Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
QUE CHERCHEZ-VOUS ?

poesie

La poésie est l’état le plus haut du vivant

22 Août 2020, 09:04am

Publié par Grégoire.

La poésie est l’état le plus haut du vivant

Silence… Le monde prétendu moderne est une sorte de conjuration contre la chose la plus vieille du monde et la plus solide au monde, à savoir le cœur. J’entends par cœur, pas le sentimentalisme, pas même le sentiment, mais une puissance de vie que chacun de nous peut avoir, une respiration. Ce que parfois on pouvait qualifier d’intériorité, ou dans des temps beaucoup plus anciens, l’âme. Les sociétés d’aujourd’hui sont rendues malheureuses par la mise à sac de cette intériorité. Or elle est la vraie force de chacun. Quand chacun rentre dans son centre, revient vers soi-même et retrouve quelque chose qui ressemble à l’enfance, il est invincible.

Qu’entendez-vous par invincible ?

C’est ne pas soumettre sa vie à l’ordre du monde. C’est laisser sa vie dans la plus grande respiration possible, dans la fantaisie, parfois dans le silence, dans une parole qui sera toujours vive, fraîche, non conventionnelle. Être invincible c’est juste être vivant.

Vous parlez de l’importance de l’intériorité, que pensez-vous des conséquences de cette épidémie sur le rapport à l’autre ?

Votre question est trop générale. La vie, pour moi, c’est la singularité même, le concret. La manière de vivre américanisée et électronisée détruit en souriant le singulier. Si vous me posez une question trop générale, je vais me taire car je ne suis ni un philosophe, ni un sage. Ce qui me frappe actuellement, ce sont les images des villes vides. Des choses pauvres se reprennent comme le chant des oiseaux. Je ne sais pas si on le perçoit dans les villes mais je le perçois dans la forêt où j’habite. Il y a eu une renaissance des cantates d’oiseaux. Le vert des feuillages était plus affirmatif. La nature pendant ces semaines a retrouvé une confiance que nos vies insensées lui avaient fait perdre.

Ce matin, j’ai traversé un pré et je me suis arrêté sous un chêne. La nature était devenue une phrase parfaite, un morceau d’un poème très pur, extrêmement simple et qui m’a fait tout oublier. Les fragments de cette phrase étaient composés de l’arbre, des mouvements de ses feuilles, balancées très élégamment, sans fureur, par une brise légère. Il y avait aussi une lumière qui lançait ses javelots dans l’herbe, et une ombre très douce dans laquelle je me tenais. Un sentiment m’est entré dans le cœur : il n’y a rien d’autre à faire dans cette vie que d’y être parfaitement présent. Quelque chose d’adorable essaie de nous parler à chaque instant. Cette expérience a duré cinq secondes et elle était infinie. Je me rappelle d’avoir souri de ma misère d’homme, de n’être que de celui que je suis. Rire...

Avez-vous toujours eu ce langage poétique ?

Je serai incapable d’exprimer autrement cette expérience d’être. C’est comme si je n’existais presque plus et que cela me comblait. Quelle que soit l’époque – si dure soit-elle –, le mouvement d’une brise, la sentence bienveillante d’un rayon de soleil, la fierté d’un brin d’herbe qui se redresse, la royauté d’un arbre, tout cela ne demande pas d’étude. Aucune puissance ne peut se mettre entre cette douceur et vous. L’humanité est profondément unique car ce que je connais moi, je peux le partager. Les choses de fond sont les plus lumineuses même si elles sont enfouies.

Vous considérez-vous croyant ?

Je parlerai plutôt de confiance, mais je ne saurai vous dire sur qui ou quoi repose cette confiance. La confiance est la capacité inexplicable de continuer à vivre alors que même la vie semble vous avoir quitté. Il m’est toujours apparu que la vie est bien plus grande que celle que nous vivons. Elle n’est pas ailleurs. Par instant, nous arrivons à mettre nos yeux en face des yeux de la vie. C’est comme un enfant que la mère soulève et porte devant son visage : il y a des moments où nos yeux sont plantés dans les yeux solaires et terribles de la vie.

Cela me fait penser à votre ouvrage La Part manquante…

En effet. C’est un ouvrage ancien. Mais il en va sans doute de l’écriture comme de la vie : nous passons notre temps dans une danse de derviche tourneur, à danser autour d’un point indicible et invisible.

Quelle est votre définition de l’Amour ?

L’Amour c’est quand une vérité arrive. Le reste du temps, c’est comédie à laquelle nous participons tous. Ce qui arrête la comédie, c’est soit la mort, soit quelque chose de plus fort encore, doté de beauté et de grâce.

Connaissez-vous le Liban ?

C’est, je crois, un des pays les plus proches de la poésie, celle qui fait venir dans sa parole du feu et des roses. Pour moi, la poésie est l’état le plus haut du vivant.

Propos recueillis par Zeina Trad

Voir les commentaires

S'éloigner de soi dans le silence....

28 Juillet 2020, 09:53am

Publié par Grégoire.

S'éloigner de soi dans le silence....
 
Et c'est quoi au juste, prier. C'est faire silence. C'est s'éloigner de soi dans le silence....
Peut-être est-ce impossible.!
Peut être ne savons-nous pas prier comme il faut : toujours trop de bruit à nos lèvres, toujours trop de choses dans nos coeurs.
 
Dans les églises, personne ne prie, sauf les bougies.
Elles perdent tout leur sang. Elles dépensent toute leur mèche.
Elles ne gardent rien pour elles, elles donnent ce qu'elles sont, et ce don passe en lumière.
La plus belle image de prière, la plus claire image des lectures, oui, ce serait celle-là : l'usure lente d'une bougie dans l'église froide.
 
Christian Bobin, Une petite robe de fête.

Voir les commentaires

Butiner toute une vie durant ...

9 Juillet 2020, 10:48am

Publié par Grégoire.

Butiner toute une vie durant ...

 

On devrait attendre et butiner toute une vie durant, si possible une longue vie durant ; et puis enfin, très tard, peut-être saurait-on écrire les dix lignes qui seraient bonnes. Car les vers ne sont pas, comme certains croient, des sentiments (on les a toujours assez tôt), ce sont des expériences. Pour écrire un seul vers, il faut avoir beaucoup vu de villes, d’hommes et de choses, il faut connaître les animaux, il faut sentir comment volent les oiseaux et savoir quel mouvement font les petites fleurs en s’ouvrant le matin. Il faut pouvoir repenser à des chemins dans des régions inconnues, à des rencontres inattendues, à des départs que l’on voyait longtemps approcher, à des jours d’enfance dont le mystère ne s’est pas encore éclairci, à ses parents qu’il fallait qu’on froissât lorsqu’ils vous apportaient une joie et qu’on ne la comprenait pas (c’était une joie faite pour un autre), à des maladies d’enfance qui commençaient si singulièrement, par tant de profondes et graves transformations, à des jours passés dans des chambres calmes et contenues, à des matins au bord de la mer, à la mer elle-même, à des mers, à des nuits de voyage qui frémissaient très haut et volaient avec toutes les étoiles, – et il ne suffit même pas de savoir penser à tout cela.

Il faut avoir des souvenirs de beaucoup de nuits d’amour, dont aucune ne ressemblait à l’autre, de cris de femmes hurlant en mal d’enfant, et de légères, de blanches, de dormantes accouchées qui se refermaient.

Il faut encore avoir été auprès de mourants, être resté assis auprès de morts, dans la chambre, avec la fenêtre ouverte et les bruits qui venaient par à-coups. Et il ne suffit même pas d’avoir des souvenirs. Il faut savoir les oublier quand ils sont nombreux, et il faut avoir la grande patience d’attendre qu’ils reviennent. Car les souvenirs eux-mêmes ne sont pas encore cela. Ce n’est que lorsqu’ils deviennent en nous sang, regard, geste, lorsqu’ils n’ont plus de nom et ne se distinguent plus de nous, ce n’est qu’alors qu’il peut arriver qu’en une heure très rare, du milieu d’eux, se lève le premier mot d’un vers.

Rainer Maria Rilke, Les cahiers de Malte Laurids Brigge

 

Voir les commentaires

Le paradis c’est d’être là

30 Juin 2020, 13:19pm

Publié par Grégoire.

Le paradis c’est d’être là

« Sous le joug de l’été, dans une chambre barricadée d’ombre, cernée par des soleils casqués, je lisais. Par la porte entrebâillée des livres, une brise passait, soulevant mon âme et la décollant du monde. Parfois, l’imprévisible beauté d’une phrase, brisant net ma lecture, me faisait regarder par la fenêtre. Je découvrais dans le ciel une lumière dont la splendeur, en m’ignorant, me donnait à voir toute la vie avec ses arrière-mondes. Je cherchais de l’air, voilà toute mon histoire.


Je compris très tôt que nous ne sommes jamais abandonnés. Cette pensée était dans mon coeur comme un brin de lumière tombé du bec d’un moineau. Ce brin faisait tout mon nid. Je compris aussi très vite que l’aide véritable ne ressemble jamais à ce que nous imaginons. Ici nous recevons une gifle, là on nous tend une branche de lilas, et c’est toujours le même ange qui distribue ses faveurs. La vie est lumineuse d’être incompréhensible. 


Le paradis c’est d’être. »


Christian Bobin, Prisonnier au berceau

Voir les commentaires

Le doux appel de l'amour

19 Juin 2020, 12:04pm

Publié par Grégoire.

Le doux appel de l'amour

Je trouve bon et juste de t' avoir écrit cette lettre ma chère Helga. Bien que tu sois morte et ne puisses la lire, ça m'aura comme réconforté de griffonner ces lignes.

Hier j'ai pris ma canne et suis allé me promener, sur mes vieilles jambes foutues. Je me suis couché dans l'herbe entre les Mamelons d'Helga, comme je l'ai fait si souvent. Au sud, de gros nuages se déplaçaient vivement et de la lumière filtrait entre les cumulus. C'est alors qu'un merveilleux rayon de soleil a transpercé les nuages pour se planter sur moi et aux alentours, pour ne pas dire sur nous, puisque j'étais couché là, contre ta poitrine.

C'est à ce moment qu'elle est arrivée, la petite bergeronnette ; elle s'est posée tout près, sur une motte herbue. Je lui ai demandé, comme grand-mère Kristin me l'avait appris, où je passerais l'année prochaine. La bergeronnette a hoché la queue mais ne s'est pas envolée et j'ai compris que le poseur de question n' en avait plus pour longtemps. Le rayon de soleil inondait la colline d'un tel flot de lumière que j'y ai vu le signe qu'un grand esprit me faisait, de l'autre côté de la vie. Alors je me suis mis à pleurer, vieillard sénile que je suis, échoué entre deux protubérances en terre d'Islande, les Mamelons d'Helga, et je compris que le mal, dans cette vie, ce n'étaient pas les échardes acérées qui vous piquent et vous blessent, mais le doux appel de l'amour auquel on a fait la sourde oreille — la lettre sacrée à laquelle on répond trop tard, car je le vois bien à présent, dans la clarté du dénouement, que je t'aime moi aussi.

Bergsvein Birgisson, Lettre à Helga

Voir les commentaires

Décrasser le nom de Dieu de ses dorures

18 Juin 2020, 09:56am

Publié par Grégoire.

Décrasser le nom de Dieu de ses dorures

La première fois que je l'ai vu, devant la gare du Nord à Paris, il agitait des bras si grands qu'il soulevait sans y penser des nuages dans le ciel bleu, comme des bottes de paille blanche. La deuxième fois, sa tête sortait de la fenêtre d'un immeuble d'Aubervilliers, comme une tête de géant soufi incrustée dans une pyramide. Il m'a préparé ce jour-là une paella assez garnie pour me nourrir jusqu'à ma mort. Je regardais cette montagne faire la cuisine. C'étaient les mêmes mains qui versaient le vin tonitruant dans les verres, et qui avaient écrit L'Évangile du gitan*, offrant à l'âme surprise la manne surabondante de l'esprit.

Parlant du spirituel, on croit souvent nécessaire de tamiser sa voix comme si on entrait dans un domaine feutré, luxueux, loin de la vie quotidienne. Le génie de Jean-Marie Kerwich est de dénicher Dieu à l'intérieur même de cette pauvre vie, la seule que nous ayons, avec le buisson fleuri de la mort à la fenêtre. Il a vécu dix-sept ans au Canada dans un petit cirque fondé par ses parents. Les feuilles rouges des érables ont brûlé ses paupières. La neige admirable a enseveli ses songes. Quand le chat sauvage de la misère lui a griffé le cœur, il a encaissé, avec ce panache propre aux gitans cravatés à la diable et baptisés d'eau de Cologne. Revenu en France, il a trouvé l'argent de la survie en faisant un numéro de jongleur dans les cirques et les cabarets. Les églises, les temples ni les mosquées n'ont jamais eu la primeur du spirituel. Sous la fausse voie lactée des cabarets, somnolent des malfaisants, des prostituées - et des anges.

C'est le travail des mystiques que de décrasser le nom de Dieu de ses dorures, de le frotter jusqu'à lui rendre son éclat primitif. Le soleil de l'absolu brille dans la ténèbre des épreuves. La cognée du réel en s'enfonçant dans le cœur de Jean-Marie Kerwich en a fait couler un miel divin.

Être vivant, c'est être sensible. Être sensible, c'est passer plusieurs fois par jour la frontière entre soi et l'autre, entrer sans la forcer dans la solitude d'un homme, d'un nuage, d'une rose. Dieu est le roi des sensibles, le plus brûlé des grands brûlés, l'humain absolu. Partout en visite dans le monde créé, partout crucifié, il ne pense jamais à son intérêt - une lumière qui s'égare loin de sa source pour venir en aide aux fleurs des murailles. Par la finesse de sa pointe, L'Évangile du gitan s'inscrit dans la lignée des mystiques orientaux, ces vagabonds que trois atomes de lumière soûlent à mort. Il célèbre le faste d'une vie sans confort qui n'a besoin pour fleurir que d'un peu de larmes et de soleil.

L'air qu'on avale dans le monde est plein de lames de rasoir. L'air qu'on respire dans ce livre est du bleu pour l'églantier des poumons. Au XIe siècle, en Iran, Omar Khayyam écrivait Les Robaiyat, livre fraternellement proche de L'Évangile du gitan. Il n'y a pas de temps. Il n'y a que des familles d'âmes, chacune rassemblée dans sa caravane céleste. Dieu est perdu. L'écriture l'accueille. Elle lui apprend ce qu'il a créé de bon et de tragique et, ce faisant, elle l'apaise. La porte est entrouverte, le café fume, le vent vient partager un peu d'arabica. Le gitan regarde au-dehors, le vent vient lui serrer la main.

Christian Bobin

Voir les commentaires

La martyr du sourire

16 Juin 2020, 05:04am

Publié par Grégoire.

La martyr du sourire

Je voudrais vous parler de celle dont tout le monde parle et qui échappe à tout le monde. Je voudrais vous parler de Marilyn. Sa folie a régné sur le monde et s'était un règne sans mauvaiseté. Mais de folie quand même. Elle est une preuve de Dieu. N'importe qui et n'importe quoi est une preuve de Dieu sur terre. La preuve - Marilyn a quelque chose de déchirant. Elle est perdue, mais ni plus ni moins que vous ou moi, n'est-ce pas, une fois que nous avons enlevé le maquillage de nos conforts, de nos savoirs, de nos croyances. Il n'y a que les nuages qui ne sont pas perdus. Et les fleurs des prés. Et les bêtes dans les bois. Tous ceux-là connaissent leur maître, savent qu'il ne les abanonnera pas, respirent de suivre la pure nécessité.

Marilyn suivait l'étoile désorientée de sa folie. Son visage constamment épousseté par les lumières des photographes est celui d'une poupée papillonnant des yeux et de l'âme, souriant à ses assassins. La folie est un mécanisme d'horlogerie très fin. On en voit les rouages que lorsqu'il se brise. Marilyn sait que l'humanité a faim, plus encore que de pain ou de sexe, d'une vraie gaieté, d'une gaité profonde accordée au secret des fleurs, du ciel, des anges.

Nous recherchons le paradis. Nous ne sommes jamais très loin de lui. La gaieté - la pure, pas la marchande : comment vivre une seconde sans elle, sans son secours, sans au moins sa nostalgie ? Les saintes de cinéma brûlent dans le noir. Leurs chevelures luisent comme des méduses. Rien ne s'éteint plus vite que l'incendie de l'irréel. Marilyn tendait une gaieté volatile sur la petite assiette de son visage. Mangez-moi. Ceci est ma folie, ceci est ma perte. Je suis des vôtres. Simplement j'ai dans les paillettes de mes yeux et sur la charité de mes lèvres les stigmates du paradis, l'ombre portée de la lumière éternelle. Elle affolait les hommes mais aussi bien les femmes ou le soleil. Sa fragilité était invulnérable. Elle n'arrêtait pas de souffrir ni de sourire. Ces deux passions n'en faisaient qu'une. Son sourire remonté à bloc était prêt à casser.

C'est une plaie d'être une femme mais qu'on se rassure, c'est une autre plaie d'être un homme. Il faut tenir son rôle jusqu'au bout. La vie, dit Rimbaud, est la farce à mener par tous. Mais la gaieté ? Ce je-ne-sais-quoi qui ensoleille le coeur, cette braise sur laquelle la main en chêne de la mort ne peut se refermer ? La gaieté est le sens profond de nos vies. Marilyn l'avait compris à sa manière folle. Elle en présentait les signes, un appât - son sourire était comme ces mouches artificielles aux lueurs émerveillantes que confectionnent les pêcheurs à la ligne, pour attirer le poisson. Une gaieté fausse mais reliée à la pure vérité, comme toujours le mensonge. Son sourire était le sillage d'une comète entrant dans l'atmosphère irrespirable du monde. Un astre mort tombait, entrainant des milliers de visages dans sa chute.

Ce qui manque à ce monde, ce n'est pas l'argent. Ce n'est même pas ce qu'on appelle "le sens". Ce qui manque à ce monde c'est la rivière des yeux des enfants, la gaieté des écureuils et des anges. Qu'elle dorme en paix, la martyre du sourire. Qu'elle soit remerciée de son dévouement de folle. Comme Einstein a donné son nom à la loi de relativité que je suis heureux de ne pas comprendre, Marilyn a donné le sien à la loi inexorable de la chute des coeurs. Cette nuit j'ai mal dormi. Plusieurs fois je me suis réveillé. Une phrase insistait dans mon crâne. Elle disait ceci : même dans l'enfer, et nous y sommes, il y a des merveilles.

 

- Christian Bobin

 

Voir les commentaires

Présent ?

15 Juin 2020, 13:16pm

Publié par Grégoire.

Présent ?

"Ce qu'on fait de mal, c'est de ne pas être assez présent. Être présent ? La flamme de la vie, je me souviens d'états de rêverie de mon père. Il était dans un songe qu'il ne partageait pas, mais il irradiait d'une présence, d'une luminosité dont je sens toujours les rayons sur moi. Les présences démentent la mort, démentent le néant. Les vivants que sont les morts.

Il faut que ce qui est dit touche au secret de ma vie, sans qu'on s'en rende compte.

Il faut que le silence qui est en moi soit touché comme par une main de lumière par la voix de l'autre.

Une seule parole peut changer toute la vie."

Christian Bobin

Voir les commentaires

Ces gens dont l'âme et la chair sont blessées ont une grandeur que n'auront jamais ceux qui portent leur vie en triomphe

13 Juin 2020, 09:27am

Publié par Grégoire.

Ces gens dont l'âme et la chair sont blessées ont une grandeur que n'auront jamais ceux qui portent leur vie en triomphe

«  C'est vrai. Il y a de la douleur dans le monde. Elle vous apprend que vous n'êtes pas tout. Mais elle n'est pas salutaire par elle-même.

Il y a des gens qui, dans la souffrance, se crisperont encore plus sur leurs pauvres possessions. Il y en a que la douleur ouvrira au vivant. D'un seul coup. Comme on peut ouvrir un fruit.

Ce ne sont pas les événements qui décident de notre vie.

C'est notre vie qui décide -par l'accueil ou le rejet que nous en faisons- du sens des événements. »

Christian Bobin

Voir les commentaires

il n’y a rien d’autre à faire dans cette vie que d’y être parfaitement présent

11 Juin 2020, 10:05am

Publié par Grégoire.

il n’y a rien d’autre à faire dans cette vie que d’y être parfaitement présent

 

 

Quel a été selon vous le rôle de la lecture dans ces deux mois de confinement?

 

Silence… Le monde prétendu moderne est une sorte de conjuration contre la chose la plus vieille du monde et la plus solide au monde, à savoir le cœur. J’entends par cœur, pas le sentimentalisme, pas même le sentiment, mais une puissance de vie que chacun de nous peut avoir, une respiration. Ce que parfois on pouvait qualifier d’intériorité, ou dans des temps beaucoup plus anciens, l’âme. Les sociétés d’aujourd’hui sont rendues malheureuses par la mise à sac de cette intériorité. Or elle est la vraie force de chacun. Quand chacun rentre dans son centre, revient vers soi-même et retrouve quelque chose qui ressemble à l’enfance, il est invincible.

 

Qu’entendez-vous par invincible?

 

C’est ne pas soumettre sa vie à l’ordre du monde. C’est laisser sa vie dans la plus grande respiration possible, dans la fantaisie, parfois dans le silence, dans une parole qui sera toujours vive, fraîche, non conventionnelle. Être invincible c’est juste être vivant.

 

Vous parlez de l’importance de l’intériorité, que pensez-vous des conséquences de cette épidémie sur le rapport à l’autre?

 

Votre question est trop générale. La vie, pour moi, c’est la singularité même, le concret. La manière de vivre américanisée et électronisée détruit, en souriant, le singulier. Si vous me posez une question trop générale, je vais me taire car je ne suis ni un philosophe, ni un sage.

Ce qui me frappe actuellement, ce sont les images des villes vides. Des choses pauvres se reprennent comme le chant des oiseaux. Je ne sais pas si on le perçoit dans les villes mais je le perçois dans la forêt où j’habite. Il y a eu une renaissance des cantates d’oiseaux. Le vert des feuillages était plus affirmatif. La nature pendant ces semaines a retrouvé une confiance que nos vies insensées lui avaient fait perdre.

 

Ce matin, j’ai traversé un pré et je me suis arrêté sous un chêne. La nature était devenue une phrase parfaite, un morceau d’un poème très pur, extrêmement simple et qui m’a fait tout oublier. Les fragments de cette phrase étaient composés de l’arbre, des mouvements de ses feuilles, balancées très élégamment, sans fureur, par une brise légère. Il y avait aussi une lumière qui lançait ses javelots dans l’herbe, et une ombre très douce dans laquelle je me tenais. Un sentiment m’est entré dans le cœur: il n’y a rien d’autre à faire dans cette vie que d’y être parfaitement présent. Quelque chose d’adorable essaie de nous parler à chaque instant. Cette expérience a duré cinq secondes et elle était infinie. Je me rappelle d’avoir souri de ma misère d’homme, de n’être que de celui que je suis.

 

Avez-vous toujours eu ce langage poétique?

 

Je serai incapable d’exprimer autrement cette expérience d’être. C’est comme si je n’existais presque plus et que cela me comblait. Quelle que soit l’époque – si dure soit-elle –, le mouvement d’une brise, la sentence bienveillante d’un rayon de soleil, la fierté d’un brin d’herbe qui se redresse, la royauté d’un arbre, tout cela ne demande pas d’étude. Aucune puissance ne peut se mettre entre cette douceur et vous. L’humanité est profondément unique car ce que je connais moi, je peux le partager. Les choses de fond sont les plus lumineuses même si elles sont enfouies.

 

Vous considérez-vous croyant?

 

Je parlerai plutôt de confiance, mais je ne saurai vous dire sur qui ou quoi repose cette confiance. La confiance est la capacité inexplicable de continuer à vivre alors que même la vie semble vous avoir quitté. Il m’est toujours apparu que la vie est bien plus grande que celle que nous vivons. Elle n’est pas ailleurs. Par instant, nous arrivons à mettre nos yeux en face des yeux de la vie. C’est comme un enfant que la mère soulève et porte devant son visage: il y a des moments où nos yeux sont plantés dans les yeux solaires et terribles de la vie.

 

Cela me fait penser à votre ouvrage La Part manquante…

 

En effet. C’est un ouvrage ancien. Mais il en va sans doute de l’écriture comme de la vie: nous passons notre temps dans une danse de derviche tourneur, à danser autour d’un point indicible et invisible.

 

Quelle est votre définition de l’Amour?

 

L’Amour c’est quand une vérité arrive. Le reste du temps, c’est une comédie à laquelle nous participons tous. Ce qui arrête la comédie, c’est soit la mort, soit quelque chose de plus fort encore, doté de beauté et de grâce.

 

Connaissez-vous le Liban?

 

C’est, je crois, un des pays les plus proches de la poésie, celle qui fait venir dans sa parole du feu et des roses. Pour moi, la poésie est l’état le plus haut du vivant.

 

Christian Bobin, Propos recueillis par Zeina Trad pour L’Orient Littéraire

Voir les commentaires

Une âme triste est une âme qui se trompe

10 Juin 2020, 04:54am

Publié par Grégoire.

Une âme triste est une âme qui se trompe

Partout Dieu nous attend, mais un Dieu en loques, mal rasé, inquiet - pas le soleil à crâne d'or des antiques processions religieuses. Ce Dieu-là ne s'encombre d'aucun rituel. Notre étonnement et une pointe de gaieté lui suffisent comme monnaie dans sa main tendue. J'appelle « Dieu » la vie à peine sortie du tombeau des conventions, mal fichue, décoiffée comme au sortir du lit, adorable.

Et j'appelle « anges » ces gens qui s'intéressent passionnément à la vie et s'émerveillent de n'y rien comprendre. J'ai passé un dimanche après-midi chez des anges. Chacun était unique. Il n'y a pas de fabrique des âmes. Il ne peut y en avoir. Le songe, la sauvagerie et la décision soudaine sont les racines de l'âme. Ce qui n'est qu'efficacité l'anéantit. Un des anges passait ses journées à dessiner avec des crayons de couleur les arcs-en-ciel qui illuminaient sa boîte crânienne. Il n'exposait pas ses œuvres, fuyait tout commerce.

C'est un des signes certains pour reconnaître un ange : l'horreur des affaires. Un autre travaillait dans une banque et c'est encore un signe pour les distinguer : ils contredisent toutes les règles, même celles qui les définissent, et ne sont jamais là où nous avons coutume de les épingler, froids sur les tympans des cathédrales, endimanchés dans les livres de peinture. Ils parlaient des uns et des autres.

Les âmes sont indéchiffrables, comment s'arrêter jamais de les commenter ? Le commentaire infini que tissent chaque jour nos confidences et nos émerveillements est le bruit que fait la caravane de l'éternel à nos fenêtres. En écoutant ces anges, si drôles, je redécouvrais la vérité la plus fuyante qui soit : une âme triste est une âme qui se trompe. Un ange parla d'un de ses cousins qui avait dormi jusqu'à dix ans dans une caravane avec des bébés lions. Depuis qu'il n'avait plus de cirque, il allait comme représentant de commerce sur les routes, trois jours par semaine, et le reste du temps fréquentait les salles de vente où, sans avoir de quoi les acheter, il admirait les vieux soleils bradés. (Un jour, je me suis surpris dans le grand miroir rouillé d'un brocanteur et j'ai aussitôt pensé que je ne dépenserais pas un sou pour acheter quelqu'un comme moi.) Ce cousin des anges jugeait sa vie trop précieuse pour la perdre en actions. Il n'en faisait rien.

Ce matin, j'ai réalisé l'expérience magique de ce rien, quand le papier couleur sable de l'enveloppe s'est mis à boire l'encre de l'adresse que je venais d'écrire. (Les lettres qu'on écrivait jadis à la main amenaient au monde - par leurs pleins et leurs déliés vibrants de l'invisible - les premiers secours de l'âme.)

J'ai regardé, fasciné, le brillant de l'encre noire disparaître des lettres, s'éteindre peu à peu comme une lampe qui se meurt ou comme quelqu'un qui, portant un flambeau, s'éloigne dans la nuit. Une seconde de contemplation ouvre les portails du temps : je venais de passer une vie entière à regarder un peu d'encre rentrer dans un peu de papier. Une vie nouvelle s'avançait. Nous vivons des milliers de vie par jour, les anges le savent qui ne veulent pas en perdre une miette. 

Christian Bobin

Voir les commentaires

je parle si souvent de Dieu qu’on va finir par croire que je le connais

28 Mai 2020, 08:07am

Publié par Grégoire.

je parle si souvent de Dieu qu’on va finir par croire que je le connais

Il y a deux façons de protéger un amour: vous n’en parlez jamais, il ne fleurit même pas sur vos lèvres ou dans le fond ombreux de vos yeux, ou alors vous multipliez tout les noms, vous prenez toute la corbeille du langage et vous lui donnez tout les noms et votre amour est protégé.

 

Je ne sais pas ce que c’est que Dieu. Je sais que cette vie est illimité, je sais qu’il y a un principe personnel de cette vie, mais je n’en sais pas plus…

 

Ces histoires de Dieu, c’est bizarre mais j’ai toujours vu le divin sortir de façon incongru, je l’ai vu dans ces maisons ou l’on rassemble les troupeaux sans bergers de ces gens atteins d’alzheimer, ou parce que la vieillesse a décrété qu’ils devaient être là, et j’ai vu des gens extrêmement précieux et d’une beauté soufflante qu’ils ne connaissaient pas eux mêmes. J'ai trouvé Dieu dans les flaques d'eau, dans le parfum du chèvrefeuille, dans la pureté de certains livres et même chez des athées. Je ne l’ai presque jamais trouvé chez ceux dont le métier est d’en parler.

Enfin, je parle si souvent de Dieu qu’on va finir par croire que je le connais.

 

Un jour dans un hôpital psychiatrique, un homme arrive vers moi et me dit: « je vous reconnais, vous êtes Dieu! » c’était vraiment me faire beaucoup d’honneur; j’ai eu une réponse… vous savez la vie c’est des cartes qui tombent comme ça en moins d’une seconde et il faut tout de suite relancer le jeu…

 

j’ai eu une réponse un peu faible, je lui ai répondu « non » et j’ai vu un grand dépit dans son visage, c’était un souffrant, quelqu’un de malade; aujourd’hui je lui répondrai « oui… mais vous aussi », « oui, mais pas plus que vous » Pas parce qu’il était faible et malade, mais parce que -je vais vous dire c’est épouvantable- je le reconnais partout. Pas uniquement dans les gens fragiles; Je peut sentir quelque chose de divin y compris dans la tristesse d’un puissant, d’un roi, d’un ministre; et ils me touchent ces gens là, non par leur puissance, non par leur morgue, mais parce que c’est une misère de croire que l’on peut quelque chose sur les autres, qu’on peut être le maître dans cette vie. Les mains des anges sont noires à force de nous déterrer des gravats de nos projets.

 

Au fond cet homme était clairvoyant: ce qu’on appelle Dieu peut se présenter partout dans notre vie, presque à notre insu. C’est comme du vif argent cette histoire de Dieu, c’est impossible à attraper, mais ça fait reluire tout le feuillage de la vie.

 

Christian Bobin 

Voir les commentaires

Il y a la vie qui est là, miraculeusement là ...

12 Mai 2020, 00:49am

Publié par Grégoire.

Il y a la vie qui est là, miraculeusement là ...

"Le mot confinement contient l’adverbe finement. Le confinement pourrait donc signifier « être ensemble finement », voire « vivre ensemble finement ». Inutile de consulter un dictionnaire : qui dit finement veut dire penser ou faire des choses avec finesse. Quelles sont les choses qu’on peut et doit faire avec plus de finesse ? Notre réponse : mais tout ! Nous n’oublions pas que nous sommes venus au monde en parfait ignorant et que nous avons dû apprendre les usages terrestres à partir de zéro. À commencer par apprendre à nous tenir debout, puis à avancer pas à pas vers l’espace qui s’ouvre devant nous. Sauf chez les plus doués d’entre nous, d’une façon générale, nos postures et nos comportements, autrement dit notre manière d’être, sont empreints de gaucherie et de maladresse ; il y manque trop de la grâce pour que nous soyons à même d’entrer en résonance avec l’invisible Souffle rythmique qui anime l’univers vivant. Nous sommes en quelque sorte d’éternels apprentis, d’éternels amateurs. Il y a toujours lieu d’améliorer notre approche de la vie, avec plus de lucidité et de finesse. Le confinement obligatoire nous en donne l’occasion.


D’abord, dans notre rapport avec les choses qui nous entourent. Il fut un temps où l’humanité était plus humble, plus patiente. Elle chérissait les choses qui étaient à son service. Elle en connaissait le prix, éprouvait à leur égard de la gratitude. Il s’établissait entre les humains et les choses un lien de sympathie, pour ne pas dire de connivence. On gardait les choses le plus longtemps possible, même quand elles étaient rongées d’usure. On rapiéçait les chaussettes, on ravaudait les chemises, on réparait les porcelaines fêlées, on entretenait avec vénération les meubles légués par les aïeux. Ainsi traitées, les choses prenaient un aspect personnel, revêtaient un coloris intime.


Mais depuis une ou deux générations, nous assistons à l’avènement du jetable. Du coup, nous n’entretenons plus le même rapport avec les choses. Les traitant de haut, nous ne leur portons ni attachement ni affection. Elles sont usées par nous, dans l’indifférence. Arrive le moment où elles se montrent moins efficaces, nous les fourrons sans ménagement dans le sac-poubelle. Hop là, un bon débarras ! Ni vu, ni connu. Tout cela ne nous éduque pas dans le sens de l’attention du respect, encore moins de la douceur et de l’harmonie. Il arrive bien souvent qu’inconsciemment, aux heures de nos désœuvrements, nous nous agacions de la présence des choses, parce qu’elles nous renvoient l’image de nos propres désarrois.


Le confinement est l’occasion de réapprendre la valeur des choses qui nous entourent. Celles-ci, nous le savons, ont une âme, même un bout de ruban, même une épingle. Elles ont acquis une âme, pour avoir été les témoins de notre vie. Elles conservent précieusement nos souvenirs, que nous avons relégués aux oubliettes. Elles peuvent nous être d’un soutien secourable si nous consentons à en faire des interlocuteurs valables. Elles sont là, pour nous rappeler que la vie n’est pas forcément un gâchis total. Elles sont là pour nous appeler à la fidélité.


Après notre rapport avec les choses, venons-en à celui, plus complexe, que nous entretenons avec les êtres. Le confinement crée des conditions pour vivre en compagnie des êtres qui nous sont chers, nuit et jour, sans une seconde de séparation. Au lieu de nous en réjouir, nous voilà paniqués. Jusqu’ici en effet, nous n’avons pas conçu la vie ainsi ; chacun a ses occupations, jouit des possibilités d’évasion. On découvre, effarés, qu’un tête-à-tête permanent est un casse-tête, que trop de promiscuité tue la vraie intimité. On en vient à avoir la nostalgie d’une certaine distanciation. Or, justement, en même temps que le confinement, on nous recommande de garder une « distance sociale », et si possible de ne pas se toucher. Cette situation, apparemment contradictoire, nous incite à une réflexion plus fine. Dans notre société, les sentiments d’affection s’expriment par un ensemble de paroles et de gestes très démonstratifs, une effusion ignorant les barrières. On s’adore, on s’embrasse, on baigne sans répit dans une mare de sentimentalité. C’est certes tout ce qu’il y a de positif. Sauf qu’en vase clos, pour peu que survienne un accroc, ces mêmes paroles et gestes, prononcées, effectués machinalement, ou devenus trop envahissants, étouffants, dégénèrent en chamailleries, quand ce n’est pas en violence.


Me revient alors en mémoire l’injonction de Confucius qui prônait dans les relations humaines, le « li », terme qu’on peut traduire par « le rituel du respect mutuel », un rituel fondé sur le principe de la distance juste. Selon le sage, seul ce principe permet de rendre durable l’attachement le plus profond. À partir de ce principe d’ailleurs, ses disciples conseillaient d’introduire dans le lien conjugal une forme d’amour courtois où chaque conjoint traite l’autre en hôte d’honneur. Les circonstances actuelles, pleines de paradoxe, me poussent ici à rappeler ce que Confucius avait proposé, 2 500 ans auparavant ; mais je mesure parfaitement ce qu’il peut y avoir d’inconcevable pour les gens d’aujourd’hui.


Après le rapport avec les choses et les êtres, comment ne pas aborder enfin le rapport avec soi-même. Dans le confinement, le sentiment qui domine chez chacun est la peur de se trouver seul à seul avec son ombre. Inévitablement, nous pensons à notre cher Pascal qui déplore que l’homme ne sache pas demeurer dans une chambre ; en proie au divertissement, il cherche à se fuir pour ne pas dévisager le destin, le sien. Entre quatre murs où rien d’inespéré ne peut advenir, quel mortel ennui ! Pourtant, la chambre peut contenir plus de présence et de richesse qu’on imagine. Il y a la mémoire de notre passé chargé d’orages, de remords, mais également de moment de félicité, il y a le présent à méditer et à métamorphoser, un présent bouleversé cette fois-ci par les actes héroïques des soignants et de tous ceux qui aident ; par les SMS reçus, qui donnent lieu à un authentique partage dans l’épreuve ; il y a le futur à préparer, un futur ouvert qui ne sera plus comme avant.


À ce point de réflexion, l’idée me vient d’évoquer un épisode dans la vie de Jakob Böhme, le grand mystique du XVIIe siècle. Un après-midi de solitude dans son sombre logis, il voit un rayon de lumière qui entre par la fenêtre et qui s’attarde sur un ustensile en étain. L’humble objet renvoie des reflets irisés. Soudain, il est ému jusqu’aux larmes et, empli de gratitude, il tombe à genoux. Un matérialiste pur et dur viendrait nous expliquer doctement que tout cela relève de la loi physique, qu’il n’y a vraiment pas de quoi s’émouvoir là-dessus. Mais Böhme voit autre chose, il voit qu’au sein de l’éternité, en ce coin perdu de l’immense univers apparemment muet et indifférent, un instant de miracle a lieu, ce rayon de lumière qui vient iriser l’après-midi terrestre où un humain anonyme, poussière d’entre les poussières, a pu capter la scène et, avec son œil ouvert et son cœur battant, être submergé par l’émotion. Qui peut expliquer cet insondable mystère ? Il n’y a peut-être rien à expliquer. Il y a la vie qui est là, miraculeusement là, à recevoir comme un don inouï. Chacun dans sa chambre, à sa manière unique, doit se tenir prêt à accueillir le rayon de vie qui se donne là, comme un ange annonciateur, comme un hôte d’honneur."

FRANÇOIS CHENG

 

Voir les commentaires

L'imbécilité est la croyance que nous avons un droit sur ce dont nous avons besoin

8 Mai 2020, 09:17am

Publié par Grégoire.

L'imbécilité est la croyance que nous avons un droit sur ce dont nous avons besoin

 

Vous demandez quelque chose qui vous manque, et parce qu'elle vous manque vous en parlez comme si elle vous était due. Vous me faites penser à cette phrase entendue l'autre jour dans le rue : "elle veut être aimée, quelle imbécilité!". Cette parole est dure, mais la vérité a parfois des dents de loup. 

L'imbécilité en question est dans la croyance que notre volonté nous ouvre un droit sur ce dont nous avons besoin, y pose déjà une légère griffe. Mais franchement, qu'est ce qui mérite en nous d'être aimé? J'ai beau chercher je ne vois rien. L'imbécilité n'est pas de demander mais de changer sa demande en plainte et bientôt en exigence. 

Je sais bien, vous ne parlez pas de cela, mais c'est sur ce ton que vous en parlez et la vérité est dans le souffle avant d'être dans les mots. J'écoute vos raisons et je n'entends que votre dépit. Mais je n'ai jamais trouvé une once de vérité dans l'amertume. Je n'y ai jamais entendu que la misère d'un amour-propre déçu. 

Je ne reconnais l'éclat du vrai que dans la joie et dans cette conscience de nous-mêmes qui l'accompagne toujours, cette conscience radieuse de n'être rien - et dès lors comment prétendre à quoi que ce soit, pourquoi s'entêter dans une demande qui ne sait trop ce qu'elle veut et ne sait que le vouloir! 

L'amour ne vient que par la grâce et sans tenir compte de ce que nous sommes. 

D'ailleurs, si c'était le cas, il ne viendrait jamais.

Rassurez-vous : si je dis ces choses, je suis loin d'en être digne. Du moins je ne cesse de les contempler comme sur la route pleine d'ombre on regarde à l'horizon les montagnes que l'on atteindra pas encore aujourd’hui.

Christian Bobin

Voir les commentaires

Fuyez les gens sérieux, ils sont mortels ...

6 Mai 2020, 04:21am

Publié par Grégoire.

Fuyez les gens sérieux, ils sont mortels ...

Le meilleur de notre monde c’est cette cour d’école en chacun où nous pouvons nous retrouver et jouer ensemble.. le monde c’est la salle de classe, ça ne rigole pas, ça ne rigole pas le monde, il y a le maitre, il y a les élèves, il y a les bonnes notes, il y a les mauvaises notes...  ça craint, ça craint beaucoup, et on s’ennuie, et on meurt d’ennuie, et on meurt de cette souffrance d’être parfois humilié, d’être parfois oublié, et la pire place est peut-être celle des premiers ! 

Et le meilleur dont je vous parle ici, c’est le délassement, le délassement : vous quittez l’argent, vous quittez le savoir, vous quittez les appartenances de toutes sortes, vous quittez même vos métiers, vous quittez vos apparences, même vos vêtements, vous quittez tout, vous êtes dans la nudité interne qui est celle de l’âme, et les âmes ce n’est pas ce qu’on croit, ce n’est pas ce que disent parfois à tord les religions, ce n’est pas ce qu’elles en ont durcit, les âmes c’est juste des enfants qui jouent .. et imaginez, ça c’est le paradis, parce que les cours d’école ça peut-être terrible aussi, mais une cour d’école ou vous n’avez plus rien à craindre, où on peut se rencontrer, où la guerre c’est fini..

la guerre c’est dans les horaires de la salle de classe, dans les horaires d’école, c’est la guerre, le bombardement du savoir, le bombardement des places, et la grande menace du sérieux.

Il n’y a qu’un millimètre entre le paradis et nous, seul nous n’arriverions jamais à le franchir.. je suis entré plusieurs fois au paradis, j’en suis sorti… chaque fois je suis entré, c’était la rencontre avec quelqu’un.. et le partage du monde, -le partage non pas de ce monde là, ce monde de ténèbres- mais le partage.. comprendre que la personne ressent les choses comme nous et nous, comme elle… que nous avons un trésor de guerre à partager, que le trésor est fait de blessures, il est fait de larmes, il est fait d’une attente, d’espérance, et que ça, tout d’un coup : « ah, c’est pareil pour vous ? Ah c’est pareil ? Alors je ne suis pas à enfermer ? » On est deux, alors on faire venir une vérité vivante, et non pas un secret, ou un enfermement qu’on ne peut pas partager parce qu’on pense qu’on est pas normal … C’est ce monde qui n’est pas normal !

L’émerveillement, malgré tout ! Cette capacité enfantine de s’arracher à la terreur du monde. C’est le petit sauvage en nous qui nous sauve, c’est l’enfant intuable en nous, celui qui garde une lumière de berceau, rejoindre la part enfantine que le quotidien peut bousiller.. un secours vient toujours, du dehors, étrangement du dehors, pour réveiller ce qui est le plus enfoui, en dedans, vous n’avez pas à le chercher, ça vient, ça vient.. C’est un drôle de matériau la vie, c’est comme quelque chose ou quelqu’un qui vient vers vous et qui de temps en temps vous pose une main sur l’épaule, de temps en temps vous donne une claque, de temps en temps vous montre son dos, et qui s’éloigne et qui s’en va même dans des ténèbres dont vous ne connaissez plus le nom, et puis qui tout d’un coup se retourne et vous envoie le feu d’artifice d’un sourire.

Christian Bobin.

Voir les commentaires

briser en nous la mer gelée ..

5 Mai 2020, 02:33am

Publié par Grégoire.

briser en nous la mer gelée ..
"Peut-être que nous n'aimons pas déraisonnablement parce que nous pensons que nous avons le temps, ou que nous devons compter avec le temps.
Et si on n'avait pas le temps ? Ou si le temps, comme on le sait, n'est pas pertinent ?
Ah, si seulement le monde se terminait demain. Nous pourrions nous aider les uns les autres."

 Franz Kafka, lettres à Milena
 
 

 

"Vous avez cru que tout pouvait se mettre en chiffres et en formules ! Mais dans votre belle nomenclature, vous avez oublié la rose sauvage, les signes du ciel, les visages d'été, la grande voix de la mer, les instants du déchirement et la colère des hommes ! [...] Au sein de vos plus apparentes victoires, vous voilà déjà vaincus, parce qu'il y a dans l'homme une force que vous ne réduirez pas, ignorante et victorieuse à tout jamais. C'est cette force qui va se lever et vous saurez alors que votre gloire était fumée."
 
Albert Camus, L'Etat de Siège

Voir les commentaires

Ce mot obscur qu'est l'amour

2 Mai 2020, 01:18am

Publié par Grégoire.

Ce mot obscur qu'est l'amour

J'aime votre silence, j'aime votre fatigue éternelle, j'aime votre rire. J'aime tout de vous, et je ne me lasse pas de vous contempler dans cette vie ordinaire qui vous exténue, pour laquelle vous avez les attentions les plus rares. Je vous regarde chasser l'ombre du visage d'un enfant, apaiser ceux qui vous accablent d'eux- mêmes, renouveler l'eau des fleurs blanches, dans un vase ébréché. Je vous vois aller dans la vie la plus humble- qui est aussi la plus haute-avec cette intelligence qui ne met pas en péril ce qu'elle éclaire : vous veillez sans contraindre. Vous recueillez ce qui n'a pas lieu, vous écoutez ce qui n'est pas dit. Tout est obscur dans votre vie, car tout y est simple. Votre force est de ne jamais corrompre la faiblesse qui est dans les êtres, comme elle est dans les choses.

Vous vous tenez auprès de l'amour comme auprès d'un jeune enfant malade, qui peut à tout instant se réveiller et mendier la faveur d'un regard, d'un verre d'eau ou d'un conte. Dans la vie de chaque jour, vous ne demandez rien. Dans la vie éternelle- qui ne supporte aucune circonstance- vous demandez l'infini, et rien de ce qu'on vous donne ne convient, rien de ce qui est ne suffit. Alors vous demeurez là, silencieuse auprès de votre désir, par quoi la solitude-en vous- se fait consciente. Vous êtes une femme étrange, et d'ailleurs, pour dire votre étrangeté, il suffirait de dire cela : vous êtes une femme, et, en tant que telle, vous préférez toujours l'insaisissable désespoir à toute saisie d'amour.

 Qu'est-ce qu'aimer ? Que veut une femme lorsque, comme vous, elle s'habille d'un mot d'amour qui la dérobe à nos yeux et l'offre à nos songes ? Je ne sais pas. Peut-être n'y a-t-il, sous un ciel qui reste à inventer et à peindre, aucune distance entre la vie de chaque jour et la vie éternelle. Peut-être toutes différences entre l'amour et la solitude s'effacent-elles, dans l'exigence qui est leur source commune, unique. Peut-être. Je ne sais pas et j'écris pour savoir, je vous écris ces lettres qui n'égaleront jamais en pureté le simple fait de votre existence : écrire, c'est avoir une très haute conscience de soi-même, et c'est avoir conscience que l'on n'est pas à cette hauteur, que l'on n'y a jamais été.

C'est un mot obscur que celui de l'amour. Il résonne dans nos coeurs comme le nom d'un pays lointain dont, depuis l'enfance, on a entendu vanter les cieux et les marbres. Il dit ce qui délivre, il dit ce qui tourmente. Il est enroulé sur lui-même, luisant et creux, comme ces coquillages que l'on porte à l'oreille pour y entendre l'infini...

 

Christian Bobin, Lettres d'or

Voir les commentaires

aujourd’hui c’est bien, parce que le chaos est tellement grand qu’il faut tout revoir

1 Mai 2020, 01:42am

Publié par Grégoire.

aujourd’hui c’est bien, parce que le chaos est tellement grand qu’il faut tout revoir

Cette société que l’on dit molle, éteinte, consensuelle, est en guerre. Elle est en guerre contre les plus faibles et donc contre le meilleur d’elle-même. Cette guerre est menée contre les pauvres, les enfants, les amoureux, les femmes, les vieillards.

Le discours sur l’exclusion participe de cette guerre, par sa gentillesse qui est le contraire de la bonté. La gentillesse est une des premières vertus du commerce, une des règles de base dans la représentation : pour gagner le portefeuille, calmer les cœurs, flatter les enfants et les chiens et tout ce qui passe à portée de mains. La bonté est l’inverse de cette politique là. On n’y vend rien, on n’y achète rien. On n’y parle pas de SDF, on y parle de pauvres -et mieux encore : on ne parle pas des pauvres en général, on n’est pas dans l’attendrissement sociologique des catégories. On parle de celui-ci, puis de celui-là, puis de cet autre encore. Ce qui est « exclu » de nos sociétés, c’est ce qui en est le centre, le meilleur : le rire des enfants, le songe des amants, la patience des misérables, le génie des mères.

Ce que le monde détruit, il le détruit avec notre concours, du moins avec notre consentement… c’est une chose très difficile à nommer. On appelait ça jadis la pudeur. Le monde n’est qu’efficacité. Lui obéir, c’est arracher cette divine maladresse que nous avons au fond de l’âme et qui est la pudeur même…les petites mains volantes d’un nouveau né en sont la parfaite incarnation.. tout ce qui est réellement précieux et maladroit, timide, hypersensible…

Les moments les plus intéressants de ma vie sont sans aucun doute les plus misérables : là où la maladie ou un échec, entrant à cheval dans la chapelle de mon coeur, brisent le chandelier des sagesses, défigurent d'un trait d'épée  les belles paroles accrochées au mur. Je vois alors ce qui demeure intact, oublié par les barbares. Le gobelet d'un songe ancien. L'évangile d'un sourire, la confiance d'un nuage. Ta démarche vaillante et tes joies rebondies sous les lampions d'un noisetier.

La beau chapeau de nos conquêtes roulera sur notre tombe, mais nos défaites nous avaient déjà ouvert la porte de l’éternel. Nous sommes plus grand que le monde.. nous sortirons vainqueurs de cette épreuve, vainqueur et balbutiant de fatigue. 

Le monde n’a que la puissance que nous lui donnons. On a fait du travail un malheur, et de l’absence du travail un malheur encore pire, parce qu’il faut aujourd’hui qu’on justifie de ce qu’on fait sur terre.. mais en vérité, on n’a pas à justifier, on n’a pas à rendre compte de notre existence, on est là parce qu’on est là ! Personne ne travaille plus qu’un chômeur ! Personne ! Personne n’est plus sujet à la pénibilité, à la dureté, à la souffrance d’un travail parfois vide de sens qu’un chômeur. Personne n’est plus employé qu’un chômeur. Il est employé à se détruire lui-même, jour et nuit, seconde après seconde. C’est le contraire de l’oisiveté le chômage.. ces mots ne sont pas des mots, en vérité ce sont des chiens qui sont dressés par les économistes et qui nous sautent dessus : le chômage, combien ça coute, on ne peut pas faire ça, le budget, un bilan, ces choses là qui sont lâchés vers nous par des meutes de gens ivres d’efficacité, ivrognes d’efficacité, ces choses là il faut d’abord les débaptiser. Il faut tout revoir.

C’est pas très compliqué, il faut tout revoir. Ce qui est compliqué c’est quand il faut toucher une chose et laisser une autre à coté.. aujourd’hui c’est bien, parce qu’aujourd’hui le chaos est tellement grand qu’il faut tout revoir, donc c’est pas si compliqué.. 

Christian Bobin

Voir les commentaires

avec le temps tout s’en va ..

29 Avril 2020, 03:31am

Publié par Grégoire.

avec le temps tout s’en va ..

Je suis sorti tôt ce matin, me glissant doucement hors de ma demeure,  accompagné de mes chiens. Personne ne m’a vu partir et il est encore  trop tôt pour que je rencontre les rares sénéchaux chargés de surveiller  les allées et venues du peuple. Je marche d’un bon pas sur le chemin au  milieu des vignes et des champs, vers la forêt et le sentier rocailleux qui mène à la rivière. Le jour est déjà clair, aucun nuage ne vient  abimer l’immensité d’un ciel bleu encore pale qui d’ici quelques heures  deviendra bleu azur. Pourtant le soleil pointe à peine au dessus des  premiers arbres dont les feuilles commencent à sortir. La nature retrouve doucement son manteau estival après une période hivernale et grise, à présent les couleurs vertes, jaunes, orangées qui m’entourent  deviennent chaque jour plus imposantes.

La brume matinale a presque disparu ce qui présage d’une journée chaude  pour ce début de printemps. Une légère brise venant de l’ouest  rafraichira ses velléités de canicule. Les fleurs pourront ouvrir leurs  pétales et exhaler leurs parfums, les jeunes abeilles viendront butiner  leurs étamines chauffées par les rayons solaires, leurs pattes seront  chargées de pollen qu’elles ramèneront à la ruche. L’herbe est encore un  peu mouillée et je sens l’odeur de la terre récemment labourée dans un  champ alentour, je sens aussi l’herbe fraichement fauchée d’un autre champ qu’un paysan destine à ses bêtes. Mes chiens plongent leurs truffes dans les talus, remuant leur queue, grattant la terre avidement, enivrés par tous ces mélanges olfactifs, espérant dénicher quelque  mulot.

Au dessus d’un champ, dans le ciel, je repère une buse tournoyant dans les  airs en longues spirales, tentant de repérer une proie. Plus loin à la  lisière de la forêt, j’entend le cri rauque d’un héron, qui se détache de tous les chants matinaux des oiseaux. Ils donnent leur concert matinal, note après note, dans un chant d’amour destiné au printemps. Pas  d’autre bruit, à part celui de la nature et du vent dans les arbres.

J’ai laissé derrière moi les humains confinés qui ne peuvent plus sortir. La calamité s’est répandue sur nos terres et se propage si vite que nul ne  peut l’arrêter, sinon en se cloitrant et en la laissant passer devant sa  porte. Partout dans les cités, aux rues étroites et aux maisons basses, la maladie a frappé les pauvres hères affaiblis. Les échoppes sont fermées et les villes sont désertées par les êtres affamés, un silence de mort y règne. Dans les chaumières de campagne, dans les châteaux entourés de hautes murailles, les femmes s’occupent à leurs foyers, brodent, tissent, cousent et prient. Les hommes boivent, parlent, chahutent, boivent encore et prient un peu. Les enfants jouent et étudient, peu conscients du danger qui rode au dehors.

La promiscuité forcée a fait ressortir chez certains êtres leur coté cruel et animal ; la peur, la frayeur et l’affolement ont fait disparaître toute lueur de bon sens. Pour d’autres la gentillesse, l’attention et la  bonté dominent.

En arrivant à la rivière je regarde l’eau couler inexorablement et laisse s’évader mes pensées dans son reflet argenté. Je pense à ma vieille mère  qui est restée dans son domaine et dont je ne sais si je pourrai encore la serrer dans mes bras; je sais qu’elle est tellement forte qu’elle  pourrait me survivre et cela me rassure; je pense à ma chère cité de  Rouen que j’ai hâte de retrouver mais qui me parait hors de portée par sa distance; je pense à toutes ces batailles que j’ai menées, à tous ces  pays que j’ai traversés pour des conquêtes éphémères.

L’eau de la rivière continue de couler doucement comme la vie. Elle patine les pierres comme elle patine le temps. Et avec le temps tout s’en ira.

 

Richard Cœur de Lion, Cognac, le 2 Avril de l’an de Grâce  1198 

NB : en 1198 la peste a fait 22 millions de morts en Europe. La  mère de Richard Coeur de Lion était Aliénor d'Aquitaine.

Voir les commentaires

Le cœur riant

28 Avril 2020, 01:24am

Publié par Grégoire.

Le cœur riant


Ta vie est ta vie
Ne te laisses pas abattre par une soumission moite
Sois à l’affût
Il y a des issues
Il y a de la lumière quelque part
Il y en a peut-être peu
Mais elle bat les ténèbres
Sois à l’affût
Les dieux t’offriront des chances
Reconnais-les
Saisis-les
Tu ne peux battre la mort
Mais tu peux l’abattre dans la vie
Et le plus souvent tu sauras le faire
Le plus il y aura de lumière.
Ta vie, c’est ta vie.
Sache-le tant qu’il est temps
Tu es merveilleux
Les dieux attendent cette lumière en toi.

Charles Bukowski 

Voir les commentaires

L’indifférence, cette aptitude à être absent à tout ..

26 Avril 2020, 09:02am

Publié par Grégoire.

L’indifférence, cette aptitude à être absent à tout ..

 

L'Occident exsangue, au bord de se dévorer lui-même, s'en va depuis quelques temps voler aux Orientaux ce qu'il croit être leur « sagesse ». Dans ce pillage il le dénature, le change en cela seulement qu'il comprend : des techniques, des recettes, des savoirs.

Mais la parole incompréhensible de maître Dogen est pure intelligence : elle ne saisit rien. Elle s'enroule autour de l'inconnu comme des liserons autour d'une barrière. Le verre éteint des yeux d'un mort, le feu sans flamme des yeux d'un nouveau-né - on ne peut les fixer que quelques secondes. Ces quelques secondes sont celles qui font le printemps, l'été, l'automne, l'hiver, le vrai, le faux. Ce que nous mesurons, devant celui qui est toute rigidité comme devant celui qui est toute souplesse, c'est le principe de délicatesse en quoi se déploie toute la vie.

Le mort n'est plus touché par le monde, le bébé ne l'est pas encore. Tous deux sont comme des fleurs qui n'ont pas de raison d'être, qui passent, qu'il convient d'honorer avec des paroles fraîches - celles des poètes ou des prophètes. Je sais qu'une pensée est juste quand elle me tape sur le coeur, qu'elle bourdonne à mes tempes.

De grandes choses dorment en nous, toujours, d’un sommeil qu’agite un peu plus la longueur accrue des jours. Quelque chose manque, toujours. A tout ce que nous pouvons faire et dire et vivre, quelque chose manque, toujours.

On peut vouloir passer outre, s’arranger. Ce qui n’est qu’un seul et inépuisable jour on peut l’oublier, on peut l’amoindrir en jours, en semaines, en mois. S’occuper. 
Parler et croire que l’on parle. Faire des choses et croire que l’on fait quelque chose.
Tout s’en va. Tout glisse doucement – les voix, les regards – tout glisse doucement sur le côté, sans heurts, comme indépendamment de tout vouloir, comme un glissement de terrain.

Et tout se poursuit aussi bien. Les mêmes choses, toujours. Apparences du travail, apparences des conversations, apparences des mouvements divers. Vie apparente. Je suppose que c’est là chose banale.  Je suppose qu’il est possible de vivre ainsi longtemps, sur un long temps. Dans cette mort merveilleuse de l’indifférence.

Dans cette horrible aptitude à vivre en l’absence de tout, dans la plus silencieuse des absences. Sans âge. Sans plus vieillir, sans plus souffrir de rien. Sans doute est-ce là cette vie, que l’on dit ordinaire..

Christian Bobin

Voir les commentaires

J’ai commencé mon vrai métier : attendre

24 Avril 2020, 01:33am

Publié par Grégoire.

J’ai commencé mon vrai métier : attendre

 

Les rues de Nevers — des veines d’où le sang serait parti depuis des siècles. J’entre dans une église comme dans ce palais dont parle Rimbaud, d’où l’on a vidé tous les meubles « pour ne pas voir une personne aussi peu digne que vous ». Sous une cloche de verre, Bernadette Soubirous, comme un insecte pris dans l’ambre, dort de son sommeil de cire. Les saintes sont de drôles de filles.

Le silence qui règne ici, à quoi le comparer : à la poussière de craie dans la rainure des tableaux à l’école – quelque chose de sec, qui fait tousser et qui ennuie. Le plus vivant est le bruit d’une chaise raclée par un fidèle. On dirait le grognement de Dieu dans son sommeil. Je reprends le chemin de la gare. Le ciel repeint les jardins. Le vent tourmente les roses trémières au long cou de décapitées. Dans les villes inconnues marche quelqu’un qui a notre visage, notre âge et notre nom, quelqu’un qui est nous mais ayant épousé une autre vie. J’ouvre un livre dans le train. Lire est un adieu au monde. Un à un les voyageurs s’endorment, touchés par la baguette féérique d’une fatigue.

Le train longe la vieille usine du Creusot. C’est donc là que je suis né, dans cette ville noble d’être pauvre. En vérité, ce n’est pas là mais dans un livre, devant une histoire qui me serrait la gorge. Il s’agissait d’épargner à une reine une mort injurieuse. Arrivé à la fin de ma lecture, je n’avais pu sauver la soupçonnée et c’est sans doute que le livre était mal écrit. À l’instant de descendre du train, je découvre les seuls passagers éveillés : une mère et sa fille. L’enfant regarde fascinée un nuage dans le ciel. La mère contemple en souriant le petit visage captif des anges. On dirait un poème sans auteur. Le sourire est un trésor aztèque.

Nos âmes, ce sont nos actes. L’âme d’un poète, c’est son haleine sur la vitre de papier blanc, celle d’un assassin, c’est le deuil qu’il porte de lui-même. Les saintes sont des tanks. Un sourire est plus puissant qu’une colonne de chars. Le Creusot est un bloc de prose. C’est par sa dureté que j’ai tout compris de la poésie. À trois ans, j’ai levé les yeux et j’ai vu la ville éternelle au-dessus de la ville, ses anges en bleu de chauffe et ses jardins de nuages.

J’ai commencé mon vrai métier : attendre. C’est un métier qui exige beaucoup. L’attente pure est celle qui ne sera jamais comblée. Le manque est la lumière donnée à tous. La poésie est le nom laïc de la sainteté. La sainteté est l’accord intuitif, fragile, avec la vie sauvage – rien qui tienne sous verre ou sous dogme. Le train repart avec sa cargaison d’ensommeillés. Le poème de la petite fille au nuage glisse sur les rails, s’éloigne, s’efface.

Tout passe. Rien ne demeure que la gloire écrite de nos jours pauvres. 

Christian Bobin.

Voir les commentaires

Le seul danger ...

22 Avril 2020, 03:56am

Publié par Grégoire.

Le seul danger ...
 
Le seul danger serait en effet de se réveiller un jour 
Avec une âme qui n’aurait jamais servi,            
Une âme ensevelie de précautions,      
Soigneusement amidonnée ,                    
Repassée et pliée en quatre,                    
Mais qui tombe en poussière faute d’usage.                                                      
Car ce qu’il y a de pire                              
C’est d’avoir une âme habituée,
Une âme tellement encroûtée,
Tellement imperméabilisée, 
Que la Grâce roule sur elle sans rien mouiller, 
Comme des gouttes d’eau sur une toile cirée
 
Paul Baudiquey
 

Voir les commentaires

Je voudrais arriver à la mort aussi frais qu'un bébé, et mourir avec cet étonnement des bébés qu'on sort de l'eau ..

21 Avril 2020, 01:34am

Publié par Grégoire.

Je voudrais arriver à la mort aussi frais qu'un bébé, et mourir avec cet étonnement des bébés qu'on sort de l'eau ..

 S'il y a un lien entre l'artiste et le reste de l'humanité, et je crois qu'il y a un lien, et je crois que rien de vivant ne peut être créé sans une conscience obscure de ce lien là, ce ne peut être qu'un lien d'amour et de révolte. 

C'est dans la mesure où il s'oppose à l'organisation marchande de la vie que l'artiste rejoint ceux qui doivent s'y soumettre: il est comme celui à qui on demande de garder la maison, le temps de notre absence. Son travail c'est de ne pas travailler et de veiller sur la part enfantine de notre vie qui ne peut jamais rentrer dans rien d'utilitaire.

J'aime les enfants de trois ans. Je les vois comme des fous ou des aventuriers du bout du monde. il n'y a que l'enfance sur cette terre. Je la reconnais d'instinct, même chez ceux qui ont cru l'étouffer sous le poids de leur vie morte. Même chez ceux là je devine l'enfant de trois ans et c'est à lui que je parle quand je leur parle et c'est lui seul qui est là pour toujours dans le coeur comme dans une salle de bain vide. Pendant quarante ans j'ai appuyé mon coeur sur le coeur d'un enfant de trois ans. Jamais il n'a cédé. Pensées et sensations venaient éprouver leur puissance en s'appuyant sur cette clef de voûte de trois ans d'âge. Lorsque, privé de secours, j'hésitais sur le chemin à prendre, je me tournais vers cette figure ensauvagée pur y trouver le calme. Nous ne ferons jamais assez confiance à cette enfance en nous. Là où les mots font défaut, elle parle. Là où nous ne savons plus, elle tranche.

Je crois que l'enfance est pour beaucoup dans ces refus dont nous ressentons la nécessité sans savoir les justifier. Je crois qu'il n'y a qu'elle a écouter. Il m'arrive de demander un avis, pour décider du chemin de telle ou telle phrase ou pour une conduite à tenir dans telle ou telle affaire. Je ne le demande que pour me donner le temps de rejoindre ce qui s'est, au profond de moi, choisi : je ne suis en fait aucun conseil -comme un enfant insupportable de trois ans."

 

Christian Bobin, L'épuisement

Voir les commentaires

Cette victoire dans l'obscurité ..

11 Avril 2020, 13:16pm

Publié par Grégoire.

Cette victoire dans l'obscurité ..

* Samedi Saint *

 

 

Condamnation

 

Jésus a été condamné, rejeté par les grands prêtres ! 

 

Pourquoi ? Il est coupable de trop d’amour : il ne respecte pas les Lois, il n'obéit pas aux autorités en charge, s'engage trop dans la vie des personnes, les accompagne sans respecter la juste distance, ... !

 

C'est nécessairement un manipulateur,  un séducteur, un abuseur que la populace semble canoniser un peu vite .. !

 

Son amour est insupportable pour des yeux étriquement religieux, médiocrement puritains et pas assez humains. 

 

Et, il dérange : cet amour excessif n'est-ce pas du relativisme face à l’absolu de la loi ?! Faisons respecter l'ordre ! Il faut quand même éduquer les gens bon sang !!

 

Un homme, ami des pécheurs, mangeant avec les publicains et les prostituées ?? mais voyons, n'aurait-il pas .. une double vie ? C'est trop louche... faisons une enquête !

 

 

 

 

 

 

Et cela demeure toujours. L’humanité d’aujourd’hui condamne Jésus. Les opinions des hommes, la conscience éveillée des experts et les jugements des grands prêtres qui, eux, 'savent', ont le prestige et le pouvoir spirituel, tous ont bien discerné son petit jeu !

 

Et puis, dame : il n’y a pas de fumée sans feu : s’il est condamné, c’est qu’il y a faute .. ! Mêmes les médias le disent : ça ne peut donc être que vrai !

 

 

 

Silence

 

Jésus a accepté de se taire et de prendre la dernière place pour montrer, dévoiler  l'attraction silencieuse, substantielle qu'est Le Père, source actuelle tout ce qui existe. 

 

Jésus accepte d'être présumé coupable, de passer pour un tordu, un pervers, et d'être crucifié pour révéler -en creux- Celui dont il se reçoit et en qui il trouve son repos : le Père, pure bonté, Celui qui est LA Réalité, plus présent à nous même que nous même et caché derrière les apparences.

 

Le pardon, la miséricorde ne sont qu'un moyen en vue de dire Celui qui est Amour. Mais on ne peut s'arrêter à la miséricorde. L'amour seul est la cause et le 'ce en vue de quoi' s'exerce le pardon !

 

Et Jésus choisit de disparaitre. Il se sert du jugement des grands prêtres et de la trahison  de ses apôtres. Il donne alors à la mort, à toutes violences, une nouvelle signification.

 

 

 

Compassion

 

Mort, le cadavre de Jésus est alors remis, confié à la terre. Il n’y a plus de corps visible, plus de souffrance pour compatir. Il n’y a plus rien. C’est l’absence, le vide.

 

Séparée du cadavre de son Fils, Marie vit cette absence, cette négation mortelle, cette échec total. Elle vit cette brisure, cet état cadavérique, ce silence de mort.

 

Il n’y a plus que l’abandon, il n’y a plus que la brutalité des faits : c’est la violence de la mort, de la mise au tombeau, qui plongent ceux qui restent dans une solitude totale : être là, comme inutile, dans un pâtir à l’état pur.

 

 

 

 

 

Chacun vit ce moment du sépulcre : c’est l'ultime étape. Cette étape, on peut dire que le monde l’a toujours vécu, comme il a toujours vécu l’Agonie et la Croix. 

 

Mais il y aura un moment - et nous y sommes peut-être - où l’Église, corps mystique- devra vivre, d’une manière toute particulière, de ce moment du Sépulcre.

 

 

 

Actualité

 

Cette séparation de l'âme et du corps de Jésus, ne serait ce pas aujourd'hui cette absence de tout culte, ces églises vides, ce corps de Jésus confiné dans les maisons,  les hôpitaux et les ehpad ? C'est le corps séparé de son âme, de sa vie propre, de cette communion vitale avec le reste du monde.

 

Et, Jésus, ce cadavre divin qui repose, c'est mystérieusement qu'est réalisé le salut et que s'opère la recréation : car alors, dans le cadavre, le corps subsiste directement dans le Verbe ! c'est à la mort, la séparation de l'âme et du corps, que le Verbe est devenu CHAIR ! 

 

La chair est alors habitée par le Verbe -et même elle est, à ce moment là, devenue le Verbe, Dieu !! La chair du Christ est Dieu. Cette matière inerte qu'est le cadavre de Jésus est divinisé..  

 

La passivité du cadavre de Jésus dit alors immédiatement l'amour substantiel, cette attraction substantielle qu'est Dieu !

 

 

 

 

"Et la terre vint au secours de la Femme " apoc 12.

 

C'est la Chair devenu verbe qui fait que Marie, que tout ceux qui veulent -consciemment ou inconsciemment,  être à l'école de Jésus, qui cherchent la lumière, vivent alors comme le secret du Père dans le monde !

 

Nous sommes faits dans notre corps Terre Sainte, Terre promise, Temple nouveau, Arche d'alliance.. dans notre personne, dans notre chair avec tout ce qu'elle comporte de lourdeur et d'obscurité.. nous le sommes fais à ce moment là !

 

Ce n'est pas manifeste, mais cela est ! Gratuitement ! Cela s'impose à nous ! Nous sommes recréés, là, maintenant, comme sa chair est alors imbibé par le  Verbe éternel !

 

Et là, il nous faut alors tout réapprendre : comment vivre de cette victoire cachée , non encore manifestée ? Comment les jugements actuels sont-ils là pour permettre de toucher  ce que Lui fais de nous ? Comment dans une active passivité, laisser toujours plus cette attraction silencieuse Père s'exercer sur nous ?

 

Lui qui, maintenant nous a pris en Lui, et ne cesse de nous secréter, au plus intime de Lui-même, comme son unique, son secret, son bien-aimé !

 

 

Grégoire +

 

 

 

 

 

 

Voir les commentaires

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 > >>