AU HASARD BALTHAZAR...
AU HASARD BALTHAZAR - Robert Bresson – 1966
La vie de l'âne Balthazar, plongé au milieu des drames humains et qui en meurt.
"Je voulais que l'âne traverse un certain nombre de groupes humains qui représentent les vices de l'humanité. Il fallait aussi, étant donné que la vie d'un âne est très égale, très sereine, trouver un mouvement, une montée dramatique. C'est à ce moment que j'ai pensé à une fille, à la fille qui se perd." Robert Bresson.
Quelques années auparavant, en 1959, tout comme le cinéma français, Robert Bresson s'innovait lui-même avec Pickpocket et commençait ainsi, une quête vers la forme la plus dépouillée qui soit.
Ainsi donc, quatre années après le Procès de Jeanne d’ Arc qui suivait dans la même veine, Au Hasard Balthazar est l'apogée de la magie bressonienne. Ce film est l'un des témoins de la quête
stylistique de Bresson qui s'achèvera avec l'Argent en 1983, dernier film de ce génie, d'un style très radical. Pickpocket, le Procès de Jeanne d'Arc Au Hasard Balthazar annoncent la forme pure
et extrême de Lancelot du Lac, le Diable Probablement... et l'Argent.
On peut discerner deux intentions précises et évidentes de la part de l'auteur dans Au Hasard Balthazar : suggérer les étapes de la vie d'un âne, de l'enfance à la mort ; et évoquer, au travers des portraits des différents maîtres successifs de Balthazar, les vices humains. Bresson s'impose comme un peintre de l'univers animal pour faire l'évocation la vie de Balthazar, palpitante de vérité : l'émotion vient d'un simple regard de l'âne Balthazar. Dès le début du film, surgissent l'atmosphère de la fraîcheur infinie de l'enfance, ébats, jeux, rires, caresses, la description y est juste et sensible. Mais les années passent, l'univers de l'enfance est balayée par l'univers des hommes, brutal et violent, sadique et méchant : coups de poings, coups de pieds, chaises et fouets s'abattent sur le dos de l'innocent âne (Gérard ira jusqu'à le torturer en lui enflammant la queue.) Marie, elle aussi, jeune victime innocente dont l'existence dure et triste est semblable à celle de Balthazar, se fait déshabillée, frappée et enfermée par le même Gérard. L'atmosphère poignante du film naît de la confrontation de ces trois univers qui s'arrachent en lambeaux tout au long du film. Mais ce monde plein de souffrance est aussi presque celui de la Bible.
L'âne de la crèche (et baptisé au début du film) meurt, comme un martyr, témoin de la cruauté du monde. Un berger voit finalement en lui un saint réincarné qui aurait porté tous les péchés des hommes. L'âne, symbole de pureté et de vertu, est la triste victime de l'homme et de ses passions. Au Hasard Balthazar s'insère dans un moule esthétique spécifiquement bressonien. En travaillant avec soin le rythme, Bresson est parvenu à une plénitude esthétique qui donne l'impression que son film a été touché par la grâce. La mise en scène est d'une épaisseur indiscutable et fascinante, d'une part dans le parallélisme du destin de l'âne et des personnages et enfin dans l'abstraction de cette allégorie (Gérard, la luxure, le sadisme ; le père de Marie, l'orgueil et l'avarice ; Arnold, la paresse et l'ivrognerie, etc.) Bresson regarde l'humanité pécheresse avec lucidité. Il n'y a plus de place pour l'espoir dans ce constat terrible, une étude de sainteté et une sombre allégorie sur les penchants destructeurs de l'Homme où tout le malheur et toute la cruauté du monde peu rassurant des hommes semblent se refléter dans le regard de l'âne qu'on croit souvent bête. Résultat du long cheminement vers la perfection, Au Hasard Balthazar n'est pas de ces films dont il y a à s'attarder car ce film demande surtout beaucoup de sensibilité de la part du spectateur et car il fait partie des films dont les mots ne font pas le poids, surtout lorsque l'émotion y est pure.
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