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QUE CHERCHEZ-VOUS ?

poesie

Le pain du silence...

28 Mars 2017, 04:36am

Publié par Grégoire.

Le pain du silence...

Depuis sa mort il vit au Canada. C'est froid, le Canada. C'est comme la neige, blanc, lumineux et froid. Depuis sa mort il vit dans la lumière blanche, glacée. Quand est-ce qu'il a pris la décision de mourir, d'aller au Canada. Vous ne savez plus. C'est marqué sans doute sur la pochette d'un disque mais vous n'avez pas de disque, que des cassettes avec très peu de mots dessus, parfois rien, juste le visage, son visage de pasteur ou de fou, son visage de pasteur sous les neiges, de dément sur les glaces. Après tout, peu importe la date. Elle n'amènerait rien de précis à votre méditation. Elle ne dirait rien de juste. Quand une chose arrive, quand elle arrive vraiment, ce n'est jamais dans le temps qu'elle arrive. La mort, l'amour, la beauté, quand ils surviennent par grâce, par chance, ce n'est jamais dans le temps que cela se passe. Il n'arrive jamais rien dans le temps - que du temps. Il vous suffit de savoir que ce départ a lieu très tôt. Très tôt dans sa vie, la mort. Avant il donne des concerts, gouverne des orchestres ou plutôt, car il n'est que pianiste, il s'entête à refuser tout gouvernement d'un chef, d'un ensemble, d'un orchestre. Je joue à ma manière. A ma manière froide et brûlante. Suivez-moi si le coeur vous en dit. Suivez-moi dans le Grand Nord des partitions, sous les sapins sombres de la musique. Si vous le pouvez, suivez-moi. Là où je vais, là où je joue, il n'y a personne - que la musique immaculée. 

Oui, très jeune, après beaucoup de contrats signés, beaucoup de roses lancées, de visages offerts, de mains tendues, très jeune il dit j'arrête, j'ai affaire ailleurs, j'ai affaire avec le givre, je vous demande de m'excuser, de ne pas trop m'en vouloir, j'ai rendez-vous au Canada avec la musique, avec la solitude de la musique, avec la solitude de la solitude. Je vous laisse. C'est mon intérêt de vous laisser et c'est aussi le vôtre. Vous m'aimez. Vous me dites que vous m'aimez mais vous ne savez trop ce que vous dites. Vous m'aimez trop. Vous voulez plutôt m'enfermer là où je suis, là où vous êtes, entre les murs de piano noir, de fauteuils rouges, bien au chaud avec vous. Je préfère le froid à cette chaleur. Ne vous offusquez pas. Votre amour m'a nourri, m'a fait grandir. Maintenant que je suis grand il me faut bien aller ailleurs, chercher autre chose. Je ne pourrais passer ma vie à me nourrir de cet amour, personne ne pourrait raisonnablement passer sa vie à manger. Je vous enverrai des cartes postales. Je vous ferai des disques. Plus de concerts, que des disques. Ils vous donneront de mes nouvelles, des images du Grand Nord. Une nourriture plus substantielle que la nourriture. Une musique plus aérienne que la musique. Vous verrez, vous entendrez : le pain du silence, le vin du silence. Et juste quelques notes, par-ci, par-là. [...] 

 

C Bobin, l'homme-joie.

 

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Maria

26 Mars 2017, 04:34am

Publié par Grégoire.

Maria

Elle dit "C'est Maria" puis elle se tait. A l'autre bout du téléphone son silence est si pur qu'on rêverait de ne jamais le rompre. "C'est Maria." La voix de la gitane, si jeune, enceinte, vibre dans une nuit profonde d'avant Dieu. Un bijou de voix sur un écrin noir. Le timbre est sourd. On est à l'intérieur du coeur noir d'une rose, on ne perçoit plus la rumeur distrayante du temps, on est au centre du miracle. "C'est Maria." Son enfant verra le jour dans quinze jours, il donnera au monde la flamme de ses petits yeux gitans, en attendant, il n'y a que la voix étonnée de celle qui le porte. Elle est seule avec sa bonté qu'elle ne connaît ni n'entend. C'est avant la création, avant l'ouverture des portes du paradis, Dieu n'est pas encore levé. Adam et Eve sont des paysans. Les gitans les ont précédés. Ils poussaient leurs caravanes sur la Voie lactée. Ils dormaient dans le noir entre les étoiles. Ils frottaient leurs mains pour réchauffer Dieu qui n'est que chair, sang et voix. "C'est Maria." Elle se présente toujours ainsi au téléphone, comme si elle était à l'extérieur d'elle-même, comme si elle poussait quelqu'un devant elle par timidité, pour ne pas apparaître la première sous la lumière toujours faussée d'une conversation, et ce quelqu'un c'est elle, "C'est Maria". Ces deux mots sont tout ce qu'il y a à penser dans la vie. Il n'y a jamais eu d'autre énigme que celle du surgissement d'un humain dans sa voix, dans ses mots, dans l'incendie d'un silence. 

La première fois que je la rencontre elle a dix ans, peut-être sept : les enfants gitans semblent toujours plus âgés tant leurs chairs sont lourdes du sang divin de l'expérience. C'est à Avignon, en été. Elle est à côté de son frère Sorin. Je suis plus impressionné par leur apparition que si je voyais le pape en personne. Ils sont surnaturellement silencieux. Deux blocs de pensée avec des émeraudes dans la pierre de la chair, à la place des yeux. Un roi et une reine dont tout le monde ignore la présence dans les rues poussiéreuses de soleil. Je n'ai jamais quitté ma ville, jamais quitté ma chambre et tout d'un coup je découvre les ambassadeurs du grand ciel : deux chefs-d'oeuvre qui bougent à peine, ne parlent pas, dévorent l'azur des yeux. Dans cent ans je ne serai plus là, mais mon ombre se souviendra toujours d'eux comme du sublime alliage du farouche et du pur. "C'est Maria." Elle s'annonce et s'efface dans le même souffle. Les gitans ont des pudeurs de violette. Son nom qu'elle jette en avant d'elle dans le froid astral est comme ces nourrissons que les religieuses trouvaient aux portes des églises, un nom confié au soin de Dieu qui est là pour ça, pour arrêter l'hémorragie du bleu, la mise aux ténèbres d'un coeur simple, la terreur intime d'être un jour abandonné. "C'est Maria." Il ne se passe plus rien dans nos paroles. Nos images nous ont aveuglés. Nous avons lavé nos visages de l'âme qui nous gênait. Dieu est à des années-lumière de nous, même si un nouveau-né l'attrape d'un petit tour de main. Les gitans, les chats errants et les roses trémières savent quelque chose sur l'éternel que nous ne savons plus. 

C Bobin, l'homme-joie

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Ces instants de faillite...

24 Mars 2017, 05:28am

Publié par Grégoire.

Ces instants de faillite...

Dans la proximité du soir où je vous écris, à cette heure où le monde oublié du dieu comme du diable, pèse sur la nuque des bêtes et sur le fond des pensées, quelque chose s’est produit : un duvet de lumière, lentement, est descendu le long du mur crépi. Pas plus. Rien de plus, et cela suffit pour que ce jour soit à jamais impérissable. Une once de réel pur suffit, à qui sait voir. Amplement elle suffit, pour induire cet état de stupeur, quand la pensée enfin renonce, l’imbécile pensée qui nous tient serrés dans le monde, un poing de limaille enfoncé dans la gorge : et tant que nous parlons, nous ne disons rien ; et tant que nous faisons quelque chose, nous ne faisons rien.

Seuls comptent ces instants de faillite, quand l’abject devoir de faire bon visage perd de son emprise, quand nous demeurons désert, invisibles de ceux qui nous commandent, oubliés de ceux qui nous aiment. Beaucoup de femmes ainsi, dans les maisons vides, abdiquent toute souveraineté, et se perdent dans les heures excessivement claires de l’après-midi, dans l’égalité –impossible à dire- de la joie et de l’ennui. Ne plus rien faire, ne plus rien être. Regarder par la fenêtre le ciel hésitant, scrupuleux. Le château de sable des lumières, en un instant effondré. Ne plus rien posséder, pas même soi. Accéder à cet ultime noyau de silence autour duquel gravite la poussière du corps.

Christian Bobin, « L’homme du désastre »

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Un enterrement de pauvre

18 Mars 2017, 06:38am

Publié par Grégoire.

Un enterrement de pauvre

J’ai vu un enterrement de pauvre. Tous les enterrements sont des enterrements de pauvres. Les pauvres sont les vivants. Le roi est dans sa boite veillé par quatre cierges. C’est au creusot, dans l’église St Eugène, dans la main d’acier du froid de novembre. 

Quelques jours avant de mourir le vieil homme que la plus part commence déjà a oublier, a fait remonter à ses lèvres les berceuses grecques que lui chantait son père. Je me souviens de ses yeux, élégants, poivrés, charmeurs. Les yeux on ne réussit jamais à les enterrer. Je regarde le cercueil et m’étonne de ce qu’il ne vibre pas de la densité de tout ce qu’il contient. Je fixe les planches pour voir si elles tremblent. 

Le prêtre parle vite. C’est un jeune homme. Presque un enfant. Il pousse les paroles devant lui comme des sacs qu’on fait tomber d’un camion. Après avoir mâché un brin du sermon sur la montagne, il marmonne, comme on crache un jus d’herbe, « c’est tout ce que j’ai comme bonne nouvelle aujourd’hui ». Il lit aussi un fragment du livre de la Sagesse. Le texte de la bible passe dans le corps comme un vieux rhum. Les chants peinent à s’élever, des montgolfières privées d’air chaud. Sur un vitrail, deux anges, aux ailes en pointes d’hirondelles rouges, se font des courbettes. La pensée serre mes tempes dans son étau. Il ne se passe rien dans un mariage. Dans un enterrement, la vie déboule à son maximum.

Le roi s’apprête à partir pour l’invisible dans sa barque-cercueil. La famille renié d’un des siens oppose au prêtre son bloc sourd. La convention est lézardé par la présence a portée de main du mort. De la lumière filtre à travers les paroles mal lues et tout d’un coup la barque s’ébranle, un ange l’a poussé du pied, la navigation commence, l’assistance reste sur la rive dans le gris avec la pauvre joie secrète de bientôt reprendre les affaires courantes. Le mort fait ses premiers pas de fils des étoiles. L’or qu’il trouvait nouveau-né dans ses berceuses, revient en pluie chaude sur ses paupières closes, comme jadis après la tétée de bonheur lent et de soleil méditatif. Les gens s’attardent aux marchent de l’église. Le serpent de l’humilité monte du sol jusqu’au coeur. Les morts sont tout sauf mort. Ce sont les vivants dont il faudrait chauffer le sang. Le prêtre-enfant range ses papiers. Dans le coffre de ma voiture il y a trois jacinthes. Elles réfléchissent très fort dans le noir. On annonce de la neige dans cinq jours. 

Christian Bobin.

 

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Pour contrer la guerre de la gentillesse, il faut quelque chose entre résurrection et insurrection...

16 Mars 2017, 05:03am

Publié par Grégoire.

Pour contrer la guerre de la gentillesse, il faut quelque chose entre résurrection et insurrection...

"Cette société que l’on dit molle, éteinte, consensuelle, est en guerre. Elle est en guerre contre les plus faibles et donc contre le meilleur d’elle-même. Cette guerre est menée contre les pauvres, les enfants, les amoureux, les femmes, les vieillards.

Le discours sur l’exclusion participe de cette guerre, par sa gentillesse qui est le contraire de la bonté.

La gentillesse est une des premières vertus du commerce, une des règles de base dans la représentation : pour gagner le portefeuille, calmer les cœurs, flatter les enfants et les chiens et tout ce qui passe à portée de mains. La bonté est l’inverse de cette politique là. On n’y vend rien, on n’y achète rien. On apprend à y nommer ce qui est réel dans cette vie et à résister au nom de cette chose réelle.

On n’y parle pas de SDF, on y parle de pauvres - et mieux encore : on ne parle pas des pauvres en général, on n’est pas dans l’attendrissement sociologique des catégories. On parle de celui-ci, puis de celui-là, puis de cet autre encore.

Ce qui est « exclu » de nos sociétés, c’est ce qui en est le centre, le meilleur : le rire des enfants, le songe des amants, la patience des misérables, le génie des mères. 

Parler d’exclus c’est donc se tromper de mot. Quand ce qui est exclu est au centre, au cœur, alors il ne faut pas parler d’exclusion, terme bien trop flou pour décrire un cœur qui a cessé de battre. Il ne s’agit pas d’inclure les pauvres dans une société morte, il s’agit de faire revenir le sang dans le tout de cette société.

Il faut un « traitement » non seulement « social » mais politique et spirituel : quelque chose entre résurrection et insurrection."

Christian Bobin. interview.

 

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Le plus savant des réveil.

14 Mars 2017, 06:15am

Publié par Grégoire.

Le plus savant des réveil.


Je regardais Dieu descendre en parachute. Le vent le balançait à droite, à gauche, c'était joli. Une nuée de moustiques angéliques l'entourait, soufflant dans des trompettes en or. La descente durait le temps exact de ma vie : quand Dieu aurait tapé le sol de ses grosses chaussures montagnardes, il me faudrait mourir ou bien mettre simplement un autre disque dans l'appareil. Car ce que je décris là, c'est juste l'écoute d'une cantate de Bach. Il y avait une bougie sur la table et le disque à l'autre bout de la pièce. La musique de Bach me regonfle le coeur comme les canots de sauvetage avec une pompe qu'on active d'une pression d'un pied : le canot en plastique est mou, fichu, et voilà qu'il se requinque, prend sa forme bienveillante. La bougie, elle, faisait sa timide, sa demoiselle des clairs de lune, promeneuse des remparts du songe. Pas besoin d'anges ni de trompettes pour atteindre le ciel, arriver à temps au spectacle de l'apocalypse - nom qui, comme chacun sait, veut dire « dévoilement » - : la flamme d'une bougie, comme la voile d'un bateau soumis aux vents, indique le paradis. Un feuillage, que la main d'une brise agite, laisse aussi entrevoir la vie simple, plus miraculeuse que Bach, plus adorante encore que lui. Puis il y a eu un coup de fil. J'ai arrêté le disque. Le parachutiste est remonté au ciel. Voilà que j'avais une voix humaine dans l'oreille. Rien n'est plus proche du divin. Je suis un mauvais écrivain. Je ne parviens pas à écrire sur les voix - leurs matières, leurs reflets, leurs guerres. Je ne voudrais faire que ça. Le moment de ma vie où j'ai été le plus proche du paradis, jusqu'à jouer à l'intérieur, c'était dans les difficiles réveils de l'enfance, l'été, à la campagne : derrière les cils métalliques des volets battus de bleu de ma chambre, résonnaient les voix des gens sur le marché. Ils n'étaient ni théologiens, ni artistes, ni héros. Ils étaient tout ça à la fois : des gens à qui, chaque matin, on demandait de soulever la montagne de leur sang, d'affronter la vie inconnue, pleine de drames. Ils riaient, se saluaient, s'interpellaient comme on doit le faire au ciel. Leur coeur était simple comme une bougie - ombres comprises. Ce remuement d'oiseaux, cette bonne humeur ne reposant sur rien me donnait le plus savant des réveils. Ces gens simples, plus profonds que les penseurs, n'étaient pas Dieu. Ils préparaient sa venue. Le pépiement de leurs voix appelait la venue de l'aigle. Là où tout se rend léger sans raison, un voile se déchire, une couleur fondamentale est révélée de l'assise éternelle du jour. Ce n'est pas Bach qui me l'a dit. Bach est de la cocaïne céleste. C'est une bougie qui en tremblant vient d'écrire ce texte, que vous venez de lire et qui maintenant prend feu.

Christian Bobin.

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Celui que nous cherchons...

13 Mars 2017, 05:56am

Publié par Grégoire.

Celui que nous cherchons...

Des mots passeraient sous tes yeux, dans le matin de tes yeux. Un mot comme celui-là : « âme ». L’âme. Un linge frais de soleil, amoureusement plié. Un drap d’or pour la couche des amants liseré de noir, brodé avec les initiales conjointes de l’orage et de l’aurore. Tu lirais encore, plus loin. Vers d’autres mots. Tu lirais les mots précieux, les mots ruisselants, les mots princiers, ceux du désespoir, ceux, les mêmes, de l’espoir. Tu comprendrais alors. Tu comprendrais que dans chacun de ces mots, sur chacune de ces pages, il n’aurait été question que de toi, que de cette merveilleuse coïncidence entre toi et l’amour que j’ai de toi. Entre toi et ces mots qui sont les miens pour te dire. Entre toi et ces mots conçus dans la nuit, engendrés par ce désordre qui suit ton entrée en mon âme et qui la pacifie. Tu comprendrais que tu ne m’as jamais empêché d’écrire. Tu comprendrais que je n’ai jamais écrit que pour toi, même avant de te connaître, même dans le temps, dans l’immensité sombre du temps précédant notre rencontre.

C Bobin, l'homme-joie.

 

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Délivrance

11 Mars 2017, 05:38am

Publié par Grégoire.

Délivrance

« Chaque fois que j’entrais dans la chambre de cet homme, à l’Hotel-Dieu où je travaillais, je lui découvrais un visage brillant de larmes : on avait dû lui couper les deux jambes et il passait ses journées à pleurer en silence.

Un jour où je l’aidais à manger, je l’ai vu expirer entre deux cuillerées : sa mort était soudain venue le consoler, comme ces mères qui s’arrachent à leur sommeil pour venir essuyer les larmes de l’enfant terrifiés par un cauchemar. »

C Bobin, Ressusciter.

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Eloge de la solitude...

9 Mars 2017, 05:37am

Publié par Grégoire.

Eloge de la solitude...

« Le génie est une réponse à l’impossibilité de vivre, le bondissement du cerf au-dessus de la meute. Le travail des saints, c’est de nettoyer la vie, d’extraire la pierre précieuse de sa gangue de boue sèche.

Le retrait protège du mortifère goût des gens pour la convention est une manière de prendre soin d’eux malgré eux : « la distance est la racine de la douceur. » La vie ne serait rien sans la contemplation. »

C Bobin, la Dame blanche.

 

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L'apothéose de toutes luciditées...

3 Mars 2017, 05:33am

Publié par Grégoire.

L'apothéose de toutes luciditées...

« Si je lis un livre et qu’il rend tout mon corps si glacé qu’aucun feu ne pourra jamais me réchauffer, je sais alors que c’est de la poésie. Si je sens le sommet de ma tête arraché, je sais aussi qu’il s’agit de poésie. Ce sont mes deux seules façons de le savoir. Y en a-t-il d’autres ? »

Qui avait imaginé que la poésie puisse être une affaire vitale, l’apothéose de toute lucidité, l’arrachement du bandeau que la vie met sur les yeux des vivants pour qu’ils n’aient pas trop peur à cet instant dernier qu’est chaque instant passant...?

C Bobin, la Dame blanche.

 

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Tout se passe dans cette vie comme s’il nous fallait avaler l’océan.

22 Février 2017, 05:35am

Publié par Grégoire.

Tout se passe dans cette vie comme s’il nous fallait avaler l’océan.

" Depuis plusieurs années, une euphorisation forcenée s’est emparée du monde, une volonté de se divertir à bas prix. Vous savez ce mot terrible: « pro.fi.ter ». Or, c’est au bord de la falaise que nous connaissons mieux le vent et l’horizon, c’est dans la proximité de la perte que nous connaissons la grâce de tout. Les arrachements nous lavent. Tout se passe dans cette vie comme s’il nous fallait avaler l’océan.

La mort a beaucoup de vertus, notamment celle du réveil: une porte s’ouvre en nous, que notre inattention maintenait fermée. De temps en temps une épreuve vient nous rappeler que nous ne pouvons pas nous suffire… la mort brise la fenêtre vers laquelle nous n’approchions plus et elle fait venir de l’air, un ressouvenir du ciel. Quand quelqu’un disparait, le silence de la mort révèle d’un coup ce qui était comme un secret en plein jour, toutes ces choses qui rôdent dans l’éclat d’un regard, d’un rire, qui faisaient que la personne était unique. Ceux qui ont disparus mêlent leur regard au nôtre, comme si la vie ne finissait pas, comme si elle était un livre dont aucun lecteur ne pourra jamais dire: « ça y est, je l’ai lu ».

Les cimetières sont des zones de friches entre le présent et l’éternel. Lieux apaisés, ils sont les moins morbides qui soient, moins qu’un Mac Do: ces endroits voué au commerce rude. Dans les cimetières, le commerce c’est fini. Les sourires plastiques, c’est fini. Il ne reste plus qu’une vérité déchirante et très douce, réellement nourricière, des fleurs qui fanent sur des tombes magnifiquement ordinaire et goûtent à une mort non tragique. "

C Bobin.

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je vous aime...

16 Février 2017, 05:32am

Publié par Grégoire.

je vous aime...

" Ce qu'on apprend dans les livres, c'est à dire "je vous aime".

Il faut d'abord dire "je". C'est difficile, c'est comme se perdre dans la forêt, loin des chemins, c'est comme sortir de maladie, de la maladie des vies impersonnelles, des vies tuées. Ensuite il faut dire "vous". La souffrance peut aider - la souffrance d'un bonheur, la jalousie, le froid, la candeur d'une saison sur la vitre du sang. Tout peut aider en un sens à dire "vous" , tout ce qui manque et qui est là, sous les yeux, dans l'absence abondante. Enfin il faut dire "aime". C'est vers la fin des temps déjà, cela ne peut être dit qu'à condition de ne pas l'être. La dernière lettre est muette, elle s'efface dans le souffle, elle va comme l'air bleu sur la plage, dans la gorge. "Je vous aime." Sujet, verbe, complément. Ce qu'on apprend dans les livres, c'est la grammaire du silence, la leçon de lumière. Il faut du temps pour apprendre. Il faut tellement de temps pour s'atteindre. "
Christian Bobin

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L'atelier de Giacometti

12 Février 2017, 05:00am

Publié par Grégoire.

L'atelier de Giacometti

Je vous propose de faire un détour, d’aller de A à B en passant par toutes les autres lettres de l’alphabet. C’est mon infirmité à moi, c’est ma manière digressive d’aller vers les choses, peut-être par peur qu’elles s’enfuient si je vais tout droit vers elles. 

On va installer dans l’air une toute petite écuelle de chat. On va la perdre et on va la retrouver tout à la fin. C’est l’écuelle d’un petit chat noir qui se trouve dans cette maison. Elle est placé sous une chaise, près d’une porte-fenêtre, et donc le matin elle est comme criblée par les flèches du soleil. 

Je cherche du secours dans tout ce que je vois, et un matin mes yeux se sont portés sur cette écuelle, elle était rempli d’eau fraiche, et le cercle était parfait, il était comme enflammé par la lumière, il était pur, impassible. Quand le chat, à sa manière faussement flâneuse est venu et avec sa petite langue rose a fait éclaté le cercle impassible. 

Frappons maintenant à la porte de l’atelier de Giacometti. Peut-être le sait-on il y a eut deux-trois événement fondateurs pour Giacometti comme il n’y en a guère plus pour chacun de nous dans nos vies. Un de ces évènements c’est une rencontre. Il est jeune, il rencontre un vieil hollandais qui est bibliothécaire à la Haye et qui circule dans un train en tenant un pot de fleurs sur ses genoux. Les deux hommes se lient d’amitiés et plus tard Giacometti apprend que cet homme cherche à reprendre contact avec son jeune compagnon de train. « J’ai pensé qu’il avait perdu quelque chose, alors j’ai écris. Il me proposait de l’accompagner pour un nouveau voyage, il me trouvait sympathique. Il était vieux et seul. Moi j’avais très envie d’aller à Venise, j’étais pauvre et lui il payait. Avant de partir, j’ai volé 1000 francs suisse dans le tiroir de mon père, en me disant si ça fini mal, s’il devient pressant je rentrerais de mon coté. On a traversé un col à cheval dans le Tyrol et il a pris froid. Le matin suivant, de douleur, il se tapait la tête contre le mur. Il avait aussi des calculs dans les reins, on lui a fait des piqures. J’ai passé la journée assis à son chevet, lisant, je me souviens une étude de Maupassant sur Flaubert. Il pleuvait. De temps en temps il disait quelques mots : demain, ça ira mieux. Dans la fin de l’après midi j’ai eu l’impression que son nez s’allongeait. Il respirait mal. Les joues se creusaient. J’ai eu très peur. Il va passer. Le médecin est venu « fini, le coeur a lâché, ce soir il sera mort. » Ce fut pour moi un abominable guet-apens la négation de tout ce que je pouvais croire sur la mort. La mort, je l’avais toujours imaginé comme une aventure solennelle. Et c’était donc que cela : nul, dérisoire, absurde. En quelques heures il était devenu un objet. Rien. Mais alors la mort devenait possible à chaque instant pour moi et pour les autres. C’était comme un avertissement. Il y avait eu tant de hasard: la rencontre, le train, l’annonce. Comme si tout avait été réparé pour que j’assiste à cette fin misérable. Ma vie a bel et bien basculé d’un seul coup ce jour là. Les enfants ont une telle assurance : on se croit là pour toujours. Qui d’ailleurs n’a pas l’air de se croire là pour toujours ? Tout est devenu fragile pour moi à vingt ans. Depuis je n’ai jamais pu dormir sans une lampe ni me coucher sans penser que je n’allais peut-être pas me réveiller. Cette histoire m’a trotté dans la tête, une telle précarité : qu’un homme passe et disparaisse comme un chien. » Entretiens de Giacometti, Herman. 

Ce qu’il faut savoir, c’est que de ce fracas dans la vie insouciante d’un jeune homme de vingt ans, de cette irruption du chaos de la mort, d’une certaine façon est née la grande oeuvre de Giacometti : les statues qu’il fait, qu’il n’arrête pas de faire maigrir à coup de doigts, à coup de pouce sur l’argile, ces statues je les voies comme un peuple de statues de l’ile de Pâques, miniatures, faces tournées vers l’invisible, impénétrables, très costaud et très fragile, les deux choses à la fois. 

L’ami voyageur de Giacometti en étant harponné par la mort, lui a fait le plus beau cadeau qui soit. Au fond je me dis qu’il n’y a peut-être pas la mort, il n’y a peut-être pas ce qu’on appelle ainsi. Il n’y a peut-être que la vie qui nous appelle à l’aide et qui a besoin de toutes genres d’accidents pour que nous lui rendions grâce, pour que nous la portions à son plus haut, pour que nous lui donnions toutes nos forces de pensée et de songe. Il n’y a peut-être que la vie, et qu’elle est plus grande que tout ce que nous rêvons comme tranquillité. 

Vous vous souvenez de la petite langue rose du chat noir? Le cercle d’eau de l’écuelle était parfait, on ne pouvait pas avoir de perfection plus grande. Il était comme un sommet de l’art sans artiste de la vie. Et c’est cette chose là que le chat merveilleusement a brisé. Je dis merveilleusement parce qu’il m’a appris par ce geste, que la vie est bien plus haute que toutes nos sagesses et que tout nos rêves de perfection. Qu’il n’y a qu’une suite d’accident lumineux et peut-être que le vrai repos à quoi humainement, et c’est normal, et c’est invincible, nous aspirons, le vrai repos, le repos qui nous comblera vraiment, ce serait de n’être plus jamais en repos et de travailler toujours comme à fait Giacometti, comme fait le chat quand il cherche sa nourriture, sa distraction, quand il cherche sa place dans le monde entre la lumière et l’ombre. 

Christian Bobin.

 

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on ne doit jamais dire à quelqu’un plus que ce qu’il peut entendre

6 Février 2017, 05:46am

Publié par Grégoire.

on ne doit jamais dire à quelqu’un plus que ce qu’il peut entendre

J’étais invité à parler d’un poète qui est un des plus grand, Jean Grosjean. Et quand je suis parti, en ouvrant la porte, une armée de flocon de neige est venu à ma rencontre et j’ai baissé les bras. J’ai perdu cette bataille, je n’ai pas pu bouger, et je n’ai pas pu aller saluer la mémoire vive de Jean Grosjean. Il m’est resté dû à cette défaite lié à la neige, quelques pages noircies. 

Quand quelqu’un n’est plus, il faut parler de lui comme d’un vivant absolu. Et d’abord il faut le faire revenir. Et pour le faire revenir, le mieux est de montrer ses entoures, sa maison, son jardin, les gens qu’il a aimés. Les connaissances obliques sont parfois les plus pertinentes. 

Dans la salle à manger d’Avant-les-Marcilly, il y a un tableau qui représente la mère de Jean Grosjean jouant du violon. Cette mère est morte très jeune. Jusqu’à la fin des temps qui coïncide avec son dernier souffle, car tout vie humaine même brève, même coupée à la hache traverse toutes les pages de l’histoire et toutes les pages de la Bible, sa mère tôt disparu a joué pour lui. Les morts ne sont séparés des vivants que par l’incrédulité des vivants, par leur frilosité, la lune qui est le visage des morts, qui est leur visage sans reproche tourné vers nous, très importante dans l’oeuvre de Jean G : elle en a écrit un peu plus de la moitié.

La délicatesse de ses mots, si grandes que son écriture se glisse entre la fleur et l’éclat de la fleur, entre le vernis et la peinture. 

La salle à manger est sombre même en été, même en hiver, tout le temps, et curieusement l’oeil si fait comme l’oeil d’un chat. Le dogme de la lumière absolue, le dogme d’une correspondance parfaite entre ce qu’on sait et ce qu’on vit, Jean G n’y a jamais cédé. Il a toujours su que l’ombre était toujours charitable aux êtres de lumières que nous sommes. Ils s’y rafraichissent. Ils s’y reposent. On ne doit  -et c’est une de ses formules favorites puisé d’un voyage en Orient- on ne doit jamais dire à quelqu’un plus que ce qu’il peut entendre. 

Son jardin est si petit qu’il est infini. de temps en temps il est traversé par Emily Dickinson. « Je ne suis personne, et toi? personne non plus? Alors nous sommes deux, mais ne dit rien, on nous chasserait tu sais. » ED.

Christian Bobin.

 

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Nous vivons tous dans le «presque »...

2 Février 2017, 05:30am

Publié par Grégoire.

Nous vivons tous dans le «presque »...

Je me trompe si souvent que, lorsque je lis un livre de sagesse, je me sens comme une fourmi devant sa perfection de montagne blanche. Ouvrant L’Imitation de Jésus Christ traduite du latin par Corneille, je réveillai cette phrase : « La vie est un torrent d’éternelles disgrâces. » Sa puissance et l’allégresse paradoxale de son ton éclaboussèrent de bonne humeur ma journée à venir. La traduction de Corneille faisait de mes yeux deux nouveau-nés éblouis. Les poètes sont les rebouteux de l’invisible. La simple autorité des mots remet l’âme d’équerre. Il était neuf heures du matin et j’entrais ravi dans le torrent d’éternelles disgrâces. Le chant du coucou avait retenti dès que j’avais poussé les volets. Il me donnait de bonnes nouvelles de cet autre monde qui n’est séparé du nôtre que par notre distraction. Un ange jouait au ping-pong par-dessus le filet des apparences. Sa petite balle de soleil tapait en plein cœur. Il y a quelque chose de talmudique dans l’appel du coucou, comme une question plus précieuse que toutes les réponses qu’on pourrait lui apporter. Dans le jardin, les fleurs jaunes et vert amande portant le nom de l’oiseau affichaient la même confiance enjouée. J’entendais aussi un pivert délivrant de la corne de son bec les ondes endormies dans l’écorce d’un bouleau. De voir le chat bondir sur un papillon avec la grâce aristocratique d’un Noureev me révéla les origines félines de la danse. Les bêtes et les saints ont toujours le mouvement juste.

Tous nos arts ont une racine primitive. L’écriture a la dureté d’une flèche vibrant dans le flanc d’un cerf en fuite. L’élégance serait d’écrire sans que personne s’en aperçoive. Emily Dickinson y est presque parvenue. Nous vivons tous dans le «presque » - c’est l’arbre depuis lequel nous lançons nos chants. Dans le chant indéfiniment relancé du coucou, sous sa lumière, un grain de désespoir, un grain seulement. Quand une montagne de découragement s’élève en une seconde devant moi, je cherche le chemin de contrebandier qui permettra de la franchir. Il y en a toujours un. Un bourdon au col d’Astrakan fourrageait dans l’or d’un pissenlit. Parfois, il glissait et tombait du soleil sur lequel il remontait aussitôt en grommelant. Je n’avais jamais vu quelqu’un travailler avec autant de courage - Bach peut-être. Les grâces de la nature nous sont données par les morts pour nous aider à vivre encore. « La vie est extraordinairement simple », dit le coucou sans souci d’être cru. Lorsque je me tourne vers le passé, je reçois en plein visage les rayons du visage de mon père. La grande lumière passe par de minuscules brèches. Une semaine avant sa propre disparition, mon père avait tenu entre ses mains un pivert qui venait de mourir dans le jardin de la maison de cure : une tiède Bible de plumes turquoise, dont une brise soulevait les pages obscures, toutes consacrées à une ardente méditation sur « l’éternel torrent de disgrâce » qu’est la vie irrésistible.

Christian Bobin

 

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Les vers luisants électroniques 

31 Janvier 2017, 05:28am

Publié par Grégoire.

Les vers luisants électroniques 

Je me trouvais dans un de ces trains à grande vitesse qui s’enfoncent dans l’air comme un couteau dans une motte de beurre. J’arrivais à destination; j’étais à quelques minutes de l’endroit où je voulais aller; quand j’ai vu s’allumer un peu partout dans le wagon des petits vers luisants électroniques. Il y avait déjà des écrans d’ordinateurs portables d’allumés, et là c’était des téléphones. La lumière qui sort des écrans est très particulière, elle est presque hypnotique, elle est égale, elle est sans grande nuance contrairement à celle du ciel qui change sans arrêt. 

Parfois j’ai parlé un petit peu contre ces choses là, mais je pense aujourd’hui que c’est inutile parce que ces objets seront toujours là. On n’est jamais revenu en arrière d’une invention. Ils seront toujours là, mais ils ne pourront jamais prendre la première place, la place la plus fraternelle.

Je crois qu’on mesure bien les choses quand on les mets sur le plateau d’une balance, avec sur l’autre plateau notre mort à venir. Qu’est-ce que nous aurons le goût de regarder une dernière fois, pour le saluer, pour le remercier, pour s’en émerveiller, une dernière fois ? ça pourra être des fleurs des champs dans un verre, ça pourra être un livre particulièrement aimé, lu et relu, ça pourra être encore un morceau de ciel vu par la fenêtre ouverte, dans tout les cas ce sera quelque chose de très concret; la vie est extrêmement concrète. Dieu compris. La vie n’est que concrète. Ce que n’est pas -on me l’accordera peut-être- l’électronique. 

Les mains autour d’un livre se replient comme religieusement. Les mains sur un clavier s’agacent, s’agitent, s’énervent un peu.

Je revenais d’un séjour à Strasbourg, j’avais logé dans un hôtel; j’avais connu cette petite extase de la vie mystique des hôtels. Je veux dire par là, que, si vous voulez être sûr de revenir à votre propre néant, et de comprendre que vous n’êtes personne, une fois qu’on vous a enlevé vos entoures, une fois qu’on vous a enlevé vos objets familiers, c’est une expérience que je crois spirituelle et que donne un hôtel, tout simplement parce que vous dormez dans une chambre ou d’autres ont dormi, d’autres dormiront, et pour les hôteliers, si courtois soient-ils, vous êtes interchangeable : ils en ont vu passer d’autres, ils ont verront passer d’autres. C’est comme un petit deuil presque agréable de soi-même que l’on fait lorsque l’on est en voyage et que l’on doit coucher à l’hôtel.  

J’avais emmené dans cette hôtel et il m’avait accompagné ensuite dans le train, un livre, l’imitation de Jésus Christ de Thomas Kempis, c’est un livre qui a été au moyen âge aussi lu que la Bible. Les vers luisants électroniques se multipliaient dans le train qui commençait à ralentir. Thomas Kempis dit dans son livre, « je n’ai jamais trouvé une paix aussi grande et aussi réelle, que dans les bois et dans les livres. »

C Bobin.

 

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Résister à la tyrannie des évènements...

25 Janvier 2017, 05:42am

Publié par Grégoire.

Résister à la tyrannie des évènements...
Résister à la tyrannie des évènements...

On est jeté dans le néant de cette vie, dans la fragilité extrême de cette vie, il faut aller très vite et chaque brin de poésie est un point de résistance à la tyrannie des évènements. La vie de chacun est un trait de feu, quelque chose qui ressemble au buisson ardent, quelque chose qui éclaire, qui brûle sans se détruire…

Dieu nait à chaque rencontre, mais les vraies rencontres.. c’est très, très rare. Que les gens disparaissent est au fond moins surprenant que de les voir apparaître soudain devant nous, proposés à notre coeur et à notre intelligence. Ces apparitions sont d'autant plus précieuses qu'elles sont infiniment rares. La plupart des gens sont aujourd'hui si parfaitement adaptés au monde qu'ils en deviennent inexistants.

C Bobin.

 

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L'état d’extrême solitude, un état de création...

23 Janvier 2017, 05:38am

Publié par Grégoire.

L'état d’extrême solitude, un état de création...

L’enfant c’est le sans-règle, le sans-loi, qui invente tout de lui-même à chaque fois: c’est un fabuleux capitaine de navire, on est condamné dans l’enfance à tout inventer par nous-mêmes: Dieu merci, la vertu de désobéissance est la première vertu d'enfance. C’est vrai: que font les parents? ils font deux choses : ils vous donnent la vie et ensuite ils vous empêchent de vivre… "Attention, surveille-toi, pense à ton avenir, pense à tes devoirs, pense à toi partout dans le monde et rappelle-toi, tu n'es plus un enfant »...

On ne nous dit pas que les choses sont folles, faibles, belles: l’enfance est un état d’extrême solitude, et c’est peut-être l’état le plus créateur possible: sans doute est-ce dans le désert qu’on trouve les plus belles fleurs qui soient…

C Bobin.

 

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En ce jour de lumière qui s'approche pour nous emporter....

22 Janvier 2017, 05:29am

Publié par Grégoire.

En ce jour de lumière qui s'approche pour nous emporter....

Quand quelqu’un part -appelons mourir, partir- quand quelqu’un part, pendant quelques heures tout ce qui l’a connu se souvient de lui et l’appelle en silence. Le mur sur lequel son ombre s’appuyait, ou la pie qui venait voler dans la treille, ou encore le vent qui tournait les pages d’un livre oublié dans le jardin. Et les fleurs. Les fleurs aux larmes colorées du jour de la mort de Jean G. Non pas de sa mort, de son départ. Il y avait une croix fleurit sur le cercueil et ça tirait le cercueil vers le haut comme l’air chaud dans une montgolfière. Et puis disons le franchement, dans ce cercueil, il n’y avait personne. Comme dit E Dickinson « Je suis personne, et toi? personne non plus? Alors nous sommes deux, mais ne dit rien, on nous chasserait tu sais. »

ou bien ce Poème de Kopland, Souvenirs de l’inconnu « Ce soir je voudrais vous dire des choses alors qu’on au fond il n’y a pas de choses pour ça. Comme la lumière, vouloir expliquer ce qu’est la lumière, avant que la mort nous emporte dans la nuit. Alors que je tache de nous repenser toi et moi ce soir, l’un vers l’autre, mais vois les verres dans nos mains, remplis à ras le bord, remplis de lumière. »

In Christian Bobin, hommage à Jean Grosjean.

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Une énigme limpide

19 Janvier 2017, 05:52am

Publié par Grégoire.

Une énigme limpide

"Ce que j’ai pour vous aujourd’hui, c’est presque rien, un échantillon tombé de la boîte à couture d’un ange. C’est aussi fin qu’une brise qui ride un étang pendant quelques secondes. Difficile de l’attraper. Voilà : il s’agit d’un arc-en-ciel. Du bleu, du jaune, du vert, des couleurs faibles sur le papier de l’air, un dessin convalescent en forme d’arche, de pont. C’est là et ce n’est pas là, vous comprenez ? Quelque chose apparaît et disparaît en même temps. Un soupçon coloré. Une énigme limpide. Toute la vie a forme d’arc-en-ciel, n’est-ce pas : elle est là et en même temps elle n’est pas là."

C Bobin. 

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Une pierre à aiguiser l'attention...

17 Janvier 2017, 05:23am

Publié par Grégoire.

Une pierre à aiguiser l'attention...
"La racine du mauvais monde dans lequel nous nous trouvons, c'est la négligence, c'est le défaut d'attention, un manque d'attention, c'est que ça. C'est peut-être pour ça que la poésie est une chose vitale, parce que la poésie est une pierre à aiguiser l'attention, une sorte de pierre de sel, pour se frotter les yeux, pour se frotter les paupières, pour revoir le jour enfin, pour revoir ce qui se passe, pour revoir le jour et les nuits et la mort en face, cachée derrière le soleil, voir tout ça. Le voir s'en trop s'en inquiéter, s'en trop s'en alarmer.C'est ça je crois la racine du mal d'aujourd'hui qui est grande, c'est juste un défaut panique d'attention, qui suffit pour engendrer tous les pires désordres et les maux les plus terribles. Juste ça, l'attention.
Ca ne sert à rien de se plaindre, tout le monde va vous dire que c'est insupportable, tout le monde va vous dire ça, mais tout le monde y participe. Juste faire attention aux siens, faire attention à ce qui se trouve mêlé à nous dans la vie banale. Ceux qui sont là, pas ceux qui sont à dix milles kilomètres  et avec lesquels on fait semblant de parler à travers un écran, ça n'a pas de poids ça. Mais simplement faire en sorte que les gens qui nous entourent ne dépérissent pas, et peut-être même les aider, les conforter...Voilà...Faire simplement attention au plus faible de la vie, parce que c'est le plus faible qui est le plus réel et parce que c'est ça qui est digne de vivre, et qui vivra toujours d'ailleurs. Recueillir ces choses là, porter soin, prendre soin, faire attention, voilà. Ce sont  des pauvres verbes mais ce sont des verbes comme des armées en route si vous voulez, ce sont des verbes de grande résistance, et ce qui pour moi est en oeuvre dans ce qu'on appelle la poésie.
La poésie pour moi, c'est pas une chose désuète, c'est pas un napperon  de dentelle sur la table, c'est pas un vieux genre littéraire....C'est la saisie la plus fine possible de cette vie qui nous est accordée, et un soin de regard porté à cette vie. Voilà, c'est ça la poésie. C'est pas une chose qui même est tout de suite dans les livres, c'est pas une chose de littérature en tout cas, c'est simplement chercher à avoir un coeur sur- éveillé. Sur-éveillé!
 
Christian Bobin -  Vue d'esprit

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Le théâtre doit éclairer le monde...

15 Janvier 2017, 05:49am

Publié par Grégoire.

Le théâtre doit éclairer le monde...

"Quand on vient au théâtre, on vient partager un moment de vie complète. Le théâtre, c'est l'art de l'autre. C'est devenir l'autre, y compris pour le pire. C'est l'apprentissage de l'humain." 

Ariane Mouchkine.

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Un mot. Christ des forêts

13 Janvier 2017, 05:29am

Publié par Grégoire.

Un mot. Christ des forêts

Le mot lâché par le haut-parleur a explosé dans le hall de la gare. Personne n'a survécu. Les journaux du kiosque ont été pris dans le feu invisible provoqué par les ondes du mot. Les touristes et les gens d'affaires, tous ont senti passer sur leurs visages le souffle halluciné de la beauté. La modernité est une sidération. Difficile de ressusciter les âmes éteintes dans les corps parfumés.

Les voyageurs n'ont retenu que la fin de l'annonce : une heure de retard. Le train, en raison de l'accident arrivé du côté de Lyon, aurait une heure de retard. Un dérangement dans la sieste des affairements, rien de plus. Mais j'avais vu, entendu et vu, et je peux en témoigner, les effets produits par le mot. L'explosion atomique de beauté avait détruit l'époque et ses raisons, réduit en poussière le champ de la modernité. La morgue des machines, la tête de serpent du train rapide, les cours de la Bourse, ces psaumes de l'enfer : tout ça, anéanti. Par la grâce d'un mot, un seul. La vie éternelle est traquée par la modernité. Comme une enfant affolée par le bruit des bottes électroniques, elle se terre, essaie de se faire de plus en plus petite, dans l'espérance de n'être pas trouvée puis exterminée. 

Ce matin, la dernière chance de vivre une vie déraisonnable d'amour s'était réfugiée dans le mot « chevreuil » : le train avait heurté un chevreuil et il aurait donc plus d'une heure de retard. Le mot avait déchiré les haut-parleurs qui n'avaient pas été inventés pour le transporter. Une apparition sonore, brune. L'animal offrait sa mort pour nous sauver de la modernité et de ses amours à quartz. Je l'ai vu, entendu et vu à l'annonce du retard, bondir dans le hall, martyr royal, triomphe de la beauté blessée et immortelle. Le meilleur de nous est en dehors de nous, à l'abri dans le ventre doucement respirant des bêtes sauvages, dans l'humilité intraitable des grands poèmes. Le mot « chevreuil » a une si belle vibration dans l'air. Il n'est que légèreté, sursaut d'azur. Quand nous étions tout petits, l'éternel mangeait dans notre main. Nos rires le faisaient rire. Il s'approchait de nous au bruit de nos rêves. Le chevreuil déchiqueté renaissait sous mes yeux. Il se relevait en tremblant, s'appuyant sur ses genoux, Christ des forêts de diamants, lavé du crachat de la mort technologique, archange trempé de fièvre, bondissant du guichet de la gare aux portes automatiques, Noureev de l'invisible, porteur des reliques de l'amour vrai, léger, léger, léger. La gare ne sera jamais reconstruite. Notre enfance est à venir.

Christian Bobin. 

 

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S'en remettre au jour qui passe...

11 Janvier 2017, 05:27am

Publié par Grégoire.

S'en remettre au jour qui passe...

Se taire: l'avancée en solitude, loin de dessiner une clôture, ouvre la seule et durable et réelle voie d'accès aux autres, à cette altérité qui est en nous et qui est dans les autres comme l'ombre portée d'un astre, solaire, bienveillant.

Si la vie est immédiate et verte au bord des étangs, pour la rejoindre, il nous faut d'abord rejoindre ce qui en nous est comme de l'eau, comme de l'air, comme du ciel.

C Bobin, Souveraineté du vide.

 

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Sommeil ...?

9 Janvier 2017, 05:34am

Publié par Grégoire.

Sommeil ...?

"Partout, dans ce que nous faisons,  dans ce que nous disons,  c'est le repos qui est désiré,  le sommeil bienheureux dans une parole,  dans un amour ou dans un travail. C'est pour trouver le sommeil dans une vérité que nous commençons à apprendre. C'est pour goûter au sommeil de la chair - à son endormissement entre les bras de l'autre - que nous tombons amoureux.  C'est pour jouir du sommeil minéral d'une fatigue que nous entreprenons mille et un travaux.

Il y a une aimantation de la vie vers le sommeil. La vie en nous ne tend qu'à se reposer, qu'à  se dépendre  enfin d'elle -même dans un amour, dans un savoir, dans un emploi. Partout dans toutes nos occupations, là  même où nous nous croyons le plus éveillés, là  même nous cédons à cette attirance d'un sommeil. L'enfance là - dedans est l'exception.

L'enfance est dans la vie comme une chambre éclairée dedans la maison noire. Les enfants n'aiment pas aller dormir,  n'aiment pas ce congé donné chaque soir à la vie. Cette résistance au sommeil, c'est le visage de l'enfance et c'est la figure même de l'excès : poser des questions qu'aucune réponse ne viendra endormir."

Christian Bobin, La merveille et l’obscur. 

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