Lumière du
Monde
Le Pape, l'Eglise et les
signes des temps
Lumière du
Monde est le livre qui recueille la conversation entre Benoît XVI et le journaliste allemand Peter
Seewald. Sortie prévue le 23 Novembre Quelques extraits :
La joie du
christianisme Toute ma vie a toujours été traversée par un fil conducteur, celui-ci: le christianisme donne la joie, il élargit nos horizons. En fin de
compte une vie toujours et seulement vécue «contre» serait insupportable.
Un mendiant Pour ce qui concerne le Pape, il est lui aussi
un pauvre mendiant devant Dieu, encore plus que les autres hommes. Bien sûr, je prie le Seigneur d'abord, auquel je suis lié, pour ainsi dire, par une vieille amitié. Mais j'invoque aussi les
saints. Je suis très ami avec
saint Augustin, Bonaventure et Thomas d'Aquin. Je leur dis donc: "Aidez-moi!" La Mère de Dieu, ensuite, est toujours un grand point de référence. En ce sens, je m'insère dans la communion des saints. Avec eux, renforcé
par eux, je parle ensuite avec le Dieu bon, surtout en mendiant, mais aussi en remerciant, ou content, tout simplement.
Les
difficultés J'en avais tenu compte. Mais avant tout, il faut être très prudent dans l'évaluation d'un pape, s'il est
important ou non, quand il est encore en vie. C'est seulement plus tard qu'on peut reconnaître quelle place dans l'histoire dans son ensemble, a une chose ou une personne
déterminée. Mais que l'atmosphère ne serait pas toujours joyeuse était évident compte
tenu de la constellation mondiale, avec toutes les forces de destruction qu'il y a, avec toutes les contradictions qui l'habitent, avec toutes les menaces et les
erreurs. Si je n'avais reçu que
du consensus, je devrais me demander si vraiment j'annonce l'Évangile tout entier.
Le choc des abus Les faits ne m'ont pas du tout cueilli par surprise.
A la Congrégation pour Doctrine La foi, je m'étais occupé des cas américains; j'avais vu aussi la situation monter en Irlande. Mais les dimensions furent un choc énorme. Depuis mon élection au
seuil de Pierre, j'avais rencontré à plusieurs reprises des victimes d'abus sexuels. Il y a trois ans et demi, en Octobre 2006, dans un discours aux évêques irlandais, je leur avais demandé
"d'établir la vérité de ce qui s'est produit dans le passé, de prendre toutes les mesures nécessaires pour les empêcher de se reproduire, de s'assurer que les principes de justice soient
pleinement respectés et, surtout, de guérir les victimes et tous ceux qui sont touchés par ces crimes odieux. "Voir le sacerdoce souillé de cette manière, et avec cela l'Eglise catholique elle-même, a été
difficile à supporter. A cette époque, cependant, il était important de ne pas détourner le regard du fait
qu'il existe du bien dans l'Église, pas seulement ces choses terribles.
Les médias et les
abus Il était évident que l'action des médias n'était pas seulement motivée par la poursuite de la vérité pure, mais
qu'il y avait aussi le plaisir de mettre l'Eglise au pilori et, si possible, de la discréditer. Et pourtant, il était nécessaire que ceci soit clair:
puisqu'il s'agit de faire la lumière sur la vérité, nous devons être reconnaissants. La vérité, unie à un amour bien compris, est la valeur numéro un. Et puis, les médias n'auraient pas pu donner
ces comptes rendus si le mal n'avait pas été dans l'Église elle-même. Ce n'est que parce que le mal était à l'intérieur Eglise que les autres ont pu le retourner contre
elle.
Progrès
La problématique du terme «progrès» émerge. La modernité a cherché son propre chemin, guidée par l'idée de progrès et par celle
de liberté. Mais qu'est-ce que le progrès? Aujourd'hui, nous constatons que le progrès peut aussi être destructeur. Pour cela, nous devons réfléchir sur les critères à adopter pour que les
progrès soient vraiment des progrès.
Un examen de
conscience Au-delà des simples plans financiers, un examen de conscience complet est absolument inévitable. C'est à cela Eglise que a cherché à
contribuer avec l'encyclique "Caritas in veritate". Elle ne donne pas de réponses à tous les problèmes. Elle veut être un pas en avant pour regarder les choses d'un autre point de vue, qui ne
soit pas seulement celui de la faisabilité et le succès, mais du point de vue selon lequel il existe une normativité de l'amour pour notre prochain qui est orienté à la volonté de Dieu et pas
seulement à nos désirs. Dans ce sens, il faudrait donner des impulsions pour que se produise vraiment une transformation de la conscience.
La vraie intolérance La véritable menace devant laquelle nous nous trouvons est que la
tolérance soit abolie au nom de la tolérance elle-même. Il y a le danger que la raison, ce qu'on nomme la raison de l'Occident, soutienne avoir finalement reconnu ce qui est juste et avance ainsi
une prétention de totalité (totalitaire) qui est ennemi de la liberté. Je crois nécessaire de dénoncer avec force cette menace. Personne n'est obligé d'être chrétien. Mais personne ne devrait
être forcé de vivre selon la «nouvelle religion», comme si elle était la seule vraie, obligatoire pour toute l'humanité.
Les mosquées et la burqa Les chrétiens sont tolérants, et en tant que
tels, ils permettent aussi à d'autres leur propre compréhension. Nous nous réjouissons du fait que dans les pays arabes du Golfe (Qatar, Abu Dhabi, Dubaï, Koweït), il y a des églises où les
chrétiens peuvent célébrer Messe et nous espérons que cela arrivera partout. Il est donc naturel que chez nous, les musulmans puissent se réunir pour prier dans les
mosquées. Quant à la
burqa, je ne vois aucune raison pour une interdiction générale. On dit que certaines femmes ne la portent pas volontairement, mais qu'en réalité c'est une sorte de violence exercée contre elles.
Il est clair qu'on ne peut pas être d'accord avec cela. Mais si elles veulent la porter volontairement, je ne vois pas pourquoi nous devrions l'empêcher.
Le christianisme et la
modernité Etre chrétien est une chose vivante, moderne, traverse, en la formant, et en la façonnant, toute ma modernité, et donc dans un sens,
l'embrasse vraiment.
Ici une grande lutte spirituelle est nécessaire, comme j'ai voulu le montrer
avec la mise en place récente d'un Conseil Pontifical pour la nouvelle évangélisation. Il est important que nous cherchions à vivre et à penser le christianisme de telle sorte qu'il assume la
modernité bonne et juste, et donc, dans le même temps, s'éloigne et se distingue de celle qui devient une contre-religion.
L'optimisme On pourrait le penser en regardant superficiellement et en restreignant l'horizon au seul monde occidental. Mais si on regarde de plus près -
et c'est ce que je peux faire grâce à la visite des évêques du monde entier et également à de nombreuses autres rencontres - nous voyons que le christianisme en ce moment développe aussi une
créativité absolument nouvelle. La bureaucratie est usée et fatiguée. Ce sont des initiatives qui viennent de l'intérieur, de la joie de la jeunesse. Le christianisme prendra
peut-être un nouveau visage, peut-être même un aspect culturel différent. Le christianisme ne détermine pas l'opinion publique mondiale, d'autres en sont à l'origine. Et pourtant le
christianisme est la force vitale sans laquelle les autres choses ne pourraient pas continuer à exister. C'est pourquoi sur la base de ce que je vois
et dont je peux faire l'expérience personnelle, je suis très optimiste sur le fait que le christianisme se trouve face à une nouvelle dynamique.
Drogues Beaucoup d'évêques, en
particulier ceux d'Amérique latine, me disent que là où passe la route de la culture et du commerce de la drogue - et cela se passe dans la plupart de ces pays - c'est comme si un animal
monstrueux et mauvais étendait sa main sur ce pays pour ruiner les gens. Je pense que ce serpent du commerce et de la consommation de la drogue qui enveloppe le monde est un pouvoir
dont nous ne parvenons pas toujours à nous faire une idée adéquate. Il détruit les jeunes, il détruit les familles, il conduit à la violence et menace l'avenir de nations
entières. Cela aussi est une terrible responsabilité de l'Occident: il a besoin de drogues et ainsi, il crée des pays qui lui fournissent ce qui finira par les consumer et les
détruire. Une faim de félicité a surgi, qui ne parvient pas à se rassasier avec ce qu'il y a, et qui se réfugie pour ainsi dire dans le paradis du diable et détruit complètement
l'homme.
Dans la vigne du
Seigneur En fait, j'avais une fonction de direction, mais je n'avais rien fait seul et j'ai toujours travaillé en équipe: tout comme l'un des nombreux
travailleurs dans la vigne du Seigneur, qui a probablement fait le travail préparatoire, mais en même temps c'est quelqu'un (?) qui n'est pas fait pour être le premier et assumer la
responsabilité de tout. J'ai compris qu'à côté des grands papes, il doit y en avoir également de petits, qui apportent leur
contribution. Ainsi, à ce moment, j'ai dit ce que je sentais vraiment [...]
Le Concile Vatican II nous a enseigné, à juste titre, que pour la structure de l'Eglise la collégialité est constitutive: c'est-à-dire le
fait que le pape est le premier dans le partage et non pas un monarque absolu qui prend les décisions seul et fait tout par lui-même.
Judaïsme Je dois dire que dès le
premier jour de mes études de théologie, la profonde unité entre l'Ancien et du Nouveau Testament, entre les deux parties de notre Sainte Écriture, m'est apparue d'une certaine façon très claire.
J'avais réalisé que nous ne pouvions lire le Nouveau Testament qu'en même temps que ce qui l'avait précédé, sinon nous n'aurions pas compris. Ensuite, naturellement, ce qui s'est passé sous le
Troisième Reich nous a frappés comme Allemands et nous a poussés d'autant plus à regarder le peuple d'Israël avec humilité, honte et amour.
Dans ma formation théologique ces choses se sont intimement liées et ont suivi le chemin de ma pensée théologique. Il était donc clair pour moi - et ici aussi en absolue continuité avec Jean-Paul
II - que, dans mon annonce de la foi chrétienne, il devait y avoir, au centre, ce nœud nouveau, d'amour et de compréhension, d'Israël et de l'Église, fondé sur le respect de la manière d'être de
chacun et de leurs missions respectives [...]
Quoiqu'il en soit, à ce point, dans l'ancienne liturgie aussi, il m'a semblé qu'un changement était nécessaire. En effet, la formule était telle qu'elle pouvait blesser vraiment les Juifs, et
n'exprimait certainement pas d'une manière positive la grande, profonde unité entre l'Ancien et le Nouveau Testament.
C'est pourquoi j'ai pensé que dans l'ancienne liturgie une modification était nécessaire, en particulier, comme je l'ai dit, en référence à notre rapport avec nos amis
juifs. Je l'ai
changé de telle sorte qu'y figurât notre foi, que le Christ est le salut pour tous. Qu'il n'y a pas deux voies de salut et, par conséquent que le Christ est aussi le Sauveur des Juifs, et pas
seulement des païens. Mais aussi de manière qu'on ne prie pas directement pour la conversion des juifs dans un sens missionnaire, mais pour que le Seigneur hâte le moment de l'histoire où nous
serons tous unis. Pour
cette raison, les arguments utilisés par un certain nombre de théologiens polémiquement contre moi sont irresponsable et ne rendent pas justice à ce qui a été
fait.
Pie XII
Pie XII a tout fait pour sauver les gens. Bien sûr, on peut toujours demander, "Pourquoi n'a-t-il pas protesté de manière plus
explicite? Je crois qu'il a compris qu’elles auraient été les conséquences d'une protestation publique. Nous savons que pour cette situation, il a personnellement beaucoup souffert. Il savait
qu'en soi, il aurait dû parler, mais la situation l'en empêchait.
Aujourd'hui, les gens les plus raisonnables reconnaissent que Pie XII a sauvé de nombreuses
vies, mais soutiennent qu'il avait des idées archaïques sur les Juifs et qu'il n'était pas à la hauteur du Concile Vatican II. Toutefois, le problème n'est pas
là. L'important, c'est ce qu'il a fait et ce qu'il a essayé de faire, et je crois qu'il faut vraiment reconnaître qu'il a été l'un des grands justes et que, comme
personne d'autre, il a sauvé tant et tant de Juifs.
Sexualité Se concentrer sur le
préservatif veut dire banaliser la sexualité, et cette banalisation représente justement la dangereuse raison pour laquelle tant et tant de gens, dans la sexualité, ne voient plus l'expression de
leur amour, mais seulement une sorte de drogue, qu'ils s'administrent. C'est pourquoi la lutte contre la banalisation de la sexualité fait aussi partie du grand effort afin que la sexualité soit
valorisée de façon positive, et puisse exercer son effet positif sur l'être humain dans sa totalité.
Il peut exister des cas isolés justifiés, par exemple quand une prostituée utilise un
préservatif, et ceci peut être le premier pas vers une moralisation, un premier acte de responsabilité pour développer à nouveau la conscience du fait que tout n'est pas permis, et qu'on ne peut
pas faire tout ce qu'on veut. Toutefois, ceci n'est pas le vrai moyen pour vaincre l'infection du HIV. Une humanisation de la sexualité est vraiment nécessaire.
L'Église
Paul n'entendait pas l'Eglise en tant qu'institution, en tant qu'organisation, mais comme un organisme vivant, où tous
travaillent l'un pour l'autre, en étant unis à partir du Christ. C'est une image, mais une image qui conduit en profondeur et qui est très réaliste, rien que par le fait que nous croyons vraiment
recevoir le Christ dans l'Eucharistie, le Christ ressuscité. Et si tout le monde reçoit le même Christ, alors vraiment nous sommes tous unis dans ce nouveau corps ressuscité, comme le grand
espace d'une humanité nouvelle. Il est important de comprendre cela et donc de comprendre Eglise non pas comme un appareil qui doit tout faire - bien que l'appareil lui appartienne, dans
certaines limites - mais comme un organisme vivant qui vient du Christ lui-même.
Humanae Vitae Les perspectives de "Humanae
vitae" restent valides, mais c'est une autre chose de trouver des chemins humainement praticables. Je pense qu'il y aura toujours des minorités intimement
persuadées de la justesse de ces perspectives, et qui, en les vivants, en seront pleinement satisfaits de manière à devenir pour les autres un modèle fascinant à
suivre. Nous sommes des pécheurs.
Mais nous ne devrions pas le prendre comme argument contre la vérité, quand cette morale élevée n'est pas vécue. Nous devrions chercher à faire tout le bien possible, nous
soutenir et nous encourager mutuellement. Exprimer tout cela aussi du point de vue théologique, conceptuel et pastoral dans le contexte de la sexologie actuelle et de la recherche anthropologique
est une grande tâche à laquelle nous devons nous consacrer plus et mieux.
Femmes La formulation de Jean-Paul II est très
importante: "L'Église n'a en aucune façon le la faculté de conférer l'ordination sacerdotale aux femmes". Il ne s'agit pas de ne
pas vouloir, mais de ne pas pouvoir. Le Seigneur a donné une forme à l'Eglise avec les Douze, puis à leur succession, avec les évêques et les presbytres (prêtres).
Nous n'avons pas créé cette forme de l'Eglise, mais elle est constitutive de Lui. La suivre est un acte d'obéissance, dans la situation actuelle, peut-être l'un des actes d'obéissance les plus pesants (gravosi). Mais cela, justement, est
important, que l'Eglise montre qu'elle n'est pas un régime de l'arbitraire. Nous ne pouvons pas faire ce que nous voulons. Au contraire, il y a une volonté du Seigneur pour nous, que nous
suivons, bien que cela soit pénible et difficile dans la culture et la civilisation d'aujourd'hui.
Entre autres choses, les responsabilités confiées à des femmes dans l'Église sont si grandes
et significatives qu'on ne peut pas parler de discrimination. Ce serait le cas si le sacerdoce était une sorte de domination, alors qu'à l'inverse il doit être complètement service. Si on jette
un œil à l'histoire de l'Eglise, alors on se rend compte que le rôle des femmes - de Marie à Monique, jusqu'à Mère Teresa - est si éminent que par de nombreux aspects, les femmes définissent le
visage de l'Eglise plus que les hommes.
Les vérités ultimes C'est une question très sérieuse. Notre
prédication, notre annonce est effectivement largement orientée, unilatéralement, à la création d'un monde meilleur, tandis que le monde vraiment meilleur n'est presque plus mentionné. Ici nous
devons faire un examen de conscience. Bien sûr, nous essayons d'aller à la rencontre de l'auditoire, de lui ce qui est dans son horizon. Mais notre devoir consiste dans le même temps à briser cet
horizon, à l'étendre, et à regarder les choses dernières.
Les choses dernières sont comme le pain sec pour les hommes d'aujourd'hui. Elles leur semblent irréelles. Ils aimeraient à la place des réponses concrètes pour aujourd'hui, des solutions pour les
tribulations quotidiennes. Mais ce sont des réponses qui en restent à la moitié si elles ne permettent également de pressentir et de reconnaître que je me prolonge au-delà de cette vie
matérielle, qu'il y a un jugement, et qu'il y est la grâce et l'éternité. En ce sens, nous devons aussi trouver des mots et des moyens nouveaux, pour permettre à l'homme de briser le mur du son
de son fini.
La venue du Christ Il est important que chaque époque soit près du
Seigneur. Que nous aussi, ici et maintenant, nous sommes sous le jugement du Seigneur et nous nous laissons juger par son tribunal. Il a été question d'un double avènement du Christ, un à
Bethléem et l'autre à la fin des temps, jusqu'à ce que Saint Bernard de Clairvaux parle d'Adventus medius, d'un avènement intermédiaire, à travers lequel, toujours, Il entre périodiquement dans
l'histoire.
Je pense qu'il a pris le ton juste. Nous ne pouvons pas savoir quand le monde finira. Le Christ lui-même a dit que personne ne le sait, pas même le Fils. Mais nous devons rester pour ainsi dire
comme s'il allait venir bientôt, et surtout être sûr que, dans les épreuves, il est proche. Dans le même temps, nous devrions savoir que par nos actions, nous sommes sous son
jugement.
© L'Osservatore Romano - 21 Novembre 2010