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QUE CHERCHEZ-VOUS ?

Le paradis c’est d’être là

30 Juin 2020, 13:19pm

Publié par Grégoire.

Le paradis c’est d’être là

« Sous le joug de l’été, dans une chambre barricadée d’ombre, cernée par des soleils casqués, je lisais. Par la porte entrebâillée des livres, une brise passait, soulevant mon âme et la décollant du monde. Parfois, l’imprévisible beauté d’une phrase, brisant net ma lecture, me faisait regarder par la fenêtre. Je découvrais dans le ciel une lumière dont la splendeur, en m’ignorant, me donnait à voir toute la vie avec ses arrière-mondes. Je cherchais de l’air, voilà toute mon histoire.


Je compris très tôt que nous ne sommes jamais abandonnés. Cette pensée était dans mon coeur comme un brin de lumière tombé du bec d’un moineau. Ce brin faisait tout mon nid. Je compris aussi très vite que l’aide véritable ne ressemble jamais à ce que nous imaginons. Ici nous recevons une gifle, là on nous tend une branche de lilas, et c’est toujours le même ange qui distribue ses faveurs. La vie est lumineuse d’être incompréhensible. 


Le paradis c’est d’être. »


Christian Bobin, Prisonnier au berceau

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Voir les anges traverser la rue

29 Juin 2020, 10:05am

Publié par Grégoire.

Voir les anges traverser la rue

 

« Ma joie fut grande le jour où je découvris l’existence d’Emily Dickinson : elle me confirmait qu’il n’était pas nécessaire de courir le monde pour vivre la vie la plus intense. Assis des heures devant une fenêtre, avec un peu d’humour et de patience, on finissait par voir les anges traverser la rue.


Emily Dickinson était presque aussi impossible à détacher de sa maison que la couleur orangée peut l’être du poitrail du rouge-gorge. C’était un enfer pour elle que de sortir dans la rue, d’aller à l’église ou même simplement d’ouvrir la porte aux visiteurs. L’enfer c’était d’être douée d’une sensibilité aiguë. Le paradis, c’était la même chose. Espérant la guérir de son angoisse, son père lui acheta un chien avec lequel, pendant quinze ans, elle fit des promenades sur un chemin de campagne proche de sa maison. À Saint-Sernin on trouve de tels chemins aux barrières ondulantes et à la terre rase. Le ciel s’y précipite comme un petit enfant au-devant de vous. En 1860, à trente ans, Emily ferma sur elle la porte de sa maison puis elle monta dans la chambre nuptiale de son âme et n’en sortit qu’en 1886, au jour de sa mort. Elle écrivit entre-temps des centaines de poèmes dont chacun contenait plus de lumière que toute la Voie lactée. »


Christian Bobin, Prisonnier au berceau

 

 

« Attendre une Heure - est long -
Si l’Amour est en vue -
Attendre l’Eternité - est bref -
Si l’Amour est au bout -


Emily Dickinson

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Il répandit l’intensité de son amour en se répandant lui-même comme de l’eau… (8)

28 Juin 2020, 10:07am

Publié par Grégoire.

Il répandit l’intensité de son amour en se répandant lui-même comme de l’eau… (8)

Jésus dit : « C’est achevé » et inclinant la tête, il remit l’Esprit.

 

Se soumettre à la fragilité de Dieu qui sest fait homme, jusque dans lextrême anéantissement du crucifié..

Lhomme doit accepter de consentir à ce mystère comme quelque chose qui le dépasse infiniment et dans lequel il est perdu. La femme, elle, va accepter de consentir à ce mystère comme quelque chose qui la renvoie presque à l’échec complet delle-même. Parce que la souffrance de quelquun quelle aime, cest son échec. Cest l’échec intime de tout ce pour quoi elle est faite. Il y a un débat sous-jacent qui existe dans toute autre femme que la Vierge Marie, entre cette manière dont Dieu a voulu donner à vivre ce qui en lui est de plus secret, et ce que la femme désire de tout son être. Consentir à ce que Jésus crucifié soit le dernier visage de lamour, cest entrer, quand on est une femme, dans une manière daimer, une manière de servir la vie radicalement autre que ce quelle porte naturellement. Il ne sagit pas simplement de résister ou lutter contre la souffrance par lamour, mais il sagit daccepter que dans la souffrance quon ne peut pas éviter, il y a quelque chose de lamour à vivre qui est plus grand que tout le reste.

Il ne sagit plus de donner la vie, mais dentrer dans une vie qui nest plus à notre taille.

Et cest bien Marie qui à la croix, devient mère et servante dune vie radicalement autre. Parce que cest la vie de Dieu, ça na rien à voir avec tout ce que les femmes savent de la vie.

Et la confiance de Jésus c’est ce qu’il demande à sa mère, d’être mère de cet homme qu’est Jean. Au niveau humain cela veut juste rien dire. On n’est pas mère d’un homme de 24 ans ! Il n’est pas un pauvre gamin qui a besoin d’une mère : il a eut 3 ans de formation auprès de Jésus, après être passé chez Jean Baptiste. 

Pourquoi alors le « voici ton fils ? »

Jésus réquisitionne Marie dans l’amour pour être source personnelle d’une vie capable de traverser la souffrance et la mort. Une vie qui l’excède complètement.

Il y a là un face à face entre la vie vue par la femme, et la vie qui est Dieu lui-même : vie, éternelle et féconde. La vie, telle que Dieu nous la propose en Marie, a quelque chose de complètement paniquant pour celle qui sont naturellement faits pour être personnellement investi dans la vie sur la terre. Il faut renaitre soi-même pour accepter d’être investi dans une vie qui commence par la mort du crucifié.

Il ne s’agit plus d’aimer les gens humainement et aussi de les porter spirituellement. Il s’agit d’être possédé corps et âme par une vie qui nous met dans l’état intérieur de celui qui est sur la croix; et donc qui n’est pas à la mesure de ce qu’une maman ou qu’une épouse aussi charmante et délicieuse est capable de faire. 

 

C’est donc un nouveau débarquement de Dieu en nous, une nouvelle pauvreté, un nouveau dépouillement. Puisqu’il s’agit d’aimer dans le même état d’impuissance que Jésus à la croix.

Les hommes le savent qu’ils sont incapables d’aimer. C’est beaucoup plus pénible de le voir en face. Et surtout c’est très pénible de ne pas pouvoir s’en excuser. On s’en excuse en rendant service, en faisant quelque chose pour l’autre, et en se défiant du face à face. Ou alors, on se réfugie dans un face à face affectif, qui n’est plus alors un face à face, mais deux vécus qui se font face, et qui restant chacun dans leur sentiments vécus de l'autre, évite l’autre dans ce qui fait qu'il est autre, lui-même

Voir l’attente du coeur de la femme et être dans l’impuissance radicale à y répondre, c’est très humiliant, blessant pour l'homme. Ça le met même à mort. Parce que ça lui fait découvrir qu’il ne peut pas être la réponse qu’il voudrait être pour celle qu’il aime. 

Or, c’est comme ça que le Christ nous aime, qu'il se fait visage ultime de l’amour. Et c'est comme cela qu'il nous demande d’engendrer celui qu’il nous confie.

 Jésus ne nous a pas aimé comme un héros Grec. Il ne s’est pas livré et ne nous a pas donné l’Esprit Saint du haut de sa force. Il s’est livré à nous dans l’impuissante apparence à faire quelque chose pour nous. Il n’y a rien qui fait moins quelque chose pour moi qu’un ami qui se laisse crucifier pour moi. Il sauve le monde dans une inefficacité totale, dans un complet non-résultat, dans un échec rarement atteint.

 

à suivre ...

Grégoire +

 

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Il n'y a qu'une seule beauté, celle de la vérité qui se révèle

27 Juin 2020, 04:37am

Publié par Grégoire.

Il n'y a qu'une seule beauté, celle de la vérité qui se révèle

« Les artistes figurent parmi les personnes les plus persévérantes et courageuses que l’on puisse trouver sur terre. En une année, ils vivent plus de situations difficiles et d’échecs que la plupart des gens dans toute une vie.

Chaque jour, les artistes font face au défi financier d’être un travailleur autonome, au manque de respect, à l’incompréhension des gens qui pensent qu’ils devraient trouver une « vrai job », affronter leur propre peur de ne jamais plus travailler à nouveau.

Chaque jour, ils doivent ignorer et dépasser l’idée que ce à quoi ils consacrent leur vie est peut-être une chimère. Chaque année qui passe, nombre d’entre eux regardent les personnes de leur âge franchir les étapes d’une vie normale : voiture, famille, maison et épargne. Mais ils restent fidèles à leurs rêves en dépit des sacrifices consentis.

Pourquoi ? Parce que les artistes sont prêts à dédier leur vie entière pour faire naître ce moment – ce trait, ce rire, ce geste ou cette interprétation qui touchera l’âme du public. Les artistes sont des êtres qui ont goûté au nectar de la vie, dans cet instant cristallisé où leurs créations ont touché le coeur de l’autre. À cet instant là, ils sont si proches de la magie, du divin, de la perfection, comme personne ne le sera jamais. Et au plus profond de leur coeur, ils savent que dédier leur vie à faire naître ce moment vaut plus que milles vies ».

 

David Ackert

 

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« Non, Madame Soupa, les femmes ne sont pas exclues de l’Église ! »

26 Juin 2020, 03:55am

Publié par Grégoire.

« Non, Madame Soupa, les femmes ne sont pas exclues de l’Église ! »

FIGAROVOX/TRIBUNE - La théologienne Anne Soupa avait suscité l’intérêt médiatique en se portant candidate pour devenir archevêque de Lyon - poste traditionnellement réservé aux hommes. Une autre théologienne catholique, Sandra Bureau, lui répond, estimant que la différenciation des rôles au sein de l’Église n’est pas synonyme pour autant d’une infériorisation des femmes.

 

Sandra Bureau est une vierge consacrée du Diocèse de Lyon, diplômée de l’Institut Catholique de Paris où elle a soutenu en 2011 une thèse en théologie dogmatique sur «L’inversion trinitaire chez H.U. von Balthasar». Elle enseigne actuellement au Séminaire Provincial Saint Irénée de Lyon après avoir été en charge de la formation des laïcs dans le Diocèse de Lyon. Elle est engagée dans la Communauté Aïn Karem.

 

Le 25 mai dernier, Madame Anne Soupa, féministe convaincue, constatant que dans l’Église catholique aucune femme n’avait encore été placée à la tête d’un Diocèse, ni même n’avait été admise à l’ordination, a voulu dénoncer cette situation jugée profondément injuste à ses yeux. Elle a donc profité de la vacance du siège épiscopal de Lyon pour proposer, par le biais des réseaux sociaux, sa candidature comme Archevêque de Lyon. Et cela en s’appuyant sur sa notoriété d’écrivain, de bibliste, de théologienne...

 

Comme catholique j’ai d’abord accueilli la publication Twitter de Madame Soupa, en tout contraire à la Tradition de l’Église, comme un de ces pamphlets qui offrent si peu de sérieux qu’à peine lus on les jette à la poubelle. Pourtant, même chiffonnée, écartée de ma vue, cette publication laissait en moi une interrogation profonde: comment une femme, partageant la même foi que moi, se disant, comme moi, théologienne, pouvait-elle dire cela? Comment pouvait-elle prétendre par-là défendre la place des femmes dans l’Église? Mystère. C’est donc en femme, et en théologienne que je voudrais réagir.

En théologienne d’abord. Il faut quand même avouer que l’argumentation de Madame Soupa présente des raccourcis saisissants, tant dans la forme (une ligne dans un tweet) que dans le fond. Et pour s’y laisser prendre il faut avoir plus de goût pour la polémique que pour la vérité, et somme toute peu de culture chrétienne - il est d’ailleurs saisissant que Madame Soupa appelle des non-catholiques, voire des non chrétiens, à la soutenir. Qu’on me permette donc de faire droit à la pensée théologique ici réduite à l’insignifiance et à l’instrumentalisation. Madame Soupa affirme en effet: «Si ma candidature est interdite par le droit canon, c’est tout simplement parce que je suis une femme, que les femmes ne peuvent être prêtre et que seuls les prêtres, en devenant évêques, dirigent l’Église catholique.» C’est avoir une bien médiocre vision du droit canonique que d’affirmer cela. Car le droit de l’Église n’est pas au-dessus de l’Église et moins encore au-dessus de la Révélation, il est au service de l’une et de l’autre. Il n’y a pas de «tout simplement parce que je suis une femme» qui tienne. Il y a au contraire toute la cohérence de l’histoire sainte, de cette économie par laquelle Dieu a voulu nous rejoindre en son Fils Jésus Christ, se faire homme pour nous arracher au péché et à la mort. Si le droit affirme que seul un homme (vir) peut être ordonné, c’est parce que Jésus, en son Fils, s’est fait homme, parce qu’il a épousé une humanité singulière, masculine (vir). Ni l’Église, ni son droit, ne sont au-dessus de ce que Dieu veut et fait, et ce faisant de ce qu’il nous dit qu’il est et de ce qu’il nous dit que nous sommes. Si nous nous plaçons au-dessus du dessein de Dieu sur l’homme au lieu de nous placer sous son regard, sous sa main bienveillante, alors nous ne pouvons plus voir ce qu’il veut pour nous, et a fortiori nous ne pouvons plus voir la place qui est nôtre.

 

Mais avant d’en venir à l’anthropologie, revenons à la théologie de l’Église. Si seuls les hommes peuvent être prêtres c’est précisément parce que notre religion est une religion de l’Incarnation, c’est parce que nous prenons au sérieux ce qui s’est produit une fois pour toutes en Jésus-Christ ; dans sa chair, dans ses faits et gestes, dans ses paroles. Sans quoi d’ailleurs il n’y aurait pas de Nouveau Testament, d’Église, de Sacrements. Oui le Christ n’a appelé que des hommes à être Apôtre, que des hommes à «avoir part» avec lui: «si je ne te lave pas les pieds, dit-il à Pierre, tu n’auras pas part avec moi» (Jn 13,8). Cette «part» est précisément le sacerdoce, cette configuration à sa charge mais aussi à son être, elle est ce qui habilite les Apôtres, dans le mémorial de sa Passion, la messe, à dire, en lieu et place du Christ, «ceci est mon Corps, ceci est mon Sang». Alors quand Madame Soupa affirme plus loin, pour défendre qu’une charge épiscopale peut être assumée par un laïc, que «les Douze compagnons de Jésus n’étaient pas prêtres. Pierre était même marié», elle omet pour le moins ce changement radical qui est intervenu à un moment de leur histoire et qui seul les a habilités à enseigner au nom du Christ, à sanctifier les fidèles et à diriger les communautés. Avec le sacerdoce de la Nouvelle Alliance, celui que confère le Christ, il ne s’agit plus comme dans le sacerdoce lévitique - dont effectivement ni les Apôtres, ni le Christ n’ont hérité - d’exercer simplement une charge mais de participer à la personne du Christ, de participer à celui-là seul qui est Prêtre, le Christ Jésus. Quant à dire que Pierre était marié, ou avait été marié, c’est indéniable puisqu’il avait une belle-mère! Nous savons que le célibat sacerdotal est une grâce faite à l’Église latine, et que l’Église d’Orient admet des prêtres mariés. Mais jamais l’Orient n’a retenu cet argument pour un épiscopat marié, elle n’ordonne à l’épiscopat que des prêtres qui ont fait choix du célibat. Ne faisons pas fi de la Tradition.

Si «les femmes ne peuvent être prêtre» ce n’est pas une déconsidération de la femme, c’est peut-être même sa considération la plus haute, en ne voulant pas faire des femmes ce qu’elles ne sont pas, des hommes - contrairement à notre civilisation occidentale qui ne voit l’avènement de la femme que dans son égalité pour ne pas dire sa confusion avec l’homme. Jésus est libre, libre comme personne de nous ne le sera jamais, libre de manger avec les pécheurs et les publicains, libre de s’approcher des lépreux ou des samaritains, libre de dénoncer toute injustice, toute inégalité sociale... libre aussi d’appeler des femmes. S’il ne le fait pas c’est non seulement parce qu’il n’y a là aucune injustice à dénoncer, mais encore parce que la femme a sa vocation propre, sur laquelle nous reviendrons. Ceci dit il ne suffit pas d’être homme, vir, pour être ordonné, il faut encore être appelé par Dieu, «Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis» (Jn 15,16), et il faut que cet appel entendu au plus intime de la prière soit confirmé par l’Église, il faut, comme on dit, avoir «les aptitudes requises», être «jugé digne». Dans le cas de l’épiscopat il faut avoir reçu du Pape un mandat apostolique. Telle est la logique de l’élection par laquelle Dieu choisit quelques-uns au profit de tous. Logique qui n’est pas d’exclusion mais d’inclusion. Dieu, en effet, en choisissant Israël n’a pas exclu les autres peuples, il est passé par le Peuple élu pour attirer à lui la multitude des nations. Dieu en choisissant quelques hommes (vir) pour soutenir son Église n’exclut pas le reste des fidèles, il se sert d’eux pour la sanctification de tous. Donc contrairement à ce que dit Madame Soupa cette logique divine d’élection «n’exclut» pas 50 % de la population, elle «exclut» 98 % de la population.

 

Qu’on nous permette d’en venir à des considérations plus ecclésiales. Madame Soupa souligne avec regrets que «seuls les prêtres, en devenant évêques, dirigent l’Église». Et son regret est d’autant plus grand que cette charge pourrait selon elle parfaitement incomber à un laïc puisque, étymologiquement, «l’évêque est un surveillant, un protecteur qui observe et veille sur la cohésion et la rectitude doctrinale, d’un ensemble de communautés.» Je n’ai pas grand-chose à dire sur la fonction, si du moins elle désigne la gouvernance, mais sur la manière de déconnecter les fonctions les unes des autres et plus encore la fonction de l’ordination. Rappelons d’abord que le sacrement de l’ordre présente trois degrés, le diaconat, le presbytérat (ou sacerdoce) et l’épiscopat. L’épiscopat est la plénitude du sacrement de l’ordre. C’est donc en effet à l’évêque que revient de droit de gouverner le peuple de Dieu qui lui est confié. Mais cette charge est liée, intrinsèquement, à l’ordination reçue. Elle n’est pas un à côté, elle n’est pas le choix d’une communauté de confier à un homme une responsabilité particulière, temporelle. Jésus dit à Pierre: «tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église» (Mt 16,18). Chaque évêque reçoit dans son ordination cette charge de gouvernance, et chaque prêtre reçoit, pour sa part, dans son ordination cette charge de gouvernance. D’ailleurs le prêtre est configuré au Christ Tête, au Christ qui est la Tête de l’Église qui est son Corps. Il en va de même pour les deux autres fonctions (munera). C’est en vertu de l’ordination reçue que l’évêque, ou le prêtre, peut sanctifier les fidèles, leur administrer les sacrements. Quelqu’un qui ne serait pas ordonné ne donnerait purement et simplement pas les sacrements, il ne donnerait purement et simplement pas le Corps du Christ, il ne donnerait purement et simplement pas l’absolution. Et c’est encore en vertu de l’ordination que l’évêque reçoit «le sûr charisme de la vérité» comme dit S. Irénée (AH, IV, 16,2) - ce qui n’enlève rien au travail des théologiens qui est une source d’enrichissement pour toute l’Église. C’est pourquoi c’est au Pasteur qu’il revient en premier lieu d’enseigner la communauté, d’annoncer l’Évangile. Déconnecter ces trois fonctions les unes des autres, et plus encore séparer la fonction de l’ordination, c’est perdre la nature de ces charismes. À l’évêque revient de plein droit de gouverner, enseigner et sanctifier le peuple de Dieu qui lui est confié, et cela lui revient en vertu de son ordination épiscopale. Celui qui n’est pas ordonné ne peut pas gouverner, celui qui n’enseigne pas la vérité ne peut gouverner, celui qui ne sanctifie pas ne peut gouverner.

Alors, là encore, si le droit canonique dit qu’il faut être prêtre pour gouverner un diocèse, ce n’est pas une déconsidération des fidèles laïcs, hommes ou femmes, c’est une affirmation essentielle au fonctionnement de l’Église - l’histoire porte malheureusement son lot de disfonctionnements. La charge n’est pas celle d’une institution humaine ou d’une multinationale, là tout le monde pourrait postuler, elle est celle d’un Corps vivant qui est l’Église, d’un Corps animé par l’Esprit Saint, traversé par l’Esprit Saint. Or l’Évêque en recevant la plénitude du sacrement de l’ordre reçoit aussi de transmettre l’Esprit Saint. Il reçoit celui qui en Personne dirige l’Eglise, l’impulse, la fait vivre. Si le prêtre est ordonné par imposition des mains de l’Évêque c’est bien pour que ce même Esprit l’habite, pour qu’il puisse à son tour sanctifier ses frères, les conduire vers les verts pâturages, leur donner une nourriture solide. Bien sûr cela ne garantit pas de ne pas faire d’erreur, ou de ne pas tomber, tout homme est faillible. Mais il y a dans le charisme ordonné (gratis data) l’aptitude à gouverner, comme l’aptitude à sanctifier, et à enseigner. Comme tout charisme il grandit en s’exerçant. Le jeune prêtre ne sera pas immédiatement (ni peut-être jamais) appelé à être curé, le curé à être évêque, l’évêque à être archevêque, l’archevêque à être Pape. Mais pour tous il est permis de dire que «Dieu donne ce qu’il demande», et précisément il le donne dans le sacrement conféré, le sacerdoce ou l’épiscopat.

Dire que seuls les prêtres, devenus évêques, peuvent diriger l’Église, ne veut pas dire que les femmes n’aient pas de place dans l’Église, qu’elles n’aient pas de rôle à jouer, loin de là! D’abord les évêques peuvent appeler, pour un temps, des laïcs, hommes ou femmes, à les aider dans la charge qui est la leur, ils peuvent nommer des «délégués épiscopaux» ou autres «responsables diocésains». Et la réalité de nos diocèses, et particulièrement celle du diocèse de Lyon, démontre que nombre de femmes sont appelées à ces responsabilités - je parle d’expérience. Ces postes demandent non seulement des compétences techniques (administratives, juridiques, pastorales ou théologiques) mais aussi une vie dans l’Esprit qui est loin d’en faire des collaborateurs de «seconde zone». Cette collaboration serait d’ailleurs impensable si les fidèles n’avaient eux-mêmes reçu, dans leur baptême, participation aux fonctions sacerdotale, prophétique et royale du Christ. Bien qu’une différence essentielle existe entre sacerdoce ministériel et sacerdoce commun il n’en demeure pas moins que, là encore, cette royauté coupée du baptême ou du caractère sacerdotal c’est-à-dire de l’offrande de soi qui se dit dans l’eucharistie ou du caractère prophétique d’annonce de la parole de Dieu n’aurait aucun sens. La royauté ne peut s’exercer que dans une vie profondément marquée par le Christ.

En femme ensuite, bien que ces lignes portent déjà l’empreinte de ma féminité. L’Église des Apôtres sans Marie, et toutes les saintes femmes qui les entouraient, ne serait pas l’Église! Non seulement parce que l’Église demande des fidèles mais encore parce qu’il y a dans l’Église quelque chose qui ne peut s’exprimer que dans un «ministère» féminin, que par la grâce féminine. Le dessein de Dieu n’est pas d’exclure les femmes, mais bien de leur donner leur place, leur part, peut-être même la «meilleure» comme disait Jésus à Marthe. En tout cas sans une Catherine de Sienne, une Thérèse d’Avila, une Mère Teresa, et toutes ces «réformatrices», l’Église ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui. Sans ce vis-à-vis féminin exhortant à la foi, au don de soi, à la sainteté, l’Eglise ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui. Et contrairement à Madame Soupa, qui pense que les femmes ne sont pas reconnues dans l’Église comme des «êtres humains à part entière» - pensée effrayante! -, moi je pense que sans l’Église je n’aurais jamais réussi à toucher du doigt la féminité que je porte et encore moins à la vivre!

Pour comprendre cela il faut consentir à une anthropologie, une vraie, sans caricature, ni mépris. Il faut se replonger dans l’Écriture, se laisser enseigner par elle. Le livre de la Genèse nous dit «Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa.» (Gn 1,27). La ressemblance de Dieu est plurielle, elle est homme et femme. Elle est dans une complémentarité de l’homme et de la femme, cette complémentarité que l’on ne cherche que trop à détruire, comme pour gommer plus encore toute ressemblance d’avec Dieu. Cela veut dire que l’homme ne peut se dire que dans ce vis-à-vis qui est la femme, et la femme que dans ce vis-à-vis qui est l’homme. Il y a une plénitude humaine, comme une plénitude ecclésiale, qui n’est donnée que dans la relation de l’homme et de la femme, de l’Église institution et de l’Église fidèle. Si nous n’entendons pas cette complémentarité de l’homme et de la femme, nous ne pouvons entendre non plus la complémentarité des époux, ni la complémentarité de l’Époux et de l’Épouse, du Christ et de l’Église. Le prêtre est ordonné au salut d’autrui, il est ordonné à quelque chose d’autre que lui-même. De là découle la grâce féminine, celle d’être fondamentalement le réceptacle de la grâce divine, celle aussi de rappeler aux hommes ce pour quoi ils sont faits, celles de rappeler aux prêtres leur vocation à sanctifier les âmes, d’exiger des Évêques qu’ils donnent leur vie pour l’Église, comme le Christ a donné sa vie pour l’Église, cette Église qu’il voulait «sainte et immaculée dans l’amour» (Ep 5,27).

C’est parce que j’ai en face de moi des prêtres qui donnent tout ce qu’ils ont reçu, et même plus, tout ce qu’ils sont, que je peux vivre ma vocation de femme, de consacrée, de façon belle, épanouie, et réciproquement c’est parce que j’attends de ces prêtres qu’ils me donnent le Christ, sa vie surabondante, qu’ils peuvent donner le meilleur d’eux-mêmes. Si la figure d’une sainte Catherine de Sienne est si frappante c’est bien précisément parce qu’elle va rappeler au Pape ce pour quoi il est fait. Elle ne va pas s’installer sur un siège «vacant», elle va chercher celui qui doit assumer sa charge de Pontife suprême. Non, je n’attends pas qu’une femme monte sur le siège de Lyon, mais heureusement cela n’arrivera pas, j’attends un évêque qui soit un successeur des Apôtres, là sur le siège de Pothin, d’Irénée, ... Philippe. Un évêque qui soit un Père pour ses prêtres, un Pasteur pour ses fidèles, un homme rempli d’Esprit Saint et de foi.

https://www.lefigaro.fr/vox/religion/non-madame-soupa-les-femmes-ne-sont-pas-exclues-de-l-eglise-20200624

 

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Quand comprendrez-vous que vous avez affaire au pire dictateur que le monde moderne ait connu ?

25 Juin 2020, 04:34am

Publié par Grégoire.

Quand comprendrez-vous que vous avez affaire au pire dictateur que le monde moderne ait connu ?

Ce monde est un monde sans foi.

Sa seule morale, c’est le commerce et l’économie.

 

 

A Berlin, le 30 mai. Dans le jardin collectif de son petit immeuble.

A Berlin, le 30 mai. Dans le jardin collectif de son petit immeuble.

Kasia Wandycz/Paris Match

C’est un dissident de la première heure. Il a vécu dans sa chair et dans son âme la dictature chinoise. Arrestations, harcèlement, quatre ans de prison avec tortures. A 62 ans, cet écrivain et poète exilé à Berlin, souvent comparé à Soljenitsyne, dresse un constat accablant du régime et de sa gestion de la crise sanitaire.

Il nous a donné rendez-vous en début d’après-midi, parce qu’il se lève tard. A 62 ans, Liao Yiwu, le plus célèbre dissident chinois, écrit la nuit, de 1 heure à 6 heures du matin. Et marche trois heures par jour dans les vastes parcs de Berlin. Son amie la sinologue Marie Holzman assure la traduction, car l’écrivain, fils d’un professeur de littérature persécuté pendant la Révolution culturelle, ne parle que chinois. Il est pourtant en exil à Berlin depuis neuf ans. Il y a rencontré Yang Lu, une jeune compatriote, artiste peintre. Ensemble, ils ont eu une fille, prénommée Shuyi, littéralement « la fourmi des livres ». Tout un symbole pour un homme qui a passé quatre ans en prison pour avoir écrit un poème dans lequel il racontait le massacre de la place Tiananmen. A sa sortie, en 1994, ses manuscrits lui sont confisqués, et pendant des années il enchaîne arrestations, interrogatoires, enfermements, avant de fuir son pays natal.

Les dictatures passent et les œuvres littéraires témoignent de ce qui est arrivé

Pendant la crise sanitaire du Covid-19, confiné dans son appartement en rez-de-chaussée dans l’Ouest berlinois, il a beaucoup cuisiné. Et, surtout, il a suivi l’évolution de la situation dans l’empire du Milieu, connecté à ses amis et à ses contacts sur place. Son rôle ? « Consigner ce qui se passe. Une fois que les dictatures disparaissent, les œuvres littéraires restent et témoignent de ce qui est arrivé », dit-il. Via Skype, pendant presque deux heures, il nous répond avec patience, le visage imperturbable, la voix posée. Il est précis, percutant et ne mâche pas ses mots. Sauf lorsqu’il s’agit d’évoquer sa fille aînée, Miao Miao, née quand il était en prison et qu’il n’a jamais connue. Alors seulement, Liao Yiwu se tait et baisse les yeux.

 

Paris Match. Les autorités chinoises viennent d’imposer à Hongkong une nouvelle loi sur la sécurité, jugée liberticide par les militants pro-démocratie. Quel est l’objectif du gouvernement ?


Liao Yiwu. Pour la Chine, récupérer Hongkong est depuis toujours une évidence. Sinon officiellement, du moins dans les faits. Mais son intention était d’abord de signer l’accord commercial avec les Etats-Unis. Cela a été fait le 15 janvier. Puis le virus a tout figé pendant six mois. Maintenant, les Chinois veulent reprendre là où ils s’étaient arrêtés. Ils veulent transformer Hongkong à leur image. Les Etats-Unis, eux, multiplient les gestes de défiance. Entre les deux pays, c’est une nouvelle guerre froide. Malgré tout, Hongkong reste le grand sacrifié. Pourtant, il ne faut pas perdre de vue que l’avenir du monde est aussi lié à son destin.

Ce virus de Wuhan, c’est notre Tchernobyl

En cherchant à passer en force, la Chine ne risque-t-elle pas de s’attirer les foudres de tous les pays ?
Le schéma est répétitif. Regardez au moment de Tiananmen : le gouvernement chinois n’a reculé devant rien pour massacrer les étudiants. Et ensuite, qu’a-t-il fait ? Il a prononcé des mensonges, formulé de la propagande, trompé ses interlocuteurs. Croyez-vous que cela va vraiment changer ? Le virus de Wuhan a fait des centaines de milliers de morts au sein des démocraties. Cependant, pensez-vous que tous ces pays ne sont pas désireux de nouer des liens commerciaux avec la Chine, de se remettre à lui vendre de la haute technologie ? Je ne suis pas croyant, mais j’ai l’impression que tous ces morts dans les pays libres sont une punition du ciel. Ce monde est un monde sans foi. Sa seule morale, c’est le commerce et l’économie. C’est pour cela que nous avons été punis. Ce virus de Wuhan, c’est notre Tchernobyl. Mais alors que ce drame a été relativement circonscrit, le Covid-19, lui, s’est répandu sur toute la planète.

D’après une étude de l’université de Southampton, publiée en mars 2020, si la Chine avait communiqué sur la maladie trois semaines plus tôt, le nombre de cas aurait pu être réduit de 95 %…


Le confinement de Wuhan a commencé le 23 janvier. Quelques jours après, plusieurs dizaines de villes chinoises, Pékin, Shanghai, etc. étaient confinées, les voyages intérieurs arrêtés… Mais pas les vols extérieurs. Des dizaines de milliers de Chinois et d’étrangers ont alors quitté le pays pour se rendre en Italie, en Allemagne, en France, aux Etats-Unis, dans une absence générale de prise de conscience. Le monde avait confiance en l’OMS qui répétait qu’il n’y avait pas de transmission du virus de l’homme à l’homme. Je pense que le gouvernement chinois avait une arrière-pensée. Permettre à tant de voyageurs de se rendre en Occident n’était pas un hasard…

Y a-t-il eu 400 000 morts, 4 millions de morts ? On ne le saura jamais.

 

Selon un site chinois, début avril, le nombre réel de victimes s’élèverait à 59 000 morts pour Wuhan et à 97 000 pour toute la Chine. Qui peut croire au bilan officiel de 4 600 morts ?


Il y a plusieurs éléments de réponse. D’abord, au début de l’épidémie, les décès n’ont pas été recensés à l’intérieur des hôpitaux, parce qu’il n’y avait pas de tests. Peut-être que les 4 600 morts annoncés sont les seuls morts qui ont été testés… Mais il y a eu aussi de très nombreux morts à la maison. Et dans ces cas-là, surtout dans les moments de crise, on emporte les cadavres, on les brûle et plus personne n’en parle. Nous, les Chinois, ce genre de phénomène ne nous surprend pas outre mesure : pendant la grande famine, de 1958 à 1961, nous savons maintenant qu’il y aurait eu entre 30 et 40 millions de personnes décédées, alors que les documents officiels évoquent seulement plusieurs centaines de milliers de morts. Alors, quand la Chine dit 4 000, il faut peut-être multiplier par 100, voire par 1 000. Y a-t-il eu 400 000 morts, 4 millions de morts ? On ne le saura jamais. Vous, les Occidentaux, vous tombez des nues à chaque fois. Ça m’énerve un peu. Quand comprendrez-vous à qui vous avez affaire ? Cette fois, des Américains, des Italiens, des Français sont morts aussi, alors ça va peut-être vous amener à réfléchir autrement…

Lire aussi :Liao Yiwu : "La plus jeune victime du massacre de Tian’anmen n’avait que neuf ans"

Des dizaines de militants des droits humains, journalistes et avocats, ont été harcelés et arrêtés depuis le début de la crise. Le pouvoir a-t-il profité de l’épidémie pour étouffer les oppositions ?


Je voudrais évoquer le grand tremblement de terre du Sichuan, en 2008. A cette époque, j’étais encore en Chine. Le blogueur Tan Zuoren avait été arrêté et condamné à cinq ans de prison pour avoir osé contredire la version officielle. Mais de nombreux observateurs chinois et occidentaux avaient pu se rendre sur place. Pas cette fois. Et les rares journalistes citoyens, qui ont tenté de rapporter ce qu’ils avaient vu, ont été arrêtés. La répression a augmenté de façon spectaculaire. Le gouvernement chinois a maintenant la certitude qu’il peut tout faire. Et que ces associations qui défendent les droits de l’homme ne sont que des tigres sans dents. Elles peuvent crier, ça ne mène à rien.

A tout moment quelqu’un peut disparaître, sans que l’on puisse faire quoi que ce soit

Avez-vous des nouvelles des lanceurs d’alerte Chen Qiushi et Fang Bin, tous deux disparus ?


Il y a toutes sortes de façons de garder les gens “cachés”. Le système “ruanjin”, l’assignation à résidence, ou “shuanggui”, l’assignation en un lieu déterminé pour un temps déterminé… Ce qui est arrivé, en 2008, à Liu Xiaobo [intellectuel, dissident et Prix Nobel de la paix 2010]. Personne ne savait où il se trouvait. On a appris ensuite qu’il avait été trimballé d’une prison secrète à une autre – cela peut être un ancien hôtel ou un établissement toujours en activité, mais dans lequel un étage est réservé. Les familles restent dans l’incertitude pendant des semaines, des mois, voire des années. En Occident, on a du mal à imaginer le degré de terreur dans lequel bon nombre de Chinois sont plongés. A tout moment quelqu’un peut disparaître, sans que l’on puisse faire quoi que ce soit.

La récente condamnation de Chen Jieren, ancien salarié du “Quotidien du peuple” devenu blogueur, à quinze ans de prison pour “crime de provocation aux troubles” et pour avoir “attaqué et dénigré le parti et le gouvernement” est-elle un avertissement ?
Vous parlez d’une condamnation à quinze ans de prison… Il y a quelques années, quand on entendait que quelqu’un avait été condamné à cinq ans, on s’écriait : “Mais comment ? C’est incroyable !” Et juste après 1989, lorsque des gens prenaient deux ans, on s’exclamait aussi. Maintenant, vous me dites quinze ans comme vous me diriez trente ans, et plus personne ne réagit… Nous sommes tous complètement anesthésiés.

Que ce soit Macron, Merkel ou Trump, chacun se bat pour son petit intérêt. L’Histoire se souviendra de cette période de déclin

Que peuvent faire les Chinois ?
Le peuple chinois a déjà beaucoup fait. Il est descendu place Tiananmen en 1989 et s’est fait massacrer. Des avocats, des défenseurs des droits civiques ont été arrêtés par vagues entières. Des journalistes citoyens ont tenté de faire connaître la vérité. Et tous ces habitants enfermés à Wuhan ont eu le courage, au moment de la visite du vice-ministre de la Santé dans les rues de la ville, de crier à leurs fenêtres : “Tout ce qu’on vous dit est faux !” Lorsque Li Wenliang, ophtalmologiste à Wuhan, est décédé, les organes du parti, qui l’avaient d’abord accusé de “transmettre des rumeurs”, ont essayé de masquer ce drame. Mais plus de 100 millions de personnes ont posté des Tweet et pleuré la mort de ce pauvre médecin de 33 ans. Que voulez-vous de plus ? Il faut des messages clairs de l’Occident qui montrent que la démocratie continue à avoir un sens. En Grande-Bretagne, en France, en Amérique, il n’y a plus de Churchill, de de Gaulle ni de Roosevelt. Vous n’avez plus que des hommes d’affaires qui sont des courtisans. Que ce soit Macron, Merkel ou Trump, chacun se bat pour son petit intérêt. L’Histoire se souviendra de cette période de déclin.

 

Le 4 juin, les habitants de Pékin célébraient l'anniversaire de la répression de Tiananmen, malgré l'interdiction.© Reuters
Le 4 juin, les habitants de Pékin célébraient l'anniversaire de la répression de Tiananmen, malgré l'interdiction.

Depuis vos années de prison, rien n’aurait changé…
C’est vrai sur le plan des droits de l’homme, mais, en trente ans, il y a eu d’énormes progrès dans les domaines scientifique et numérique. Grâce à Internet, on peut laver les cerveaux de tous les Ouïgours. Aujourd’hui, le niveau scientifique des Chinois est pratiquement équivalent à celui des Américains. Pour en arriver là, ils ont employé tous les moyens possibles. Ils ont fait de l’espionnage économique, industriel, scientifique, menant ce qu’ils appellent “une guerre tous azimuts”. La situation est beaucoup plus grave que ne l’annonçait Orwell dans “1984”. D’une certaine façon, je suis en train de réécrire ce que lui ou Soljenitsyne ont déjà écrit.

Le président Donald Trump affirme détenir des preuves d’une fuite du virus depuis le laboratoire P4 de Wuhan, contredisant ainsi les conclusions du renseignement américain…
Beaucoup de spécialistes ont dit que ce virus était apparu naturellement. Ils peuvent se tromper… Personnellement, je rassemble toutes les informations qui sortent sur ce laboratoire P4, parce que je veux m’en servir pour mon prochain livre. Le problème, c’est le patient numéro 1. On est encore en train d’essayer de comprendre comment il a été contaminé. Tant qu’il n’y aura pas une équipe internationale et indépendante de chercheurs pour se rendre à Wuhan, on ne le saura pas. C’est un secret qui ressemble à celui de la Cité interdite. Tant qu’on ne peut pas y entrer, on ne sait pas.

Xi Jinping est le pire dictateur que le monde moderne ait connu

Quel regard portez-vous sur le président Xi Jinping ?
Il a organisé la domination de son pays comme un gardien organise sa prison. Nous n’avons pas eu un tel dirigeant depuis Mao. N’importe quel homme ordinaire, qui observerait son comportement, ne trouverait qu’un seul qualificatif : il est fou. Il considère tous les citoyens chinois comme des suspects potentiels. Tout le monde doit lui obéir. Il est le pire dictateur que le monde moderne ait jamais connu.

Quels sont vos projets ?
J’en ai plusieurs. En France va sortir “La Chine d’en bas”, portraits de marginaux, mendiants et prostituées qui permettent de voir d’où vient la Chine d’aujourd’hui. Mon éditeur allemand, lui, vient d’acheter un nouveau livre qui est aussi à l’étude pour une version en anglais. Intitulé “Dix-huit prisonniers et deux fuyards”, il retrace le parcours des deux seuls survivants d’un groupe qui a fui la Chine pour se réfugier à Hongkong. Celui que j’ai rencontré aux Etats-Unis avait dû nager 40 kilomètres pour rejoindre les rives de l’ex-colonie britannique. Il avait écrit, avec d’autres, un guide de la fuite vers Hongkong. J’ai repris leurs conseils dans mon récit : la façon dont il faut s’entraîner physiquement, les cartes géographiques à posséder pour connaître les côtes, l’attitude à adopter vis-à-vis des chiens policiers. La technique consiste à jeter votre visage contre le sol, à le protéger avec les mains et à mettre vos fesses en l’air. Si vous vous faites mordre le derrière, ce n’est pas grave. Alors que si c’est la gorge, vous mourez. Devant les flics, c’est le contraire. Il faut rester debout et ne surtout pas courir. Lorsque l’un d’eux vous dit “ne bougez plus”, si vous bougez, il peut vous tuer. Ce livre est le dernier d’une trilogie sur les prisons chinoises qui comprend ma propre histoire, “Dans l’empire des ténèbres”, et un recueil de témoignages des “émeutiers” du 4 juin 1989, “Des balles et de l’opium”.

Lire aussi.Un Chinois qui a perdu son père du coronavirus accuse les autorités

Après une fuite rocambolesque, en 2011, vous vivez en exil à Berlin. Avez-vous encore le mal du pays ?
Evidemment que le Sichuan me manque. La bonne cuisine, l’alcool, les amis… Mais je ne suis pas totalement défaitiste. Si puissant soit-il, un totalitarisme finit toujours par s’effondrer. Et à ce moment-là, bien sûr, je retournerai chez moi.

« La Chine d’en bas », de Liao Yiwu, éd. Globe.

Traduction du chinois : Marie Holzman

https://www.parismatch.com/Actu/International/Liao-Yiwu-Vous-Occidentaux-quand-comprendrez-vous-a-qui-vous-avez-affaire-1690788

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Du vide sidéral de notre monde où l’on peut tout dire, mais où « cela ne sert à rien ».

23 Juin 2020, 10:01am

Publié par Grégoire.

Du vide sidéral de notre monde où l’on peut tout dire, mais où « cela ne sert à rien ».

Lorsqu’à 59 ans, après quatre années de proscription, Alexandre Issaïevitch Soljenitsyne est invité à prononcer un discours à l’université de Harvard en 1978, les auditeurs s’attendent à une critique en règle de la société soviétique, de la part d’un célèbre dissident. Contre toute attente, l’écrivain met l’Occident face à ses propres contradictions et prononce un véritable réquisitoire contre le monde moderne. Venu d’un monde où il est interdit de parler, il arrive dans un monde où l’on peut tout dire, et où « cela ne sert à rien ».

Le déclin du courage, aux éditions Belles Lettres.

Sous une pluie battante, l’écrivain dénonce dans sa langue natale les faiblesses de l’Occident, l’amollissement du caractère, le déclin de la volonté et du courage. L’idéologie du « bonheur » et du « bien-être » ont mis à la disposition du plus grand nombre un « confort dont nos pères et nos grands-pères n’avaient aucune idée ». Cette mortelle course aux biens matériels a suscité un épanouissement physique inégalé, une liberté de jouissance presque illimitée, un bond de l’Esprit à la Matière, foulant aux pieds notre nature spirituelle.

Un non-modèle

En critiquant le système occidental, Soljenitsyne ne vise aucunement à mettre en avant le système socialiste, ce léviathan totalitaire dont la finalité est « l’anéantissement de l’essence spirituelle de l’homme ». Non, le système libéral, comme le système socialiste, est un non-modèle.

La prosternation devant l’homme et devant ses besoins matériels est le symptôme d’un épuisement spirituel, de la chute morale de l’Occident. De plus, un système dont l’unique tâche est l’acquisition du bonheur terrestre, sans aucune référence supérieure, est particulièrement fragile : « Aucun armement, si grand soit-il, ne viendra en aide à l’Occident tant que celui-ci n’aura pas surmonté sa perte de volonté. Lorsqu’on est affaibli spirituellement, cet armement devient lui-même un fardeau pour le capitulard. Pour se défendre, il faut être prêt à mourir, et cela n’existe qu’en petite quantité au sein d’une société élevée dans le culte du bien-être terrestre ».

L’existence de l’homme occidental plonge l’écrivain russe dans un profond chagrin. La perte du sacré, l’écœurante pression de la publicité et le déferlement de la pornographie ont favorisé l’émergence d’une masse d’individus faibles et bancals. Le vernis moral de la civilisation occidentale disparaît après quelques heures de privation d’électricité : « voici que soudain jaillissent des foules de citoyens américains, pillant et violant. Telle est la minceur de la pellicule ! Telles sont la fragilité de votre structure sociale et son absence de santé interne ».

La liberté de faire quoi ?

Alexandre Soljenitsyne (1918-2008).

La liberté dénudée a finalement dégénéré en licence. Le système libéral se révèle incapable de défendre les citoyens contre les « abîmes de la déchéance humaine », comme « ces films pleins de pornographie, de crimes ou de satanisme » dont est abreuvée la jeunesse d’Occident, exerçant une violence morale malfaisante. La vie conçue selon le mode libéral se révèle par conséquent « incapable de se défendre elle-même contre le mal, et se laisse ronger peu à peu ».

La presse dépasse désormais en puissance les pouvoirs régaliens de l’État. La capacité de suggestion des médias en font la force la plus importante des États occidentaux. Et pourtant, la presse tend à une certaine uniformité.  Ses sympathies sont systématiquement dirigées du même côté, ses jugements « maintenus dans certaines limites acceptées par tous ». Enfin, malgré sa capacité à contrefaire l’opinion, voire à la pervertir par des informations contradictoires, elle dispose d’une prodigieuse irresponsabilité morale : « En vertu de quoi a-t-elle été élue ? À qui rend-elle compte de son activité ? »

Contre le flot pléthorique d’informations abrutissantes, Soljenitsyne revendique « le droit de ne pas savoir », le droit de ne pas encombrer son âme créée par Dieu avec « des ragots, des bavardages et des futilités ». Cette exigence rappelle celle d’un autre penseur radical, Julius Evola, qui reprochait à la culture libérale moderne d’adresser tous les messages possibles à tous les individus, bien qu’ils soient incapables de les analyser et de les critiquer. « Jamais il n’y a eu, autant qu’aujourd’hui, d’individus amorphes, ouverts à toutes les suggestions et à toutes les intoxications idéologiques, au point qu’ils deviennent les succubes, sans s’en douter le moins du monde, des courants psychiques et des manifestations engendrées par l’ambiance intellectuelle, politique et sociale dans laquelle nous vivons. » (Les hommes au milieu des ruines)

La racine du mal

Selon Soljenitsyne, la racine du mal est la conception du monde née de la Renaissance. Il est proche en cela du penseur traditionaliste René Guénon. Pour ce dernier, la Renaissance et la Réforme consomment la rupture définitive avec l’esprit traditionnel, l’une dans le domaine des sciences et des arts, l’autre dans le domaine de la religion. De la même manière, Soljenitsyne attribue l’origine du mal à l’humanisme, à l’anthropocentrisme né de la Renaissance et importé en Russie depuis Pierre le Grand. Le matérialisme sans bornes, les libertés prises par rapport à la religion, l’humanisme areligieux des Lumières, formeront le lit du socialisme, confirmant l’intuition de Karl Marx : « Le communisme est un humanisme naturalisé ».

Soljenitsyne poursuivra en 1979 sa dénonciation de l’Occident moderne, en la personne de l’homme libéral. À ses yeux, le libéral est un destructeur des traditions nationales. Il est ce « tiède » dont parle l’Apocalypse et que vomit Soljenitsyne. Paradoxalement, le vrai coupable selon lui de la révolution d’octobre 1917 est justement la révolution de février 1917, « révolution libérale » dont l’issue ne pouvait être que l’anarchie. À la Russie moderne, influencée par les Occidentaux, introduits comme le cheval de Troie par les libéraux, l’écrivain oppose la Russie pré-pétrine, une Russie « slavophile », celle des chevaliers et des moujiks.

La force d’un prophète

Dénoncé par les uns comme un « fanatique », ou un « mystique orthodoxe », encensé par les autres comme un nouvel Isaïe, Soljenitsyne exprime dans son discours de Harvard un solennel et sévère avertissement au monde occidental, qui suscitera de nombreuses polémiques. En 1979, l’éditorialiste du New Yorker fera un rapprochement judicieux entre Soljenitsyne et l’ayatollah Khomeiny, et soulignera leur refus commun de l’Occident athée.

Avec la force d’un prophète, l’écrivain russe dénonce la « catastrophe de la conscience humaine antireligieuse ». Dans son discours de 1978, il rappelle la primauté de la vie intérieure, le bien le plus précieux de l’homme : « Si l’homme, comme le déclare l’humanisme, n’était né que pour le bonheur, il ne serait pas né non plus pour la mort. Mais corporellement voué à la mort, sa tâche sur cette Terre n’en devient que plus spirituelle : non pas un gorgement de quotidienneté, non pas la recherche des meilleurs moyens d’acquisition, puis de joyeuse dépense des biens matériels, mais l’accomplissement d’un dur et permanent devoir, en sorte que tout le chemin de notre vie devienne l’expérience d’une élévation avant tout spirituelle : quitter cette vie en créatures plus hautes que nous n’y étions entrés. ». Blaise Pascal ne s’exprimait pas autrement : « Entre nous et le ciel, l’enfer ou le néant, il n’y a que la vie, qui est la chose du monde la plus fragile. »

 

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Il répandit l’intensité de son amour en se répandant lui-même comme de l’eau… (7)

20 Juin 2020, 23:23pm

Publié par Grégoire.

Il répandit l’intensité de son amour en se répandant lui-même comme de l’eau… (7)

Jésus dit : « C’est achevé » et inclinant la tête, il remit l’Esprit.

 

C’est là où la marque de la grâce en nous, de l’esprit de Jésus qui nous a marqué, s'il n’est pas vécu dans une radicale pauvreté en esprit, devient terrible. Elle devient cette prétendue maitrise du monde par l’explication rationnelle des choses en se prétendant détenteur du pourquoi ! C’est, pour l’homme, la tentative désespérée de préserver son droit d’ainesse et l’absolutisation crétine de son fonctionnement masculin. C’est pour cela que les hommes face à Jésus, soit ne l’aiment pas, soit en ont la trouille et paniquent. Le pourquoi des choses donnés dans l’abaissement (le lavement des pieds) le service de l’esclave (il se donne comme pain) et l’auto-identification à la misère des autres (la Croix) n’est pas du tout l’image virile, héroïque et chevaleresque que l’homme se fait de lui-même et de la vérité qu’il rêverait de vivre.

Les femmes à l‘inverse, n’ont pas besoin de l’explication du pourquoi si la présence de Dieu leur est donnée intimement et éclaire tout cela. Par contre elles veulent savoir le comment. 

Autant un homme met son grain de sel dans le pourquoi, autant une femme met, assez souvent son grain de sel dans le comment ! Parce qu’elle pense, trop souvent, être l’incarnation du juste comment des choses… C’est souvent un peu ça dans les familles : « va demander à papa pourquoi... le comment c’est moi qui gère ! »

Jésus ne vient pas dire le comment, puisqu’il est le comment. Et dans ce comment, il n’y a pas d’explication, ni de bonnes manières de faire. Juste quelqu’un à suivre, et à aimer. Et il n’y a même pas de bonne manière de l’aimer. Il y a juste à s’occuper de lui et plus de la manière dont on l’aime. Parce qu’il est dans sa personne Le chemin. Il est la manière d’avancer et ce vers quoi je vais. Puisqu’il est La vie. La vie tout court.

Quand Marthe et Marie vienne de perdre leur frère, c’est le comment qui les intrigue : « comment se fait-il que tu n’étais pas là ? Quelle est la cohérence de ta manière de faire ? Au regard de la grandeur de ce que tu dis, tu fais l’inverse. Je sais que mon frère ressuscitera, mais dans le comment je n’aimerai pas qu’on attende trop ! » Et la réponse de Jésus à Marthe est simple : « Je suis la résurrection ! » Autrement dit : « tu veux que ton frère soit vivant ? Mais la vie elle est devant toi ! La solution à ta souffrance, elle est là, c’est moi ! Je suis La solution, mais pas l’explication » 

Jésus se fait le chemin, la porte, donc le moyen. Comment cet homme qui est Dieu peut se proposer comme un chemin et comme un moyen ? C’est en tant que livré pour nous, en tant que crucifié, c’est à dire épousant notre condition humaine jusqu’au bout qu’il vient nous donner de vivre du Père et faire de nous des sources divines.

Et c’est là qu’est le conflit pour nous : que le chemin, le moyen, la porte, le comment, la lumière… soit le crucifié. C’est tout ce que nous ne désirons jamais avoir à rencontrer. Parce que ce qui pour nous est le chemin, et plus spécialement pour la femme, c’est l’amour, la tendresse, la pérennité de ceux qu’elle aime, leur réussite, leur luminosité, leur beauté, leur santé.

Il y a dans Jésus détruit, en état d’altération, tout ce qu’une femme veut chérir dans ceux qu’elle aime. Jésus a été en plus méthodiquement détruit par les hommes. On voit bien cela chez Marie Madeleine au matin de Pâques, cette oscillation entre le désespoir, la colère et l’amour. Elle n’a pas accepté qu’il se laisse massacrer comme ça. Elle n’a pas accepté que s’expose sous ses yeux la destruction de son bien-aimé. Et on voit là, l’immensité du cœur féminin qui est de consentir à se soumettre au crucifié. De devoir se plier à ça ! De ne rien pouvoir changer. En plus elle n’a pas accès à Jésus : il est cloué ! Elle ne peut donc rien faire ! Elle est obligée de se soumettre, de consentir au chemin qu’il est.

Les hommes eux sont effondrés, désarmés. Ils ne sont pas en conflits. Ils ont déserté. Là où il y a trop de souffrance, un homme n’a plus les moyens de la révolte.

Et là, ce dont il s’agit, c’est de se soumettre à la fragilité de Dieu qui s’est fait homme, jusque dans l’extrême anéantissement du crucifié.

à suivre ...

Grégoire +

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Le doux appel de l'amour

19 Juin 2020, 12:04pm

Publié par Grégoire.

Le doux appel de l'amour

Je trouve bon et juste de t' avoir écrit cette lettre ma chère Helga. Bien que tu sois morte et ne puisses la lire, ça m'aura comme réconforté de griffonner ces lignes.

Hier j'ai pris ma canne et suis allé me promener, sur mes vieilles jambes foutues. Je me suis couché dans l'herbe entre les Mamelons d'Helga, comme je l'ai fait si souvent. Au sud, de gros nuages se déplaçaient vivement et de la lumière filtrait entre les cumulus. C'est alors qu'un merveilleux rayon de soleil a transpercé les nuages pour se planter sur moi et aux alentours, pour ne pas dire sur nous, puisque j'étais couché là, contre ta poitrine.

C'est à ce moment qu'elle est arrivée, la petite bergeronnette ; elle s'est posée tout près, sur une motte herbue. Je lui ai demandé, comme grand-mère Kristin me l'avait appris, où je passerais l'année prochaine. La bergeronnette a hoché la queue mais ne s'est pas envolée et j'ai compris que le poseur de question n' en avait plus pour longtemps. Le rayon de soleil inondait la colline d'un tel flot de lumière que j'y ai vu le signe qu'un grand esprit me faisait, de l'autre côté de la vie. Alors je me suis mis à pleurer, vieillard sénile que je suis, échoué entre deux protubérances en terre d'Islande, les Mamelons d'Helga, et je compris que le mal, dans cette vie, ce n'étaient pas les échardes acérées qui vous piquent et vous blessent, mais le doux appel de l'amour auquel on a fait la sourde oreille — la lettre sacrée à laquelle on répond trop tard, car je le vois bien à présent, dans la clarté du dénouement, que je t'aime moi aussi.

Bergsvein Birgisson, Lettre à Helga

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Décrasser le nom de Dieu de ses dorures

18 Juin 2020, 09:56am

Publié par Grégoire.

Décrasser le nom de Dieu de ses dorures

La première fois que je l'ai vu, devant la gare du Nord à Paris, il agitait des bras si grands qu'il soulevait sans y penser des nuages dans le ciel bleu, comme des bottes de paille blanche. La deuxième fois, sa tête sortait de la fenêtre d'un immeuble d'Aubervilliers, comme une tête de géant soufi incrustée dans une pyramide. Il m'a préparé ce jour-là une paella assez garnie pour me nourrir jusqu'à ma mort. Je regardais cette montagne faire la cuisine. C'étaient les mêmes mains qui versaient le vin tonitruant dans les verres, et qui avaient écrit L'Évangile du gitan*, offrant à l'âme surprise la manne surabondante de l'esprit.

Parlant du spirituel, on croit souvent nécessaire de tamiser sa voix comme si on entrait dans un domaine feutré, luxueux, loin de la vie quotidienne. Le génie de Jean-Marie Kerwich est de dénicher Dieu à l'intérieur même de cette pauvre vie, la seule que nous ayons, avec le buisson fleuri de la mort à la fenêtre. Il a vécu dix-sept ans au Canada dans un petit cirque fondé par ses parents. Les feuilles rouges des érables ont brûlé ses paupières. La neige admirable a enseveli ses songes. Quand le chat sauvage de la misère lui a griffé le cœur, il a encaissé, avec ce panache propre aux gitans cravatés à la diable et baptisés d'eau de Cologne. Revenu en France, il a trouvé l'argent de la survie en faisant un numéro de jongleur dans les cirques et les cabarets. Les églises, les temples ni les mosquées n'ont jamais eu la primeur du spirituel. Sous la fausse voie lactée des cabarets, somnolent des malfaisants, des prostituées - et des anges.

C'est le travail des mystiques que de décrasser le nom de Dieu de ses dorures, de le frotter jusqu'à lui rendre son éclat primitif. Le soleil de l'absolu brille dans la ténèbre des épreuves. La cognée du réel en s'enfonçant dans le cœur de Jean-Marie Kerwich en a fait couler un miel divin.

Être vivant, c'est être sensible. Être sensible, c'est passer plusieurs fois par jour la frontière entre soi et l'autre, entrer sans la forcer dans la solitude d'un homme, d'un nuage, d'une rose. Dieu est le roi des sensibles, le plus brûlé des grands brûlés, l'humain absolu. Partout en visite dans le monde créé, partout crucifié, il ne pense jamais à son intérêt - une lumière qui s'égare loin de sa source pour venir en aide aux fleurs des murailles. Par la finesse de sa pointe, L'Évangile du gitan s'inscrit dans la lignée des mystiques orientaux, ces vagabonds que trois atomes de lumière soûlent à mort. Il célèbre le faste d'une vie sans confort qui n'a besoin pour fleurir que d'un peu de larmes et de soleil.

L'air qu'on avale dans le monde est plein de lames de rasoir. L'air qu'on respire dans ce livre est du bleu pour l'églantier des poumons. Au XIe siècle, en Iran, Omar Khayyam écrivait Les Robaiyat, livre fraternellement proche de L'Évangile du gitan. Il n'y a pas de temps. Il n'y a que des familles d'âmes, chacune rassemblée dans sa caravane céleste. Dieu est perdu. L'écriture l'accueille. Elle lui apprend ce qu'il a créé de bon et de tragique et, ce faisant, elle l'apaise. La porte est entrouverte, le café fume, le vent vient partager un peu d'arabica. Le gitan regarde au-dehors, le vent vient lui serrer la main.

Christian Bobin

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Regarde-moi. Regarde au fond de mes yeux: il est là

17 Juin 2020, 11:48am

Publié par Grégoire.

Regarde-moi. Regarde au fond de mes yeux: il est là

" Le chrétien n’a plus le droit d’être seul. La place manque, même au désert, l’homme est partout. « Pourquoi me fuis-tu ? Je suis toi-même. Tu cherches le Christ ? Regarde-moi. Regarde au fond de mes yeux: il est là. » C’est la leçon de notre temps. "

F Mauriac.

(...)

L’Évangile enfin accepté. C’était là l’essentiel du témoignage de F Mauriac, mais contrairement à ce qu’on pense d’ordinaire, la sérénité ne suit pas toujours ces réformes de l’âge mûr. Je ne savais pas bien, lorsque je connus Mauriac, que le choix entre le Christ et le monde – le monde dans ce qu’il a de faux et d’injuste – ne détermine pas nécessairement la transformation totale de l’homme. Si c’est un miracle, c’est comme on l’a dit, un miracle lent. On choisit l’Évangile, mais le monde reste en nous avec son attrait multiforme.

 

L’aventure des premiers disciples n’est pas sans rapport avec la nôtre. Il est exaltant de laisser là ses filets, son établi, sa table de travail pour suivre l’homme extraordinaire qui dit des choses qu’on n’est pas sûr de toujours comprendre – et cela ne fait rien qu’on ne comprenne pas tout, parce que c’est lui et qu’il nous appelle. Les reproches viendront cependant, et durs : «  ...Vous qui êtes mauvais... Hommes de peu de foi... Toi, tu vas me renier...»

 

Chez nous de même, le grand retournement de tout l’être ne se fera parfois que vers la fin du jour, dans les dernières clartés de l’après-midi. Mauriac a pressenti ces choses. Entre le moment où l’âme se met en route et celui où elle se rend à Dieu après des idolâtries sans nombre, il n’y a pas trop de toute une vie pour faire le voyage, et il arrive qu’on le supporte mal et qu’on s’en prenne furieusement à soi de la longueur du parcours.

 

À ne pas tenir compte de ces faits, on risque de mal comprendre le drame spirituel de Mauriac, car ce choix qui engage tout l’homme pose des problèmes à l’écrivain. La tentation de se reprendre est, en effet, toujours là. Mauriac, lui, fut fidèle jusqu’à la fin, mais son art même, jusque dans son essence, resta l’enjeu d’une partie redoutable. Le cas est étrange, mais il n’est pas rare. L’homme François Mauriac a accepté le choix.

 

Les personnages de Mauriac se montrent beaucoup moins dociles que lui, qui pourtant le fut assez peu... D’abord ils ne veulent du choix à aucun prix. Ils ont ceci de passionnant qu’ils sont avant tout des rebelles, des rebelles qui finissent assez souvent, je le sais, au pied de la croix, mais après combien de longues et violentes révoltes... Parfois même, et cela est pire, il n’y a pas de révolte, il n’y a que le refus pur et simple, jusqu’à ce que se produise, mais fort tard, ce que Port-Royal eût appelé un coup de la grâce, et alors tout est bien : un rayon de lumière céleste vient effacer le désastre d’une vie manquée.

 

On peut se demander, du seul point de vue du romancier, si cette révolte et ce refus ne sont pas plus captivants que le salutaire agenouillement dont nous ne doutons pas qu’il vienne, puisqu’il le faut. Jusqu’à quel point l’auteur est-il de cette humanité qu’il invente et fait souffrir, et qu’il rattrape au moment où elle va se perdre ? Certains de ses personnages courent droit aux abîmes. Non pourtant. À la dernière halte de leur existence toute noire, François Mauriac accorde aux misérables un retour à la foi et le secours de cette pitié divine qui arrange tout. Et cela est souvent ainsi – nous avons tout intérêt à ne pas y contredire : Dieu vole les âmes au démon l’une après l’autre. Mais c’est le romancier qui me retient, c’est l’homme dont je sens la présence derrière ces récits ténébreux, car de tous les romans qu’il a écrits, celui que je mets au-dessus de tous les autres pourrait s’appeler François Mauriac et c’est aussi le plus tragique : il est partout, depuis les vers où l’auteur regrette les péchés qu’il n’a pas commis jusqu’à ce Maltaverne dont on dirait que Dante lui a soufflé le nom à l’oreille et qui évoque je ne sais quelle sombre étape sur le chemin de l’au-delà.

Ira-t-on jusqu’à dire qu’après avoir si loyalement renoncé, il se ravise et que sans bien le savoir il prend sa revanche dans la peinture d’un monde dont il ne veut plus – ou dont il ne vent plus vouloir ? Mais comment un écrivain aussi lucide n’aurait-il pas su ce qu’il faisait ? Cette impitoyable intelligence pouvait-elle vraiment n’avoir pas compris ? Tout est possible dans cet ordre d’idées. Nous ne nous pipons jamais si bien que lorsqu’il s’agit de nous-mêmes, mais si nous sommes honnêtes, et c’était le cas, il nous en reste un indéfinissable malaise. De là cette amertume et cette inquiétude, de là le tourment qui ne finit pas.

 

 

Qu’il me soit permis de rapporter un souvenir dont la trivialité n’est qu’apparente. Un soir que je le quittais rue de la Pompe, après une de nos longues promenades, pour rejoindre ma rue Cortambert, je lui dis : « Vous qui allez rentrer chez vous, cela ne vous paraît-il pas drôle, dix heures étant passées, de troubler le sommeil de votre concierge en faisant retentir devant sa loge un nom célèbre ? ». «  Que vous êtes bête, si je puis dire ! », fit Mauriac en riant. Mais je ne le lâchai pas. «  Reconnaissez au moins qu’il vous est agréable de penser à tous ces lecteurs qui vous admirent. » Il eut alors, soudain, un mot qui me laissa muet, parce qu’il ressemblait à un cri de détresse : «  Je ne veux pas être admiré, je veux être aimé. »

 

Combien d’années plus tard, quarante sans doute et plus, ne jetait-il pas ce cri de l’homme libéré : «  Croire, c’est aimer ! » Il savait bien alors que, dans cette immense histoire d’amour entre Dieu et l’âme qu’est la vie humaine, c’est Dieu qui commence, et que la déclaration d’amour, c’est Dieu qui la fait d’abord.

(…)

 La belle affaire que de traverser l’humanité comme on traverse un désert ! On se bouche les oreilles, on se crève les yeux pour se préserver des souillures du monde où le Christ a pourtant vécu, et qui trouve-t-on au bout de l’interminable chemin que l’on s’est tracé ? Non pas Dieu, mais une idole, une idole peinte et parée de toutes les vertus qu’on voudra, mais une idole : nous-mêmes.

Mauriac était beaucoup trop lucide pour s’exposer à une bévue aussi désastreuse. Il avoue sans difficulté que bien des chrétiens auprès de qui il se sent étranger sont plus fidèles que lui, «  comme on me l’a souvent et justement reproché », dit-il avec une humilité qui n’est pas feinte, «  plus charitables, plus dévoués aux œuvres que je ne le suis moi-même ». Mais aussi de quel superbe dédain il couvre «  les âmes médiocres qui se croient saintes parce qu’elles sont scrupuleuses ». Il y a dans ces paroles la hauteur à quoi l’on reconnaît le grave discours de Port-Royal.

 

Dans ce vaste examen de conscience qu’est l’œuvre de Mauriac, l’introspection de l’auteur atteint à une sorte de génie, mais d’un génie impitoyable. On est rarement descendu d’un pas plus ferme et plus assuré dans les profondeurs de l’âme et jusque dans ces régions obscures où le romancier ordinaire ne s’aventure jamais, parce qu’il n’en a ni le pouvoir, ni le désir. Qui trouve-t-on, en effet, dans ces ténèbres si ce n’est l’inconnu qui porte notre nom ? Ici, j’admire l’homme chez Mauriac plus encore que l’écrivain, car il ne s’agit plus tant de littérature que d’une recherche douloureuse de la vérité.

 

On connaît l’histoire du curé d’Ars qui demanda la grâce de se voir tel qu’il était. Cette prière fut exaucée et l’imprudent qui la fit, tout saint qu’il était, ne s’en remit jamais. Ne dirait-on pas que Mauriac a voulu, lui aussi, avec un étrange courage, obtenir le même face à face ? De là vient ce quelque chose d’éperdu dans ses remontées vers la lumière à la fin de ses récits. Il sait que Pascal a dit vrai, que le cœur de l’homme est creux et plein d’ordures et que cette vue ne se supporte pas. À l’angoisse de Pascal, ne craignons pas de mettre en parallèle, pour la grandeur comme pour la misère, l’angoisse de François Mauriac.

 

On devine chez lui un amer contentement à s’avouer coupable. Or, nous dit-il, et c’est ici qu’apparaît une tentative de justification, «  un homme qui se sent pécheur est déjà aux portes du royaume de Dieu ». Et ailleurs il nous parle de ce besoin d’être pardonné qui est toujours en lui. La blessure que l’Église a le pouvoir de refermer, mais qui ne laisse pas de se rouvrir, on dirait que Mauriac n’est tranquille que s’il peut constater qu’elle est encore là. Beaucoup ont parlé de l’orgueil de Mauriac. Cet orgueil alterne avec des repentirs et des abaissements qui effacent tout. Il voit clair, trop clair peut-être. Rien, je crois, ne lui levait le cœur comme la bonne opinion de soi commune à tant d’âmes pieuses que l’orgueil spirituel rend aveugles. 

 

Si passionnant qu’il soit dans cet éclairage surnaturel, je me refuse à voir en lui l’homme des seules sévérités excessives. Une flamme brûlait dans son cœur, celle-là même qui lui arrachait le cri d’amour qui l’apparente aux meilleurs : «  Tu existes parce que je t’aime. »

 

Julien Green, discours de réception à l'académie française.

http://www.academie-francaise.fr/discours-de-reception-de-julien-green

Regarde-moi. Regarde au fond de mes yeux: il est là

La Pharisienne. Ce roman écrit pendant l’occupation, en des heures d’anxiété et d’ennui, j’y verrais le chef-d’œuvre de Mauriac. Je laisse de côté une histoire d’amour, je veux surtout regarder cette fascinante Brigitte Pian qui se range sans hésitation dans le petit nombre des élus, car c’est la sainte femme dans toute son horreur. Elle veut le salut du prochain, et elle le veut avec une poigne de fer. Dévorée d’un orgueil spirituel qui dépasse tous les orgueils possibles, elle se persuade qu’elle est humble. Elle fait le bien d’une manière qui épouvante. Dans un tiroir secret de sa commode, elle cache une lettre qui peut anéantir le bonheur de plusieurs personnes. Elle garde ce document.

Avec une lucidité qui donne le frisson, Mauriac se promène dans les ténèbres de cette âme qui se prend personnellement pour l’Église et que guette le démon. Sera-t-elle sauvée malgré tout ? Pour emprunter le langage de saint Thomas, il semble que non. Elle s’est trompée de rigorisme, elle a pratiqué sans amour une religion d’amour. Non sans une joie un peu cruelle, l’auteur nous montre son héroïne excédée tout à coup de sa piété factice. Alors elle devient humaine, ou presque, et bannit les lectures édifiantes dont elle a gavé sa mégalomanie religieuse. Elle se repaît de littérature profane, elle lit Adolphe, elle lit Anna Karénine, elle déclare : «  Tous les hommes sont des canailles. »

Julien Green, discours de réception à l'académie française.

 

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La martyr du sourire

16 Juin 2020, 05:04am

Publié par Grégoire.

La martyr du sourire

Je voudrais vous parler de celle dont tout le monde parle et qui échappe à tout le monde. Je voudrais vous parler de Marilyn. Sa folie a régné sur le monde et s'était un règne sans mauvaiseté. Mais de folie quand même. Elle est une preuve de Dieu. N'importe qui et n'importe quoi est une preuve de Dieu sur terre. La preuve - Marilyn a quelque chose de déchirant. Elle est perdue, mais ni plus ni moins que vous ou moi, n'est-ce pas, une fois que nous avons enlevé le maquillage de nos conforts, de nos savoirs, de nos croyances. Il n'y a que les nuages qui ne sont pas perdus. Et les fleurs des prés. Et les bêtes dans les bois. Tous ceux-là connaissent leur maître, savent qu'il ne les abanonnera pas, respirent de suivre la pure nécessité.

Marilyn suivait l'étoile désorientée de sa folie. Son visage constamment épousseté par les lumières des photographes est celui d'une poupée papillonnant des yeux et de l'âme, souriant à ses assassins. La folie est un mécanisme d'horlogerie très fin. On en voit les rouages que lorsqu'il se brise. Marilyn sait que l'humanité a faim, plus encore que de pain ou de sexe, d'une vraie gaieté, d'une gaité profonde accordée au secret des fleurs, du ciel, des anges.

Nous recherchons le paradis. Nous ne sommes jamais très loin de lui. La gaieté - la pure, pas la marchande : comment vivre une seconde sans elle, sans son secours, sans au moins sa nostalgie ? Les saintes de cinéma brûlent dans le noir. Leurs chevelures luisent comme des méduses. Rien ne s'éteint plus vite que l'incendie de l'irréel. Marilyn tendait une gaieté volatile sur la petite assiette de son visage. Mangez-moi. Ceci est ma folie, ceci est ma perte. Je suis des vôtres. Simplement j'ai dans les paillettes de mes yeux et sur la charité de mes lèvres les stigmates du paradis, l'ombre portée de la lumière éternelle. Elle affolait les hommes mais aussi bien les femmes ou le soleil. Sa fragilité était invulnérable. Elle n'arrêtait pas de souffrir ni de sourire. Ces deux passions n'en faisaient qu'une. Son sourire remonté à bloc était prêt à casser.

C'est une plaie d'être une femme mais qu'on se rassure, c'est une autre plaie d'être un homme. Il faut tenir son rôle jusqu'au bout. La vie, dit Rimbaud, est la farce à mener par tous. Mais la gaieté ? Ce je-ne-sais-quoi qui ensoleille le coeur, cette braise sur laquelle la main en chêne de la mort ne peut se refermer ? La gaieté est le sens profond de nos vies. Marilyn l'avait compris à sa manière folle. Elle en présentait les signes, un appât - son sourire était comme ces mouches artificielles aux lueurs émerveillantes que confectionnent les pêcheurs à la ligne, pour attirer le poisson. Une gaieté fausse mais reliée à la pure vérité, comme toujours le mensonge. Son sourire était le sillage d'une comète entrant dans l'atmosphère irrespirable du monde. Un astre mort tombait, entrainant des milliers de visages dans sa chute.

Ce qui manque à ce monde, ce n'est pas l'argent. Ce n'est même pas ce qu'on appelle "le sens". Ce qui manque à ce monde c'est la rivière des yeux des enfants, la gaieté des écureuils et des anges. Qu'elle dorme en paix, la martyre du sourire. Qu'elle soit remerciée de son dévouement de folle. Comme Einstein a donné son nom à la loi de relativité que je suis heureux de ne pas comprendre, Marilyn a donné le sien à la loi inexorable de la chute des coeurs. Cette nuit j'ai mal dormi. Plusieurs fois je me suis réveillé. Une phrase insistait dans mon crâne. Elle disait ceci : même dans l'enfer, et nous y sommes, il y a des merveilles.

 

- Christian Bobin

 

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Présent ?

15 Juin 2020, 13:16pm

Publié par Grégoire.

Présent ?

"Ce qu'on fait de mal, c'est de ne pas être assez présent. Être présent ? La flamme de la vie, je me souviens d'états de rêverie de mon père. Il était dans un songe qu'il ne partageait pas, mais il irradiait d'une présence, d'une luminosité dont je sens toujours les rayons sur moi. Les présences démentent la mort, démentent le néant. Les vivants que sont les morts.

Il faut que ce qui est dit touche au secret de ma vie, sans qu'on s'en rende compte.

Il faut que le silence qui est en moi soit touché comme par une main de lumière par la voix de l'autre.

Une seule parole peut changer toute la vie."

Christian Bobin

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Il répandit l’intensité de son amour en se répandant lui-même comme de l’eau… (6)

14 Juin 2020, 04:17am

Publié par Grégoire.

Il répandit l’intensité de son amour en se répandant lui-même comme de l’eau… (6)

Jésus dit : « C’est achevé » et inclinant la tête, il remit l’Esprit.

 

L’homme porte en lui cette grâce de communiquer la lumière. Il en est le porteur et le passeur. Non comme un propriétaire ou un ayant droit, puisque cette lumière le dépasse. Lorsqu’il se l’approprie, c’est soit le pater familias romain, soit le cléricalisme mou ou tyrannique. Autrement dit, la lâcheté du fonctionnement masculin qui s’approprie un don gratuit pour faire oublier sa fragilité et sa pauvreté. Cette appropriation au niveau religieux est terrible car elle annonce toujours les prémices de la barbarie politique.

 

La femme, elle, lorsqu’elle accepte d’entendre que sa grandeur est réelle mais cachée aux yeux du monde et donc d’elle-même, elle peut entrer dans sa vocation qui la dépasse. C’est bien là l’état propre de la créature : on est fait pour quelque chose qui nous dépasse, dans laquelle on ne peut entrer que dans une totale pauvreté. On ne peut donc jamais en être propriétaire, ou avoir un droit sur ce qu’on est ou ce qu’on a à vivre. 

 

C’est pour cela que la question de Marie à l’Annonciation est : « comment cela se fera-t-il » et non pas « pourquoi » ? Et l’ange répond à Marie : « l’Esprit-Saint viendra sur toi, la puissance du Très-haut te prendra sous son ombre » mettant Marie au-delà du comment elle sera mère, et relative à Celui qui veut réaliser quelque chose de totalement nouveau avec elle.

 

Il en est de même avec la présence de Jésus dans l’Evangile. Il donne comme Die fait homme la lumière la plus profonde sur ce qu’on a à vivre, mais obligeant toujours à une radicale pauvreté. 

 

Ainsi les femmes qui le croisent dans l’évangile n’ont plus de doute sur le pourquoi, parce que dans le Christ la lumière de Dieu est atteinte. Le propre du Christ est d’être la lumière, la lumière en lui est directement accessible, et sur Dieu, et sur ce qui nous est donné à vivre : Dieu. Dieu en Jésus vient se dire et être lui-même la réponse au pourquoi.

 

Avec Jésus, l’homme n’est plus dépositaire de la connaissance : il est médiateur d’un mystère qui n’est plus dans le prolongement de ses compréhensions et encore moins de ses compétences. Ce n’est plus sa parole, sa logique, son projet. Il s’agit de conduire à Jésus, de transmettre en se laissant agir par ce qu’il annonce, autrement dit en agissant dans la personne du Christ. C’est vrai au niveau sacramentel, ou selon l’esprit du sacrement. Puisque les sacrements sont des signes visibles d’une réalité invisible. Donc qui rendent manifeste ce que chacun est appelé à vivre « en esprit ». Ainsi, nous sommes actuellement plongés en Jésus : par le baptême nous sommes actuellement dedans lui. Par l’Eucharistie, Jésus me signifie que dans sa personne, il m’est complètement relatif, il se livre à moi. Cela me demande d’être intérieurement complètement livré, donné sans retour, à lui et à mes frères. Dans son pardon il assume toute ma misère et lui donne une toute nouvelle signification. Cela exige alors que la misère de mon frère soit la mienne… etc. 

 

Là, les hommes pataugent, totalement appauvris puisque la présence de Jésus devient soudain le révélateur de leur pauvreté et de leur discours : ils ne sont plus détenteur de la connaissance, et de leurs compétences : ils sont comme anéantis dans leur prétention à un pouvoir sur les choses.

 

à suivre ...

Grégoire +

 

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Ces gens dont l'âme et la chair sont blessées ont une grandeur que n'auront jamais ceux qui portent leur vie en triomphe

13 Juin 2020, 09:27am

Publié par Grégoire.

Ces gens dont l'âme et la chair sont blessées ont une grandeur que n'auront jamais ceux qui portent leur vie en triomphe

«  C'est vrai. Il y a de la douleur dans le monde. Elle vous apprend que vous n'êtes pas tout. Mais elle n'est pas salutaire par elle-même.

Il y a des gens qui, dans la souffrance, se crisperont encore plus sur leurs pauvres possessions. Il y en a que la douleur ouvrira au vivant. D'un seul coup. Comme on peut ouvrir un fruit.

Ce ne sont pas les événements qui décident de notre vie.

C'est notre vie qui décide -par l'accueil ou le rejet que nous en faisons- du sens des événements. »

Christian Bobin

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Reconstruire l'éternité : Notre Dame à coeur ouvert

12 Juin 2020, 09:42am

Publié par Grégoire.

Reconstruire l'éternité : Notre Dame à coeur ouvert

(...)

Nous sommes des passeurs.

Quand l'architecte fabrique une oeuvre, l'Architecte du Patrimoine s'efface pour faire place à l'œuvre. Dans « Guerre aux démolisseurs », Hugo exhorte à l'humilité : « Faites réparer ces beaux et graves édifices. Faites-les réparer avec soin, avec intelligence, avec sobriété. Vous avez autour de vous des hommes de science et de goût qui vous éclaireront dans ce travail. Surtout, que l'architecte-restaurateur soit frugal de ses propres imaginations ; qu'il étudie curieusement le caractère de chaque édifice, selon chaque siècle et chaque climat. Qu'il se pénètre de la ligne générale et de la ligne particulière du monument qu'on lui met entre les mains ; et qu'il sache habilement souder son génie au génie de l'architecte ancien. » 

Je m'interroge aussi sur ce « geste architectural » dont on nous parle tant. Pourquoi faudrait-il qu'il soit exclusivement du côté de l'écriture contemporaine ?

(…)

 

Être éclairés

La question de la gestion de la lumière s'est rapidement imposée dans les réponses des architectes à l’assaut de la toiture de Notre-Dame, de la flèche et du ciel. Et nous volons, attirés comme des papillons de nuit, cherchant une lampe pour venir pour se brûler. Car on confond « être éclairé » et « être dans la lumière » de Dieu.

Ainsi, on veut nous faire croire que le verre est la matière de la lumière par excellence. Et comme nous souffrons de ne pas y voir clair, la transparence nous apparait comme le remède idéal. Hélas, ce n'est pas dans la boule de cristal qu'est la flèche qu'il faut la chercher. Elle ne réglera pas elle toute seule la confiance per due dans tous les espoirs déçus. Et, en aucun cas, cette lumière-là ne peut faire la lumière sur notre passé et notre présent qui peuvent, de temps à autre, nager en eaux troubles.

Le verre transparent laisse voir nettement les objets. Le verre translucide laisse passer la lumière. De l'autre côté, les formes résistent se dévoiler, les visages portent des masques, les corps traînent derrière eux de grandes capes, il y a encore quelque chose du mystère. Je préfère ce flou, l'aléatoire, le changeant de la matière transluCide afin que demeure le continuum du nuage. C'est moi ensuite qui décide de faire le nec, la mise au point sur les couleurs et la forme des objets, de manière sélective si le souhaite. En tout état de cause, la matière du verre seule me semble être une réponse évanescente, évaporée et intangible qui manque de chair,

Dans les projets que je vois, le choix du verre apporte une solution radicale à la prétendue obscurité de la cathédrale. En réalité, la lumière dont on parle à Notre-Dame n'a rien à voir avec le lumen ou le lux, qui est une unité de mesure de l'éclairement lumineux. La lumière qu'on cherche dans la cathédrale n'éclaire pas une surface ou le sens de la vue. Cette lumière est toute intérieure et ne dépend pas de la quantité des rayons du soleil diffusés à l'intérieur de la coquille. 

L'obscurité qu'on reproche à Notre-Dame n'est pas n'importe quelle obscurité en fait. Elle est la mystérieuse obscurité, la part d'ombre qui fait la part belle à tous les cierges allumés dans les chapelles et le choeur. Sans obscurité, point de lumière pour éclairer les endroits choisis. Il faut avoir conscience de l'immensité de l'ombre. La cathédrale n'a pas besoin de la clarté d'un écrasant soleil pour accueillir et se revêtir de lumière.

Il est d'ailleurs intéressant de noter que c'est précisément le siècle des Lumières qui cherche aussi à apporter la lumière du soleil à l'intérieur de l'édifice. Les vitraux médiévaux sont déposés et remplacés par des vitrages clairs et géométriques et les élévations sont complètement badigeonnées. Ce projet traduit, comme pour le xxie siècle, l'expression d'un grand besoin de lumière, apparentée ici à la connaissance. Dans un même temps, il règle son compte à tout le mysticisme du Moyen Âge en barbouillant de blanc la profondeur des couleurs et la lumière de l'or.

(...)

 

 

L'incendie de Notre-Dame de Paris a sidéré les Français comme le monde entier, croyants comme non-croyants, comme si une part de nous-mêmes avait brûlé, une part d'enfance avec notre Mère.

Marie-Amélie Tek en a été d'autant plus bouleversée que, architecte du patrimoine, elle a voué sa vie à la préservation du patrimoine.

Dans cet essai, écrit avec le coeur et un style d'une poésie éblouissante, l'auteur revient sur la signification profonde du bâtiment, sur le rapport à la matière et à l'harmonie, s'effrayant que l'on dissocie la fonction du lieu et sa construction. Elle interpelle les architectes qui doivent s'effacer derrière les mille ans de prières qui ont façonné Notre-Dame. Elle fait ainsi un développement rassérénant sur le bois de la charpente, allant à la rencontre des bûcherons qui retrouvent les techniques ancestrales pour couper le bois, le travailler. La matière n'est pas que matériau, elle vit aussi de la fonction qu'on lui donne, de l'âme de ceux qui la travaillent.

À la suite de Victor Hugo qui voyait en Notre-Dame un chef-d'oeuvre d'art total, Marie-Amélie Tek nous propose un ouvrage visionnaire, déployant avec force les arguments historiques, architecturaux, mais aussi humains afin de nous questionner sur notre rapport à la cathédrale Notre-Dame de Paris, mais aussi sur la résonance du patrimoine spirituel en chacun de nous.

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il n’y a rien d’autre à faire dans cette vie que d’y être parfaitement présent

11 Juin 2020, 10:05am

Publié par Grégoire.

il n’y a rien d’autre à faire dans cette vie que d’y être parfaitement présent

 

 

Quel a été selon vous le rôle de la lecture dans ces deux mois de confinement?

 

Silence… Le monde prétendu moderne est une sorte de conjuration contre la chose la plus vieille du monde et la plus solide au monde, à savoir le cœur. J’entends par cœur, pas le sentimentalisme, pas même le sentiment, mais une puissance de vie que chacun de nous peut avoir, une respiration. Ce que parfois on pouvait qualifier d’intériorité, ou dans des temps beaucoup plus anciens, l’âme. Les sociétés d’aujourd’hui sont rendues malheureuses par la mise à sac de cette intériorité. Or elle est la vraie force de chacun. Quand chacun rentre dans son centre, revient vers soi-même et retrouve quelque chose qui ressemble à l’enfance, il est invincible.

 

Qu’entendez-vous par invincible?

 

C’est ne pas soumettre sa vie à l’ordre du monde. C’est laisser sa vie dans la plus grande respiration possible, dans la fantaisie, parfois dans le silence, dans une parole qui sera toujours vive, fraîche, non conventionnelle. Être invincible c’est juste être vivant.

 

Vous parlez de l’importance de l’intériorité, que pensez-vous des conséquences de cette épidémie sur le rapport à l’autre?

 

Votre question est trop générale. La vie, pour moi, c’est la singularité même, le concret. La manière de vivre américanisée et électronisée détruit, en souriant, le singulier. Si vous me posez une question trop générale, je vais me taire car je ne suis ni un philosophe, ni un sage.

Ce qui me frappe actuellement, ce sont les images des villes vides. Des choses pauvres se reprennent comme le chant des oiseaux. Je ne sais pas si on le perçoit dans les villes mais je le perçois dans la forêt où j’habite. Il y a eu une renaissance des cantates d’oiseaux. Le vert des feuillages était plus affirmatif. La nature pendant ces semaines a retrouvé une confiance que nos vies insensées lui avaient fait perdre.

 

Ce matin, j’ai traversé un pré et je me suis arrêté sous un chêne. La nature était devenue une phrase parfaite, un morceau d’un poème très pur, extrêmement simple et qui m’a fait tout oublier. Les fragments de cette phrase étaient composés de l’arbre, des mouvements de ses feuilles, balancées très élégamment, sans fureur, par une brise légère. Il y avait aussi une lumière qui lançait ses javelots dans l’herbe, et une ombre très douce dans laquelle je me tenais. Un sentiment m’est entré dans le cœur: il n’y a rien d’autre à faire dans cette vie que d’y être parfaitement présent. Quelque chose d’adorable essaie de nous parler à chaque instant. Cette expérience a duré cinq secondes et elle était infinie. Je me rappelle d’avoir souri de ma misère d’homme, de n’être que de celui que je suis.

 

Avez-vous toujours eu ce langage poétique?

 

Je serai incapable d’exprimer autrement cette expérience d’être. C’est comme si je n’existais presque plus et que cela me comblait. Quelle que soit l’époque – si dure soit-elle –, le mouvement d’une brise, la sentence bienveillante d’un rayon de soleil, la fierté d’un brin d’herbe qui se redresse, la royauté d’un arbre, tout cela ne demande pas d’étude. Aucune puissance ne peut se mettre entre cette douceur et vous. L’humanité est profondément unique car ce que je connais moi, je peux le partager. Les choses de fond sont les plus lumineuses même si elles sont enfouies.

 

Vous considérez-vous croyant?

 

Je parlerai plutôt de confiance, mais je ne saurai vous dire sur qui ou quoi repose cette confiance. La confiance est la capacité inexplicable de continuer à vivre alors que même la vie semble vous avoir quitté. Il m’est toujours apparu que la vie est bien plus grande que celle que nous vivons. Elle n’est pas ailleurs. Par instant, nous arrivons à mettre nos yeux en face des yeux de la vie. C’est comme un enfant que la mère soulève et porte devant son visage: il y a des moments où nos yeux sont plantés dans les yeux solaires et terribles de la vie.

 

Cela me fait penser à votre ouvrage La Part manquante…

 

En effet. C’est un ouvrage ancien. Mais il en va sans doute de l’écriture comme de la vie: nous passons notre temps dans une danse de derviche tourneur, à danser autour d’un point indicible et invisible.

 

Quelle est votre définition de l’Amour?

 

L’Amour c’est quand une vérité arrive. Le reste du temps, c’est une comédie à laquelle nous participons tous. Ce qui arrête la comédie, c’est soit la mort, soit quelque chose de plus fort encore, doté de beauté et de grâce.

 

Connaissez-vous le Liban?

 

C’est, je crois, un des pays les plus proches de la poésie, celle qui fait venir dans sa parole du feu et des roses. Pour moi, la poésie est l’état le plus haut du vivant.

 

Christian Bobin, Propos recueillis par Zeina Trad pour L’Orient Littéraire

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Une âme triste est une âme qui se trompe

10 Juin 2020, 04:54am

Publié par Grégoire.

Une âme triste est une âme qui se trompe

Partout Dieu nous attend, mais un Dieu en loques, mal rasé, inquiet - pas le soleil à crâne d'or des antiques processions religieuses. Ce Dieu-là ne s'encombre d'aucun rituel. Notre étonnement et une pointe de gaieté lui suffisent comme monnaie dans sa main tendue. J'appelle « Dieu » la vie à peine sortie du tombeau des conventions, mal fichue, décoiffée comme au sortir du lit, adorable.

Et j'appelle « anges » ces gens qui s'intéressent passionnément à la vie et s'émerveillent de n'y rien comprendre. J'ai passé un dimanche après-midi chez des anges. Chacun était unique. Il n'y a pas de fabrique des âmes. Il ne peut y en avoir. Le songe, la sauvagerie et la décision soudaine sont les racines de l'âme. Ce qui n'est qu'efficacité l'anéantit. Un des anges passait ses journées à dessiner avec des crayons de couleur les arcs-en-ciel qui illuminaient sa boîte crânienne. Il n'exposait pas ses œuvres, fuyait tout commerce.

C'est un des signes certains pour reconnaître un ange : l'horreur des affaires. Un autre travaillait dans une banque et c'est encore un signe pour les distinguer : ils contredisent toutes les règles, même celles qui les définissent, et ne sont jamais là où nous avons coutume de les épingler, froids sur les tympans des cathédrales, endimanchés dans les livres de peinture. Ils parlaient des uns et des autres.

Les âmes sont indéchiffrables, comment s'arrêter jamais de les commenter ? Le commentaire infini que tissent chaque jour nos confidences et nos émerveillements est le bruit que fait la caravane de l'éternel à nos fenêtres. En écoutant ces anges, si drôles, je redécouvrais la vérité la plus fuyante qui soit : une âme triste est une âme qui se trompe. Un ange parla d'un de ses cousins qui avait dormi jusqu'à dix ans dans une caravane avec des bébés lions. Depuis qu'il n'avait plus de cirque, il allait comme représentant de commerce sur les routes, trois jours par semaine, et le reste du temps fréquentait les salles de vente où, sans avoir de quoi les acheter, il admirait les vieux soleils bradés. (Un jour, je me suis surpris dans le grand miroir rouillé d'un brocanteur et j'ai aussitôt pensé que je ne dépenserais pas un sou pour acheter quelqu'un comme moi.) Ce cousin des anges jugeait sa vie trop précieuse pour la perdre en actions. Il n'en faisait rien.

Ce matin, j'ai réalisé l'expérience magique de ce rien, quand le papier couleur sable de l'enveloppe s'est mis à boire l'encre de l'adresse que je venais d'écrire. (Les lettres qu'on écrivait jadis à la main amenaient au monde - par leurs pleins et leurs déliés vibrants de l'invisible - les premiers secours de l'âme.)

J'ai regardé, fasciné, le brillant de l'encre noire disparaître des lettres, s'éteindre peu à peu comme une lampe qui se meurt ou comme quelqu'un qui, portant un flambeau, s'éloigne dans la nuit. Une seconde de contemplation ouvre les portails du temps : je venais de passer une vie entière à regarder un peu d'encre rentrer dans un peu de papier. Une vie nouvelle s'avançait. Nous vivons des milliers de vie par jour, les anges le savent qui ne veulent pas en perdre une miette. 

Christian Bobin

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Et vous, qu'en pensez vous ?

9 Juin 2020, 05:52am

Publié par Grégoire.

Et vous, qu'en pensez vous ?
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Le plus beau, sans doute, c’est quand cela ne sert à rien

8 Juin 2020, 10:45am

Publié par Grégoire.

Le plus beau, sans doute, c’est quand cela ne sert à rien

 

Ce que j’ai pour finir, c’est presque rien, un échantillon tombé de la boîte à couture d’un ange. C’est aussi fin qu’une brise qui ride un étang pendant quelques secondes. Difficile de l’attraper.

 

Voilà : il s’agit d’un arc-en-ciel. Du bleu, du jaune, du vert, des couleurs faibles sur le papier de l’air, un dessin convalescent en forme d’arche, de pont. C’est là et ce n’est pas là, vous comprenez ? Quelque chose apparaît et disparaît en même temps. Un soupçon coloré. Une énigme limpide.

 

Toute la vie a forme d’arc-en-ciel, n’est-ce pas : elle est là et en même temps elle n’est pas là.

La pluie s’éloignait après avoir couvert le ciel de son écriture régulière. Personne mieux qu’elle ne parle du soleil.

 

Je sais bien qu’il se trouve des savants pour expliquer ce que c’est, un arc-en-ciel. Je sais bien. Mais ce n’est pas avec du savoir qu’on voit ce qu’on appelle la vie. C’est avec la tête et le coeur éclaté qu’on entre dans l’émerveillement de ce qui est là, sous nos yeux, et dont l’éternité tient à la vibration de son effacement prochain.

 

Cette aquarelle dans le ciel mouillé au-dessus de la ville, on aurait dit l’haleine d’un ange architecte. C’était proche et lointain comme le sourire d’un mort. J’en étais assommé de calme. Un tissu flottait dans le ciel, le bout d’une robe transparente portée par un ange, et l’ange n’était rien, et rien n’existait – ni l’ange, ni le ciel. Uniquement ce tissu, ce pont lancé entre rien et rien, cette passerelle sur le vide aux planches bleues, jaunes, vertes. C’était, ce dessin sur le papier millimétré de l’air, une revanche de la vie : le faible, le léger, l’allusif et le tendre, tout ce que le monde détruit revenait en gloire dans le ciel ému.

 

Le plus beau, sans doute, c’était que ça ne servait à rien. Oui, c’était ça le plus beau : une féerie inutile. Rien à acheter. Rien à vendre. Quel repos pour nos cerveaux sur lesquels, chaque matin, le monde colle ses affiches d’entrée en guerre !

 

Je n’ai pas bougé. J’étais content. On est toujours bête quand on est content. On est toujours intelligent quand on est bête. Une intelligence me venait. Quelque chose me regardait sans yeux. Tout mon sang me quittait pour nourrir l’apparition pâle. Et puis ça a passé. La merveille n’insiste jamais. Ce qu’elle a à dire est sans bruit.

 

Parfois j’ouvre un livre, j’en lis très lentement une page et je vois comme un arc-en-ciel miniature trembler un instant au-dessus du papier, le bruit sec d’une phrase comme celle-ci : « Ce n’est pas un accident rare qu’un cheval échappé à travers une forêt. Et cependant je ne vois pas d’autre titre à l’existence. » Cette phrase déchire mon coeur comme du papier.

 

Le ciel n’est pas l’unique lieu des prodiges. Quelque chose se rappelle à nous de loin en loin, comme un très faible et très sûr sourire tourné vers nous… Quelque chose ou quelqu’un mais ce serait le faire fuir que de le nommer. Non ?

 

Christian Bobin

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Le sourire de ma mère

7 Juin 2020, 05:14am

Publié par Grégoire.

Le sourire de ma mère

 

J’ai la nostalgie du pain de ma mère, 
Du café de ma mère,
Des caresses de ma mère…


Et l’enfance grandit en moi, Jour après jour,
Et je chéris ma vie, car
Si je mourais,
J’aurais honte des larmes de ma mère ! 


Fais de moi, si je rentre un jour,
Une ombrelle pour tes paupières.
Recouvre mes os de cette herbe
Baptisée sous tes talons innocents.


Attache-moi
Avec une mèche de tes cheveux,
Un fil qui pend à l’ourlet de ta robe…
Et je serai, peut-être, un dieu, 
Peut-être un dieu,
Si j’effleurais ton Cœur ! 


Si je rentre, enfouis-moi !
Bûche, dans ton âtre.
Et suspends-moi,
Corde à linge, sur le toit de ta maison.


Je ne tiens pas debout
Sans ta prière du jour.
J’ai vieilli. Ramène les étoiles de l’enfance
Et je partagerai avec les petits des oiseaux,
Le chemin du retour…
Au nid de ton attente !

 

Mahmoud Darwich

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Il répandit l’intensité de son amour en se répandant lui-même comme de l’eau… (5)

6 Juin 2020, 07:33am

Publié par Grégoire.

Il répandit l’intensité de son amour en se répandant lui-même comme de l’eau… (5)

 

Jésus dit : « C’est achevé » et inclinant la tête, il remit l’Esprit.

 

Jésus, Dieu dans notre chair, est l'Agneau du Père. Il est vers le Père en choisissant d'être dans l'état d'une victime offerte. Il épouse et 'devient' nos violences et nos misères, pour nous donner son Esprit-Amour. Et c’est Son corps, répandu en pure perte « comme l’eau qui s’écoule » qui nous le donne à vivre.

 

Ainsi, lorsqu’on donne à Jésus de nous prendre là où ça fait mal, alors l’Esprit-Amour coule en nous, s’appropriant nos misères, nos pauvretés, nos blessures. Ce qui à nos yeux humains est un échec, devient, par lui, acte d’amour.

 

L'Esprit-Saint utilise tout en nous pour nous mettre en état de totale offrande gratuite, seule attitude vraie de la créature vers son Père ! Un état de totale gratuité et pauvreté puisqu’alors de nos actes il n’y a pas de récupération possible : ils sont perdus, répandus en pure perte ! « Perdre sa vie » : choisir qu’il s’en serve comme il le veut, sans pouvoir l’utiliser pour faire du bien comme on l’aurait voulu.

 

N’est-ce pas cela qui doit être vécu dans nos liens humains, nos relations hommes-femmes, trop empreints de dialectique de pouvoirs, d’efficacité revendicatrice, de fausses séductions ? N’est-ce pas cela que Jésus veut en commandant à Marie et Jean : « voici ton fils ! Voici ta mère ! »

 

Est-ce parce que notre manière de vivre de Dieu est autre comme homme et femme, que même Marie a besoin de Jean pour vivre jusqu’au bout de Jésus et être prise par l’Esprit-Paraclet ?

 

Car Dieu est venu se dire dans la chair, et dans une chair lacérée, réduit à l’état de loque : il est à la croix un homme charnellement anéanti. C’est là l’ultime révélation : Sa chair. La chair est à la croix devenue le Verbe. Et Jésus insiste presque péniblement en nous donnant sa chair à manger, et son sang à boire. 

 

Ce don de Marie à Jean, il en annonce quelque chose avec les femmes qu'il rencontre. Liens personnels pratiquement intimes, et impliquant des gestes : avec cette femme samaritaine à laquelle Jésus demande immédiatement « donne-moi à boire ». Avec la femme adultère devant laquelle il s’abaisse et écris sur le sol pour préserver quelque chose de personnel sans l’écraser alors qu’elle était accusée. Ou encore avec Marie sœur de Lazare à laquelle il lui laisse verser du parfum sur ses pieds et les essuyer avec ses cheveux, geste intime réalisé publiquement. 

 

Tous ces liens réalisent une certaine intimité à la différence de ceux avec les hommes, rejoint eux dans leurs peurs. Parce que Jésus descend précisément à l’endroit des fragilités, des blessures ; non pour les guérir mais pour y établir une nouvelle alliance, son alliance.

 

Les guérir serait nous faire revenir à l’ancienne alliance, celle de la justice des origines. Mais Jésus ne rétablie rien du tout. Il se sert de ce qui en nous est blessé, notre cœur, pour nous faire vivre de ce qui l’anime lui.

 

Dans l’ancienne alliance, il y a quelque chose de la sagesse de Dieu spécialement confié à l’homme, et autre chose confié à la femme. Confié dans le sens ou chacun est gardien d’un secret à vivre mais qu’il ne peut vivre entièrement sans l’autre.

 

Pour l’homme c’est le jardin et la responsabilité à l’égard de tout ce qui est dans le jardin, dans une coopération avec Dieu dans l’ordre du bien et du mal. Non pour infantiliser l’homme, mais lui demander de ne pas décider de ce qui est bon pour lui sans Dieu, parce que ce qui est bon pour lui l’excède ! « Ton vrai bonheur ? Il excède ton horizon. Si tu veux un bonheur à ta mesure, tu l’auras mais dans l’amertume puisque ton désir ne sera pas comblé. Je t’ai fait pour un bonheur plus large que ton horizon » La vocation de l’homme c’est d’avoir comme horizon du bien Dieu lui-même, et non ce qui lui est accessible.

 

L’homme existe de cette manière unique : comme gardien de ce que l’horizon de l’existence humaine transcende ce qui est en son pouvoir. Et la femme apparait comme prémisse de ce bonheur, excédant tout ce que l’homme peut faire de génial. Il peut tout sauf faire celle qui vient d’en haut et qui est en même temps, comme l’homme le chante, « l’os de mes os, chair de ma chair ». Elle est le lieu de l’apprentissage, de l’émerveillement et du commencement de ce que Dieu leur prépare ultimement.

 

Et malgré cela, depuis la chute, nous passons notre temps a tenter d’organiser notre bonheur provisoire selon ce que nous avons compris de notre pouvoir. Comme si ce pour quoi nous existons était au bout de nos capacités d’inventions génialement organisés.

 

Ce qui est étonnant, c’est que la femme n’est pas là quand Dieu confie cette responsabilité à l’homme de ce pour quoi il existe. La femme est ainsi comme la réponse à une question qu’elle ignore. Cette question que l’homme doit garder vivante : où est mon bien ? Où est le lieu qui me permettra de commencer sur terre ce à quoi je suis appelé, et qui me permettra d’aller au bout de ma vocation ? Et la femme, dans le 2e récit de la genèse, est ainsi ignorante de sa grandeur à elle. Elle ne peut se comprendre que dans le regard que l’homme à sur elle. Et c’est bizarrement non réciproque, puisque la femme n’a pas attendu l'homme.

 

Or cette dissymétrie entre ce qui est confié à l’homme et la possibilité de réalisation qui passe par la femme s’avère éprouvant : l’homme voudrait avoir une maitrise du bien qu’est la femme, et la femme aimerait bien savoir quelle est la clé de cette chose assez invivable qu’est la relation entre elle et l’homme. Pourquoi est-ce assez invivable ? Et pourquoi est-ce que à la fin on ne comprend pas ?

 

Un homme peut accepter de ne pas comprendre pourvu qu’il soit comblé selon la manière dont il a envie. Pour une femme, elle ne sera jamais comblée tant qu’elle n’a pas compris pourquoi. Or, la femme n’a pas accès au pourquoi sans passer par l’homme. L’homme a reçu cette grâce d’être, non le propriétaire, mais le passeur du pourquoi des choses ; lumière qu’il ne peut dévoiler qu’en connaissant celle qui lui est donnée, comme surabondance, comme don complètement gratuit, comme marque d’amour de Dieu. Et qui vient lui permettre d’atteindre dans sa vocation ce qu’il ne peut achever seul.

 

à suivre… 

Grégoire +

 

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Cette présence dans le fond sans fond du cœur

5 Juin 2020, 11:26am

Publié par Grégoire.

Cette présence dans le fond sans fond du cœur

Je suis un jour entré dans un lien où chaque parole de l'un était recueillie sans faute par l'autre. Il en allait de même pour chaque silence. Ce n'était pas cette fusion que connaissent les amants à leurs débuts et qui est un état irréel et destructeur.Il y avait dans l'amplitude de ce lien quelque chose de musical et nous y étions tout à la fois ensemble et séparés, comme les deux ailes diaphanes d'une libellule.

Pour avoir connu cette plénitude, je sais que l'amour n'a rien à voir avec la sentimentalité qui traîne dans les chansons et qu'il n'est pas non plus dans la sexualité dont le monde fait sa marchandise première _ celle qui permet de vendre toutes les autres. L'amour est le miracle d'être entendu un jour jusque dans nos silences, et d'entendre en retour avec la même délicatesse : la vie à l'état pur, aussi fine que l'air qui soutient les ailes des libellules et se réjouit de leur danse.

Pour être dans une solitude absolue il faut aimer d'un amour absolu. La plupart des écrivains mentent là-dessus. Ils font comme s'il n'y avait personne dans la pièce à côté, dans le fond sans fond de leur cœur. Ce n'est pas vrai. Ce n'est jamais vrai. Je ne dis pas qu'il s'agit nécessairement d'une présence visible, consciente. Peut-être même est-elle toujours plus profonde que tout visage connu, nommé. Mais il y a toujours quelqu'un aux côtés du solitaire, une présence sur laquelle il appuie en secret chacune de ses phrases, une lumière unique et nécessaire.

La solitude nous amène vers la plus simple lumière: nous ne connaîtrons jamais d'autre perfection que celle du manque. Nous n'éprouverons jamais d'autre plénitude que celle du vide, et l'amour qui nous dépouille de tout est celui qui nous prodigue le plus.

Christian Bobin

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Ne parlons jamais de ce qui est le plus précieux : on nous le volerait, ou cela mourrait d'être dit

4 Juin 2020, 14:27pm

Publié par Grégoire.

Ne parlons jamais de ce qui est le plus précieux : on nous le volerait, ou cela mourrait d'être dit

La solitude est plus une grâce qu’une malédiction. Bien que beaucoup la vivent autrement. Il y a deux solitudes. Une mauvaise solitude. Une solitude noire, pesante. Une solitude d’abandon, où vous vous découvrez abandonné… peut-être depuis toujours. Cette solitude-là n’est pas celle dont je parle. Ce n’est pas celle que j’habite, et ce n’est pas dans celle-là que j’aime aller, même s’il m’est arrivé comme tout un chacun de la connaître. C’est l’autre solitude que j’aime. C’est l’autre solitude que je fréquente, et c’est de cette autre dont je parle presque en amoureux.

Il y a un bon silence, c’est celui de la neige, c’est celui d’une bougie, d’un poème; et il y a un mauvais silence, c’est celui qui laisse fleurir une blessure depuis longtemps faite, et qui la laisse croitre. Nous connaissons tous des heures où rien ne nous parle plus, où les paroles saintes arrivent essoufflées devant notre maison, meurent sur le seuil. Acédie : c'est ainsi que les moines nomment ce tremblement du coeur lassé de méditer. Un gant retourné, une gifle des enfers : l'acédie. Assez dit. Les livres de poésie sont les plus résistants, sans doute parce que la vraie poésie a déjà fait l'épreuve de l'acédie. Un grand poème, pour l'écrire, son auteur va le chercher aux enfers. Celui qui remonte de l'abîme, on ne peut que le croire. Il sait que Dieu se moque de nos accroche-coeurs, qu'il n'est ni ceci, ni cela, qu'il n'est rien et que ce rien seul a la puissance de nous sauver. 

Un matin d'acédie, j'ai fait une partie de billard, j'adore cette petite misère, ce goût enfantin pour le jeu et Dieu était de retour à la maison, ce dieu dont la racine la plus profonde est l'amour du temps perdu à rire et jouer comme des enfants. La sainte rivière des jours très ordinaires transporte toutes sortes de bois mort -mais de si belles lumières parfois. L'acédie n'est qu'une grosse mouche bleue. Il suffit d'ouvrir la fenêtre pour qu'elle s'en aille.

Christian Bobin

 

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Il répandit l’intensité de son amour en se répandant lui-même comme de l’eau… (4)

1 Juin 2020, 14:50pm

Publié par Grégoire.

 Il répandit l’intensité de son amour en se répandant lui-même comme de l’eau… (4)

 

Jésus dit : « C’est achevé » et inclinant la tête, il remit l’Esprit.

 

L’Esprit-Amour est Celui qui nous fait aimer, devenir Amour ! C’est ce que Jésus commande en apparaissant à ses disciples : « Recevez l’Esprit-Saint », c’est à dire « devenez Esprit-Saint, buvez cette parole que je vous dit, venez vous plonger dans mon désir sur vous pour devenir mon Esprit-Amour, mon coeur. C’est ce que moi je veux faire de vous »

Devenir Esprit-Saint, source d’amour, c’est pour nous accepter de pâtir, d’accepter d’être rendu relatif, pure réceptivité, agneau, victime offerte, cri de soif, blessure inutile : témoins de Jésus offert à la Croix. Puisqu’à la Croix il se sert et assume toute la violence humaine, la trahison fraternelle, la jalousie religieuse, la lâcheté politique, pour, avec ça, nous dire ce qu’il est : celui qui se reçoit du Père. C’est ce que Jésus demandait dans le « Père glorifie ton Fils ». Il demandait :  « redis-moi ce que je suis pour toi : ton unique engendré » Et Il lui demande de nous le faire connaitre pour nous le donner à vivre.

« Recevez l’Esprit-Saint » c’est donc pour Lui faire de ceux qui lui sont le plus cher des agneaux, des petites hosties, des offrandes d’amour gratuite, des donnés au Père pour tout recevoir de lui

L’amour nous dépossède de nous-mêmes, de nos attributs, de nos qualités, de nos avoirs, de nos statuts, de nos rôles aussi spirituels soient-ils. Il est comme une intrusion, une prise de possession en nous de Celui qui nous attire, mais sans rien pouvoir  posséder de l’autre. Il est ce poids en nous qui nous incline vers l’aimé, mais sans pouvoir mettre la main sur celui qui nous attire. Le jour où l’autre devient notre avoir, notre propriété, l’amour se tarit et meurt étouffé. L’amour est attraction, repos dans un autre sans possession.

 

C’est en cela qu’aimer est toujours de trop pour nous. La générosité, le service, le don de soi, ça va encore puisqu’on fait quelque chose, donc on s’y retrouve. Mais pour ce qui est de l’Amour, honnêtement, parce qu’on tous des incompétents notoire, on n’aime pas ! « L’Amour n’est pas aimé » pleurait la nuit François d’Assise ! Parce qu’aimer réclame un tel état de pauvreté, de n’avoir aucun droit, de ne rien réclamer pour qu’il demeure lui-même, que peu accepte le dépouillement qu’il réclame. 

 

N’est-ce pas pour cela que Jésus réalise, ou plutôt commande, au sommet de la lutte, ce nouveau lien fraternel pour que nous puissions recevoir jusqu’au bout Celui qui se donne à aimer et qui veut nous co-naturaliser à lui : « voici ta mère, voici ton fils… » 

Ne faut-il pas s’interroger sur nos refus de ces liens qui nous obligent à une nouvelle dépendance, apparemment anodine, même peut-être apparement trop sensible que Jésus veut, pour  nous conduire à cette oblation de nous-même qu’il veut réaliser ? 

Cela commence à Cana, avec cette attention complètement incongru et pourtant réclamé par Marie : « ils n’ont plus de vin »… L’opposition entre le sensible et l’Esprit n’est-elle pas l’oeuvre de L’Esprit-mensongé, jaloux de l’alliance que le Père a voulu ? Dans l’Eucharistie déjà, n’avons nous pas un signe de cette alliance extrême que Dieu fait entre Lui dans ce qu’il a de plus intime et d’une matière somme toute banale ? Si nous refusons cette alliance, n’est-ce pas parce que l’amour inscrit un état de dépendance à un autre qui apparemment n’apporte aucune solution pratique, et qui s’il est vécu jusqu’au bout réclame d’être choisi comme étant de l’ordre de la survie ? Cela se voit pour l’embryon, ou tout vivant vis à vis de la nourriture et que Jésus explicite en disant : « sans moi vous ne pouvez rien faire »

 

C’est cet Esprit-Amour que Jésus vit et manifeste à la Croix dans sa chair. Il vient à la Croix nous donné à connaitre, et à vivre, ce qu’il y a de plus intime en Dieu : le secret de Dieu, ce qui noue le Père et le Fils, la Source et l’Engendré, cet amour réciproque, attraction et repos, principe et achèvement.

Cet Esprit-Amour est donc donné à vivre spécialement dans nos luttes, nos misères, nos croix. Quand on est sans force, sans éclat, jugé, meurtri, misérable, inutilisable, alors il est celui qui se répand, coule en nous, donnant une nouvelle signification à nos misères, à nos pauvretés, à nos blessures. Ce qui à nos yeux humains est un échec, devient, par lui, offrande de nous-même, don, acte d’amour. 

On comprend alors ce leitmotiv de Jean, son « magnificat »  face à Jésus mort, l’Agneau comme égorgé dans l’Apocalypse, blessé jusque dans son cadavre : Jean écrit « ils regarderont celui qu’ils ont transpercés ». C’est vrai pour Jésus : ses blessures, les violences qu’il a subit deviennent le lieu de la révélation et du don de l’Esprit-Amour, l’Esprit Paraclet. Ce qui était l’effet de la violence humaine devient état de don, d’amour. 

 

Et bien si c’est vrai pour lui, c’est vrai aussi pour nous ! La révélation n’est pas une vitrine ! Il nous faut donc nous regarder nous-même comme « le transpercé », puisque nos fragilités, nos misères, nos fautes deviennent lieu de don, d’amour, de révélation, d’où coule des fleuves d’eau vive si nous le voulons. C’est ce que crie Jésus dans le temple : « Celui qui croit en moi, qu’il vienne à moi et qu’il boive. (Car alors) de son sein couleront des fleuves d’eau-vive »

Cela c’est vrai pour chacun de nous. C’est ainsi que le Père veut que l’on se regarde. Ce qui fait dire à St Thomas que l’Esprit Saint n’aime que ceux qui aiment ! et surtout, qui s’aiment dans la lumière du Paraclet ! C’est à dire accepter la manière dont le Père fait de nous des dons, fait de nos vies une offrande, un parfum répandu en pure perte !

On reste souvent à un regard matériel, un regard de justice sur nos misères, c’est à dire selon le résultat, avec des grands « ah c’est pas bien ». Et en restant à un jugement selon le résultat nécessairement on se durcit, on se juge, on cherche à tout corriger par soi. 

Ou alors, on peut entrer dans le regard du Père qui transforme nos misères, nos pauvretés, en un état d’offrande. Alors on se liquéfie, on devient tendre pour soi-même et pour nos frères. C’est cela l’Esprit-Paraclet. C’est cela aimer selon le coeur du Père : le laisser se servir de tout en nous, absolument tout, pour en faire le lieu de son secret le plus intime, en usant de nos misères comme ce qui nous met en état de réceptivité et de don, de cri vers lui, d’attente et d’offrande gratuite.

 

C’est ainsi que le Père veut faire de nous des sources, que nous ne devenions qu’amour, sans mesure, sans limite, sans prudence aucune « La mesure de l’amour c’est d’aimer sans mesure » prêchait St Bernard.

 

En cela l’Esprit de Feu est le Père des pauvres : en nous attirant, Il utilise tout en nous pour nous mettre en état de totale gratuité, d’excessive gratuité, d’extrême gratuité ! Et donc de pauvreté puisque tout nos actes sont sans attente de gain ou d’intérêt, sans attente de retour sur investissement, sans aucun droits dessus : ils sont perdus, répandus en pure perte ! C’est cela « perdre » sa vie pour lui, en choisissant qu’il s’en serve comme il l’a voulu, sans pouvoir l’utiliser pour faire du bien comme on l’aurait souhaité.

 

Et ça c’est, Jésus Agneau, répandu en pure perte, qui est à la Croix « comme l’eau qui s’écoule », comme un parfum répandu et irrécupérable, livré pour nous, parce que c’est nous.

 

à suivre …

Grégoire +

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