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Le bleu de l’Absence

22 Novembre 2019, 01:35am

Publié par Grégoire.

Le bleu de l’Absence

Elle l’avait vu de loin, avant nous tous. En plein désert, à trois jours de marche de Tamanrasset. Une silhouette bleue parmi quelques arbustes, flottant dans le clapotis d’une vague de chaleur. Son œil de photographe pouvait voir le plus souvent ce que nous ignorions. Puis l’évidence cachée surgissait à chaque fois, tranquillement installée sur l’écran ou sur les toiles de ses expositions.

C’était une tunique d’enfant, morceau arraché au ciel bleu et écartelé là, en croix, prisonnier d’un acacia, maigre compagnon de torture. Le bout des manches battait cet appel silencieux et désespéré que nous avions vu, semblant dire « vous arrivez trop tard, mais approchez ». Un crucifié sans mains, sans tête, sans corps, mais incroyablement vivant dans ses légers frémissements de toile. Enveloppe d’un tronc déposée sur un autre, la chemise racontait son universelle et singulière histoire de suaire et d’épines, l’histoire possible d’un enfant migrant dont elle était le seul bien, la seule patrie, l’histoire d’une disparition racontée par un tissu muet au témoignage déchiré, l’histoire de la mue abandonnée d’un nomade oublié, l’histoire d’une voile gonflée d’espoir dans une traversée d’épines.

Aucun d’entre nous ne troubla d’un mot le témoignage du frisson azuré.

Alors, avec un infini respect elle prit l’histoire en photo. C’était il y a treize ans. Un souffle de vent épique gonfla à ce moment précis la silhouette bleue, donnant à jamais respiration à l’Absence rencontrée.

Sur les pieds photographiés des enfants réfugiés elle continue de tracer des cartographies du monde, sur leurs mains des lignes de vie de fils barbelés. Pendant qu’une tunique orpheline aux couleurs d’indigo délavé par l’oubli continue de palpiter convulsivement dans un buisson d’épineux dans l’hymne du vent, drapeau déchiré de pays abandonnés et d’enfants disparus.

 

Jean-françois Debargue

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