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QUE CHERCHEZ-VOUS ?

poesie

Les vivants absolus

2 Janvier 2018, 03:08am

Publié par Grégoire.

Les vivants absolus

Vite, j'allume une bougie pour toi dans le jour pluvieux. Vite parce que tu es morte en 1886 et que les morts se déplacent à la vitesse de la lumière. J'ai un peu de retard sur toi, Emily. Emily Dickinson, mademoiselle nerfs d'acier, coeur d'ambre avec un ange pris dans la résine. La droiture de la flamme, le bloc intraitable de la cire avec sa base de ténèbres : pas de doute, cette bougie brille dans ta chambre à Amherst en même temps que dans le salon ici, dans la forêt. Mais comme tu es rapide. Les chevaux noirs de tes poèmes, à peine on les regarde, ils se cabrent, ruent, s'enfuient. Pourquoi je t'écris : parce que tu m'as cassé le coeur - comme une petite fille saisie par l'orage brise net le jouet d'un petit garçon, exactement comme ça. Je lisais un long poème méconnu de toi. Et à force de peser sur lui, de le mâcher et remâcher en son anglais et dans ses diverses traductions, comme ce jus guérisseur que les dents indiennes arrachent aux herbes - je t'ai vue. Aussi présente que cette bougie. Aussi folle de clarté. Ce qu'il montrait, ce poème : toi. Toi allongée sur un lit, avec les astres de tes morts tournant autour de ton âme. Emily.

Il faut tellement de silence pour être vivant, une puissance presque inhumaine de refus. Les peuples ont leurs diables et leurs anges. Ils ont aussi leurs poètes qui sont un peu des deux. À toi seule, tu sauves toute l'Amérique. Ce que tu découvres est si pur que tu dois à chaque seconde le taire. Les plus sensibles perdront toujours, mais quelle gloire leur défaite. Les roses par monceaux les acclament. L'air se souvient d'eux, pas du nom des vainqueurs. Emily, si adorablement violente. Malade, sans doute. Hystérique, sûrement. Sainte, peut-être. Mais quel joyau en robe blanche, ce corps qui vieillit à Amherst, ta manière de passer la vie comme une fleur, plantée dans ton enfance, la terre de tes terreurs, indéracinable. Les anges t'ont élue plus belle fleur d'Amérique. Tu craignais de mourir, tu avais hâte de mourir, tu pressais le raisin du langage, tu regardais couler le long de tes doigts ce vin de vigueur, les mots de la hache et du tendre. La bougie cligne de l'oeil à ton corps allongé dans le sous-bois du salon. Une bougie fait ton âme. Les pauvres dans la rue ont une main longue de dix kilomètres, qui vous décapite. Mais dans leurs yeux tu as ta chambre, un je-ne-sais-quoi de vivace, brillant mille fois plus que toutes les preuves du désastre. Emily, c'est péché d'écrire aussi vrai. Avant de sortir, je soufflerai sur la bougie mais je sais que tu resteras là, à m'attendre. D'ailleurs tu es partout. Nous sommes entourés de vivants absolus. Nous ne les voyons pas. Les autres, ceux que nous voyons, ce sont ceux qui croient vivre. 

Par la porte ouverte de la grange, deux hirondelles jouent à Pearl Harbor. 

Tu as raison : ne parlons jamais de ce qui est le plus précieux. On nous le volerait, ou cela mourrait d'être dit. 

Christian Bobin.

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Cet enfant-là, donné, c'est ce que l'on attend toute la vie...

27 Décembre 2017, 04:37am

Publié par Grégoire.

Cet enfant-là, donné, c'est ce que l'on attend toute la vie...

Il marche. Sans arrêt il marche. Il va ici et puis là. Il passe sa vie sur quelque soixante kilomètres de long, trente de large. Et il marche. Sans arrêt. On dirait que le repos lui est interdit. Ce qu’on sait de lui, on le tient d’un livre.

Avec l’oreille un peu plus fine, nous pourrions nous passer de ce livre et recevoir de ses nouvelles en écoutant le chant des particules de sable, soulevées par ses pieds nus.

Rien ne se remet de son passage et son passage n’en finit pas. Ils sont d’abord quatre à écrire sur lui. Ils ont, quand ils écrivent, soixante ans de retard sur l’événement de son passage. Soixante ans au moins. Nous en avons beaucoup plus, deux mille.

Tout ce qui peut être dit sur cet homme est en retard sur lui. Il garde une foulée d’avance et sa parole est comme lui, sans cesse en mouvement, sans fin dans le mouvement de tout donner d’elle-même. Deux mille ans après lui, c’est comme soixante. Il vient de passer et les jardins d’Israël frémissent encore de son passage, comme après une bombe, les ondes brûlantes d’un souffle. Il va tête nue. La mort, le vent, l’injure, il reçoit tout de face, sans jamais ralentir son pas.

A croire que ce qui le tourmente n’est rien en regard de ce qu’il espère.

A croire que la mort n’est guère plus qu’un vent de sable.

A croire que vivre est comme il marche... sans fin

L’humain est ce qui va ainsi, tête nue, dans la recherche jamais interrompue de ce qui est plus grand que soi. Et le premier venu est plus grand que nous: c’est une des choses que dit cet homme. C’est l’unique chose qu’il cherche à nous faire entrer dans nos têtes lourdes. Le premier venu est plus grand que nous : il faut détacher chaque mot de cette phrase et le mâcher, le remâcher. La vérité, ça se mange. Voir l’autre dans sa noblesse de solitude, dans la beauté perdue de ses jours. Le regarder dans le mouvement de venir, dans la confiance à cette venue. C’est ce qu’il s’épuise à nous dire, l’homme qui marche: ne me regardez pas, moi. Regardez le premier venu et ça suffira, et ça devrait suffire. Il va droit à la porte de l’humain. Il attend que cette porte s’ouvre. La porte de l’humain, c’est le visage. Voir face à face, seul à seul, un à un.

Dans les camps de concentration, les nazis interdisaient aux déportés de les regarder dans les yeux sous peine de mort immédiate. Celui dont je n’accueille plus le visage---et pour l’accueillir, il faut que je lave mon propre visage---celui-là, je le vide de son humanité et je m’en vide moi-même. Il est juif par sa mère, juif par son père, éternellement juif par cette façon d’aller partout sans trouver nulle part un abri, merveilleusement juif par son amour enfantin des devinettes---comme l’oiseau qui interroge par son chant et reçoit pour toute réponse une pierre et chante encore, même mort chante, encore, encore, encore, bien après que la pierre qui l’a tué est redevenue friable, poussière, silence, moins que silence, rien, et toujours cette vibration du chant pur dans le rien manifesté du monde. 

La mort est économe, la vie est dépensière. Il ne parle que de la vie, avec ses mots à elle: il saisit des morceaux de la terre, les assemble dans sa parole, et c’est le ciel qui apparaît, un ciel avec des arbres qui volent, des agneaux qui dansent et des poissons qui brûlent, un ciel infréquentable, peuplé de prostituées, de fous et de noceurs, d’enfants qui éclatent de rire et de femmes qui ne rentrent plus à la maison, tellement de monde oublié par le monde et fêté là, tout de suite, maintenant, sur la terre autant qu’au ciel.

C’est une pesanteur des sociétés marchandes et toutes les sociétés sont marchandes, toutes ont quelque chose à vendre que de penser les gens comme des choses, que de distinguer les choses suivant leur rareté, et les hommes suivant leur puissance. Lui, il a ce coeur d’enfant de ne rien savoir des distinctions. Le vertueux et le voyou, le mendiant et le prince, il s’adresse à tous de la même voix limpide, comme s’il n’y avait ni vertueux, ni voyou, ni mendiant, ni prince, mais seulement, à chaque fois, deux vivants face à face, et la parole dans le milieu des deux, qui va, qui vient.

Ce qu’il dit est éclairé par des verbes pauvres; prenez, écoutez, venez, partez, recevez, allez. Il ne parle pas pour attirer sur lui une poussière d’amour. Ce qu’il veut, ce n’est pas pour lui qu’il le veut. Ce qu’il veut, c’est que nous nous supportions de vivre ensemble. Il ne dit pas: aimez-moi. Il dit: aimez-vous. Il y a un abîme entre ces deux paroles. Il est d’un côté de l’abîme et nous restons de l’autre. C’est peut-être le seul homme qui ait jamais vraiment parlé, brisé les liens de la parole et de la séduction, de l’amour et de la plainte. C'est un homme qui va de la louange à la désaffection et de la désaffection à la mort, toujours allant, toujours marchant. Il ne fait pas de l’indifférence une vertu.

Christian Bobin

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Les babioles

26 Décembre 2017, 05:02am

Publié par Grégoire.

Les babioles

Les babioles

Mon petit garçon avec ses yeux pensifs

ses gestes et ses mots tranquilles de grande personne 

m’a désobéi pour la septième fois, 

et je l’ai frappé, je l’ai renvoyé

durement sans l’embrasser, 

car sa mère qui était patiente est morte.

Puis j’ai eu peur que le chagrin l’empêche de dormir 

et j’ai été le voir dans son lit, 

mais il était dans un profond sommeil 

paupières battues et cils encore mouillés 

de son dernier sanglot.

Alors, ému, je l’ai embrassé 

et mes larmes remplaçaient les siennes, 

car sur une table tirée à son chevet 

il avait mis à portée de sa main

une boîte de jetons et une pierre veinée de rouge, 

un bout de verre usé par la plage

et six ou sept coquillages, 

une bouteille avec des campanules, 

et deux sous français, le tout rangé avec soin 

pour consoler son pauvre cœur. 

Et ce soir-là, dans ma prière, 

j’ai pleuré, j’ai dit à Dieu :

Ah, quand à la fin nous serons couchés sans un souffle 

et que, morts, nous ne te blesserons plus,

tu te rappelleras de quelles babioles 

nous avons fait nos joies 

et comme nous avons peu compris 

ta grande loi de bonté. 

Alors tu ne seras pas moins père 

que moi dont tu as pétri l’argile, 

tu laisseras ta colère, tu diras : 

Voyons, ce sont des enfants.

 

Coventry PATMORE.

Recueilli dans Dieu en poésie, Présentation de Jean Grosjean,

Gallimard, Folio junior, 1984.

 

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Noël, c'est Dieu qui vient nous rendre la vie impossible...

25 Décembre 2017, 00:37am

Publié par Grégoire.

Noël, c'est Dieu qui vient nous rendre la vie impossible...

"J'éprouve de la méfiance vis-à-vis d'un imaginaire un peu trop chaleureux, romantique, "sucré". Noël n'est pas une jolie histoire, un joli rêve.

A Noël, je vois venir à ma rencontre un nouveau-né qui, déjà, est mon maître. Un enfant qui va me donner à manger comme on donne à manger à un nourrisson. Un enfant qui va m'apprendre des vérités élémentaires et pourtant tellement essentielles.

Il va m'apprendre que d'un côté il y a les stratégies, les calculs, la force la puissance, l'argent, la jalousie. Et que, de l'autre, il y a l'attention à l'autre, l'oubli de soi, le don, l'ouverture, la bonté.

A Noël arrive un enfant qui va nous rendre la vie impossible, mais sans cet impossible, il n'y a rien."

Christian Bobin. croire.com

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Il n'y a rien de nécessaire sauf d'être là, à chaque instant, de plus en plus...

23 Décembre 2017, 04:43am

Publié par Grégoire.

Il n'y a rien de nécessaire sauf d'être là, à chaque instant, de plus en plus...

" J’ai connu la sensation d'une bienveillance tramée dans le tissu parfois déchiré du quotidien Cette sensation n'a jamais cessé de courir par-dessous les fatigues les lassitudes et même les désespérances Je tourne autour d'un mot : la bonté c'est la bonté qui me stupéfie dans cette vie elle est tellement plus singulière que le mal..."

"...La consolation c’est quelqu’un, quelqu’un qui prend un peu de feu du langage et qui nous le jette à la figure, comme un coup de canon, et qui nous arrache à cet empêchement de connaitre, qui nous sauve de l’illusion de trop connaitre, et qui nous déchire ce voile sur le réel et qui nous donne de recevoir : un chose ténue et délicate, comme le baiser d’une lumière sur notre cœur gris...  La vie à l’état pur aussi fine que l’air qui soutient les ailes des libellules et se réjouit de leur danse... 

La vie à l’état pur, telle qu’elle est en elle-même : oisive et patiente, abondante et mortelle, qui nous invite à être comme la terre nue, oublieuse d’elle-même, faisant même accueil à la pluie qui la bat et au soleil qui la réchauffe. 

Il n’y a rien de nécessaire sauf d’être là, à chaque instant, de plus en plus. "

Christian Bobin, extrait du minuscule et de l'imprévisible. 

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L'absence d'un mort nous inonde de sa présence

17 Décembre 2017, 05:34am

Publié par Grégoire.

L'absence d'un mort nous inonde de sa présence

"Je ne parviens pas à toucher la pierre noire du silence, celle qui est au centre du langage, autour de laquelle pèlerinent mes phrases comme des anges aux ailes rouges. Ce que je veux te dire sans cesse se dérobe. Je le frôle lorsque je parle de ton sourire et de sa bienveillance native.

Il n'y a dans la vie que quatre ou cinq événements fondateurs, quatre ou cinq jaillissements de l'absolu. Ton sourire est un de ces événements qui enflamment la nuit où je m'en vais confiant.

Ton sourire comme le duvet d'un nid abandonné accroche la lumière éternelle."

Carnet du soleil 

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L’amour d’un être humain pour un autre, c’est peut-être l’épreuve la plus difficile pour chacun de nous.

13 Décembre 2017, 05:40am

Publié par Grégoire.

L’amour d’un être humain pour un autre, c’est peut-être l’épreuve la plus difficile pour chacun de nous.

14 mai 1904

Mon cher Monsieur Kappus,

Un long temps s’est écoulé depuis votre dernière lettre. Ne m’en veuillez pas. Travail, soucis quotidiens, malaises m’ont empêché de vous écrire. Et je tenais à ce que ma réponse vous vînt de jours calmes et bons. (L’avant-printemps, avec ses vilaines sautes d’humeur, a été ici fortement ressenti.) Aujourd’hui je me sens un peu mieux et je viens, cher monsieur Kappus, vous saluer et vous dire de mon mieux (je le fais de tout cœur) diverses choses à propos de votre dernière lettre.

Vous voyez, j’ai copié votre sonnet parce que je l’ai trouvé beau et simple, et né dans une forme qui lui permet de se mouvoir avec une calme décence. De tous les vers que j’ai lus de vous ce sont les meilleurs. Je vous offre cette copie, sachant combien il est important et plein d’enseignements de retrouver son propre travail dans une écriture étrangère. Lisez ces vers comme s’ils étaient d’un autre, et vous sentirez tout au fond de vous-même combien ils sont à vous. […]

Ne vous laissez pas troubler dans votre solitude parce que vous sentez en vous des velléités d’en sortir. Ces tentations doivent même vous aider si vous les utilisez dans le calme et la réflexion, comme un instrument pour étendre votre solitude à un pays plus riche encore et plus vaste. Les hommes ont pour toutes les choses des solutions faciles (conventionnelles), les plus faciles des solutions faciles. Il est pourtant clair que nous devons nous tenir au difficile. Tout ce qui vit s’y tient. Chaque être se développe et se défend selon son mode et tire de lui-même cette forme unique qui est son propre, à tout prix et contre tout obstacle. Nous savons peu de choses, mais qu’il faille nous tenir au difficile, c’est là une certitude qui ne doit pas nous quitter. Il est bon d’être seul parce que la solitude est difficile. Qu’une chose soit difficile doit nous être une raison de plus de nous y tenir.

Il est bon aussi d’aimer ; car l’amour est difficile. L’amour d’un être humain pour un autre, c’est peut-être l’épreuve la plus difficile pour chacun de nous, c’est le plus haut témoignage de nous-même ; l’œuvre suprême dont toutes les autres ne sont que les préparations. C’est pour cela que les êtres jeunes, neufs en toutes choses, ne savent pas encore aimer ; ils doivent apprendre. De toutes les forces de leur être, concentrées dans leur cœur qui bat anxieux et solitaire, ils apprennent à aimer. Tout apprentissage est un temps de clôture. Ainsi pour celui qui aime, l’amour n’est longtemps, et jusqu’au large de la vie, que solitude, solitude toujours plus intense et plus profonde. L’amour ce n’est pas dès l’abord se donner, s’unir à un autre. (Que serait l’union de deux êtres encore imprécis, inachevés, dépendants ?) L’amour, c’est l’occasion unique de mûrir, de prendre forme, de devenir soi-même un monde pour l’amour de l’être aimé. C’est une haute exigence, une ambition sans limite, qui fait de celui qui aime un élu qu’appelle le large. Dans l’amour, quand il se présente, ce n’est que l’obligation de travailler à eux-mêmes que les êtres jeunes devraient voir (zu horchen und zu hämmern Tag und Nacht). Se perdre dans un autre, se donner à un autre, toutes les façons de s’unir ne sont pas encore pour eux. Il leur faut d’abord thésauriser longtemps, accumuler beaucoup. Le don de soi- même est un achèvement : l’homme en est peut- être encore incapable.

Là est l’erreur si fréquente et si grave des jeunes. Ils se précipitent l’un vers l’autre, quand l’amour fond sur eux, car il est dans leur nature de ne pas savoir attendre. Ils se déversent, alors que leur âme n’est qu’ébauche, trouble et désordre. Mais quoi ? Que peut faire la vie de cet enchevêtrement de matériaux gâchés qu’ils appellent leur union et qu’ils voudraient même appeler leur bonheur ? – Et quel lendemain ? Chacun se perd lui-même pour l’amour de l’autre, et perd l’autre aussi et tous ceux qui auraient pu venir encore. Et chacun perd le sens du large et les moyens de le gagner, chacun échange les va-et-vient des choses du silence, pleins de promesses, contre un désarroi stérile d’où ne peuvent sortir que dégoût, pauvreté, désillusion. Il ne lui reste plus qu’à trouver un refuge dans une de ces multiples conventions qui s’élèvent partout comme des abris le long d’un chemin périlleux. Nulle région humaine n’est aussi riche de conventions que celle-là. Canots, bouées, ceintures de sauvetage, la société offre là tous les moyens d’échapper. Enclins à ne voir dans l’amour qu’un plaisir, les hommes l’ont rendu d’accès facile, bon marché, sans risques, comme un plaisir de foire. Combien d’êtres jeunes ne savent pas aimer, combien se bornent à se livrer comme on le fait couramment (bien sûr, la moyenne en restera toujours là) et qui ploient sous leur erreur ! Ils cherchent par leurs propres moyens à rendre vivable et fécond l’état dans lequel ils sont tombés. Leur nature leur dit bien que les choses de l’amour, moins encore que d’autres, importantes aussi, ne peuvent être résolues suivant tel ou tel principe, valant dans tous les cas. Ils sentent bien que c’est là une question qui se pose d’être à être, et qu’il y faut, pour chaque cas, une réponse unique, étroitement personnelle. Mais comment, s’ils se sont déjà confondus, dans la précipitation de leur étreinte, s’ils ont perdu ce qui leur est propre, trouveraient-ils en eux-mêmes un chemin pour échapper à cet abîme où a sombré leur solitude ?

Ils agissent à l’aveugle l’un et l’autre. Ils usent leur meilleur vouloir à se passer de conventions comme le mariage, pour tomber dans des conventions moins voyantes certes, mais tout autant mortelles. C’est qu’il n’est, à leur portée, que des conventions. Tout ce qui vient de ces unions troubles, qui doivent leur confusion à la hâte, ne peut être que convention. Les rapports qui naissent de telles erreurs portent un compromis en eux-mêmes, même s’il est en dehors des usages (en langage courant : immoral). La rupture même serait un geste conventionnel, impersonnel, fortuit, débile et inefficace. Pas plus que dans la mort qui est difficile, dans l’amour, lui aussi difficile, celui qui va gravement n’aura l’aide d’aucune lumière, d’aucune réponse déjà faite, d’aucun chemin tracé d’avance. Pas plus pour l’un que pour l’autre de ces devoirs que nous portons, cachés en nous-mêmes, et que nous transmettons à ceux qui nous suivent sans les avoir éclaircis, on ne peut donner de règles générales. Dans la mesure où nous sommes seuls, l’amour et la mort se rapprochent. Les exigences de cette redoutable entreprise qu’est l’amour traversant notre vie ne sont pas à la mesure de cette vie, et nous ne sommes pas de taille à y répondre dès nos premiers pas. Mais si, à force de constance, nous acceptons de subir l’amour comme un dur apprentissage, au lieu de nous perdre aux jeux faciles et frivoles qui permettent aux hommes de se dérober à la gravité de l’existence, – alors peut-être un insensible progrès, un certain allégement pourra venir à ceux qui nous suivront, et longtemps encore après nous. Et ce serait beaucoup. […]

Un tel progrès transformera la vie amoureuse aujourd’hui si pleine d’erreurs […]. L’amour ne sera plus le commerce d’un homme et d’une femme, mais celui d’une humanité avec une autre. Plus près de l’humain, il sera infiniment délicat et plein d’égards, bon et clair dans toutes les choses qu’il noue ou dénoue. Il sera cet amour que nous préparons, en luttant durement : deux solitudes se protégeant, se complétant, se limitant, et s’inclinant l’une devant l’autre.

Ceci encore : ne croyez pas que l’amour que vous avez connu adolescent soit perdu. N’a-t-il pas fait germer en vous des aspirations riches et fortes, des projets dont vous vivez encore aujourd’hui ? Je crois bien que cet amour ne survit si fort et si puissant dans votre souvenir que parce qu’il a été pour vous la première occasion d’être seul au plus profond de vous- même, le premier effort intérieur que vous ayez tenté dans votre vie.

Tous mes vœux, cher Monsieur Kappus.

Rainer Maria Rilke.

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Regards infracassants..

11 Décembre 2017, 05:38am

Publié par Grégoire.

Regards infracassants..

Le maire de cette ville, à l’occasion d’un vernissage, croise les bras et garde la tête haute pendant qu’un peintre balbutie quelques mots puis, toujours altier et comme amidonné par sa propre importance, il fait tomber de ses lèvres quelques paroles vagues qui semblent descendre d’un ciel où ne vivent que des princes. Tous ensuite applaudissent et s’ébrouent d’une trop longue immobilité, bavardant, un verre à la main, en regardant les tableaux qui ne changeront rien à leur vie. C’est le théâtre sans gaieté de ce qu’on appelle « la culture » qui, s’il séduit de nombreux esprits, n’en a jamais éclairé un seul.

(...)

Toute rencontre m'est cause de souffrance, soit parce qu'elle n'a lieu qu'en apparence, soit parce qu'elle se fait vraiment et c'est alors la nudité du visage de l'autre qui me brule autant qu'une flamme.

Christian Bobin, Ressusciter.

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Vivre n'est rien d'autre que donner sa lumière, traverser la voie lactée des épreuves..

9 Décembre 2017, 05:26am

Publié par Grégoire.

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La peinture, maitresse d'école de nos yeux....

7 Décembre 2017, 04:21am

Publié par Grégoire.

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Il nous faut devenir adulte pour comprendre que les adultes n'existent pas et que nous avons été élevés par des enfants que l'armure de nos rires rendaient faussement invulnérables.

3 Décembre 2017, 12:01pm

Publié par Grégoire.

Il nous faut devenir adulte pour comprendre que les adultes n'existent pas et que nous avons été élevés par des enfants que l'armure de nos rires rendaient faussement invulnérables.

 

"Un enfant est d'emblée dans la solitude, dès le premier souffle, dès le premier cri.
Il y baigne-comme l'oiseau dans le ciel, comme la peinture dans le silence. Si l'on veut vraiment parler d'une découverte de la solitude, il faudrait imaginer une découverte qui serait très douce
Un long et calme regard sur  toutes les choses, sur ce qui, dans ces choses vous ignore à jamais...
Sans doute est-ce  le plus précieux de l'enfance: cette capacité de ne rien rejeter, cette indistinction animale - ou angélique - entre le bien et le mal.

Un adulte, lui, sépare tout : les heures de l'ennui et celles du plaisir, l'instinct et le savoir, la joie et la douleur.
Dans l'enfance il n'y a pas ces clôtures...
Toutes les ombres et toutes les clartés. Tout se tient, tout se mélange. "

Christian Bobin, La merveille et l'obscur

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Inaltérable désormais …

27 Novembre 2017, 04:11am

Publié par Grégoire.

Inaltérable désormais …

“ Nous sommes sans arrêt confrontés à des séparations.

La vie a une main qui plonge dans notre corps, se saisit du cœur et l’enlève. Pas une fois, mais de nombreuses fois.

En échange, la vie nous donne de l’or.

Seulement, nous payons cet or à un prix fou puisque nous en avons, à chaque fois, le cœur arraché vivant…

Il reste d’une personne aimée une matière très subtile, immatérielle qu’on nommait avant, faute de mieux, sa présence.

Une note unique dont vous ne retrouverez jamais l’équivalent dans le monde.

Une note cristalline, quelque chose qui vous donnait de la joie à penser à cette personne, à la voir venir vers vous.

Comme la pépite d’or trouvée au fond du tamis, ce qui reste d’une personne est éclatant.

Inaltérable désormais…”

Christian Bobin.

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Il y a une heure où, pour chacun de nous, la connaissance inconsolable entre dans notre âme et la déchire.

23 Novembre 2017, 04:27am

Publié par Grégoire.

Il y a une heure où, pour chacun de nous, la connaissance inconsolable entre dans notre âme et la déchire.

Il était atteint par la maladie propre à ceux qui se confondent avec la place qu’ils tiennent dans la société : le sérieux fige leurs traits, la raideur gagne leur corps puis leur âme, ils sont devenus leur propre statue et plus rien ne les fera descendre de leur socle que leur mort. (...)

Une coutume veut que les vivants lavent les morts avant de se séparer de leurs dépouilles. J'ai vu et entendu, clairement vu et entendu que, par l'océan, les morts s'approchaient sans fin de nous avec une extrême délicatesse, comme s'ils éprouvaient le besoin de venir laver les vivants- et Dieu sait si les vivants ont besoin d'être lavés. (...)

S. est en proie à la maladie de la perfection. Elle pense que tout ce qu'elle fait est incomplet, mauvais, raté. Elle voudrait qu'une seconde vie lui soit donnée comme un beau papier blanc sur lequel elle pourrait recopier la première, en lui enlevant ses tâches et ses ratures. Elle ne voit pas que le brouillon c'est la vie même. (...)

J'ai toujours eu un léger dégout pour ceux qui sont capables de commenter pendant des heures la finesse ou l'arôme d'un vin , amenant dans leur parole, pour des choses sans importance, une délicatesse qu'ils ne mettent pas dans leur vie (...)

Ils prétendent vouloir la vérité et, si vous commencez à la leur dire avec douceur et bienveillance, ils vous tuent.

J'ai trouvé Dieu dans les flaques d'eau, dans le parfum du chèvrefeuille, dans la pureté de certains livres et même chez des athées. Je ne l’ai presque jamais trouvé chez ceux dont le métier est d’en parler.

Christian Bobin, Ressusciter.

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Pose. La petite châtelaine

19 Novembre 2017, 05:09am

Publié par Grégoire.

Pose. La petite châtelaine

L'été, un long convoi de silences traverse le ciel, un train de marchandises aux portes bleu délavé. Des étincelles de cigales jaillissent de ses roues. Il ne freine qu'à l'automne, dans un crissement pourpre. Tu as disparu un mois d'août. Tu es montée dans un de ces wagons. J'ignore où tu es descendue. Je fraie mon chemin dans le bleu avec des mouvements d'épaules. La joie est la terrible tenue de rigueur. Une rumeur, très loin : la forêt se trouve sous un couloir aérien. L'avion fait le bruit étouffé d'un fer à repasser sur un drap bleu. Une photo où tu portes une veste de cuir. C'est plus fort que toi : la méchanceté du cuir fond sur tes épaules, ta bonté éclate comme une neige au soleil. Ton front nu est semblable à celui de La Petite Châtelaine « aux cheveux tout à jour » : le soleil s'y fracasse en anges. Camille Claudel sur les photographies est frappée d'absence. Ses yeux sont des marais dormants. La Petite Châtelaine, au dernier coup porté dans le marbre, est montée au paradis. Elle ne pesait pas un gramme. J'ai besoin d'une seconde pour voir, après c'est fini. Le petit menton qui tremble à l'idée de trembler. Ce courage ramassé dans la bouche.

Ce relief des os sous les joues : c'est la famine de l'amour. Ces yeux, revenus de quel monde que notre monde ignore ? On ne sait s'ils vous pillent ou s'ils vous enrichissent. J'ai volé la châtelaine. Je l'ai prise dans les bras de mes années vécues et je suis parti en courant. Les gardiens du musée ne m'ont pas attrapé, ni les diables policiers. Elle est en moi, la gamine, avec le marbre souple de ses cheveux. Le petit menton de Dieu qui tremble. Le front d'où les anges se jettent comme d'une falaise. Une poupée. Une grosse poupée pour consoler de l'inconsolable. Si ce buste n'a rien de spectaculaire, c'est parce qu'il dit les racines de la douleur et que les racines sont invisibles pour les distraits. La tragédie remonte du fond de la terre. La forêt cogne aux fenêtres. La main délicate du vent sur les chardons fait honte à la main des mères. La petite fille s'appelait Marguerite. Elle avait 6 ans quand Camille l'a sculptée. La vie nous fait asseoir pour une pose qui dure des années. À la mort nous nous levons et sortons de l'atelier. Notre visage reste gravé dans quelques coeurs - tirage limité. Toute écriture, même la plus désespérée, est un acte de foi dans la vie. Les yeux griffés de ronces, monter. Coeur arraché, monter encore. Résumé des derniers chapitres : je suis vivant, tu l'es aussi comme les rois et les reines qui dorment dans les palais que nous allons machinalement fleurir à la Toussaint. Il n'y a pas de mort, il n'y a que le passage au chapitre suivant, mais nos yeux ne savent pas le lire. 

Christian Bobin.

Pose. La petite châtelaine

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L'innocence de l'humain...

15 Novembre 2017, 04:43am

Publié par Grégoire.

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Douleur ou fureur de vivre... ?

13 Novembre 2017, 05:29am

Publié par Grégoire.

Douleur ou fureur de vivre... ?

"On parle de la douleur de vivre. Mais ce n'est pas vrai, c'est la douleur de ne pas vivre qu'il faut dire.

Et comment vivre dans ce monde d'ombres ? Sans vous, sans deux ou trois êtres que je respecte et chéris, une épaisseur manquerait définitivement aux choses. Peut-être ne vous ai-je pas assez dit cela, mais ce n'est pas au moment où je vous sens un peu désemparé que je veux manquer à vous le dire. Il y a si peu d'occasions d'amitié vraie aujourd'hui que les hommes en sont devenus trop pudiques, parfois".

Albert Camus à René Char.

 

" Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder, ils s’habitueront.

L'essentiel est sans cesse menacé par l'insignifiant.

Un poète doit laisser des traces de son passage, non des preuves. Seules les traces font rêver.

Les femmes sont amoureuses et les hommes sont solitaires. Ils se volent mutuellement la solitude et l'amour.

Nous vivons avec quelques arpents de passé, les gais mensonges du présent et la cascade furieuse de l'avenir."

René CHAR

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Le monde a tué la lenteur. Il ne sait plus où il l'a enterrée.

9 Novembre 2017, 05:10am

Publié par Grégoire.

Le monde a tué la lenteur. Il ne sait plus où il l'a enterrée.
 
" Là où nous sommes - dans l'instant éternel- il n'y a pas de mots, puisque tout est là. Là où nous ne sommes pas -dans la suite des heures- il n'y a plus rien que des mots, enroulés sur eux-mêmes, comme ces duvets d'oiseaux oubliés par le vent dans l'ornière des chemins. J'écris c'est une façon de ne rien faire. Je me tais. Je regarde ce qui s'en va vers le soir. Comment aller dans la fadeur de toute langue, dans la nuit de chaque jour ? Une aide parfois survient. Elle vient à notre insu, comme à l'insu de ce qui la prodigue.

Elle nous est donnée par la beauté qui passe et meurt dans le passage. Comme un espace ouvert par la foudre. Comme une île de lumière au milieu des eaux noires. Nous n'aurons jamais d'autre secours que celui-là, que cette beauté qui nous éclaire en nous précipitant dans une nuit plus grande encore. "
  
Christian Bobin, Le huitième jour de la semaine 

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La vie est un cadeau dont je défais les ficelles chaque matin, au réveil...

7 Novembre 2017, 05:09am

Publié par Grégoire.

La vie est un cadeau dont je défais les ficelles chaque matin, au réveil...

" Ma pensée, c'est d'aller de noyade en noyade. Englouti par la clarté brune d'une gorge de geai, je mets du temps à revenir au monde. Au sortir de ma contemplation, je connais l'insouciance des ressuscités. Je passe mon temps à naître et à renaître, ce n'est vraiment pas sérieux.  


Je me souviendrai toute ma vie des deux agents d'assurances qui, invités par ma mère affolée de me voir au chômage, venaient me proposer du travail. Il y a des chemins qu'il ne faut jamais prendre. J'ai suivi la voie aérienne du rêve, la couleur des stellaires, la petite buée apparissant- disparaissant de la bouche du bébé sur la planète argentée de la cuillère. "

Christian Bobin, Un bruit de balançoire.

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L'éternité est dans la vibration de notre effacement prochain...

30 Octobre 2017, 04:58am

Publié par Grégoire.

L'éternité est dans la vibration de notre effacement prochain...

«  Qu'est-ce qui se passe ? Je tombe ? Mes jambes se dérobent », se demanda-t-il et il tomba sur le dos. Il ouvrit les yeux, voulant savoir comment s'était terminée la lutte des Français et des artilleurs, si le rouquin avait été tué ou non, si les canons avaient été pris ou sauvés. Mais il ne vit rien. Au-dessus de lui il n'y avait que le ciel, un ciel haut, légèrement voilé et cependant infiniment haut, sur lequel glissaient lentement des nuages gris. "Quel silence, quelle paix et quelle majesté ! songea le prince André. Ce n'est plus du tout comme lorsque je courais, plus du tout comme lorsque nous courions, criions et nous battions, plus du tout comme lorsque le Français et l'artilleur, le visage convulsé de terreur et de rage, s'arrachaient le refouloir. Ce n'est pas du tout ainsi que glissent les nuages dans ce ciel infiniment haut. Comment se fait-il que je ne voyais pas auparavant ce ciel infini ? Et quelle joie de le connaître enfin ! Oui, tout est vanité, tout est mensonge à part ce ciel. Rien, rien n'existe que lui... mais cela aussi n'existe pas. Il n'y a rien, il n'y a que le silence, le repos... Et Dieu en soit loué !

… Autrefois, il ne savait voir en rien le grand, l’inconcevable, l’infini ; il pressentait seulement que cela devait exister quelque part, et il le cherchait. Dans tout ce qui était proche et compréhensible, il ne voyait que l’aspect borné, mesquin, quotidien, absurde. Il s’armait d’une longue-vue mentale et regardait au loin, là où le quotidien, le mesquin voilé par la brume, lui apparaissait grand, infini uniquement parce qu’il était indistinct. (…) Maintenant, il avait appris à voir la grandeur, l’éternité, l’infini en tout. Aussi était-il naturel que pour le voir, pour jouir de sa contemplation, il eût jeté sa longue-vue avec laquelle il avait regardé jusqu’alors par-dessus la tête des hommes, et qu’il contemplât joyeusement autour de lui la vie perpétuellement changeante, toujours grande, incompréhensible et infinie. Et plus il regardait de près, plus il était calme et heureux.»

Tolstoï, Guerre et paix.

 

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On a tous besoin de tendresse, d'une vraie tendresse, non pas sucrée, gentille, mais une tendresse violente, inutile... la vie.

23 Octobre 2017, 10:20am

Publié par Grégoire.

On a tous besoin de tendresse, d'une vraie tendresse, non pas sucrée, gentille, mais une tendresse violente, inutile... la vie.

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moine-poète, Gilles Baudry.

22 Octobre 2017, 04:22am

Publié par Grégoire.

moine-poète, Gilles Baudry.
moine-poète, Gilles Baudry.

Cher Gilles Baudry, merci d'accepter cet entretien depuis ce lieu de silence et de prière qu'est l'Abbaye de Landévennec dans laquelle vous vivez. Vous êtes moine. Vous êtes poète dont l'œuvre est publiée presqu'exclusivement chez Rougerie, sauf votre dernier opus édité par Ad Solem. Et la première question que l'on peut se poser vous concernant est celle-ci : écrire de la poésie, pour un moine obéissant à l'ordre des Bénédictins, n'est-ce pas entrer en contradiction avec la parole de Jésus transmettant le Notre-Père comme prière suffisante pour parler à Dieu ?

La prière du Notre-Père est centrale dans la liturgie ; elle est au cœur de l'Eglise, son cœur battant puisque la seule prière de Jésus transmise à ses disciples ! Une prière qui va jusqu'à nous faire entrer dans la prière même de Jésus. Tant de commentaires ont été écrits et l'on ne peut en parler qu'en retirant ses sandales...

Mais votre question semble remettre en cause la légitimité de l'écriture poétique. Au fond : que sont les mots en regard de l'unique Parole ? En effet n'était l'Incarnation où le Verbe n'a pas pris d'autres mots que les nôtres (au risque des malentendus !), toute poésie (mais aussi toute théologie, toute exégèse) serait incongrue.

Mais ce serait oublier que toute la Bible est à la fois parole et écriture humaine et divine ; que Dieu, qui a fait alliance avec l'homme ne cesse d'appeler. La prière, c'est toujours un "répons", donc. Le poète croyant ne peut être qu'un serviteur de la Parole, humblement et jamais à la hauteur de la page blanche. Toujours balbutiant, débutant permanent. Le théologien médiéval se penchait avec amours sur la "pagina sacra". Quand l'écriture lui faisait signe, jamais il ne séparait les lettres d'avec l'esprit. Malheureusement, nous avons versé dans l'hyperconceptualisation. Or, les mystiques d'Orient et d'Occident pratiquaient conjointement théologie, spiritualité et littérature.

La poésie est un tropisme d'intériorité et celle-ci est mise à mal aujourd'hui. D'autre part, la foi réduite à un "intellectus" perd tout contact avec la vie. Aussi ai-je émis le souhait, en notre époque de désymbolisation, que la poésie soit un contrepoint à la rationalité théologique... Dans un dernier opus, aux éditions Ad Solem (Demeure le veilleur) voulu et préfacé par Nathalie Nabert, je désirais que le poème se fasse offrande et le poète, prière afin que plus rien ne s'interpose entre le secret de la poésie et le mystère de Dieu. Y suis-je un peu parvenu ?... Parole et silence, visible et invisible, prière et poésie se pollinisent...

Vos publications sont régulières. La règle bénédictine à laquelle vous obéissez semble très stricte, depuis les heures matinales jusqu'aux dernières prières du soir en passant par vos obligations de vie en communauté. Dans quelles conditions composez-vous votre poésie ?

Votre question rejoint ma propre interrogation, étonné que je suis d'avoir page à page, recueil après recueil, élaboré organiquement et avec cohérence ce qu'il faut bien appeler "une œuvre", comme à mon insu et sans préméditation. Du moins à l'origine j'étais dépourvu de cette ambition-là. Je n'ai fait que creuser un sillon pour accueillir et ensemencer les mots offerts.

Quant au temps consacré à soi (qui ne saurait être confondu avec l'oisiveté) : l' "otium litteraturae", il ne m'est accordé que par surcroît. Pourtant, ce sont des moments, rares, retirés à l'écoulement des heures... Sous la lampe et à ma table d'écoute, j'écris adossé à mon âme. Il s'agit de trouver l'adéquation entre le monde et soi sous la dictée de la voix cachée.

 

Votre poésie est en rapport constant à la transcendance. La vie régulière permet-elle un rapport au temps humain ordinaire ?

C'est surtout le temps ordinaire des petites heures notre lot. La quotidienneté qui n'est pas pour autant incolore. Pour ce, il faut habiter le temps, retrouver le sens de la durée. Notre rapport au temps est inhérent au sens donné à l'existence. C'est le "Présent intérieur" (l'un de mes titres) que nous avons à conjuguer, non le "présentisme" actuel qui rend le passé dépassé et l'avenir incertain. L'immédiateté fébrile, la tyrannie de l'urgence, le culte de la vitesse sont néfastes. On ne vit pas, on est vécu...

Dans la liturgie des heures il y a un "mystère du temps" : Dieu lui donne une qualité. D'où la nécessité de demeurer constamment en éveil car il ne cesse de passer, de venir. C'est parce que notre Dieu est l'Eternel qu'il a pouvoir de nous venir en aide chaque jour. Maître des temps, il est contemporain de tous les âges. Et nous n'existons vraiment qu'à cause de l'éternité de cet amour. Loin de nous évader dans un futur utopique ; loin de nous enliser dans un passé mythique, nous avons à vivre cet "entre-temps", cet équilibre dans un "déjà-là" et un "pas encore". Car l'au-delà, nous le portons au plus intime de notre cœur. "Le temps a cargué ses voiles pour entrer au port d'éternité", selon l'image marine de St Paul (1 Co 7,29).

Votre parole ne se départit jamais de la simplicité. Elle est dense, profonde, et les titres de vos recueils le disent : Nulle autre lampe que la voix, La seconde lumière, Présent intérieur, Invisible ordinaire, Versants du secret, Demeure le veilleur. Est-il fondamental de puiser son inspiration à la contemplation de la nature, et d'en faire un rapport avec le cosmos intérieur de l'être humain ?

Avec Plotin, il faudrait vivre, être dans l' "épistrophè", l'âme faisant peau neuve, retrouvant sa véritable nature en contemplant la beauté sensible. Et le mystique irlandais du IXème siècle Jean Scot Erigène voyait dans le cosmos une théophanie du Dieu caché. La nature était pour G.M Hopkins, selon Kathleen Raine, le "Corpus Christi, l'Hostie partout consacrée".

Pour ce qui me concerne, mon amitié-complicité avec les arbres, l'estuaire, les ciels de Bretagne, le miel de la lumière baignant les paysages... ne fait que croître. Louer devant la création - 5ème Evangile - constitue un prélude à la vision. Bénédictin, ma porte est franciscaine sur ce plan-là et je me sens en accord majeur avec la pensée d'Eloi Leclerc.

Le titre de l'un de vos recueils interroge : Nulle autre lampe que la voix. Le Christ disait : "La lampe du corps, c'est l'œil". Vous semblez lui répondre avec malice ?

La contradiction n'est qu'apparente car le Christ se dit aussi la "voix" (du berger) et la "voie" vers le Père. Et Claudel parle de "l'œil qui écoute". Rétrospectivement, j'ai le regret de n'avoir pas lu à temps cet aphorisme de Pierre Dhainaut : "Pour toute lampe notre écoute" et d'en avoir fait un titre. Le poète écrit comme on écoute. La page, il se la joue à l'oreille. Le poème comme une partition s'adresse à des lecteurs-auditeurs.

Quel medium que la voix, la vive voix, l'acte de lire, sans quoi l'écriture serait orpheline... Art délicat de dire un texte sans dramatisation outrancière, sans exagération... et sans minimisation plate non plus. "Une lente lecture, disait Bachelard, donne à l'oreille tous les concerts". Toute langue n'existe-t-elle pas que prononcée ? Notez que "Mikra" désigne la Bible ainsi que "lecture à haute voix"... Il faut respirer les mots en respectant la ponctuation et habiter le texte : seule clé pour trouver le ton juste, les inflexions qui touchent. En résumé : le silence serait la basse continue ou la fondamentale ; la voix, le chant de l'être, H.G Gadamer dit : "la lumière qui donne reflet à toute chose, c'est la parole".

Vous êtes un homme reclus, dans une société totalement extravertie. Ce qui vous parvient des métamorphoses du monde influence-t-il votre inspiration ?

"Reclus, c'est beaucoup dire. Si j'ai fait vœu de stabilité je ne suis pas "assigné à résidence". Le monastère est un enclos ouvert et, comme l'écrit Guillevic, "les vrais murs sont en nous". Le pèlerin sédentaire n'est pas vraiment si immobile que cela... La marche quotidienne - fut-elle limitée - m'est nécessaire, féconde pour la prière comme pour le poème. Elle permet la concentration dans la détente, la méditation sans tension.

Quant à ce qui influence mon écriture, sauf dans les notes de mon carnet et en des cas assez rares (cf. le génocide du Rwanda, l'assassinat des moines de Tibhirine...) je laisse aux journalistes, dont c'est la vocation, le soin de relater "l'écume des jours". J'essaie comme d'autres poètes, de déceler une minuscule odyssée dans l'existence la plus terne. Rien n'étant insignifiant...

Beaucoup de vos poèmes évoquent l'ombre, la nuit, la mort. Est-on poète, est-on moine, pour apprivoiser le moment décisif de la mort ?

C'est bien possible, au moins inconsciemment. Depuis plusieurs années, je tente de me constituer une anthologie personnelle des plus beaux poèmes à lire. A ma surprise, la plupart "tournent" autour de la thématique de la mort. Si oubliée par les médias, la poésie s'avère paradoxalement l'ultime recours testamentaire lors des sépultures.

Dans son dernier livre qu'il vient de me faire parvenir ("Cinq méditations sur la mort", Albin Michel) François Cheng exprime la vue profonde selon laquelle c'est la fin, la mort qui est en mesure d'éclairer la vie. Bénéficiant d'une double culture et convoquant Rilke, Shelley, Fondane, Hugo, Bergson, Wang Wei, il témoigne d'une vision de la vie en mouvement ascendant qui renverse notre perception de l'existence... Rien ne s'achève. "Sic transit..." Tout passe, tout est périssable, et la mort aussi ! La mort n'a pas le dernier mot. Le premier-né de nos tombeaux, par sa résurrection, fait de nos cercueils des berceaux en quelques sorte. L'enfance éternelle est devant nous. Mais le grain doit mourir en terre pour porter fruit. Nul autre sommeil que le repos dans la lumière. Cet horizon derrière l'horizon est l'éternité qui nous attend et nous convie... Mourir, c'est réaliser enfin qu'on a plus sa vie en mains, et consentir alors, comme le Christ, à remettre notre esprit entre les mains du Père de qui tout vient, vers qui tout va. Dès lors, la mort n'y peut rien. Quand elle arrive en charognard, il ne lui reste que les restes. Que la "carcasse". L'essentiel est Ailleurs...

 

 

Comment le poète Gilles Baudry perçoit-il la notion de paradis aujourd'hui ?

Loin de moi l'idée d'évoquer les fallacieuses "arrières-mondes" dénoncés par Nietzsche. D'autant que la spiritualité monastique parle plutôt de "vie éternelle". Un au-delà qui est un au-dedans, univers caché déjà présent au cœur du monde. Plus qu'un ciel à mériter, un Royaume à accueillir, donc. Le paradis : moins un lieu qu'un état. Et comme l'écrit J.Cl. Renard : "Un monde infiniment plus beau que son attente".

Et poétiquement parlant, qui ne désirerait à travers ses vers cette "musique du paradis" qu'un Dylan Thomas voulait faire entendre ? Cette musique affiliée au silence et à la lumière (comme chez Dante) ne nous offrirait-elle pas - en prélude - l'image sonore de la grâce ? Le pressentiment du paradis, il m'arrive de l'avoir en des moments rares à vous éblouir l'oreille lors de concerts, d'écoute de telle cantate de Bach, de tel motet de Tallis, de Victoria... Ils me "transportent" et m'arrachent des larmes comme ce fut le cas au Togo ces danses au son du tam-tam ou, plus récemment la voix cristalline de Divna, le violon virtuose de Natacha Triadou.

 

Beaucoup de vos poèmes, discrètement, humblement, traduisent une connaissance profonde de l'invisible, ce que le commun des mortels perçoit rarement sauf à vivre ce que l'on nomme philosophiquement une crise. Pourtant, il me semble que votre poésie est moins une parole de connaissance qu'une parole d'espérance. Notre temps aurait-il davantage besoin d'espérance, et donc de charité, que de vérité ?

Avec la crise, tout l'avenir est à l'avenant ! Et par gros temps, il ne faut pas démâter l'espérance. La crise des illusions est si forte que l'espérance n'a pas bonne réputation. A cet égard, St Augustin mettait en garde en se méfiant de deux choses : le désespoir sans issue, l'espérance sans fondement. L'authentique espérance est le contraire de "ces illusions consolantes" dont parle Elias Canetti. Le contraire des anesthésiantes promesses électorales, de la méthode Coué, des faux-fuyants. Lucide, l'espérance n'est en rien l'optimisme béat. Elle est courage d'être, en dépit de tout. D'autant plus invincible qu'elle a la fragilité du cristal et qu'elle connait les larmes. En plaine nuit, l'espérance anticipe l'aube pour deviner la lumière qui vient...

Face à la désespérance postmoderne de l'Occident, un écrivain d'Haïti (pays pauvre entre tous les pauvres), Daniel Maximin s'insurge : "Tu écriras loin de tout désespoir, qui est le luxe des peuples nantis."

 

Pouvez-vous nous parler de vos influences poétiques ? Quels sont les poètes que vous lisez et vous inspirent ?

J'éprouve toujours quelque perplexité à l'égard de ceux qui déclarent ne devoir rien à personne ou - plus fréquemment bien que moins péremptoires - ceux qui ne fréquentent pas la poésie. Pour ma part j'éprouve une grande gratitude envers mes pairs et m'avoue d'abord et avant tout "lecteur" ; secondairement et corollairement "auteur", ayant toujours le crayon à la main...

Bien sûr, mes lectures buissonnières d'anthologies (celle de Seghers ou autres) m'avaient fait découvrir la poésie française de Villon et des troubadours jusqu'à Apollinaire en passant par Verlaine, Baudelaire. Mais c'est à l'âge de vingt ans que tout a commencé lorsqu'un ami me mit entre les mains les textes de René Guy Cadou et l'admirable essai à lui consacré de Michel Manoll dans la collection "Poètes d'aujourd'hui". Ce fut une nuit blanche à la lanterne magique.

Bien plus qu'une simple réminiscence, cela reste, quarante ans après, l'expérience lumineuse et germinale à même de féconder ma quête, d'orienter mes lectures ultérieures : Milosz, Schéhadé, Reverdy, Follain, Malrieu, Novalis, Rilke... et surtout Supervielle dont la voix m'est si intérieure.

J'ajoute que seul me touche le chant profond étant comme l'émanation de l'être. Je vous fait grâce donc d'un fastidieux florilège de mes "délectures) (néologisme de Guy Goffette). Seulement que parmi mes correspondants : (Pierre Gabriel, Michel Manoll, Hélène Cadou, Anne Perrier, Jean-Pierre Lemaire, François Cheng) bien des pages me furent des "partitions" exemplaires. Je suis plutôt éclectique bien que j'aie - comme tout un chacun - mes répulsions et mes coups de coeur. Ainsi, depuis quelques années, ma pente va vers mes poètes "chambristes", mélodistes, tels Gérard Le Gouic, Lionel Ray, Jean-Yves Masson... Le lyrisme d'intériorité apporte un surcroît de sens.

J'ajoute enfin qu' "influence" ne doit pas rimer avec "dépendance". Il s'agit de trouver "sa" voix, la sienne, unique.

 

Merci Gilles Baudry

moine-poète, Gilles Baudry.

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On ne peut bien voir que dans l'absence. On ne peut bien dire que dans le manque.

18 Octobre 2017, 04:27am

Publié par Grégoire.

On ne peut bien voir que dans l'absence. On ne peut bien dire que dans le manque.

" La Terre se couvre d'une nouvelle race d'homme à la fois instruit et analphabète et maîtrisant les ordinateurs et ne comprenant plus rien aux âmes, oubliant même ce qu'un tel mot a pu jadis et désigner.

Quand quelque chose de la vie les atteint malgré tout - un deuil ou une rupture -, ces gens sont plus démunis que des nouveau-nés. Ils leur faudrait alors parler une langue qui n'a plus cours, autrement plus fine que le patois informatique.

(...)

Nous devrions rendre grâce aux animaux pour leur innocence fabuleuse et leur savoir gré de poser sur nous la douceur de leurs yeux inquiets sans jamais nous condamner. "

Christian Bobin, Ressusciter

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Les arbres sont des aveugles errants dans la lumière, bras lancés au hasard

16 Octobre 2017, 04:15am

Publié par Grégoire.

Les arbres sont des aveugles errants dans la lumière, bras lancés au hasard

Ces philosophes: si seulement ils avaient l'idée de regarder le ciel par la fenêtre! Les chats sur ce sujet ont beaucoup d'avance. L'âme naît au point de rencontre de notre néant avec la lumière qui nous en sauve. Elle n'est pas sans rapport avec le déambulatoire de ces arbres dont les branches basses boivent l'eau verte près des roseaux. L'éclatement bleu d'une campanule ou la minuscule barque vert sombre d'une feuille de buis lui donnent beaucoup de joie, mais cette lumière, oh, cette lumière qui danse pieds nus sur l'eau captive ! Tout donner, tout perdre et qu'on n'en parle plus. Ne plus penser à rien, c'est commencer à penser. Ne rien faire c'est déjà faire un pas vers Dieu. "Rien" est ce qui permet à la splendeur de descendre un jour sur les eaux d'un étang comme partout sur la terre ignorante.

Christian Bobin, la grande vie.

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Pire que mort ?

14 Octobre 2017, 04:34am

Publié par Grégoire.

Pire que mort ?

La peur empêche de vivre. Si la peur empêche de vivre c'est parce qu'elle empêche de mourir. Dans la peur qui vient du bord de l'eau, du bord de l'écriture où d'un amour, on est appelé à se lâcher, à quitter cette proximité où l'on est avec soi-même, pour aller vers ce qu'on ignore, vers l'inconnu de soi.

D'ailleurs ce n'est pas nécessaire de vivre de grandes choses pour toucher à cette mort à soi. La contemplation déjà - le fin regard sur les choses- est comme une mort minuscule, un éloignement de soi aussi entier que dans un amour fou. La contemplation est un amour ou n'est rien. La peur, toujours procède de ce dessaisissement de soi. C'est la crainte de mourir et de ne plus sortir de la mort. Mais si on cède à cette crainte, alors c'est fini: on est mort, pire que mort, on est sage, on est vieux.

La plupart de nos activités n'ont d'autres sens que de rendre impossible l'approche en nous d'une mort - d'une séparation d'avec soi et donc aussi d'une résurrection...

Voilà où nous mène la peur, lorsque nous lui cédons: à devenir à nous même nos propres sépulcres. 

Christian Bobin, La merveille et l'obscur.

 

 

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Qu'est-ce que la vie réelle ?

12 Octobre 2017, 04:28am

Publié par Grégoire.

Qu'est-ce que la vie réelle ?

A plus de 80 ans, mon père malade s'était levé dans le milieu de la nuit, paniqué, persuadé d'avoir oublié de rejoindre son poste à l'usine. Une détresse sans appel creusait ses yeux. Cette nuit-là j'ai haï la société et ses horaires qui crucifient les âmes nomades. 

Lire et écrire sont deux points de résistance à l'absolutisme du monde

Dieu tenait au dix-septième siècle la place qu’aujourd’hui tient l’argent. Les dégâts étaient moindres. 

La mort nous prendra tous un par un, aussi innocemment qu’une petite fille cueillant une à une les fleurs d’un pré.

Le savant casse les atomes comme un enfant éventre la poupée pour voir ce qu’il y a dedans. Le poète est un enfant qui peigne sa poupée avec un peigne en or. Il y a la même différence entre la science et la poésie qu’entre un viol et un amour profond. 

J’ai mon échec sous les yeux : un bouquet de mimosa dans un pot à eau. Il a ensoleillé mon petit déjeuner, embaumé ma journée et je suis incapable de faire un portrait de lui à la hauteur de sa générosité.

Le sens de cette vie c'est de voir s'effondrer les uns après les autres tous les sens qu'on avait cru trouver.

Je ne suis pas fait pour ce monde. J’espère que je serai fait pour l’autre.

Christian Bobin, Les Ruines du Ciel.

 

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