EXTRAIT

 

« [21 décembre 1962] Nous évoquons un sujet de conversation qui est sur toutes les lèvres : (…) le fait que Khrouchtchev aurait dit que Staline n’était pas dépourvu de ­mérites. On a pu vivre sous Staline (nous l’avons fait), on a pu écouter et lire les louanges de Staline (nous n’avons rien fait d’autre pendant trente ans). Mais l’idée de supporter le moindre éloge de lui main­tenant, après tout ce qui s’est passé, c’est devenu impensable. C’est une injure à des millions d’êtres humains, vivants et morts. – C’est aussi intolérable que la « répétition » par laquelle nous sommes déjà passés, a dit Anna Andreïvna [Akhmatova], au moment où, en 1948-1949, on s’est mis à arrêter de nouveau ceux qui étaient revenus après l’année 1937. Vous vous souvenez ? Je sais qu’il y a eu beaucoup de suicides parmi ceux qui s’attendaient à une nouvelle arrestation. Les gens ne pouvaient supporter d’être arrêtés une deuxième fois. Allons-nous supporter, nous, qu’on se remette à encenser Staline ? Après la divulgation de ses instructions sur la torture ? »

Entretiens avec Anna Akhmatova, page 740

 

 

« Entretiens avec Anna Akhmatova » (Zapiski ob Anna Akhmatovoy), de Lydia Tchoukovskaïa, traduit du russe par Lucile Nivat, Geneviève Leibrich et Sophie Benech, édité par Sophie Benech, Le Bruit du temps, 1 248 p., 39 €.

 

https://www.lemonde.fr/critique-litteraire/article/2019/12/11/anna-akhmatova-une-voix-libre-sous-la-terreur_6022516_5473203.html

Voir les commentaires

Mon rêve aurait été d'être invisible. La plus part de mes semblables voulaient le contraire : se montrer.

6 Décembre 2019, 02:07am

Publié par Grégoire.

Mon rêve aurait été d'être invisible. La plus part de mes semblables voulaient le contraire : se montrer.

En des âges inconcevables, avant le big-bang, reposait une puissance, magnifique et monomorphe. Son règne pulsait. Autour, le néant. Les hommes avaient rivalisé pour donner un nom à ce signal. C'était Dieu pour les uns, nous contenant en devenir, dans la paume de sa main. Des esprits plus prudents l'avaient appelé « l'Être ». Pour d'autres, c'était la vibration du Om primordial, une énergie-matière en attente, un point mathématique, une force indifférenciée. Des marins à cheveux blonds sur des îles de marbre, les Grecs, avaient appelé « chaos » la pulsation. Une tribu de nomades recuits de soleil, les Hébreux, l'avait baptisée « verbe », que les Grecs traduisaient par « souffle ». Chacun trouvait un terme pour désigner l'unité. Chacun affûta ses poignards pour zigouiller son contradicteur. Toutes ces propositions signifiaient la même chose : dans l'espace-temps ondulait une singularité première. Une explosion la libéra. Alors, l'inétendu s'étendit, l'ineffable connut le décompte, l'immuable s'articula, l'indifférencié prit des visages multiples, l'obscur s'illumina. Ce fut la rupture. Fin de l'Unicité !

 

 

Dans la soupe barbotèrent les données biochimiques. La vie apparut et se distribua à la conquête de la Terre. Le temps s'attaquait à l'espace. Ce fut la complication. Les êtres se ramifièrent, se spécialisèrent, s'éloignèrent les uns des autres, chacun assurant sa perpétuation par la dévoration des autres. L'Évolution inventa des formes raffinées de prédation, de reproduction et de déplacement. Traquer, piéger, tuer, se reproduire fut le motif général. La guerre était ouverte, le  monde son champ. Le soleil avait déjà pris feu. Il fécondait la tuerie de ses propres photons et il mourrait en s'offrant. La vie était le nom donné au massacre en même temps que le requiem du soleil. Si un Dieu était vraiment à l'origine de ce carnaval, il aurait fallu un tribunal de plus haute instance pour le traduire en justice. Avoir doté les créatures d'un système nerveux était la suprême invention dans l'ordre de la perversité. Elle consacrait la douleur comme principe. Si Dieu existait, il se nommait « souffrance ».

 

 

Hier, l'homme apparut, champignon à foyer multiple. Son cortex lui donna une disposition inédite : porter au plus haut degré la capacité de détruire ce qui n'était pas lui-même tout en se lamentant d'en être capable. À la douleur, s'ajoutait la lucidité. L'horreur parfaite.

 

Ainsi, chaque être vivant était-il un éclat du vitrail originel. Ce matin-là, dans le Tibet central, antilopes, gypaètes et grillons à la lutte m'apparaissaient des facettes de la boule disco accrochée au plafond de l'expansion. Ces bêtes photographiées par mes amis constituaient l'expression diffractée de la séparation. Quelle volonté avait ordonné l'invention de ces formes monstrueusement sophistiquées, toujours plus ingénieuses et toujours plus distantes à mesure que les millions d'années passaient ? La spirale, la mandibule, la plume et l'écaille, la ventouse et le pouce préhensile étaient les trésors du cabinet de curiosités de cette Puissance géniale et déréglée qui avait triomphé de l'unité et orchestré l'efflorescence.

 

Le loup se rapprocha des gazelles. Elles levèrent la tête, d'un même mouvement. Une demi-heure passa. Personne ne bougeait plus. Ni le soleil, ni les bêtes, ni nous-mêmes statufiés derrière nos jumelles. Le temps passait. Seuls des  lambeaux d'ombre glissaient lentement à l'assaut des montagnes : des nuages.

 

  À présent, régnaient les êtres vivants, propriétés de ce qui avait été « l'Unique ». L'Évolution continuait ses opérations. Nous étions de nombreux hommes à rêver aux âges primordiaux où tout reposait dans la vibration des débuts.

 

Comment calmer cette nostalgie du grand démarrage ? On pouvait toujours prier Dieu. C'était une occupation agréable, moins fatigante que la pêche à l'espadon. On s'adressait à un attribut unitaire qui aurait précédé le divorce, on s'agenouillait dans une chapelle et on murmurait des psaumes en pensant : Dieu, pourquoi ne vous êtes-vous pas contenté de vous-même au lieu de vous livrer à vos expériences biologiques ? La prière était condamnée à l'échec car la source était trop complexifiée et nous étions venus trop tard. Novalis l'avait dit plus subtilement : « Nous cherchons l'absolu, nous ne trouvons que des choses . »

 

On pouvait aussi penser que l'énergie primitive pulsait, résiduelle, en chacun de nous. Autrement dit que résonnait en nous tous un peu du vibrato originel. La mort saurait nous réincorporer au poème initial. Ernst Jünger, quand il tenait un petit fossile du précambrien dans le creux de sa main, méditait sur l'apparition de la vie (c'est-à-dire du malheur) et rêvait aux origines : « Un jour, nous saurons que nous nous sommes connus. »

 

Enfin, restait la technique de Munier : traquer partout les échos de la partition première, saluer les loups, photographier les grues, rassembler à coups d'obturateur les tessons de la matière mère explosée par l'Évolution. Chaque bête constituait un scintillement de la source égarée. Un instant, notre tristesse s'atténuait de ne plus palpiter dans le sommeil de la déesse-méduse.

L'affût était une prière. En regardant l'animal, on faisait comme les mystiques : on saluait le souvenir primal. L'art aussi servait à cela : recoller les débris de l'absolu. Dans les musées on passait devant les tableaux, carrés de la même mosaïque.

 

J'exposais ces considérations à Léo qui profita d'un relèvement de la température pour s'endormir. Il faisait —15°c, le loup se remit en marche, passa sans s'en prendre aux gazelles.

 

Sylvain Tesson, La panthère des neiges.

Voir les commentaires

Christian Bobin, un frère humain, très simple, très aimant

5 Décembre 2019, 01:44am

Publié par Grégoire.

Voir les commentaires

En tant que femme ..

4 Décembre 2019, 15:02pm

Publié par Grégoire.

En tant que femme ..

" La femme cherche toujours l’homme unique à qui elle donnera son savoir, sa chaleur, son amour, son énergie créatrice. Elle cherche l’homme, non l’humanité. Cette question féminine n’est pas si simple.

Parfois, en voyant dans la rue une jolie femme, élégante, soignée, hyper-féminine, un peu bête, je sens mon équilibre vaciller. Mon intelligence, mes luttes avec moi-même, ma souffrance m’apparaissent comme un poids oppressant, une chose laide, anti-féminine, et je voudrais être belle et bête, une jolie poupée désirée par un homme.

Etrange, de vouloir ainsi être désirée par un homme, comme si c’était la consécration suprême de notre condition de femmes. L’amitié, la considération, l’amour qu’on nous porte en tant qu’être humain, c’est bien beau, mais tout ce que nous voulons, en fin de compte, n’est-ce pas qu’un homme nous désire en tant que femme ? "

- Etty Hillesum, Une vie bouleversée

Voir les commentaires

Concert Dhafer Youssef Salle Pleyel Vendredi 29 Novembre 2019

26 Novembre 2019, 02:51am

Publié par Grégoire.

à ne pas manquer !

à ne pas manquer !

Il est des rêves qui durent longtemps. Et des pressentiments qui ont valeur de prophéties. Neuf albums plus tard, le musicien voyageur qui a contribué à introduire l’oud dans le jazz, assouvit son rêve de musique indienne et invite, dans un premier temps, le célèbre percussionniste Zakir Hussain à partager quelques scènes françaises en duo. La symbiose est au rendez-vous mais il manque une couleur : un instrument à vent. Dhafer Youssef convoque alors une autre « âme sœur » : le clarinettiste turc Hüsnü Şenlendirici. Le trio esquisse en concert la matière première du 12 titres « Sounds Of Mirrors ». 

L’enregistrement débute à Bombay, puis se poursuit à Istanbul où Eivind Aarset, l’aérien guitariste jazz en provenance de Norvège, rejoint l’aventure inédite. Car le disque qui, à l’origine, était un hommage à Zakir Hussain et au tabla prend alors une direction inattendue. « J’ai senti que, partant d’un socle culturel indien, nous pouvions aller vers un propos plus universel...

 

Cet enregistrement m’a fait l’effet d’une ode à l’amitié et à la fraternité. Quand nous jouions ensemble, j’avais la nette sensation que des âmes sœurs se reflétaient. D’où le titre de l’album : « Sounds Of Mirrors », raconte Dhafer. Œuvre de la maturité musicale excellence, la voix se met en retrait au bénéfice d’une musique qui se déploie, épanouie. Emergent alors toutes les finesses de la composition et le talent du soliste.

http://www.dhaferyoussef.com/#/home

Voir les commentaires

Tout le monde, partout, tout le temps, est occupé, et par une seule chose à la fois.

24 Novembre 2019, 12:36pm

Publié par Grégoire.

Tout le monde, partout, tout le temps, est occupé, et par une seule chose à la fois.

Partout Dieu nous attend, mais un Dieu en loques, mal rasé, inquiet - pas le soleil à crâne d'or des antiques processions religieuses. Ce Dieu-là ne s'encombre d'aucun rituel. Notre étonnement et une pointe de gaieté lui suffisent comme monnaie dans sa main tendue.

J'appelle « Dieu » la vie à peine sortie du tombeau des conventions, mal fichue, décoiffée comme au sortir du lit, adorable. Et j'appelle « anges » ces gens qui s'intéressent passionnément à la vie et s'émerveillent de n'y rien comprendre. J'ai passé un dimanche après-midi chez des anges. Chacun était unique. Il n'y a pas de fabrique des âmes. Il ne peut y en avoir. Le songe, la sauvagerie et la décision soudaine sont les racines de l'âme. Ce qui n'est qu'efficacité l'anéantit. Un des anges passait ses journées à dessiner avec des crayons de couleur les arcs-en-ciel qui illuminaient sa boîte crânienne. Il n'exposait pas ses œuvres, fuyait tout commerce. C'est un des signes certains pour reconnaître un ange : l'horreur des affaires.

Un autre travaillait dans une banque et c'est encore un signe pour les distinguer : ils contredisent toutes les règles, même celles qui les définissent, et ne sont jamais là où nous avons coutume de les épingler, froids sur les tympans des cathédrales, endimanchés dans les livres de peinture. Ils parlaient des uns et des autres.

Les âmes sont indéchiffrables, comment s'arrêter jamais de les commenter ? Le commentaire infini que tissent chaque jour nos confidences et nos émerveillements est le bruit que fait la caravane de l'éternel à nos fenêtres. En écoutant ces anges, si drôles, je redécouvrais la vérité la plus fuyante qui soit : une âme triste est une âme qui se trompe. Un ange parla d'un de ses cousins qui avait dormi jusqu'à dix ans dans une caravane avec des bébés lions. Depuis qu'il n'avait plus de cirque, il allait comme représentant de commerce sur les routes, trois jours par semaine, et le reste du temps fréquentait les salles de vente où, sans avoir de quoi les acheter, il admirait les vieux soleils bradés. (Un jour, je me suis surpris dans le grand miroir rouillé d'un brocanteur et j'ai aussitôt pensé que je ne dépenserais pas un sou pour acheter quelqu'un comme moi.) Ce cousin des anges jugeait sa vie trop précieuse pour la perdre en actions. Il n'en faisait rien.

Ce matin, j'ai réalisé l'expérience magique de ce rien, quand le papier couleur sable de l'enveloppe s'est mis à boire l'encre de l'adresse que je venais d'écrire. (Les lettres qu'on écrivait jadis à la main amenaient au monde - par leurs pleins et leurs déliés vibrants de l'invisible - les premiers secours de l'âme.) J'ai regardé, fasciné, le brillant de l'encre noire disparaître des lettres, s'éteindre peu à peu comme une lampe qui se meurt ou comme quelqu'un qui, portant un flambeau, s'éloigne dans la nuit.

Une seconde de contemplation ouvre les portails du temps : je venais de passer une vie entière à regarder un peu d'encre rentrer dans un peu de papier. Une vie nouvelle s'avançait. Nous vivons des milliers de vie par jour, les anges le savent qui ne veulent pas en perdre une miette.

Christian Bobin, juillet 2009

 

Voir les commentaires

Le bleu de l’Absence

22 Novembre 2019, 01:35am

Publié par Grégoire.

Le bleu de l’Absence

Elle l’avait vu de loin, avant nous tous. En plein désert, à trois jours de marche de Tamanrasset. Une silhouette bleue parmi quelques arbustes, flottant dans le clapotis d’une vague de chaleur. Son œil de photographe pouvait voir le plus souvent ce que nous ignorions. Puis l’évidence cachée surgissait à chaque fois, tranquillement installée sur l’écran ou sur les toiles de ses expositions.

C’était une tunique d’enfant, morceau arraché au ciel bleu et écartelé là, en croix, prisonnier d’un acacia, maigre compagnon de torture. Le bout des manches battait cet appel silencieux et désespéré que nous avions vu, semblant dire « vous arrivez trop tard, mais approchez ». Un crucifié sans mains, sans tête, sans corps, mais incroyablement vivant dans ses légers frémissements de toile. Enveloppe d’un tronc déposée sur un autre, la chemise racontait son universelle et singulière histoire de suaire et d’épines, l’histoire possible d’un enfant migrant dont elle était le seul bien, la seule patrie, l’histoire d’une disparition racontée par un tissu muet au témoignage déchiré, l’histoire de la mue abandonnée d’un nomade oublié, l’histoire d’une voile gonflée d’espoir dans une traversée d’épines.

Aucun d’entre nous ne troubla d’un mot le témoignage du frisson azuré.

Alors, avec un infini respect elle prit l’histoire en photo. C’était il y a treize ans. Un souffle de vent épique gonfla à ce moment précis la silhouette bleue, donnant à jamais respiration à l’Absence rencontrée.

Sur les pieds photographiés des enfants réfugiés elle continue de tracer des cartographies du monde, sur leurs mains des lignes de vie de fils barbelés. Pendant qu’une tunique orpheline aux couleurs d’indigo délavé par l’oubli continue de palpiter convulsivement dans un buisson d’épineux dans l’hymne du vent, drapeau déchiré de pays abandonnés et d’enfants disparus.

 

Jean-françois Debargue

Voir les commentaires

Un arrachement sans profit à l'abominable préférence que nous avions pour nous-mêmes.

20 Novembre 2019, 16:24pm

Publié par Grégoire.

Un arrachement sans profit à l'abominable préférence que nous avions pour nous-mêmes.

"Bavardages des roues du train, bavardages des économistes, bavardages des littérateurs. Radotages qui font le monde. Un bâillon de mots qu'on nous fourre dans la bouche. L'essentiel est ceci : sortir d'un coup le cri d'amour de nos entrailles, puis s'en sera fini, nous aurons fait notre journée, exprimé notre vie comme l'orange éclate dans la paume du géant qui la broie. Signer le néant que nous sommes, puis mourir.

Cette signature fait notre vie vivante jusque dans les tombes. Le timbre de notre voix dans l'amour, plus musical que du Bach. Un geste qui peut-être sauvera quelqu'un. Un arrachement sans profit à l'abominable préférence que nous avions pour nous-mêmes. Cracher son âme, exprimer son jus, diviniser la vie en la soulevant au-dessus de nous-mêmes -tel est encore à l'approche de la neige de tes cent ans, ta force, ton secours, ton travail.

Mon père n'a pas écrit de livre ni peint un seul tableau. Son sourire fut son seul coup d'éclat, un manteau de confiance jeté sur les épaules de la vie, devant quoi les diables reculèrent. Ce travail, chacun doit le mener, des écureuils dans les arbres aux philosophes dans leur boutique mal éclairée. "
 

C.Bobin, Pierre

Voir les commentaires

Ce qui n'est qu'efficacité anéantit l'âme ..

11 Novembre 2019, 14:59pm

Publié par Grégoire.

Ce qui n'est qu'efficacité anéantit l'âme ..

 

Partout Dieu nous attend, mais un Dieu en loques, mal rasé, inquiet - pas le soleil à crâne d'or des antiques processions religieuses. Ce Dieu-là ne s'encombre d'aucun rituel. Notre étonnement et une pointe de gaieté lui suffisent comme monnaie dans sa main tendue. J'appelle « Dieu » la vie à peine sortie du tombeau des conventions, mal fichue, décoiffée comme au sortir du lit, adorable. Et j'appelle « anges » ces gens qui s'intéressent passionnément à la vie et s'émerveillent de n'y rien comprendre. J'ai passé un dimanche après-midi chez des anges. Chacun était unique. Il n'y a pas de fabrique des âmes. Il ne peut y en avoir. Le songe, la sauvagerie et la décision soudaine sont les racines de l'âme. Ce qui n'est qu'efficacité l'anéantit.

Un des anges passait ses journées à dessiner avec des crayons de couleur les arcs-en-ciel qui illuminaient sa boîte crânienne. Il n'exposait pas ses œuvres, fuyait tout commerce. C'est un des signes certains pour reconnaître un ange : l'horreur des affaires. Un autre travaillait dans une banque et c'est encore un signe pour les distinguer : ils contredisent toutes les règles, même celles qui les définissent, et ne sont jamais là où nous avons coutume de les épingler, froids sur les tympans des cathédrales, endimanchés dans les livres de peinture. Ils parlaient des uns et des autres. Les âmes sont indéchiffrables, comment s'arrêter jamais de les commenter ? Le commentaire infini que tissent chaque jour nos confidences et nos émerveillements est le bruit que fait la caravane de l'éternel à nos fenêtres.

En écoutant ces anges, si drôles, je redécouvrais la vérité la plus fuyante qui soit : une âme triste est une âme qui se trompe. Un ange parla d'un de ses cousins qui avait dormi jusqu'à dix ans dans une caravane avec des bébés lions. Depuis qu'il n'avait plus de cirque, il allait comme représentant de commerce sur les routes, trois jours par semaine, et le reste du temps fréquentait les salles de vente où, sans avoir de quoi les acheter, il admirait les vieux soleils bradés. (Un jour, je me suis surpris dans le grand miroir rouillé d'un brocanteur et j'ai aussitôt pensé que je ne dépenserais pas un sou pour acheter quelqu'un comme moi.) Ce cousin des anges jugeait sa vie trop précieuse pour la perdre en actions. Il n'en faisait rien.

Ce matin, j'ai réalisé l'expérience magique de ce rien, quand le papier couleur sable de l'enveloppe s'est mis à boire l'encre de l'adresse que je venais d'écrire. (Les lettres qu'on écrivait jadis à la main amenaient au monde - par leurs pleins et leurs déliés vibrants de l'invisible - les premiers secours de l'âme.) J'ai regardé, fasciné, le brillant de l'encre noire disparaître des lettres, s'éteindre peu à peu comme une lampe qui se meurt ou comme quelqu'un qui, portant un flambeau, s'éloigne dans la nuit. Une seconde de contemplation ouvre les portails du temps : je venais de passer une vie entière à regarder un peu d'encre rentrer dans un peu de papier. Une vie nouvelle s'avançait. Nous vivons des milliers de vie par jour, les anges le savent qui ne veulent pas en perdre une miette. 

 

Christian Bobin, juillet 2009

Voir les commentaires

La plus grande aventure est peut-être de s’oublier soi-même, de négliger cette somme d’interdits qui est en nous et d’aller vers l’autre

9 Novembre 2019, 13:18pm

Publié par Grégoire.

La plus grande aventure est peut-être de s’oublier soi-même, de négliger cette somme d’interdits qui est en nous et d’aller vers l’autre

 

" La voix est un trésor qui se patine. On sait que les voix s'usent un petit peu, se creusent comme un évier sous la goutte d'eau. Mais on sait aussi que c'est un trésor qui se densifie. Si on a un petit peu d'oreille, les voix disent le meilleur de la personne et le chef d'oeuvre qu'est profondément une personne, est donné à entendre dans sa voix." 

"Il est possible que nous soyons, chacun de nous, psychiquement, spirituellement, comme des terrains toujours en danger d'inondation : inondations de mots, de traumas, inondation de savoirs inutiles, d'images aveuglantes et que c'est dans la rareté ou dans le peu, que l'immense à la chance de revenir, de resurgir."

Ce qui compte, à mon avis, c'est d'essayer d'être vivant, et pour être vivant, il faut parler et pour parler vraiment, il faut amener le silence dans sa parole, et amener le secret de sa vie dans cette parole sans le dévoiler, le faire juste vibrer. Il faut faire vibrer la peau de tambour d'un secret qu'on a dans le coeur, sans le dire, parce que ça serait l'anéantir et s’anéantir soi-même : le faire juste vibrer, c'est ce que j'appelle  "risquer".

"Le refus est peut-être la somme des conventions et des obéissances à laquelle nous répondons depuis le berceau ou presque. Aujourd’hui on vante beaucoup les exploits du corps physique, les aventures de marins ou d’alpinistes. Mais, la plus grande aventure est peut-être de s’oublier soi-même, de négliger cette somme d’interdits qui est en nous et d’aller vers l’autre. Je crois que c’est ça la plus grande aventure. Le plus bel exploit humain, c’est de susciter la naissance d’un vrai sourire sur les lèvres de quelqu’un qui vous fait face : ce sourire c’est le portail qui s'ouvre "

 

https://www.franceculture.fr/emissions/par-les-temps-qui-courent/christian-bobin

Voir les commentaires

L’enfer c’est d'avoir des bras et personne à étreindre

6 Novembre 2019, 17:42pm

Publié par Grégoire.

L’enfer c’est d'avoir des bras et personne à étreindre

" J., que beaucoup appelaient " mademoiselle " alors qu'elle avait déjà soixante ans,  travaillait comme bibliothécaire dans un centre culturel, recouvrant de plastique de lourds livres d'art qu'aucun lecteur ne venait emprunter. Ses goûts, son  humour et les teintes de ses robes : tout en elle semblait fragile et quelque peu désuet comme une aquarelle où la couleur rose eût dominé. Une douceur et une bienveillance cernaient les yeux de celle qui, parce qu'elle n'avait jamais causé de mal, aura traversé cette vie sur la pointe des pieds sans que nul ne la voie, sa mort ne faisant pas plus de bruit que de la neige tombant sur de la neige. Peut-être le monde est-il continuellement sauvé de l'anéantissement auquel il tend par de tels êtres que personne, jamais, ne remarque. 

Le monde n’est qu’efficacité. Lui obéir, c’est arracher cette divine maladresse que nous avons au fond de l’âme et qui est la pudeur même. Les petites mains volantes d’un nouveau né en sont la parfaite incarnation. Tout ce qui est réellement précieux et maladroit, timide, hypersensible.

Chacun travaille, travaille, travaille a son sombre intérêt, et ceux qui n’y travaille pas sont broyés. C’est par distraction que nous n’entrons pas au paradis de notre vivant, uniquement par distraction.

Le beau chapeau de nos conquêtes roulera sur notre tombe, mais nos défaites nous avaient déjà ouvert la porte de l’éternel."

Christian Bobin.

 

Voir les commentaires

C’est tellement beau cette vie qu’un rien peut arracher

4 Novembre 2019, 10:04am

Publié par Grégoire.

C’est tellement beau cette vie qu’un rien peut arracher

Elle était devant moi: une bouche édentée, des cheveux filasses, deux yeux d’azurs hors de prix. Ces yeux-là avaient traversés des siècles de détresse. Le monde, on arrive jamais à l’éclairer, même en plein jour. Et parfois, quelqu’un est jeté vers vous, un visage osseux, fatigué, un paquet de boue lumineuse, quelque chose qui sort des mains du créateur et qui n’a son pareil nulle part. Un visage couturé de partout, jeté dans notre direction. Moi qui suis émerveillé par les sphères des têtes de bébé, par ces poèmes couverts de rosée et délicatement veilé de bleu, je l’étais encore plus délicatement par ce visage vieilli, battu, avec la joie vrillée dans ses prunelles. Elle m’a parlé. La tête miraculeuse m’a parlé. C’était à Lille, ville dont les briques rouges m’avaient durablement émues comme un petit enfant qui montre ses muscles. 

Certains visages ont passés entre des haies de serpents de gifles et de crachats avant d’arriver à vous. Ils sont lumineux de toutes la lumière qui leur a été pendant des années refusées. Les vivants sont des livres. Ce livre là étaient un chef d’oeuvre. Quand ils n’ont plus peur du bruit que font nos projets, les anges viennent avec leur gueule tordue. Le ciel est sur leur visage, le ciel est leur visage. Elle a parlé, mais son visage parlait plus fort. Les présences parlent mieux que les mots, elles vont plus loin. Sa présence disaient une amitié déraisonnable pour la vie meurtrière. Comment vous dire ça ? Il y a des yeux qu’aucun vent, même terrible, ne peut éteindre. 

Elle souriait; elle avait perdue un enfant, il a de ça quelques années, en vérité il y avait une seconde. Le coeur ignore le temps. La perte marque l’éternel dans nos chairs, et l’éternel, c’est ce qui ne passe pas, ce qui reste en travers de la gorge, sanglots ou chants d’amours, cris ou grâce. 

Elle souriait et l’enfant disparu pouvait se voir en filigrane de son sourire, montrant son visage à travers le rosier martyrisé du visage de sa mère. Je regardais le couple qu’ils formaient. Cette présence poreuse, cette rouille du mort sur le vif, leurs sourires doux m’étaient contagieux. Une flèche de gaité m’arrivait qui me perçaient le coeur. 

Mallarmé a élevé autour de la mort de son fils Anatole, la tombe aérienne d’un poème dont la délicatesse est comparable à celle des fougères, à leur manière de ployer sous des tonnes d’air sans perdre leur souplesses. Ce qu’on appelle un poète n’est qu’une anomalie de l’humain, une inflammation de l’âme qui ne supporte plus aucun contact, même celui d’une brise. A Mallarmé hypersensible, la vie est venue prendre un enfant et lui a dit dit: « maintenant chante si tu peux, chante avec ce trou que j’ai fais dans ta gorge » La disparition en plein vol d’un enfant, c’est Dieu qui jette notre coeur aux bêtes; et Mallarmé voyez-vous, n’a pas chanté. Il a bégayé, angéliquement bégayé. Son livre élevé sur l’enfant mort est comme les briques restantes d’une bergerie en ruine.

Devant ce que la vie a de plus cruel, toutes les pensées parfois s'effondrent, privées d'appui, et il ne nous reste plus qu'à demander aux arbres qui tremblent sous le vent de nous apprendre cette compassion que le monde ignore.

L’inconsolable quand il est écrit engendre une paix comme une lampe proposant des ombres chinoises à l’enfant inquiet au bord de s’endormir. Quand je pense aux gens que j’aime, et même à ceux que je n’aime pas, quand j’y pense vraiment, les bras m’en tombent: la vie s’approche de nous, elle guette le moment favorable pour frapper et puis à chacun elle lance: « chante maintenant, vas-y, chante ». Ecrire est ce chant qui s’élève dans le noir. Je vous écris la nuit, je ne sais faire que ça. Je jette le filet de mes yeux sur les eaux du monde et puis je le ramène à moi et je regarde les poissons d’or.  C’est tellement beau cette vie qu’un rien peut arracher. 

Christian Bobin.

 

Voir les commentaires

Le plus précieux est ce qui est faible, pauvre, banal, ce qui, soulevé par un regard d’amour, ne connaît pas la mort.

1 Novembre 2019, 11:23am

Publié par Grégoire.

Le plus précieux est ce qui est faible, pauvre, banal, ce qui, soulevé par un regard d’amour, ne connaît pas la mort.

Une religion c’est quelqu’un qui nous tire par la manche, pour nous rappeler que notre vie est plus grande que ce que nous en faisons.

Ce geste enfantin – tirer la manche de l’adulte aveuglé par ses soucis pour attirer son attention sur quelque chose d’émerveillant – ce geste est accompli par le Christ, par Mahomet ou par les mystiques juifs. Les trois religions du Livre sont là pour nous sortir du sommeil de nos volontés, de nos savoirs ou de nos conforts. L’un, le christianisme, rappelle que Dieu a le visage du premier venu. L’autre, l’islam, sans se lasser rappelle qu’il n’y a de Dieu que Dieu. Le troisième, avec le Talmud, rappelle que le sens de nos vies est toujours à déchiffrer, toujours en avant, à venir. Il y a aussi le bouddhisme qui donne à l’ouverture d’un lotus la lumière irradiée d’un matin du monde. Ces religions sont inusables. Elles seront là encore dans cinquante ou mille ans. Elles ne pourraient disparaître que si leur travail n’avait plus de raison d’être, se trouvait terminé.

Or nous serons toujours vaniteux, impatients, distraits : nous aurons toujours besoin de leurs piqûres de rappel. Mais elles ne sont pas le plus décisif pour le sort de la vie. Ce qui compte c’est le spirituel, et le spirituel c’est le noyau sauvage, la pudeur affolée dont les religions ne sont qu’une piètre traduction, un apprivoisement. L’esprit c’est le vent, les rafales de vent sur les dunes des phrases des livres saints. La grande, l’unique liberté.

On voit passer l’esprit dans les yeux en flammes de quelques gitans, de quelques poètes, de nombreuses personnes simples et ignorées du monde, dont le rayonnement dans l’invisible est plus fort que celui d’une étoile à son apogée. Dans vingt ans, dans cinquante ans, je ne sais ce qui demeurera de cette sauvagerie vitale. Les visages d’aujourd’hui sont recouverts de plastique. Les gestes meurent de se vouloir efficaces. La gratuité et la fantaisie s’enfuient du monde. Or Dieu logeait en elles incognito.

Personne ne veut mourir et c’est normal. Pour ne pas mourir on cherche à étendre son nom par la gloire, on élargit ses bras jusqu’à serrer une montagne d’or. On veut ce qui est précieux. On croit que ce qui est précieux est ce qui est isolé au sommet d’une gloire, d’une force, de la tour d’une banque. Mais on se trompe.

Le plus précieux est ce qui est faible, pauvre, banal, ce qui, soulevé par un regard d’amour, ne connaît pas la mort. L’argent est un Dieu qui ne pardonne rien. Il ne supporte pas d’attendre. Malheur à l’isolé, au malade, au sans éclat. Les maisons de retraite sont des boîtes où le monde jette les visages qu’il ne veut plus voir. On n’applaudit que les gagnants.

Dans L’espèce humaine de Robert Antelme on voit un père, dans un camp de concentration, voler le pain de son fils. Nous en sommes là dans le camp de concentration de l’économie mondiale. Les religions en croyant vaincre la dictature de l’argent par la crispation de leurs rites, se durcissent, perdent de leur génie qui était celui de l’air, de la brise, du vent qui virevolte, va et vient. Il reste à penser que l’humain est indéracinable. La racine de l’humain c’est le spirituel, et le spirituel c’est venir en aide à ce qui souffre, aider à la circulation de l’air dans les poumons, du sang dans la parole, de la lumière dans les yeux. L’âme humaine est un cerf-volant dirigé par enfant. Pour l’instant ce cerf-volant est à terre. Il manque le vent, l’esprit. Dans vingt ans, dans cinquante ans, quand nous serons encore plus enfoncés dans la nuit, alors nous comprendrons, nous nous souviendrons de la grâce de la vie nue, sans puissance, sans prix. Il y a quelque chose de la vie qui ne tient pas dans un coffre-fort. Ce quelque chose – l’esprit d’enfance – est seul précieux. Le banquier, caché derrière le faux feuillage du faux arbre, était penché sur la photocopieuse. Je me suis approché en silence, je l’ai touché à l’épaule en criant « chat ! ». Les banquiers sont des enfants qui ont mal tourné.

Christian Bobin.

Voir les commentaires

Pour atteindre l'Amour ...

24 Octobre 2019, 16:37pm

Publié par Grégoire.

Pour atteindre l'Amour ...

Pour atteindre l'Amour, il y a quatre pas à mémoriser.

Le premier : être ici et maintenant, parce que l’amour n’est possible qu’ici et maintenant. Tu ne peux pas aimer dans le passé.

 

Le second pas vers l’amour c’est : apprends à transformer tes venins… en miel.

 

Le troisième pas vers l’amour c’est de partager tes éléments positifs, partager ta vie, partager tout ce que tu peux avoir.

Tout ce que tu as de beau, ne le cache pas.

 

Et le quatrième : ne sois rien.

Quand tu commences à penser que tu es quelqu’un, tu t’immobilises, tu te figes. Alors l’amour ne coule plus.

L’amour ne s’écoule que de quelqu’un qui n’est personne. L’amour réside dans le rien.

Quand tu es vide, il y a de l’amour.

Quand tu es plein d’ego, l’amour disparaît…"

Rumi

Voir les commentaires

L'affolante tyrannie des wagons de nos projets ....

22 Octobre 2019, 09:41am

Publié par Grégoire.

L'affolante tyrannie des wagons de nos projets ....

La vie est lumineuse d’être quelque part incompréhensible, mais c'est très déroutant ! pendant plusieurs dizaines d'années je n'ai eu qu'une petite fenêtre pour voir la vie : un rectangle ouvert sur un morceau de ciel pur ; ma vue s'est faite à cette exiguïté : j'ai appris à trouver les nourritures nécessaires à ma joie dans le vol aigu d'une hirondelle, dans l'interminable dérive d'un nuage, dans le bleu du ciel que lèchent tout le jour les grands arbres paresseux- J’ai appris à vagabonder, à demeurer dans ces fossés ou notre âme assise mâche un brin d’herbe en regardant passer les wagons de nos projets-

vivre est une chose simple : il suffit d'y consacrer chaque seconde de sa vie ! et il y a tellement à voir : ce matin j’ai vu neuf tulipes pouffant de rire dans un vase transparent. Elles avaient une manière rayonnante d’être là, sans défense, et elles m’ont dictées cette phrase : « Ce qui fait événement, c’est ce qui est vivant, c’est ce qui ne se protège pas de sa perte ». L'image physique du bonheur serait d'imaginer un rosier injurié par la grêle Il est dans le réel brut et pur. C'est lié à la joie.  Il faut savoir perdre Et trouver la joie dans la défaite. La joie c'est de n'être plus jamais chez soi, toujours dehors, affaibli de tout, affamé de tout, partout dans le dehors du monde comme au ventre de Dieu.

Christian Bobin.

 

Voir les commentaires

La vraie naissance, la seule qui compte ...

19 Octobre 2019, 19:34pm

Publié par Grégoire.

La vraie naissance, la seule qui compte ...

Un papillon noir vole au-dessus du pré, devant ma fenêtre. Je le charge d'écrire pour moi les premières lignes de ce petit livre. Je reprendrai la main ensuite.

Je suis né au Creusot — mais cette phrase est trop vague. Je suis né à vingt-neuf ans, rue d'Allevard au Creusot, un soir d'automne. Mon visage s'est écrasé sur un visage si pur qu'il n'était pas de chair mais d'azur. Une porte sur l'autre monde mêlé aux infimes détails du nôtre.

Non, ce n'est pas encore ça. (Le papillon noir va dans l'air comme l'enfant dans le palais des glaces à la foire — partout il se heurte à l'invisible transparent).
La vraie naissance, la seule qui compte, c'est celle de l'esprit, son entrée subtile et fracassante en nous. L'esprit inonde les berceaux -une vague de lumière haute de plusieurs dizaines de mètres soulève l'humain dans son apparition. Puis, très vite, déçu par nos apprentissages qui sont autant de soumissions au monde, l'Esprit s'éloigne, recule, attend l'heure favorable pour revenir. Nous naissons par intermittences, cette histoire n'est jamais vraiment finie ni commencée.
 
Christian Bobin, l'amour des fantômes.

Voir les commentaires

Chacun de nous a sa vanité, et cette vanité consiste à oublier que les autres ont une âme semblable à la nôtre.

11 Octobre 2019, 15:38pm

Publié par Grégoire.

Chacun de nous a sa vanité, et cette vanité consiste à oublier que les autres ont une âme semblable à la nôtre.

Le plaisir que l'art nous offre ne nous appartient pas, à proprement parler : nous n'avons donc à le payer ni par des souffrances, ni par des remords.
Par le mot art, il faut entendre tout ce qui est cause de plaisir sans pour autant nous appartenir : la trace d'un passage, le sourire offert à quelqu'un d'autre, le soleil couchant, le poème, l'univers objectif.
Posséder, c'est perdre. Sentir sans posséder, c'est conserver, parce que c'est extraire de chaque chose son essence.

Fernando Pessoa

Voir les commentaires

les gens fatigués..

8 Juillet 2019, 11:09am

Publié par Grégoire.

les gens fatigués..

À quoi reconnaît-on les gens fatigués. À ce qu'ils font des choses sans arrêt. À ce qu'ils rendent impossible l'entrée en eux d'un repos, d'un silence, d'un amour. Les gens fatigués font des affaires, bâtissent des maisons, suivent une carrière. C'est pour fuir la fatigue qu'ils font toutes ces choses, et c'est en la fuyant qu'ils s'y soumettent. Le temps manque à leur temps. Ce qu'ils font de plus en plus, il le font de moins en moins. La vie manque à leur vie.

À quoi reconnaît-on ce que l'on aime. À cet accès soudain de calme, à ce coup porté au coeur et à l'hémorragie qui s'ensuit - une hémorragie de silence dans la parole. Ce que l'on aime n'a pas de nom. Cela s'approche de nous et pose sa main sur notre épaule avant que nous ayons trouvé un mot pour l'arrêter, pour le nommer, pour l'arrêter en le nommant.

Christian Bobin, Une petite robe de fête.

Voir les commentaires

Bruno Doucey, l’enthousiaste

28 Juin 2019, 05:13am

Publié par Grégoire.

Bruno Doucey, l’enthousiaste

PORTRAIT - La jeune maison d’édition qui porte son nom vient d’être récompensée par le Goncourt de la poésie. Rencontre.

Il était tout petit quand il est tombé dans la marmite de la poésie. Bruno Doucey écrit des poèmes depuis l’âge de dix ans. Comme tous les enfants? Non, c’était déjà très sérieux pour lui - pour réparer des séparations et des deuils, pour ne pas souffrir. Une enfance difficile et malmenée dans une famille modeste. Ce natif de Saint-Claude, dans le Jura, portait toujours un carnet avec lui qu’il noircissait pour ne pas sombrer. «Je ressentais que la vie seule n’était pas suffisante, que l’écriture apportait une autre vie. Je n’ai jamais lâché cette idée», dit-il. L’enfant a aujourd’hui cinquante-huit ans, une allure de jeune homme. Et l’air heureux. On le rencontre chez lui dans un appartement baigné de lumière et de livres. Avec sa femme Murielle Szac, ils ont créé, en 2010, les Éditions Bruno Doucey, une petite maison de trois salariés qui vit d’exigence et de qualité. Pour corser l’affaire, ils ont choisi un domaine simple qui rapporte beaucoup d’argent: la poésie…

Mais l’audace peut être récompensée: en mai, l’un de leurs auteurs, Yvon Le Men, s’est vu décerner le prestigieux Goncourt de la poésie. Une reconnaissance pour ce grand poète, mais aussi un coup de chapeau à l’éditeur. Bernard Pivot, le président de l’Académie Goncourt, ne l’a pas caché. Les derniers livres de Le Men sont parus chez Doucey dont Un cri fendu en mille. D’ailleurs, Tahar Ben Jelloun, le poète du jury, lui a rendu un bel hommage: «Bruno Doucey réalise un travail magnifique.» Il est très rare qu’une maison qui fête tout juste ses dix ans soit ainsi couronnée par l’un des prix Goncourt.

Une matière humaine

Lors de la remise du prix, ce mardi 7 mai 2019, il y avait comme une forte charge émotionnelle entre le lauréat, Bruno Doucey et Murielle Szac. Ce Goncourt apporte de l’eau au moulin du passeur: «Je suis devenu éditeur pour résorber le fossé entre une poésie populaire et une poésie élitiste. J’ai connu celle qui était composée de petites chapelles qui vivaient dans le rejet les unes des autres, une “famille” enfermée dans un laboratoire expérimental se perdant dans les enjeux textuels et formalistes. Elle était complètement coupée du public et du monde. Elle s’éloignait de la chanson et de sa sève propre. On était en train de mourir», affirme-t-il sans que l’on ressente pourtant une pointe d’amertume, mais, au contraire, une grande combativité.

Il cite Éluard pour expliquer sa mission qui consiste à faire passer un texte «de l’horizon d’un seul à l’horizon de tous». Les idées de partage et d’engagement sont omniprésentes. Poète lui-même et éditeur de poètes, la belle phrase n’est jamais loin. Ainsi souligne-t-il: «La poésie meurt sous le poids de la glose, nous voulons retrouver la glaise des mots.» C’est-à-dire une matière humaine, plus ouverte aux autres. «Un enjeu majeur» pour lui comme pour sa compagne et associée, qui ajoute: «Pendant longtemps, la poésie n’a fait que parler d’elle. Notre mission est de nous adresser à tout le monde.»

 Il va chercher là où la poésie est vivante. Ce peut être en France, avec Yvon Le Men, mais aussi Jeanne Benameur, Claude Ber, qui vient de publier, ou un ­jeune poète, François-Xavier ­Maigre

 

L’aventure éditoriale est fondée sur quatre valeurs - comme les quatre points cardinaux. Bruno Doucey les répète inlassablement. Sa voix est à la fois ferme, douce et convaincante. Il explique. Un: ouverture aux poésies du monde entier. Deux: ouverture au plus grand nombre (cela paraît évident, mais en édition, et surtout en poésie, rien n’est plus complexe). Trois: ne pas dissocier lyrisme et engagement - ce qui pourrait être une belle définition de l’art poétique. À quoi sert un poème s’il est désarmé? Quatre: l’oralité. Car le poème se partage, se dit, se joue, il n’a de sens que s’il résonne avec le lecteur.

On croise ce couple partout où il est possible de parler d’œuvres poétiques et de transmettre: dans les salons du livre, les écoles, les ateliers d’écriture, et même sur les marchés. Comme des stars en tournées, ils ont sur leur agenda près de deux cents dates! «Et on ne privilégie pas les grandes salles, s’il y a cinq personnes, on est heureux, aussi», explique le cofondateur. C’est l’école Yvon Le Men qui passe toute sa vie à écrire et à dire ses poèmes.

Avec sa petite équipe, il va chercher là où la poésie est vivante. Ce peut être en France, avec Yvon Le Men, mais aussi Jeanne Benameur, Claude Ber, qui vient de publier La mort n’est jamais comme, ou un jeune poète, François-Xavier Maigre, dont le deuxième recueil paru en mars, Trois foulées plus bas, est tout simplement magnifique. Ce peut être dans le monde entier: la moitié du catalogue est diffusée en bilingue, telle cette auteure, figure de la poésie amérindienne, Rita Mestokosho, qui publie Née de la pluie et de la terre, avec une préface de Le Clézio. Il prend le recueil, lit des passages, en parle avec une telle passion que l’on finit par lui demander ce livre qu’on ne veut manquer pour rien au monde.

Pour toucher un plus large public, les Éditions Bruno Doucey travaillent avec Harmonia Mundi, diffuseur et distributeur, quand le plus souvent, les éditeurs de poèmes s’auto-distribuent. C’est une autre économie, qui a ses inconvénients - le diffuseur prélève une large part des ventes. Un best-seller en poésie, c’est 700 exemplaires. Chez Bruno Doucey, le tirage est de 1 200 exemplaires, c’est une prise de risque, mais qui assure une présence en librairies.

Double vie

- Crédits photo : Bruno Doucey

Tout en menant cette œuvre collective qu’est la maison d’édition, Bruno Doucey effectue des pas de côté pour soi: il écrit toujours des poèmes, le dernier recueil en date Ceux qui se taisent est composé de textes délicats qui tentent de donner des mots à ceux qui ne peuvent s’exprimer: «La parole n’est jamais si forte/que dans le silence». Des pages qui vont de la Crète - le refuge du couple — à Créteil, dans une banlieue désœuvrée en passant par Paris, un vendredi 13 novembre: «Vent de folie braises et cendres». La poésie ne se coupe pas du monde. Sa bibliographie compte des essais, comme Le Livre des déserts (chez Bouquins), des romans, Si tu parles Marianne ou Le Carnet retrouvé de Monsieur Max (sur Max Jacob). Il a été enseignant. «Je croyais que mon métier de professeur de lettres allait me laisser découvrir la poésie. En vérité, il m’en éloignait.» D’où l’édition.

De son côté, Murielle Szac a aussi sa double vie. C’est une figure de la littérature jeunesse, importante et humble. Cette ancienne rédactrice en chef des magazines de Bayard Presse dirige plusieurs collections, notamment «Ceux qui ont dit non», chez Actes Sud Junior. Et elle est l’auteure d’une tétralogie remarquée, La Mythologie grecque en cent épisodes, avec Le Feuilleton d’Ulysse (d’Hermès, de Thésée, et tout récemment d’Artémis): près de 280 000 exemplaires vendus.

Toute cette belle aventure ne serait pas née sans un épisode douloureux: son licenciement des éditions Seghers que Doucey a dirigées durant huit années. «J’ai éprouvé du chagrin et de la colère. La colère m’a donné envie de poursuivre l’aventure, autrement. Fini le chagrin, l’enthousiasme est devenu mon moteur.»

«Ceux qui  se taisent», de Bruno Doucey, Éditions  Bruno Doucey,  144 p., 15 €.

http://premium.lefigaro.fr/livres/bruno-doucey-l-enthousiaste-20190619


Bio express

- Naissance en mai, à Saint-Claude,  dans le Jura. Après ses études, il devient professeur de lettres.

Prend la direction des Éditions Seghers. Il est licencié huit ans après.

- Édite La Résistance et ses poètes (France 1940-1945), par Pierre Seghers.

Publication  du Livre des déserts dans la collection. «Bouquins», Éd. Robert Laffont. 

Création avec Murielle Szac des Éditions Bruno Doucey.

- En mai, sa maison d’édition est récompensée par le Goncourt  de la poésie  décerné à Yvon Le Men

Voir les commentaires

<< < 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 > >>