Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
QUE CHERCHEZ-VOUS ?

Les contemplatifs sont les vrais guerriers !

29 Août 2020, 02:39am

Publié par Grégoire.

Les contemplatifs sont les vrais guerriers !

 

C’est par la méditation que l’homme de demain pourra dominer son siècle et juger avec pertinence les transformations que les progrès techniques et l’évolution des mœurs et des modes feront se succéder sous ses yeux.

 

C’est en elle qu’il trouvera son unique chance d’échapper aux pressions sociales plus contraignantes que jamais à cause de la puissance toujours accrue des moyens de diffusion. La méditation, acte solitaire, vaccine l’individu contre les maladies du troupeau, contre les épidémies de l’opinion.

 

Savoir dire non quand il le faut et autant qu’il le faut devient l’impératif majeur de l’homme moderne. L’homme de demain aura d’autant plus besoin de méditation qu’il sera davantage voué à l’action : pour faire contrepoids à l’action d’une part, et pour lui donner un sens d’autre part ; pour échapper à la dispersion, à l’émiettement intérieur comme à la centralisation technocratique, pour résister à la règle imposée du dehors à ceux qui ne trouvent pas en eux-mêmes leurs raisons de vivre et d’agir.

 

La puissance même dont dispose l’homme moderne rend impérieuse l’exigence de vie intérieure.

Gustave Thibon

Voir les commentaires

L’idolâtrie de la vie

27 Août 2020, 22:29pm

Publié par Grégoire.

L’idolâtrie de la vie
L’idolâtrie de la vie

Dans un petit fascicule éclairant et plein d’humour, Olivier Rey, mathématicien et philosophe, tente d’expliquer les raisons qui ont conduit d’un côté, l’Etat à prendre les mesures drastiques dans la lutte contre l’épidémie de coronavirus et de l’autre, les citoyens à se laisser docilement confiner deux mois durant.

 

« Pourquoi c’est à partir d’un certain moment qu’on a plus voulu ‘crever de faim’ ? » 

Partant de l’histoire de la révolution française, Olivier Rey tire le fil d’une soumission tissée à force de prise en charge par l’autorité publique. En effet, « plus le pouvoir central porte secours aux citoyens, plus ceux-ci sont enclins à lui reprocher les maux dont ils souffrent ».

 

Par ailleurs, la désacralisation de nos existences ont conduit à idolâtrer la vie, à la considérer pour elle-même, comme une fin en soi : à défaut de pouvoir « donner sa vie », nous sommes désormais contraints de la « sauver ». Et si « jadis, la mort était le terme nécessaire de la vie terrestre, que la médecine pouvait dans certains cas retarder. Aujourd’hui, la mort est un échec du système de santé ». Dans ce contexte, les exigences en matière de santé deviennent exponentielles et les moyens mis en œuvre, bien que « démesurés », toujours insuffisants.

 

Pourtant, explique le philosophe, « les plus graves dangers auxquels l’humanité dans son ensemble est exposée au XXIe siècle ne tiennent pas à une insuffisance des moyens d’action mais au contraire, à des actions trop importantes en regard de ce que la nature est en mesure de supporter ». Il estime que nous avons atteint aujourd’hui un « seuil de contre-productivité » au-delà duquel les progrès de la technologie présentent « davantage d’inconvénients qu’ils ne procurent d’avantages » et il dénonce le discours ambiant qui, sous couvert d’ « ordre sanitaire » maintient dans une indignation perpétuelle, qui est aussi une dépendance extrême à un système infantilisant : « Nous nous trouvons toujours plus dépendants du système de santé, comme un drogué dépend de sa drogue ». Le monde d’après requiert d’abord un sursaut, un effort sur nous-mêmes. Saurons-nous « nous y mettre » ?

 

Voir les commentaires

Camus ? ... complètement dépassé...

26 Août 2020, 22:11pm

Publié par Grégoire.

Camus ?  ...  complètement dépassé...

" Le rôle de l'état est de protéger ses administrés, pas de régenter leur vie privée au nom d'une certaine conception de la santé. Il appartient à chacun de disposer de son corps et de sa vie comme il l'entend dans les limites qui ne nuisent pas à autrui. Ces limites n'ont pas à être définies de manière opaque et autoritaire par des collèges de scientifiques parfois obscurs sans concertation avec les corps constitués et les corps intermédiaires.

 
S'affranchir des règles de l'état de droit, constitution, droits de l'homme, code civil, débats dans les chambres de représentants élus, sénat, parlement, recours au Conseil d'état, au nom de l'impératif sanitaire, et imposer par la contrainte et la sanction administrative et pénale de nouvelles normes et des règles de vie à coup de directives, de décrets, d'arrêtés ministériels, royaux, régionaux, communautaires, communaux, sans aucun fondement légal et juridique supérieur, témoigne d'un changement de régime de gouvernance.
En clair, cela s'appelle passer d'un régime démocratique à un régime autoritaire.
Il n'est par conséquent pas exagéré de parler de "dictature sanitaire" et de "dictature politico-médicale".
 
«La logique du révolté est... de s'efforcer au langage clair pour ne pas épaissir le mensonge universel.»
 
Albert Camus, l'Homme révolté, 1951.

Voir les commentaires

La poésie est l’état le plus haut du vivant

22 Août 2020, 09:04am

Publié par Grégoire.

La poésie est l’état le plus haut du vivant

Silence… Le monde prétendu moderne est une sorte de conjuration contre la chose la plus vieille du monde et la plus solide au monde, à savoir le cœur. J’entends par cœur, pas le sentimentalisme, pas même le sentiment, mais une puissance de vie que chacun de nous peut avoir, une respiration. Ce que parfois on pouvait qualifier d’intériorité, ou dans des temps beaucoup plus anciens, l’âme. Les sociétés d’aujourd’hui sont rendues malheureuses par la mise à sac de cette intériorité. Or elle est la vraie force de chacun. Quand chacun rentre dans son centre, revient vers soi-même et retrouve quelque chose qui ressemble à l’enfance, il est invincible.

Qu’entendez-vous par invincible ?

C’est ne pas soumettre sa vie à l’ordre du monde. C’est laisser sa vie dans la plus grande respiration possible, dans la fantaisie, parfois dans le silence, dans une parole qui sera toujours vive, fraîche, non conventionnelle. Être invincible c’est juste être vivant.

Vous parlez de l’importance de l’intériorité, que pensez-vous des conséquences de cette épidémie sur le rapport à l’autre ?

Votre question est trop générale. La vie, pour moi, c’est la singularité même, le concret. La manière de vivre américanisée et électronisée détruit en souriant le singulier. Si vous me posez une question trop générale, je vais me taire car je ne suis ni un philosophe, ni un sage. Ce qui me frappe actuellement, ce sont les images des villes vides. Des choses pauvres se reprennent comme le chant des oiseaux. Je ne sais pas si on le perçoit dans les villes mais je le perçois dans la forêt où j’habite. Il y a eu une renaissance des cantates d’oiseaux. Le vert des feuillages était plus affirmatif. La nature pendant ces semaines a retrouvé une confiance que nos vies insensées lui avaient fait perdre.

Ce matin, j’ai traversé un pré et je me suis arrêté sous un chêne. La nature était devenue une phrase parfaite, un morceau d’un poème très pur, extrêmement simple et qui m’a fait tout oublier. Les fragments de cette phrase étaient composés de l’arbre, des mouvements de ses feuilles, balancées très élégamment, sans fureur, par une brise légère. Il y avait aussi une lumière qui lançait ses javelots dans l’herbe, et une ombre très douce dans laquelle je me tenais. Un sentiment m’est entré dans le cœur : il n’y a rien d’autre à faire dans cette vie que d’y être parfaitement présent. Quelque chose d’adorable essaie de nous parler à chaque instant. Cette expérience a duré cinq secondes et elle était infinie. Je me rappelle d’avoir souri de ma misère d’homme, de n’être que de celui que je suis. Rire...

Avez-vous toujours eu ce langage poétique ?

Je serai incapable d’exprimer autrement cette expérience d’être. C’est comme si je n’existais presque plus et que cela me comblait. Quelle que soit l’époque – si dure soit-elle –, le mouvement d’une brise, la sentence bienveillante d’un rayon de soleil, la fierté d’un brin d’herbe qui se redresse, la royauté d’un arbre, tout cela ne demande pas d’étude. Aucune puissance ne peut se mettre entre cette douceur et vous. L’humanité est profondément unique car ce que je connais moi, je peux le partager. Les choses de fond sont les plus lumineuses même si elles sont enfouies.

Vous considérez-vous croyant ?

Je parlerai plutôt de confiance, mais je ne saurai vous dire sur qui ou quoi repose cette confiance. La confiance est la capacité inexplicable de continuer à vivre alors que même la vie semble vous avoir quitté. Il m’est toujours apparu que la vie est bien plus grande que celle que nous vivons. Elle n’est pas ailleurs. Par instant, nous arrivons à mettre nos yeux en face des yeux de la vie. C’est comme un enfant que la mère soulève et porte devant son visage : il y a des moments où nos yeux sont plantés dans les yeux solaires et terribles de la vie.

Cela me fait penser à votre ouvrage La Part manquante…

En effet. C’est un ouvrage ancien. Mais il en va sans doute de l’écriture comme de la vie : nous passons notre temps dans une danse de derviche tourneur, à danser autour d’un point indicible et invisible.

Quelle est votre définition de l’Amour ?

L’Amour c’est quand une vérité arrive. Le reste du temps, c’est comédie à laquelle nous participons tous. Ce qui arrête la comédie, c’est soit la mort, soit quelque chose de plus fort encore, doté de beauté et de grâce.

Connaissez-vous le Liban ?

C’est, je crois, un des pays les plus proches de la poésie, celle qui fait venir dans sa parole du feu et des roses. Pour moi, la poésie est l’état le plus haut du vivant.

Propos recueillis par Zeina Trad

Voir les commentaires

Etes-vous dans le réel ? (3)

17 Août 2020, 09:19am

Publié par Grégoire.

Etes-vous dans le réel ? (3)

 

Qu’est-ce que le réel ?

 

C’est d’abord un fait que nos expériences, particulières, circonscrites et limitées, conditionnent notre manière de recevoir le réel : ce qui n’est pas moi, ce que je n’ai pas fait, ce qui est autre ! Et déjà, il y a une difficulté à être présent à nos expériences : nous restons si souvent déterminé par notre vécu intérieur, si bien que souvent nos choix, notre connaissance des autres ou nos désirs ne sont que des projections de nous-mêmes, de ce que nous avons perçus, de ce que nous avons assimilé du réel. Ainsi, et c’est un trait commun de notre monde, nous réduisons la réalité au vécu que nous en avons. Ce qui est réel n’est plus que ce que nous ressentons, ou bien, ce qui se manifeste apparement ou encore, ce que l’on peut mesurer, quantifier, calculer. Ainsi, nous identifions ce qu’est la réalité avec notre manière de la vivre, selon nos émotions ou notre prisme scientifique. Réduisant la réalité à notre capacité de recevoir, à nos sentiments, à nos idées, nous reconstruisons alors le monde à notre taille. Nous en faisons quelque chose qui est dans notre prolongement : un petit chez soi. 

 

Ceux qui suivent un traitement pour sortir de leurs angoisses et de leurs peurs, ne sont-ils pas le signe visible d’un cancer aujourd’hui commun : le refus que ce qui s’impose à nous, puisse dépasser notre petit horizon ? Le réel comme tel, ce qui est, ce n’est pas d’abord du ‘gérable’, du ‘planifiable’ et de l’utilisable a outrance ! 

 

Malheureusement, nous organisons notre monde de telle manière à ce que notre seul horizon est ce que nous croyons avoir compris de nous-mêmes ! Nous sommes si souvent tellement repliés sur nous-mêmes, que nous en avons étriqué nos désirs et rabougris nos aspirations. Spécialement aujourd’hui, où notre monde 2.0 a développé à outrance notre narcissisme -nous ne vivons plus seulement de l’image qu’on voudrait donner de soi- doublé d’une forte tendance schizophrénique -puisque bien heureusement nos personnalités sont plus complexes que nos images instagramisés-. Bref, nous construisons constamment des mondes parallèles qui nous empêchent de vivre pleinement de la réalité existante s’offrant à nous –à commencer par nous-même- avec toute son infinie richesse et son absolu. 

Au final, nous ne sommes plus dans le réel tel qu’il est. Nous vivons dans un avatar limité du réel : nos idées, virtuelles, impermanentes et donc angoissantes. Et nous nous avortons nous-mêmes de toutes possibilités de croissance véritablement humaine.

 

Le réel, n’est-ce pas d’abord ce qui n’est pas nous, ce qui est autre et qui s’impose à nous ? Nous devons manger, boire, dormir, respirer, etc. sous peine de mort. Et cela s’impose, d’une manière telle que, quoi que nous fassions, nous devrons nécessairement, selon un temps plus ou moins calculable, ‘y passer’. Dévoilant en ces limites qui s’imposent à nous -spécialement la mort-, la source de nos peurs, de nos esclavages, de nos médiocrités et de nos lenteurs, nombres d’artistes, de philosophes et de théologiens, ont tenté d’y répondre par diverses formes de salut. Et la première, ne consiste-t-elle pas dans le refus de faire l’autruche face à notre sort ? Est-ce qu’oublier nous permettra de mieux vivre ou bien ne produit-on pas alors en nous le plus grand des refoulements : le refus de reconnaitre que je n’ai pas toujours existé et que je ne serais pas toujours sur cette terre ? 

Bref, notre premier réel c’est que des limites s’imposent. Et la première de toutes, celle qui nous pend au nez : c’est que nous allons mourir, et bientôt.

 

Face à cela, quelle lumière peut donc nous permettre de vivre pleinement notre existence ? Quel sens le réel peut-il avoir si ce qui s’impose en premier est le temps qui passe et qui nous rapproche chaque jour un peu plus d’un terme qui sera, pour ceux qui nous entourent, comme un arrêt brusque ? Devons-nous accepter cette fatalité qui semble nous crier chaque jour la vanité de nos actions, ou nier ce devenir implacable en nous réfugiant dans une efficacité ou une jouissance à outrance profitant de l’instant qui passe et qui, déjà, n’est plus ? 

 

Un premier chemin pour y répondre, ne serait-ce pas de réveiller l’enfant qui sommeille en nous, et qui a soif de recevoir le réel tel qu’il est ; de redécouvrir ce qui est avant nous, et qui après nous sera encore ? N’est-ce pas en effet notre premier et plus vif désir ? « Tout les hommes désirent, par nature, connaitre. L’amour des sensations en est le signe ; En effet, celles-ci, en dehors de leur utilité, sont aimés pour elles-mêmes, et plus que les autres, celles qui nous viennent par les yeux. Car ce n’est pas seulement pour agir, mais aussi quand nous sommes sur le point de ne pas agir, que nous choisissons de voir, à l’encontre, pour ainsi dire de tout le reste. La cause en est que parmi les sensations [la vue] nous fait connaitre au plus haut point, et montre des différences plus nombreuses. » 

Et pour vraiment connaitre, n’est-il pas nécessaire aussi de redécouvrir cette innocence première, cette admiration qui nait en nous en recevant ce qui m’apparait et que je n’ai pas fait ? N’avons-nous pas un peu perdu cette capacité à admirer, à être émerveillés, et à se laisser surprendre par le réel ?

 

C’est un fait, nous vivons trop souvent comme des petits vieux, fatigués avant l’âge, habitués du réel, et petits quand aux désirs. Nous recevons le réel en surfant dessus, sans trop de profondeur, à travers des filtres, selon des idées conçues comme une synthèse du déluge médiatique de nos sociétés surinformées. Et nos espérances de bonheur, résident dans les derniers gadgets technologiques inventés. De même, nous réduisons les personnes à leurs simples apparences, leur caractère, à ce qu’elles sont capables de faire ou dire. Même envers nous-mêmes, nous sommes incroyablement critiques, jugeant nos journées selon leur rentabilité ou notre capacité à en jouir. Et nous nous sommes inconsciemment installés dans un désespoir chronique face à l’impossibilité de rejoindre l’image idéale et inaccessible de nous-mêmes que nous propose le monde médiatique. Et nous avons substitué le réel à nos idées. Refusant d’être dépassé, nous avons réduis notre monde à ce que nous pouvions en dominer, en posséder ; et le réel est devenu ce que nous en pensons, la conscience que nous en avons. Nous nous sommes rendus aveugles, marchant « dans le réel, comme un oiseau de nuit face au soleil 1. » 

 

Séduits par l’efficacité des techniques modernes et des distractions toujours plus imaginaires, nous avons réduit notre existence  à ce qu’on en peut obtenir. Nous sommes même difficilement réceptifs à la beauté d’un paysage, au parfum d’une fleur, aux bruits de la nature. Ayant réduit le réel à nos projets, à ce que nous percevons et ressentons, nous avons perdu beaucoup de capacités à être réceptifs, et stoppons ainsi bien des possibilités de grandir ; au final, nous détruisons notre capacité à contempler et à nous ouvrir à ce qui est autre que nous et qui seul peut nous combler. Nous nous condamnons là à ne jamais trouver de bonheur stable. Certains appellent cela l’enfer. 

 

Enfermés, seuls avec nous-mêmes, comment parvenir à retrouver ce lien initial avec le monde qui nous entoure et nous laisser renouveler par lui ? Comment peut-on retrouver cette innocence, cet oxygène vital et frais, ce contact natif qui fait l’émerveillement et la joie de l’enfant devant la réalité la plus simple ? Comment ne pas rester prisonnier de tout ce que nous avons assimilé d’informations, de mesures et que nous appelons –a tord- le savoir ? Comment laisser nos expériences être source d’interrogations et ainsi réveiller notre désir de découvrir, dans la réalité elle-même, son sens premier, son pourquoi ?

 

(à suivre...)

Grégoire +

 

1 / « La recherche de la vérité est en un sens difficile, et dans un autre facile… la raison de notre difficulté n’est pas dans les faits mais en nous. Ainsi, comme les yeux d’une chouette face a la lumière du jour, ainsi notre capacité de connaitre pour les choses qui, en elles-mêmes, sont les plus évidentes de toutes. » (Aristote, Métaphysique, Livre a).

Voir les commentaires

Prémices de notre Assomption : comme un très faible et très sûr sourire tourné vers nous ..

15 Août 2020, 11:29am

Publié par Grégoire.

Prémices de notre Assomption : comme un très faible et très sûr sourire tourné vers nous ..

" Pour être dans une solitude absolue il faut aimer d'un amour absolu.

La plupart des écrivains mentent là-dessus. Ils font comme s'il n'y avait personne dans la pièce à côté, dans le fond sans fond de leur cœur. Ce n'est pas vrai. Ce n'est jamais vrai. 

Je ne dis pas qu'il s'agit nécessairement d'une présence visible, consciente. Peut-être même est-elle toujours plus profonde que tout visage connu, nommé. Mais il y a toujours quelqu'un aux côtés du solitaire, une présence sur laquelle il appuie en secret chacune de ses phrases, une lumière unique et nécessaire. "

Christian Bobin, Un désordre de pétales rouges. 

 

Quelque chose se rappelle à nous de loin en loin, comme un très faible et très sûr sourire tourné vers nous… Quelque chose ou quelqu’un mais ce serait le faire fuir que de le nommer. Non ?

Voir les commentaires

Êtes-vous dans le réel ? (2)

14 Août 2020, 11:57am

Publié par Grégoire.

Êtes-vous dans le réel ? (2)

 

Malgré ces séductions d’apparente satisfaction immédiate, la morsure de la vérité a toujours obligé l’être humain à reprendre cette quête à sa source. Acceptant le réel dans toute sa diversité, les anciens –et cela d’une manière unique en Grèce- renouvelèrent pour l’humanité cette quête de la vérité, au-delà des opinions du moment, révélant ainsi à toutes personnes sa noblesse et ses désirs les plus profonds. Face à la richesse de l’expérience humaine, ils nous obligent toujours à chercher le pourquoi de toutes les dimensions de notre existence.

N’est-ce pas en effet le plus grand service que l’on puisse rendre à toute personne, que de l’aider à se connaître et à trouver là ou est son véritable épanouissement ?

 

Aujourd’hui nous faisons face à une situation similaire. Pour la plupart, la quête du pourquoi de notre existence a été réduite à une quête effrénée de jouissance. Or, depuis que plus rien n’a de sens, tout semble être source d’angoisse.

Nous sommes « face à un abîme de non-sens. La vie n’a plus de sens, elle n’est souvent qu’une suite d’émotions mises bout à bout. La ‘liberté’ de penser comme on veut et le sur-développement des techniques ont fait de nous des errants ! La seule liberté que nous ayons gagné est le choix de notre lieu de vacance… On est arrivé à une insignifiance si totale de notre vie que la vie en occident consiste à entretenir son confort. La vie est devenue longue et stupide, ou l’on n’est plus occupé qu’à gérer son capital santé. Tous nos actes n’ont plus aucun lien entre eux. Et alors on passe son temps à se fuir, et comme on transporte avec soi ce rapport univoque à un monde plat et source d’ennui, on se réfugie dans ses petits plaisirs. Tous les jours on a la même image insignifiante et monotone d’un même jour universel»

Or, pourquoi est-ce ainsi ? Comment en est-on arrivés là ? Comment peut-on vivre sans donner un sens à ce que l’on fait ou vit ? Comment une telle indifférence est-elle possible ? Comment le réel de notre vie a-t-il pu être réduit à des choses secondaires, des joies immédiates, faciles mais qui ne durent pas ? Pourquoi non seulement nous ne sommes plus dans le réel,  mais cherchons à y échapper par tous les moyens? Pourquoi le réel est-il devenu un lieu de non-sens et de désespoir ?

 

(à suivre...)

Grégoire +

 

1 Cf. Itinéraire de l’égarement, du rôle de la science dans l’absurdité contemporaine. Olivier Rey Mathématicien. Chercheur au CNRS. Editions Seuil. 2004.

« L’homme déchoit à sa vocation. ‘Rester jeune’ devient le sens de sa vie : avoir tous les jours 15 ans. Bientôt, le bonheur sera de ne jamais être né. Et on façonne sa conscience en évitant l’absurde, l’ennui et l’angoisse en remplissant ses heures creuses par l’industrie des loisirs, qui agissent sous forme de stimuli saturant les sens. […]

On a abolie le temps, le sujet et l’espace par un réseau sans centre : internet. Le langage n’est plus qu’une estimation numérique gratuite : 60%, 90%... car le chiffre est devenu le garant du réel. Ou encore un pure outil : depuis l’ONU, le SIDA, jusqu'à soi-même qui n’est plus qu’une ADN. On est entré dans une pensée on ne peut plus binaire du ‘j’aime, j’aime pas’. Avant on distinguait l’homme de l’animal par la raison. Maintenant on distingue l’homme de la machine par ses désirs individuels et ses comportements pulsionnels : on s’éclate, on craque pour…, on zappe…

Tout est anticipé et manipulé : on se personnalise avec des produits vendues à des millions d’exemplaires. L’homme est devenu un souriant crétin. » 

Itinéraire de l’égarement, du rôle de la science dans l’absurdité contemporaine.

 

Voir les commentaires

Etes-vous dans le réel ? (1)

13 Août 2020, 14:26pm

Publié par Grégoire.

Etes-vous  dans le réel ? (1)

La quête de la sagesse ou la recherche du pourquoi de notre existence, de nos actes et de tout ce que l’on peut vivre, habite, d’une manière ou d’une autre, tout être humain.

Aristote soulignait déjà combien l’étonnement et le sentiment de l’ignorance a toujours poussé l’homme à s’interroger. Le réel expérimenté éveille constamment en nous l’interrogation ou le désir de connaitre jusqu’au bout ce qui est expérimenté. Nos expériences négatives, nos échecs et tout ce qui peut nous faire souffrir réveillent constamment cette question du pourquoi, du sens des choses. 

C’est parce que notre connaissance du réel est premièrement limité, que nous sommes mû, comme ‘obligé’ d’y revenir et chercher plus loin que ce que nous atteignons au premier abord. Enfin, la conscience de notre existence et de notre capacité à plus ou moins l’orienter, ne répond pas à la question de son pourquoi, du sens des évènements de notre vie. Aussi, la recherche de la signification de notre existence, de notre histoire et de ce qui la ponctue est vitale pour chacun d’entre nous; Le milieu ambiant, l’amas de biens matériel, et la séduction des moyens techniques tendent à faire disparaitre cette question. L’héritage artistique mondial manifeste ce désir constant de l’homme de chercher, au-delà de ce qu’il voit, une réponse au sens de son existence et de ses limites. Ainsi, de leurs expériences accumulées et de la nature, les civilisations ont inventée des mythes pour tenter de répondre à cette quête et s’aider à affronter les limites de leur propre condition, leurs peurs leurs désirs, et donner une direction à leur cheminement.

Mais, depuis toujours aussi, l’être humain a tendance à se satisfaire de réponses toutes faites. Certains ne cherchant des satisfactions ou des résultats immédiats -et ce souvent avec des intentions très nobles- réduisant alors la quête du réel dans toute sa complexité à un idéal, conduisant leur vie comme un projet artistique réalisé à la force du poignet, et obligeant les autres au même schème par une tyrannie étatique, ou par une logique ‘raisonnable’ à toutes épreuves. Les sophistes en sont un exemple connu. Se revêtant du manteau du philosophe, ces ‘Sages’ comme ils se définissaient eux-mêmes, remplacèrent la quête de la vérité par la recherche du succès, de l’art de convaincre et de persuader. Enseignant à ne s’occuper que des seules choses humaines, il réduise l’homme à être à lui-même sa propre mesure.

Or, n’est ce pas la plus grande des corruptions pour une personne, que de ne vouloir ne dépendre que d’elle-même ? Que de vouloir trouver son achèvement, son absolu qu’à partir d’elle-même ? L’idolâtrie de notre soi-disant liberté a aujourd’hui enfermé la personne humaine dans un esclavage sans précédent ou le caprice des sentiments et la tyrannie du ressenti ont réussi à faire de l’homme moderne un gamin manipulable à souhait.

(à suivre)

Grégoire +

Voir les commentaires

« Entre le fort et le faible, c’est la liberté qui opprime et c’est la loi qui affranchit » Lacordaire

11 Août 2020, 21:47pm

Publié par Grégoire.

« Entre le fort et le faible, c’est la liberté qui opprime et c’est la loi qui affranchit » Lacordaire

« La “cancel culture” est la conséquence du sous-développement juridique nord-américain »

En dépit des causes défendues, la censure que promeuvent et pratiquent ces nouveaux « annulateurs » n’a rien de progressiste, estime la sociologue Nathalie Heinich. Surtout, elle n’a rien à faire en France, où la liberté d’expression est encadrée et protégée par la loi.

Tribune. 

La cancel culture, qui nous vient des campus nord-américains et des réseaux sociaux, normalise les tentatives pour faire taire – littéralement, pour « annuler » – les opinions considérées comme illégitimes. On la voit aujourd’hui défendue, non seulement outre-Atlantique par des militants radicaux, qu’ils soient féministes, anti-homophobes, anticolonialistes, antiracistes ou anti-appropriationnistes (refusant que des productions culturelles soient reprises par d’autres que les membres des « communautés » dont elles sont censées être issues), mais aussi par des sympathisants français des causes ainsi défendues. En face, ce sont jusqu’à présent les conservateurs qui tiennent le haut du pavé dans la dénonciation de ces pratiques – tel, hélas, un certain Donald…

 

Affrontement « trumpeur »

Il est temps de sortir de cet affrontement « trumpeur » entre censeurs « de gauche » et anti-censeurs « de droite », car la censure que promeuvent et pratiquent ces nouveaux « annulateurs » n’a rien de progressiste, en dépit du crédit que leur confère la légitimité de leurs causes aux yeux d’une partie de la gauche. Et elle n’a rien à faire sur notre territoire, pour une raison que semblent ignorer les partisans de la cancel culture.

 

Ce qu’ils ignorent, en effet, c’est que son ancrage dans la société nord-américaine n’est pas l’effet de la prégnance dans leurs pays des maux contre lesquels luttent – souvent à juste titre – ces militants ; il est avant tout le produit d’un système juridique spécifique : le premier amendement de la Constitution américaine, tout comme l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés, fait de la liberté d’expression un « droit fondamental positif », rendant a priori anticonstitutionnelle toute entrave à ce droit. Or, tout autre est le système juridique français, où la liberté d’expression est d’emblée contenue dans des lois qui la restreignent, en interdisant, par exemple, l’incitation à la haine raciale, l’appel au meurtre, l’encouragement à la discrimination en raison du sexe ou de l’orientation sexuelle, ou encore le négationnisme.

 

Au risque de l’arbitraire et de la guerre civile larvée

La différence est patente : là où, en France, la liberté d’expression est encadrée par la loi, en Amérique du Nord elle ne peut guère être bridée que par la mobilisation publique. Ce n’est plus le droit qui la régit, mais les simples citoyens, au risque de l’arbitraire et de la guerre civile larvée. D’où ce qu’on a appelé à partir des années 1980 les culture wars, avec les manifestations massives contre des expositions artistiques ; et d’où, aujourd’hui, les mobilisations sur les campus et les réseaux sociaux pour priver de parole, voire de poste, ceux dont les propos sont jugés déplacés, offensants ou simplement déplaisants. Les appels au lynchage médiatique se donnent libre cours, au mépris de la liberté académique et de la liberté de la presse, aboutissant à empêcher les enseignants, les chercheurs et les journalistes de faire, tout simplement, leur métier. Soit on intime aux « mal-pensants » l’ordre de se taire, soit on se tait soi-même pour éviter de se retrouver dans la prochaine charrette.

 

La cancel culture n’étant rien d’autre que la conséquence du sous-développement juridique nord-américain en matière de liberté d’expression, son importation en France est absurde et ne témoigne que de l’ignorance ou du déni de notre culture juridique. Car c’est la loi qui protège les libertés beaucoup plus sûrement que l’absence de loi. Que personne dans notre pays n’ait le droit de s’instituer censeur, ni juge à la place des juges ni policier à la place des policiers, parce que l’encadrement de ce qui est licite ou illicite relève de la représentation démocratique via le législateur, l’institution judiciaire et la police : voilà ce qu’ignorent, ou feignent d’ignorer, les partisans français de la cancel culture, qui ne s’autorisent que d’eux-mêmes lorsqu’ils s’arrogent le droit d’empêcher une représentation théâtrale parce qu’elle leur paraît irrespectueuse des droits des minorités, une projection cinématographique parce que le réalisateur a fait l’objet de plaintes en justice ou une conférence parce que son auteur serait « homophobe » – sans autre forme de procès.

 

Quelle est la légitimité et la légalité des méthodes utilisées par ces nouveaux censeurs ?

Ainsi, ce qui se nomme ailleurs cancel culture devrait être clairement désigné, chez nous, par le seul terme adéquat : « culture de la censure ». C’est pourquoi, quelle que soit la justesse des causes défendues, l’on ne peut se contenter de condamner les « excès » de ces militants radicaux tout en suggérant que la fin justifie malgré tout les moyens. L’on doit poser fermement la seule question qui vaille : quelle est la légitimité et la légalité des méthodes utilisées par ces nouveaux censeurs ? Faute de quoi la gauche risque de sombrer à nouveau dans les tentations totalitaires qui en ont assombri l’histoire, depuis la Terreur révolutionnaire jusqu’aux horreurs staliniennes. Et faute de quoi aussi nous ne vivrons plus dans un Etat de droit, ni dans une démocratie, mais dans l’équivalent, à l’échelle des réseaux sociaux, de ce que fabriquait naguère le ragot de village : le contrôle social sans appel, sans merci, sans recours.

 

« Entre le fort et le faible, c’est la liberté qui opprime et c’est la loi qui affranchit », affirmait magnifiquement Lacordaire (1802-1861). Est-ce à croire que ceux qui, aujourd’hui, prétendent à la liberté sans limites d’interdire la parole à leur prochain voudraient en revenir à la loi du plus fort – la loi de la meute ?

 

Nathalie Heinich est sociologue. Chercheuse au CNRS, elle a publié de nombreux ouvrages et articles sur le statut d’artiste, l’art contemporain, la question de l’identité, l’histoire de la sociologie et les valeurs. Elle vient également de publier un article intitulé « Nouvelles censures et vieux réflexes totalitaires » dans le n° 82 de la revue Cités.

Nathalie Heinich(Sociologue)

https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/08/07/la-cancel-culture-est-la-consequence-du-sous-developpement-juridique-nord-americain_6048344_3232.html

Voir les commentaires

Cette sensation d'une bienveillance tramée dans le tissu parfois déchiré du quotidien

10 Août 2020, 01:09am

Publié par Grégoire.

Cette sensation d'une bienveillance tramée dans le tissu parfois déchiré du quotidien

" Il n’y a pas de mal dans la mort .." ça va très loin de dire ça, l’intérêt de l’écriture c’est d’aller très très très loin, et d’être comme défait par sa propre pensée, ou par la saisie de quelque chose qui n’était pas prévu..

et je redis ce que je viens de dire : il n’y a aucun mal dans la mort, et aucune peur a en avoir… plus le temps passe avec son jeu d’épreuve si je puis dire, plus j’entrevois un fond d’extrême bienveillance dans le cours des choses, dessous le temps, dessous la douleur, dessous la dureté, dessous le mal, je vois, un peu comme quelqu’un qui marche dans un sous-bois, et qui n’aurait plus accès direct au soleil, mais qui en percevrait la petite monnaie de tache d’or sur les feuilles, sur le chemin, un peu partout, voir même sur ses mains ou sur son visage, je vois l’or qui est au fond, qui fait le fond même de cette vie, la substance dorée, lumineuse, qui fait le fond de cette vie, une substance, au fond qui me semble tenir en 1 seul mot, c’est celui de Bonté  … par bonté j’entend quelque chose de très précis, de très ferme, de non sentimental, de perpétuellement agissant, alors qu’on peut dans cette vie, chacun de nous peut se penser abandonné. 

Peut-être que c’est la seule chose que j’ai à dire tout le long de mes livres, et que j’essaie de préciser à chaque fois davantage effectivement, ou des choses autour de laquelle je tourne, que j’essaye d’éclairer à chaque fois différemment, il n’y a pas d’abandon total, absolu, et il y a quelque chose qui prend soin de nous, du meilleur de nous. 

Qui peut faire l’économie de la souffrance ? Personne, personne, je ne suis pas pris dans l’affreux rêve d’un sur-homme ou d’un héros, ni même d’une sainteté, d’ailleurs la sainteté c’est quelque chose de compliqué, parce qu’au fond, dans le fond très simple, mais personne ne peut traverser cette vie sans parfois marcher pieds nus sur le feu, même en se protégeant au maximum -ce qui peut-être dangereux, tôt ou tard on affronte le réel, et ce que j’appelle le réel c’est ce qui ne correspond pas à ce que vous voulez, ce qui ne correspond pas à ce que vous imaginez, ce qui ne répond pas à vos attentes, ce qui est devant vous d’une manière très massive, brutale, et contrariante… le réel c’est l’inverse d’un rêve, mais c’est bien plus beau que nos rêves, justement c’est plus beau que nos rêves.. 

Christian Bobin

Voir les commentaires

Je suis venu appeler non pas les justes ...

8 Août 2020, 11:08am

Publié par Grégoire.

Je suis venu appeler non pas les justes ...

« Si l’Église offrait le spectacle de la perfection, de l’ordre, la sainteté y serait le premier privilège du commandement, chaque grade dans la hiérarchie correspondant à un grade supérieur de sainteté, jusqu’au plus saint de tous, notre Saint-Père le pape, bien entendu.

Allons! vous voudriez d’une Église comme celle-ci? Vous vous y sentiriez à l’aise?

Laissez-moi rire, loin de vous sentir à l’aise, vous resteriez sur le seuil de cette congrégation de surhommes, tournant votre casquette entre les mains, comme un pauvre clochard à la porte du Ritz ou du Claridge »

Georges Bernanos, Les prédestinés.

Voir les commentaires

Un soleil embrase son coeur ... (6)

6 Août 2020, 11:02am

Publié par Grégoire.

Un soleil embrase son coeur ... (6)

 

Qui, dis-moi, a le plus contribué à cette inintelligence ? Qui a divisé le troupeau et l’a dispersé dans des chemins inconnus ? Mais le troupeau se reformera, il rentrera dans l’obéissance et ce sera pour toujours. Alors nous donnerons aux hommes un bonheur tranquille et humble, le bonheur qui convient à de faibles créatures. Oh ! nous leur persuaderons aussi de ne pas s’enorgueillir, car Tu les as élevés et par là Tu leur as enseigné l’orgueil ; nous leur prouverons qu’ils sont faibles, qu’ils ne sont que de chétifs enfants, mais que le bonheur des enfants est plus doux que tout autre.

Ils deviendront timides, ils tiendront leurs yeux fixés sur nous et, dans la frayeur, se serreront contre nous, comme des poussins s’abritent sous l’aile de leur mère. Ils éprouveront devant nous de l’étonnement, de la terreur, et penseront, non sans fierté, que nous sommes bien forts et bien intelligents pour avoir pu dompter tant de millions de rebelles invétérés. L’appréhension de notre colère les fera trembler, leurs esprits seront craintifs, leurs yeux pleureront aisément, comme ceux des enfants et des femmes ; mais avec quelle facilité, sur un signe de nous, ils passeront à la gaieté, au rire, à la joie sereine et enfantine !

Oui, nous les forcerons à travailler, mais, dans leurs heures de loisir, nous leur organiserons une vie comme un jeu d’enfants, avec des chansons, des danses, des chœurs innocents. Oh ! nous leur permettrons même le péché, ils sont faibles et débiles ; ils nous aimeront, comme des enfants, parce que nous leur permettrons de pécher. Nous leur dirons que tout péché, commis avec notre permission, sera racheté, et nous leur permettrons de pécher parce que nous les aimons ; quant au châtiment de ces péchés, eh bien, nous le prendrons sur nous.

Et ils nous adoreront comme des bienfaiteurs, parce que nous aurons pris devant Dieu la responsabilité de leurs fautes. Et ils n’auront rien de caché pour nous. Suivant qu’ils seront plus ou moins obéissants, nous leur permettrons ou leur défendrons de vivre avec leurs femmes et leurs maîtresses, d’avoir des enfants ou de ne pas en avoir, — et ils se feront une joie de nous obéir. Les plus pénibles secrets de leur conscience, — tout, tout, ils viendront nous l’apporter, et nous déciderons tout, et ils accepteront notre décision avec allégresse, parce qu’elle les délivrera des cruels soucis qu’engendre aujourd’hui pour eux la nécessité de se décider librement et par soi-même.

Et tous seront heureux, tous ces millions d’êtres, sauf une centaine de mille qui les dirigera. Nous, en effet, nous, les dépositaires du secret, serons seuls malheureux. Les heureux enfants se compteront par milliers de millions et il y aura cent mille martyrs qui auront pris sur eux la malédiction de la connaissance du bien et du mal. Ils mourront paisiblement, ils s’éteindront doucement en Ton nom, et par delà la tombe ils ne trouveront que la mort. Mais nous conserverons le secret, et, pour leur bonheur même, nous les leurrerons d’une récompense éternelle dans le ciel. Car, à supposer même qu’il y ait quelque chose dans l’autre monde, certes ce n’est pas pour des êtres comme eux.

On dit, on prophétise que Tu viendras, que Tu vaincras de nouveau, que Tu arriveras entouré de Tes élus, de Tes fiers héros, mais nous dirons qu’ils n’ont sauvé qu’eux-mêmes, tandis que nous avons sauvé tout le monde. On dit que la fornicatrice assise sur la bête et tenant dans ses mains le mystère sera déshonorée, que les faibles se révolteront de nouveau, déchireront sa pourpre et mettront à nu son corps impur. Mais alors je me lèverai et je Te montrerai les milliers de millions d’heureux enfants qui n’ont pas connu le péché. Et nous qui, pour leur bonheur, aurons assumé leurs fautes, nous nous lèverons devant Toi et nous dirons : « Juge-nous, si Tu le peux et si Tu l’oses ».

Sache que je ne Te crains pas. Sache que moi aussi j’ai été dans le désert, que moi aussi je me suis nourri de sauterelles et de racines, que moi aussi j’ai béni la liberté donnée par Toi aux hommes, et que je me préparais à être compté au nombre de Tes élus, au nombre des puissants et des forts. Mais je me suis réveillé de ce rêve et je n’ai pas voulu me mettre au service d’une folie. Je suis allé me joindre au groupe de ceux qui ont corrigé Ton œuvre. J’ai quitté les fiers et suis revenu vers les humbles pour faire le bonheur de ces humbles. Ce que je Te dis se réalisera et notre empire s’élèvera.

Je Te le répète, demain Tu verras, sur un signe de moi, ce troupeau obéissant apporter des charbons brûlants au bûcher sur lequel je Te ferai périr parce que Tu es venu nous déranger. Si en effet quelqu’un a mérité plus que personne notre bûcher, c’est Toi.

Demain je Te brûlerai. Dixi. »

Fyodor Dostoïevski, LE GRAND INQUISITEUR, (Великий инквизитор)

Voir les commentaires

Un soleil embrase son coeur ... (5)

5 Août 2020, 05:48am

Publié par Grégoire.

Un soleil embrase son coeur ... (5)

 (...)

Ainsi l’inquiétude, la perplexité et le malheur, — voilà le partage actuel des hommes après que Tu as tant souffert pour leur liberté ! Ton grand prophète, dans sa vision allégorique, dit qu’il a vu tous ceux qui avaient part à la première résurrection et que, pour chaque génération, ils étaient douze mille. Mais s’il y en avait tant, c’étaient, pour ainsi dire, des dieux et non des hommes. Ils ont porté Ta croix, ils ont vécu des dizaines d’années dans un désert aride et nu, se nourrissant de sauterelles et de racines, — et, certes, Tu peux avec orgueil montrer ces enfants de la liberté, du libre amour, qui ont volontairement, magnifiquement fait abnégation d’eux-mêmes en Ton nom. Rappelle-Toi pourtant qu’ils n’étaient que quelques milliers et que c’étaient presque des dieux, mais le reste ? Est-ce leur faute, aux autres, aux faibles humains, s’ils n’ont pas pu supporter la même chose que les forts ? Est-ce la faute de l’âme faible si elle n’est pas capable de renfermer des dons si terribles ? Et se peut-il que réellement Tu ne sois venu que pour les élus ? S’il en est ainsi, il y a là un mystère et nous ne pouvons le comprendre. Mais si c’est un mystère, nous aussi avions le droit de prêcher le mystère, d’enseigner aux hommes que l’important n’est ni l’amour, ni la libre décision de leurs cœurs, mais le mystère, auquel ils doivent se soumettre aveuglément, même à l’encontre de leur conscience.

C’est aussi ce que nous avons fait. Nous avons corrigé Ton œuvre et l’avons fondée sur le miracle, le mystère, et l’autorité. Et les hommes se sont réjouis d’être de nouveau conduits comme un troupeau et de se voir enfin arracher du cœur le présent fatal qui leur avait causé tant de souffrances. Parle, avons-nous eu raison d’enseigner et d’agir de la sorte ? Se peut-il que nous n’aimions pas l’humanité, nous qui avons eu de sa faiblesse une conscience si émue, nous qui avons affectueusement allégé son fardeau, nous qui, par égard pour sa fragile nature, l’avons même autorisée à pécher, pourvu qu’elle nous en demandât la permission ? Et pourquoi gardes-Tu le silence, pourquoi Te bornes-Tu à fixer sur moi le regard pénétrant de Tes doux yeux ? Fâche-Toi, je ne veux pas de Ton amour, parce que moi-même je ne T’aime pas. Et pourquoi me cacherais-je de Toi ? Ne sais-je pas à qui je parle ? Ce que j’ai à Te dire T’est déjà connu, je lis cela dans Tes yeux.

Et je Te cacherais notre secret ? Peut-être veux-Tu précisément l’entendre de ma bouche, eh bien, écoute : Nous ne sommes pas avec Toi, mais avec lui, voilà notre secret ! Il y a longtemps déjà, il y a huit siècles que nous ne sommes plus avec Toi mais avec lui. Depuis juste huit siècles, nous avons reçu de lui ce que Tu avais repoussé avec indignation, ce dernier don qu’il T’a offert, en Te montrant tous les royaumes terrestres : nous avons reçu de lui Rome et le glaive de César et nous nous sommes déclarés les seuls maîtres de la terre, quoique jusque présent nous n’ayons pas encore pu achever entièrement notre œuvre. Mais à qui la faute ? Oh, cette affaire n’en est qu’au début, mais elle est commencée. Son achèvement se fera encore longtemps attendre et la terre souffrira encore longtemps, mais nous atteindrons notre but, nous serons Césars, et alors nous penserons au bonheur universel des hommes.

Et pourtant, Toi aussi, Tu aurais pu alors prendre le glaive de César. Pourquoi as-Tu refusé ce dernier don ? En acceptant le troisième conseil du puissant esprit, Tu aurais fourni à l’homme tout ce qu’il cherche sur la terre, savoir : devant qui s’incliner, à qui remettre sa conscience et enfin comment s’unir pour ne former tous ensemble qu’une même fourmilière, car le besoin de l’union universelle est le troisième et dernier tourment des hommes. Toujours l’humanité dans son ensemble a tendu à l’unité mondiale. Il y a eu plusieurs grands peuples, dont l’histoire a été glorieuse, mais ces peuples ont été d’autant plus malheureux qu’ils se sont élevés plus haut, car ils sentaient plus fortement que les autres le besoin de l’union universelle des hommes. Les grands conquérants, les Timour et les Gengis-Khan ont parcouru la terre comme un ouragan dévastateur, mais eux aussi, sans en avoir conscience, exprimaient cette même tendance du genre humain vers l’unité. En prenant le monde et la pourpre de César, Tu aurais fondé l’empire universel et donné la paix à toute l’humanité. Car à qui appartient-il de régner sur les hommes, sinon à ceux qui sont maîtres de leur conscience, et dans les mains de qui se trouvent leurs pains ? Nous avons aussi pris le glaive de César ; ce faisant, sans doute, nous T’avons repoussé et nous sommes allés à lui. 

Oh ! il se passera encore des siècles de libertinage intellectuel, de science et d’anthropophagie, car après avoir commencé par élever leur tour de Babel sans nous, ils finiront par l’anthropophagie. Mais alors aussi la bête s’approchera de nous en rampant, léchera nos pieds et les arrosera de larmes sanglantes. Et nous nous assiérons sur la bête, et nous élèverons en l’air une coupe, et sur cette coupe sera écrit : « Mystère ! » Mais aussi alors, alors seulement commencera pour les hommes le règne de la paix et du bonheur. Tu T’enorgueillis de Tes élus, mais Tu n’as qu’une élite, tandis que nous donnerons le repos à tous. Et que dis-je ? Même parmi cette élite, parmi ces forts qui auraient pu devenir des élus, combien se sont à la fin fatigués de T’attendre, combien ont porté et porteront encore sur un autre terrain les forces de leur esprit et la chaleur de leur cœur, combien finiront par lever contre Toi-même leur libre drapeau !

Mais c’est Toi-même qui as arboré ce drapeau. Avec nous, tous seront heureux, ils cesseront de se révolter et de s’exterminer les uns les autres, comme ils le font partout avec Ta liberté. Oh, nous leur persuaderons qu’ils ne seront libres que du jour où ils auront déposé leur liberté entre nos mains. Eh bien, en parlant ainsi, mentirons-nous ou dirons-nous la vérité ? Eux-mêmes se convaincront de la vérité de nos paroles, car ils se rappelleront à quelles terreurs d’esclaves, à quelles perplexités Ta liberté les a conduits.

L’indépendance, la libre pensée et la science les égareront dans de telles ténèbres, les placeront devant de tels prodiges, devant des énigmes si insolubles, que, parmi eux, plusieurs, les indociles et les farouches, mettront eux-mêmes fin à leurs jours, d’autres, indociles mais faibles, s’égorgeront mutuellement, et le reste, le troupeau des lâches et des malheureux se traînera à nos pieds en criant : « Oui, vous aviez raison, vous seuls possédiez son secret, et nous revenons à vous, sauvez-nous de nous-mêmes ». Sans doute, lorsqu’ils recevront de nous des pains, ils verront clairement que ces pains obtenus par leur effort, nous les leur prenons pour les leur partager, sans aucun miracle ; ils verront que nous n’avons pas changé des pierres en pains ; mais ce qui, en vérité, leur fera plus de plaisir que le pain même, ce sera de le recevoir de nous ! Car ils se souviendront fort bien qu’autrefois, sans nous, le pain qu’ils s’étaient procuré se changeait dans leurs mains en pierre, et ils remarqueront que depuis leur retour à nous ces pierres dans leurs mains redeviennent des pains. Ils apprécieront une fois pour toutes l’importance de la soumission ! Et tant que les hommes n’auront pas compris cela, ils seront malheureux. 

 

à suivre ...

Fyodor Dostoïevski, LE GRAND INQUISITEUR, (Великий инквизитор)

Voir les commentaires

Un soleil embrase son coeur ... (4)

4 Août 2020, 05:44am

Publié par Grégoire.

Un soleil embrase son coeur ... (4)

(...)

Si l’homme ne se représente pas fortement pourquoi il doit vivre, il ne consentira pas à vivre et se détruira plutôt que de rester sur la terre, lors même qu’il aurait autour de lui la plus grande quantité de pains. Tu as compris cela, mais quel parti as-Tu tiré de cette vérité ? Au lieu de confisquer la liberté des hommes, Tu l’as rendue plus large encore ! Ou bien as-Tu oublié que l’homme préfère la tranquillité, la mort même, au libre choix dans la connaissance du bien et du mal ? Rien ne séduit plus l’homme que la liberté de sa conscience ; rien aussi ne le tourmente davantage.

Et voilà qu’au lieu de principes fermes, destinés à calmer la conscience humaine une fois pour toutes, Tu as pris tout ce qu’il y a d’extraordinaire, de conjectural, d’indéterminé, tout ce qui dépasse les forces des hommes, et, ce faisant, Tu as agi comme si Tu ne les aimais pas, Toi qui es venu donner Ta vie pour eux !

Au lieu de confisquer la liberté humaine, Tu l’as élargie et Tu as introduit pour toujours de nouveaux éléments de souffrance dans le domaine moral de l’homme. Tu désirais que celui-ci T’aimât d’un libre amour, qu’il Te suivît librement, séduit, subjugué par Toi. Au lieu de la dure loi ancienne, il devait d’un cœur libre décider désormais lui-même ce qui est bon et ce qui est mauvais, n’ayant devant lui pour se guider que Ton image, mais comment n’as-Tu pas pensé qu’il finirait par repousser et par contester même Ton image et Ta vérité, s’il était chargé d’un fardeau aussi terrible que la liberté du choix ? Ils s’écrieront à la fin que la vérité n’est pas en Toi, car il était impossible de les laisser dans l’embarras et dans la perplexité plus que Tu ne l’as fait, en leur léguant tant de soucis et de problèmes insolubles... Ainsi Tu as Toi-même préparé la ruine de Ton empire et Tu ne dois en accuser personne. Et pourtant était-ce cela qu’on T’avait proposé ? Il y a sur la terre trois forces qui seules peuvent soumettre à jamais la conscience de ces faibles insurgés, et cela pour leur bien, — ce sont : le miracle, le mystère et l’autorité. Tu les as écartées toutes trois.

Le terrible et malin esprit T’a placé sur le faîte du temple et T’a dit : « Veux-Tu savoir si Tu es le Fils de Dieu, jette-Toi en bas, car il est dit de Lui que les anges le prendront avant qu’il ne touche la terre, et qu’il ne Lui arrivera aucun mal. Tu sauras alors si Tu es le Fils de Dieu et Tu prouveras quelle est Ta foi dans Ton Père. » Après avoir entendu ces paroles, Tu as repoussé la proposition et Tu ne t’est pas jeté en bas du temple. Oh, sans doute, Tu as agi en cette circonstance avec la sublime fierté d’un dieu, mais les hommes, cette race d’impuissants révoltés, sont-ce des dieux ? Tu as compris alors qu’au moindre pas, au premier mouvement fait pour Te jeter en bas du temple, Tu tenterais Dieu aussitôt, Tu perdrais Ta foi en lui, et Tu Te briserais sur le sol que Tu étais venu sauver, ce qui remplirait de joie l’esprit tentateur.

Mais, je le répète, y a-t-il beaucoup d’êtres comme Toi ? Et as-Tu pu admettre un seul instant que les hommes seraient capables de résister à une pareille tentation ? La nature humaine a-t-elle été créée telle qu’elle puisse repousser le miracle et se contenter de la libre décision du cœur dans ces terribles moments de la vie où les questions les plus fondamentales et les plus poignantes se posent devant l’âme ? Oh ! Tu savais que Ton héroïque détermination serait conservée dans les livres, qu’elle parviendrait au plus lointain des âges et aux dernières limites de la terre, et Tu espérais qu’en T’imitant, l’homme aussi resterait avec Dieu sans avoir besoin du miracle. Mais Tu ignorais que, sitôt que l’homme repousse le miracle, il repousse du même coup Dieu, car il cherche moins Dieu que le miracle. Et comme l’homme n’est pas de force à se passer de miracles, il en produit une foule de nouveaux qui sont son œuvre, il s’incline devant les prodiges des magiciens, devant les enchantements des sorcières, fût-il cent fois révolté, hérétique et athée. Tu n’es pas descendu de la croix quand on Te criait par dérision : « Descends de la croix, et nous croirons que c’est Toi ». Tu n’es pas descendu, toujours parce que Tu ne voulais pas asservir l’homme par le miracle, parce qu’il Te fallait une foi libre et non arrachée au moyen du merveilleux.

Tu désirais un amour libre et non les transports serviles d’un esclave devant la puissance qui l’a terrifié une fois pour toutes. Mais ici encore Tu T’es fait une trop haute idée des hommes, car ce sont des esclaves, quoiqu’ils aient été créés rebelles. Regarde et juge, voilà que quinze siècles se sont écoulés, jette les yeux sur eux : qui as-Tu élevé jusqu’à Toi ? Je le jure, l’homme a été créé plus faible et plus bas que Tu ne le pensais ! Peut-il, peut-il accomplir ce que Tu as accompli ? Ayant pour lui tant d’estime, Tu as agi comme si Tu avais cessé de compatir à ses misères, car Tu as trop exigé de lui, — Toi pourtant qui l’as aimé plus que Toi-même ! L’estimant moins, Tu aurais moins exigé de lui et Tu lui aurais ainsi donné une plus grande marque d’amour, car son fardeau eût été plus léger. Il est faible et lâche. Qu’importe que maintenant il s’insurge partout contre notre autorité et s’enorgueillisse de sa révolte ? C’est l’orgueil d’un enfant et d’un écolier.

Ce sont de petits enfants qui se soulèvent contre leur pion et le mettent à la porte de la classe. Mais la mutinerie de ces gamins aura un terme, elle leur coûtera cher. Ils renverseront les temples et ensanglanteront le sol. Mais ces enfants imbéciles finiront par comprendre que tout en étant des révoltés, ils sont des révoltés impuissants, incapables de supporter leur propre révolte. Versant de sottes larmes, ils sentiront enfin que celui qui les a créés rebelles a voulu sans doute se moquer d’eux. Ils diront cela dans leur désespoir et cette parole sera un blasphème qui les rendra encore plus malheureux, car la nature humaine ne supporte pas le blasphème et, au bout du compte, elle-même le châtie toujours.

 

à suivre ...

Fyodor Dostoïevski, LE GRAND INQUISITEUR, (Великий инквизитор)

 

 

Voir les commentaires

Boże Ciało (littéralement « Le Corps du Christ »)

3 Août 2020, 02:59am

Publié par Grégoire.

 Le Corps du Christ

Le Corps du Christ

« Le Corps du Christ » ou " La Communion", film polonais de Jan Komasa, décapant !

Tout dans ce film est d'une sensibilité hors normes et évite les clichés, en déplaçant les thèmes. Daniel est un jeune délinquant qui, lors de sa liberté conditionnelle, décide de se faire passer pour un prêtre. La fraîcheur de ses sermons décape les âmes et son âme blessée à l'extrême réclame et impose une radicalité évangélique déboussolante... 

 

 

UNE RÉALISATION LUMINEUSE

Le premier élément qui saute aux yeux dans la réalisation est la qualité de sa lumière. La photographie (Piotr Sobocinski) est dans sa précision hallucinante, dans la netteté des visages qu'elle met en avant, dans les jeux métaphoriques de clair-obscur, dans l'image cramée de la fin, le tout sans être démonstrative, présente pour servir l'histoire et non pas se mettre en avant. Cette qualité est une marque polonaise de plus en plus forte, et l'on se souvient par exemple du plaisir visuel de Cold War, film de Paweł Pawlikowski, dont le travail sur la photo avait impressionné.

L'esthétique sur la lumière est à la fois magnifique et agréable, dans le sens où elle n'accapare pas l'écran (méta-réflexion sur le cinéma, caméra branlante, flous artistiques moches) et met en valeur le récit. Lumineux dans sa facture, le film l'est tout autant dans son interprétation et son récit, pour une joie totale chez le spectateur.

Bartosz Bielenia offre une interprétation sidérante, capable de transmettre un panel émotionnel rare, entre extase, peur, rage, joie et spiritualité, sans qu'une fausse note déteigne à l'écran. Complexe et ambigu, son personnage est une explosion d'humanité, dont le parcours extrêmement bien écrit est confirmé par un jeu extrêmement précis. La lumière intérieure qui l'habite se confond dans l'ombre de son passé, rendant le protagoniste mystérieux et attachant d'un même élan. Quant aux autres acteurs, ils sont d'un réalisme déconcertant, animés par des sentiments aveugles, cruels ou impartiaux qui permettent de construire un suspense psychologique mémorable.

 

 

 

 L'affiche du film montre Daniel possédé, mais son histoire est plus complexe qu'une euphorie divine. Attiré par la foi, il lui est interdit de devenir prêtre suite au crime qu'il a commis - et qui est révélé dans une scène magistrale dans le confessionnal, où le rôle de pécheur et d'absoluteur sont inversés. Le film n'a rien d'une satire qui moquerait les excès de la foi, tout simplement parce qu'il déplace son thème et n'en fait ni une critique ni un éloge.

Si la foi est au coeur du film, c'est par la figure Christique de Daniel, vivant presque malgré lui quelquechose du mystère du Christ sans pourtant avoir les pouvoirs d'un prêtre. Le réalisateur s'empare ainsi de la foi catholique pour raconter une histoire transversale et transcendée par le goût du verbe, de la personne du Christ, et d'un évangile plus que vécu par ce délinquant-prêtre.

Si la pratique religieuse rythme le quotidien du petit village, la miséricorde et le pardon font  défaut aux habitants, obnubilés par la mort de plusieurs jeunes, advenue avant la narration. Il n'y a pas d'élans mystiques, pas de lecture critique ou asservie de l'Église, simplement une pureté immense, paradoxalement enrobée d'un mensonge. 

 C'est le premier sermon du prêtre desservant le centre qui donne la tonalité et le sens du film : "nous sommes tous prêtres du Christ, qui que nous soyons " et enfin, le dernier, celui du prêtre du village qui confirme la présence prophétique de Daniel : "Dieu nous parle parfois très directement et à travers des personnes inattendues ! "

Interdit aux moins de 12 ans.

 

Voir les commentaires

Un soleil embrase son coeur ... (3)

2 Août 2020, 01:03am

Publié par Grégoire.

Un soleil embrase son coeur ... (3)

...

Décide donc Toi-même qui avait raison : Toi ou celui qui T’a interrogé alors ? Rappelle-Toi la première question ; en voici le sens, sinon le texte : « Tu veux aller dans le monde et y aller les mains vides, promettant une liberté que dans leur bêtise et leur perversité innées ils ne peuvent même pas comprendre, dont ils ont une peur affreuse, — car pour l’homme et pour la société humaine il n’y a jamais rien eu de plus insupportable que la liberté ! Mais vois-Tu ces pierres dans ce désert aride et nu ? Change-les en pains, et l’humanité courra derrière Toi, comme un troupeau, reconnaissante et soumise, quoique tremblant toujours que Tu ne retires Ta main et que Tes pains ne lui soient ôtés. »

Mais Tu n’as pas voulu priver l’homme de la liberté et Tu as repoussé cette proposition, car que deviendrait la liberté, as-Tu pensé, si l’obéissance était achetée par des pains ? Tu as répondu que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais sais-Tu qu’au nom de ce même pain terrestre l’esprit de la terre se dressera contre Toi, qu’il Te livrera bataille, qu’il Te vaincra, et que tous le suivront en s’écriant : « Qui est semblable à cette bête ? Elle nous a donné le feu du ciel ! » Sais-Tu que des siècles passeront et que l’humanité proclamera par la bouche de ses savants et de ses sages qu’il n’y a pas de crime et, par conséquent, pas de péché, qu’il n’y a que des affamés ? « Nourris-les et alors demande-leur des vertus ! »

Voilà ce que la science et la sagesse humaine écriront sur le drapeau qu’elles lèveront contre Toi et par lequel Ton temple sera renversé. À la place de cet édifice il s’en fondera un autre, une nouvelle tour de Babel qui, sans doute, ne sera pas plus achevée que ne l’a été la première, mais Tu aurais pu en prévenir l’édification et épargner aux hommes mille ans de souffrances, — car ils viendront à nous après avoir, pendant mille ans, peiné à construire leur tour ! Alors de nouveau ils nous chercheront sous terre, dans les catacombes où nous nous cacherons (car nous serons encore persécutés et martyrisés), ils nous trouveront et crieront vers nous : « Nourrissez-nous, car ceux qui nous avaient promis le feu du ciel ne nous l’ont pas donné ». Et alors nous achèverons leur tour, car celui-là l’achèvera qui les nourrira, et nous seuls les nourrirons, en Ton nom : nous leur dirons faussement que c’est en Ton nom. Oh, jamais, jamais ils ne se nourriront sans nous ! Aucune science ne leur donnera du pain, aussi longtemps qu’ils resteront libres, mais, en fin de compte, ils déposeront leur liberté à nos pieds et ils nous diront : « Asservissez-nous, pourvu que vous nous donniez à manger ». Eux-mêmes finiront par comprendre que la liberté est incompatible avec le pain terrestre en abondance suffisante pour chacun, parce que jamais, jamais ils ne sauront faire le partage entre eux ! Ils se convaincront aussi qu’ils ne pourront jamais être libres, attendu qu’ils sont faibles, vicieux, nuls et mutins.

Tu leur as promis le pain du ciel, mais, je le répète, peut-il entrer en comparaison avec celui de la terre, aux yeux de la race humaine qui est faible, qui est éternellement vicieuse et ignoble ? Et si, au nom du pain céleste, Tu attires à Toi des prosélytes par milliers et par dizaines de milliers, que deviendront ces millions, ces dizaines de millions, qui ne seront pas capables de mépriser le pain de la terre pour celui du ciel ? Ou bien n’aimes-Tu que les grands et les forts qui se comptent par dizaines de mille ; et les autres, nombreux comme les sables de la mer, ces êtres faibles mais qui T’aiment, les regardes-Tu seulement comme des matériaux pour les grands et les forts ? Non, à nous les faibles aussi sont chers. Ils sont vicieux et insubordonnés, mais à la fin ils ne laisseront pas de devenir obéissants. Ils nous admireront et nous regarderont comme des dieux parce que, en nous mettant à leur tête, nous aurons consenti à supporter le poids de la liberté et à régner sur eux, — tant, à la fin, ils auront peur d’être libres ! Mais nous dirons que nous sommes Tes disciples et que nous régnons en Ton nom. Nous les tromperons encore, car nous ne Te laisserons pas approcher de nous. Dans cette imposture consistera notre souffrance à nous autres, attendu que nous devrons mentir. Voilà ce que signifiait la première question dans le désert, et voilà ce que Tu as repoussé au nom de la liberté que Tu mettais au-dessus de tout. Et pourtant dans cette question était renfermé le grand secret de ce monde. En acceptant les « pains », Tu aurais répondu à l’éternelle et unanime préoccupation de l’humanité : — « devant qui s’incliner ? »

Il n’y a pas de souci plus constant et plus douloureux pour l’homme laissé libre, que de chercher au plus tôt un objet de vénération. Mais l’homme veut s’incliner devant ce qui est incontestable, devant ce qui réunit tous les humains dans un commun respect, car l’effort de ces lamentables créatures consiste à chercher non l’objet d’un culte particulier à moi ou à un autre, mais un être en qui tous croient, devant qui tous s’inclinent également. Ce besoin de l’universalité dans l’adoration est le principal tourment de l’homme individuel aussi bien que de l’humanité tout entière depuis le commencement des siècles. C’est pour réaliser cette adoration universelle qu’ils se sont exterminés par le glaive. Ils ont créé des dieux et ils se sont dit les uns aux autres : « Abandonnez vos dieux et venez adorer les nôtres, sinon mort à vous et à vos dieux ! » Et il en sera ainsi jusqu’à la fin du monde, et lorsque les dieux auront disparu de la terre, ce sera la même chose : l’humanité se prosternera devant des idoles.

Tu savais, Tu ne pouvais ignorer ce secret fondamental de la nature humaine, mais Tu as repoussé le drapeau qu’on Te mettait dans la main et qui seul T’aurait assuré sans conteste l’hommage de tous les hommes, — le drapeau du pain terrestre ; Tu l’as repoussé au nom de la liberté et du pain céleste. Regarde ce que Tu as fait ensuite. Et encore toujours au nom de la liberté ! Il n’y a pas, Te dis-je, de souci plus douloureux pour l’homme que de trouver à qui déléguer au plus tôt ce don de la liberté avec lequel vient au monde cette malheureuse créature. Mais celui-là seulement s’empare de la liberté des hommes, qui tranquillise leur conscience. Le pain Te fournissait un drapeau incontestable. Devant celui qui lui donnera le pain, l’homme s’inclinera, parce qu’il n’y a rien de plus indiscutable que le pain ; mais si en même temps quelqu’un, en dehors de Toi, s’empare de la conscience humaine, — oh, alors l’homme abandonnera même Ton pain pour suivre celui qui séduira sa conscience. En cela Tu avais raison. Car le secret de l’existence humaine ne consiste pas seulement à vivre, mais à avoir un motif de vivre. 

 

à suivre ...

Fyodor Dostoïevski, LE GRAND INQUISITEUR, (Великий инквизитор)

 

Voir les commentaires

Un soleil embrase son coeur ... (2)

1 Août 2020, 00:01am

Publié par Grégoire.

Un soleil embrase son coeur ... (2)

 

— Je ne comprends pas du tout ce que c’est que cela, Ivan, observa en souriant Aliocha qui jusqu’alors avait écouté sans rien dire : — est-ce une fantaisie, ou une erreur du vieillard, quelque impossible quiproquo ?

Ivan se mit à rire.

— Accepte la dernière hypothèse, si le réalisme contemporain t’a gâté à un tel point que tu ne puisses rien supporter de fantastique : tu veux que ce soit un quiproquo, va pour un quiproquo. D’ailleurs, c’est bien naturel, poursuivit-il avec un nouveau rire, — le vieillard est nonagénaire et son idée a pu le rendre fou depuis longtemps. Il se peut que le prisonnier l’ait frappé par son extérieur. Enfin ce peut n’être qu’un pur délire, le rêve d’un vieillard de quatre-vingt-dix ans qui touche à sa dernière heure, et dont l’imagination est encore échauffée par le spectacle de la veille : l’autodafé de cent hérétiques. Mais, fantaisie ou quiproquo, qu’est-ce que cela nous fait ? Il n’y a ici qu’une chose importante, c’est que le vieillard parle et révèle à haute voix ce qu’il a tu pendant quatre-vingt-dix ans.

— Et le captif reste silencieux ? Il se borne à le regarder sans dire un seul mot ?

— Mais, dans tous les cas, Il doit se taire, reprit gaiement le narrateur. — Le vieillard même lui fait observer qu’il n’a pas le droit d’ajouter une syllabe à ce qui a déjà été dit. Si tu veux, c’est là le trait le plus fondamental du catholicisme romain, à mon avis, du moins : « Tout, dit-il, a été transmis par Toi au pape ; tout, par conséquent, appartient maintenant au pape, donc nous n’avons que faire de Ta présence, ne viens pas nous déranger ». C’est dans ce sens que parlent et écrivent les jésuites. Moi-même j’ai lu cela dans leurs théologiens. « As-Tu le droit de nous annoncer un seul des secrets du monde d’où Tu es venu ? » — Lui demande mon vieillard, et il fait lui-même la réponse : — « Non, Tu n’en as pas le droit, puisque agir ainsi, ce serait ajouter à ce qui a été déjà dit auparavant et ôter aux hommes cette liberté dont Tu soutenais si ardemment la cause quand Tu étais sur la terre. Tout ce que Tu révélerais de nouveau porterait atteinte à la liberté de la foi chez les hommes, car cette révélation leur apparaîtrait comme un miracle, et autrefois, il y a quinze siècles, rien ne T’était plus cher que la liberté de leur foi. N’est-ce pas Toi qui alors disais si souvent : « Je veux vous rendre libres » ? Mais voilà que maintenant Tu as vu ces hommes « libres », ajoute brusquement le vieillard avec un sourire méditatif. — Oui, cette affaire nous a coûté cher, continue-t-il en le regardant sévèrement, — mais enfin nous l’avons achevée, en Ton nom. Pendant quinze siècles cette liberté nous a donné bien du mal, mais à présent, c’est fini, bien fini. Tu ne le crois pas ? Tu jettes sur moi un doux regard et Tu ne me fais même pas l’honneur de T’indigner ? Mais sache que jamais ces gens ne se sont crus plus complètement libres qu’aujourd’hui, et pourtant eux-mêmes nous ont apporté leur liberté et l’ont déposée humblement à nos pieds. Mais c’est nous qui avons fait cela ; était-ce cela, était-ce une pareille liberté que Tu voulais ? »

— Voilà encore une chose que je ne comprends pas, interrompit Aliocha, — il fait de l’ironie, il plaisante ?

— Pas du tout. Il considère précisément comme un mérite pour lui et pour les siens d’avoir enfin supprimé la liberté, en vue de rendre les hommes heureux. « Car maintenant pour la première fois (il parle, bien entendu, de l’époque où s’est établie l’inquisition) il est devenu possible de songer un peu au bonheur des hommes. L’être humain a été créé rebelle ; est-ce que des rebelles peuvent être heureux ? On T’avait prévenu, Lui dit-il. ce ne sont pas les avertissements et les conseils qui T’ont manqué, mais Tu ne les as pas écoutés. Tu as repoussé le seul moyen par lequel on pût rendre les hommes heureux ; mais, par bonheur, en T’en allant, Tu nous as légué la besogne. Tu as promis, Tu as donné Ta parole, Tu nous as conféré le droit de lier et de délier, et, sans doute Tu ne peux plus maintenant penser à nous retirer ce droit. Pourquoi donc es-Tu venu nous déranger ? »

— Et que signifient ces mots : « Ce ne sont pas les avertissements et les conseils qui T’ont manqué » ? demanda Aliocha.

— Tu vas le voir, la suite du discours l’explique :

« L’esprit terrible et intelligent, l’esprit de la négation et du néant, continue le vieillard, — le grand esprit T’a parlé dans le désert et les livres nous racontent qu’il T’a « tenté ». Est-ce vrai ? Et pouvait-on dire quelque chose de plus vrai que ce qu’il T’a annoncé dans les trois questions ou, pour employer le langage de l’Écriture, dans les trois « tentations » que Tu as repoussées ? Si jamais il s’est accompli sur la terre un miracle authentique, foudroyant, c’est ce jour-là, le jour des trois tentations. Le fait seul que ces trois questions ont été posées est par lui-même un miracle. Admettons par simple hypothèse que ces trois questions du terrible esprit aient complètement disparu des livres, et qu’il faille les inventer, les imaginer de nouveau pour les y replacer ; supposons que dans ce but on réunisse tous les sages de la terre — hommes d’État, princes de l’Église, savants, philosophes, poètes, et qu’on leur dise : imaginez, composez trois questions qui non-seulement correspondent à la grandeur de l’événement, mais, de plus, expriment en trois mots, en trois phrases humaines, toute l’histoire future du monde et de l’humanité, — penses-Tu que ce congrès de toutes les intelligences de la terre pourrait inventer quoi que ce soit d’aussi fort et d’aussi profond que les trois questions qui T’ont été posées alors dans le désert par le puissant et intelligent esprit ? Rien que d’après ces trois merveilleuses questions, on peut déjà comprendre que ce n’est pas à un esprit humain, contingent, que Tu as eu affaire, mais à l’esprit éternel, absolu. Car dans ces trois questions est, pour ainsi dire, condensée et prédite toute l’histoire ultérieure de l’humanité ; ce sont comme les trois formes dans lesquelles se concrètent toutes les insolubles contradictions historiques de la nature humaine sur toute la terre. Alors cela ne pouvait pas être encore aussi évident, parce que l’avenir était inconnu, mais maintenant que quinze siècles se sont écoulés, nous voyons que tout a été si bien deviné et prévu dans ces trois questions, qu’on ne peut rien y ajouter, rien en retrancher.

à suivre ...

Fyodor Dostoïevski, LE GRAND INQUISITEUR, (Великий инквизитор)

Voir les commentaires