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QUE CHERCHEZ-VOUS ?

Penser en régime totalitaire...

20 Février 2013, 01:43am

Publié par Fr Greg.

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Penser sous le régime de Brejnev signifie se libérer de toutes les déformations  apprises, maintenir à distance son double livré à l’Etat, acquérir en cachette et avec les moyens du bord une formation autodidacte. Penser signifie également franchir le butoir de la langue, conquérir contre la langue de bois les outils pour dire les choses. L’incrédulité face à l’idéologie officielle n’exclut pas un effet d’abrutissement, elle n’empêche pas les slogans de s’inscrire plus ou moins  dans le cerveau. « La formule, expliquait M Simecka, surgit toute seule : luttons pour la paix, nous luttions pour la paix, la lutte pour la paix, dans la lutte pour la paix…Et je me dis alors que la fonction destructrice de tels slogans n’est pas un vain mot. Ils composent des symboles semblables aux idéogrammes chinois. Ils interdisent à la plupart des gens de prononcer ces mots autrement que sous la forme sous laquelle ils leur ont été inculqués. » L’incrédulité n’empêche pas davantage la langue de bois d’exercer un effet paralysant : « On dirait que la langue se rebiffe. Ses formules toutes faites vous imposent un raisonnement que vous ne désirez pas suivre. C’est une impression extrêmement désagréable : votre langue se met d’elle-même à produire des enchainements pétrifiés. Elle résiste à toute pensée originale. Elle refuse d’obéir et se révolte. Il faut lui opposer un immense effort pour la faire céder ». Il fallait de la force intérieure, de la vaillance pour réfléchir par soi-même dans l’univers  du socialisme réel.

Il fallait d’autant plus de force intérieure que, comme nous l’avons vu, le non-sens du régime soviétique disait en définitive que les mots n’ont pas de sens, qu’il n’y a pas de vérité mais seulement un pouvoir. Le philosophe tchèque qui écrivait sous le pseudonyme de Petr Fidelius, observait ceci : le piège se referme sur l’intellectuel, en dépit de son incrédulité, parce que, s’il refuse de prendre le mensonge au sérieux, c’est qu’il a renoncé à prendre la vérité au sérieux. (…) Sur les décombres du vrai, il ne reste plus que le pouvoir. Chez ceux-là qui semblent imperméables à la propagande, le subjectivisme totalitaire réussit à abolir le sens de la vérité.


Le faux totalitaire faisait ainsi peser une formidable pression sur les hommes. Cette pression explique pourquoi certains détenus ont ressenti un sentiment de libération dans l’univers des camps. «  Si l’on est bien en prison pour penser, écrit Soljenitsyne, au camp on n’est pas trop mal non plus. Avant tout parce  qu’il n’y a pas de réunions. Pendant dix ans, tu es dispensé de toute réunion ! N’est-ce pas l’air des sommets ? L’administration du camp prétend ouvertement  à ton travail et à ton corps jusqu’à ce qu’épuisement, voire mort s’ensuivent, mais ne porte nullement atteinte au monde de tes pensées. Elle ne tente pas de visser et d’immobiliser ta cervelle. Cela créé un sentiment de liberté plus grande que la liberté de courir là où les jambes vous portent. » (l’Archipel du Goulag). Derrière les barbelés, les zeks ont perdu toute liberté extérieure mais ils ont gagné la liberté intérieure. (…)


Quels ont été en définitive les effets de cette condition sur le psychisme de l’homo sovieticus ? Ce sont semble-t-il, l’engourdissement intellectuel, la corruption morale et le cynisme. Astreint au faux semblant, privé de toute nourriture intellectuelle, morale et spirituelle, l’homme soviétique est appauvri, desséché, « vidé », et il ne croit généralement en rien ni en personne. Le « il faut bien vivre » justifie les compromissions, l’abdication et la désertion vers les petites satisfactions qu’offre le système.

Introduction à la politique, Philippe Bénéton, chapitre IX : la mécanique totalitaire.

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Le carême, un temps de partage...?

19 Février 2013, 00:00am

Publié par Fr Greg.

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Lettre ouverte aux Evêques d'Algérie

J'entends dire, à qui veut bien l'entendre, que le temps de carême est un temps de partage.

Alors permettez-moi de partager avec vous la proximité d’une souffrance, à défaut de partager l'immense misère du monde.

Permettez-moi de partager pendant quelques minutes de votre temps des années passées dans les camps de réfugiés Sahraouis, dans cette partie du désert évitée des nomades, où cependant trois générations se partagent presque 40 ans d'exil.

Permettez que nous partagions au moins pour information et par empathie ces conditions climatiques inimaginables si on ne les vit pas, ces maladies chroniques que les mesures alimentaires déséquilibrées d'urgence finissent par installer, cet espoir d'une solution pacifique et juridique qui s'amenuise d'années en années au point qu'il ne pourrait bientôt plus se partager ;

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Et cette souffrance, sous leur fierté cachée, tant et si bien qu'elle a sans doute tant de mal pour cela, à être partagée.

Permettez que nous partagions l'injustice d’une centaine de résolutions juridiques internationales admises mais non appliquées pour la libre détermination de leur avenir, mais également l'injustice de procès d'exceptions bafouant les mêmes résolutions et règles internationales et condamnant des militants des Droits de l'Homme de 20 ans de réclusion à perpétuité par des aveux signés de leurs empreintes, yeux bandés lorsqu'ils refusent de le faire par écrit sous la torture.

Et nous, à quel tribunal appartenons-nous pour condamner les enfants qui continuent de naître dans les camps ?

Pouvons-nous admettre et partager cette détermination de l'avenir d'un peuple?

Notre part offerte du partage n’est elle donc que cet assourdissant silence et cette lâcheté des « grands de ce monde », une part séparatrice comme ce mur et ce champ de mines qui divisent un même peuple ?

Nous avons divisé, colonisé, « dévelopillée » l’Afrique selon nos notions de partage et de profits confusément mêlées. Le Sahara Occidental, dernière colonie d’Afrique en est l’exemple. Aujourd’hui l’humanitaire tente de réparer les conséquences de ces fautes quand il n’est pas instrumentalisé par ceux qui les commettent.

Faudra t’il continuer d’échanger indifférence contre souffrance ou de partager solidarité et espoir ?

Permettez que nous partagions quelques instants d’un carême, non de 4O jours, mais de bientôt 40 années au désert.

 

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Mon amie Nuena, femme sahraouie, un jour m’a dit : « Quand tu lis, tu oublies. Quand tu entends, tu oublies. Mais si tu vois, tu n 'oublies jamais ». C'est pourquoi vous êtes les bienvenus au milieu du peuple Sahraoui, invités à découvrir et voir la vérité, invités à la déclarer ensemble. Ces quelques signes de partage sont à votre portée, à la portée de tous ; quelques jours passés dans les familles de réfugiés, témoigner de cette petite vérité vécue, rester éveillés à leurs côtés…

…Pour avoir entendu et compris que le temps de carême est un temps de partage.


 

Jean-François Debargue

Secrétaire Général de Caritas Algérie

Alger, le 18 février 2013

 

http://ap-so.blogspot.fr/

 

 

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Carême: temps de révélation de notre faiblesse et de notre impuissance...

18 Février 2013, 02:26am

Publié par Fr Greg.

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Quarante jours et quarante nuits dans le désert ! Le temps du carême, un temps, à la fois, d’épreuve et de révélation.

Un temps d’épreuve où Jésus éprouve la faiblesse du corps et de l’esprit. Faiblesse du corps quand les forces vous lâchent et le texte dit qu’il eut faim ; faiblesse de l’esprit quand la pensée vous assaille et qu’il est tenté par le diable. Ce temps d’épreuve est un combat dans la faiblesse, pour Jésus comme pour nous, parfois, lorsque nous voudrions baisser les bras .

Mais ce temps d’épreuve est donc aussi, en même temps, un temps de révélation. Celui qui permet le dévoilement de forces cachées, de ressorts secrets ; la mise au jour de ce qui demeure dans la mémoire et dans le cœur.


Vous avez peut-être déjà fait cette expérience qui est celle de tous ceux qui me parlent d’une épreuve subite qu’ils ont dû affronter. Tous disent que ce temps révèle alors ce qui est essentiel et ce qui est accessoire ; qu’il fait le tri dans notre pensée et notre vie pour nous attacher à ce qui est important et relativiser ce qui ne l’est pas. Révélation sur nous-mêmes, et aussi révélation de Dieu lui-même : c’est l’expérience de Moïse au désert durant quarante jours et qui reçoit les dix paroles de Dieu ; c’est l’expérience du prophète Elie au désert durant quarante jours et qui ressent la douce et bienveillante présence de Dieu.


C’est lorsqu’on est faible, dans son corps ou dans son esprit, que survient alors ce tentateur de nos épuisements et de nos renoncements. Le malin profite toujours de nos faiblesses pour nous séduire par la toute puissance et l'efficacité.

Et voici donc Jésus, tenté comme nous et tenté par trois fois, par celui qui lui souffle à l’oreille de suivre une autre voie/voix. Trois tentations.

Du pain d’abord. Jésus pourrait transformer les pierres de son désert en pain nourrissant ; effacer le désert, supprimer le désert, quitter le désert, ne jamais le vivre, l’éviter ; c'est-à-dire, par un geste miraculeux ou spectaculaire, s’éviter les épreuves de la vie, être maître de son corps, de sa faim, de son existence… ne plus connaître de manque ou de frustration. Première tentation.


Ensuite, dominer sur tous les royaumes de la terre. Acquérir le pouvoir absolu, non plus sur soi-même, mais sur les autres, sur tous les autres. Ressentir cette puissance, se placer au-dessus de tous, dominer sur tous. Que plus personne ne représente d’obstacle à son désir et à sa liberté. Pouvoir décider de son destin ; ne plus être soumis aux aléas de l’histoire ; Ne plus se soucier de personne ; n’être là que pour soi. Deuxième tentation.


Enfin, sauter du haut du Temple et forcer Dieu à agir, c'est-à-dire acquérir le pouvoir sur Dieu même, avoir prise sur lui, pouvoir le manipuler et le faire agir à sa guise ; utiliser sa puissance à son profit personnel et à propos d’une lubie ou d’un caprice. Troisième tentation.


Voici donc ces trois tentations où il s’agirait, à chaque fois, d’être maître, maître de soi, maître des autres et maître de Dieu. C’est ce que le tentateur propose à Jésus. Et c’est vrai qu’elles sont tentantes ces tentations ! Sinon, ce ne serait pas des tentations ! Elles sont séduisantes car qui ne voudrait pas, finalement, pouvoir être maître de soi, des autres et de Dieu !


Oui, c’est bien ce que nous voudrions souvent. C’est bien le sentiment que nous avons parfois. Ce désir de pouvoir tout maîtriser, de ne pas être surpris par l’imprévu, l’accident, l’obstacle. Se mettre à l’abri des aléas et des épreuves ; acquérir des assurances. Qui ne voudrait pas cela ! Et pour se faire, on s’entoure parfois de grigris, de portes-bonheurs, de muguet ou de trèfle à quatre feuilles ; ou bien, encore, de pilules ou de crèmes, d’investissements ou d’épargnes… mais, au fond, nous savons bien que tout cela ne pèse pas très lourd et qu’il nous faut bien accepter et endurer de ne pas tout maîtriser. Il nous faut accepter d’être Homme.


Car cette tentation de tout maîtriser, ce serait donc, en fin de compte, prendre la place de Dieu ou, plus exactement, être Dieu à l’image de ce que nous imaginons souvent ce que peut être Dieu : le roi tout-puissant et maître de tout.


La tentation pour Jésus, le fils de Dieu, est terrible car il est tenté d’être 'Dieu'. « Sois Dieu, puisque tu l’es ! », c’est ce que le diable lui dit. « Sois ce Dieu que les Hommes attendent toujours qu’il soit ; devient ce vrai Dieu à qui tout est possible, qui règle le cours de toutes choses, qui domine sur tout et sur tous. Deviens un vrai Dieu, dominateur et puissant ; un Dieu à la mesure de ce que les Hommes imaginent. Deviens un Dieu à l’image de l’Homme ! » Tel est le discours du tentateur. Il connaît bien les Hommes, le bougre ! Et il connaît bien sa Bible aussi ! Dieu a voulu d’un Homme à son image, et voilà qu’il lui est proposé maintenant d’inverser les rôles et d’être un Dieu à l’image de l’Homme !


Mais Jésus, dans la faiblesse, il ne cède  pas à cette autre voie/voix car Il est venu pour révéler le vrai visage de Dieu. Et ce visage n’est pas celui que les Hommes imaginent de Dieu. Jésus est venu pour dire la tendresse de Dieu, le respect de Dieu, la compassion de Dieu, l’humanité de Dieu au service de l’Homme, c'est-à-dire tout ce que l’Homme n’imagine pas de Dieu.


Au point où nous en sommes : il nous faut accepter la fragilité de notre existence et la faiblesse d’un Dieu qui n'est pas ce que nous attendons de lui…

On ne rencontre Dieu que pour lui-même, pas pour quelque chose, une gloire, un honneur, un truc qui nous met au-dessus des autres. Il est le mendiant, le très-bas, celui qui est inutile, qui ne rétablit rien, qui se fait agneau, bouc émissaire, rejeté des hommes... Qui veut de ce Dieu là?

 

...

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Conduit par l'Esprit à travers le désert...

17 Février 2013, 02:10am

Publié par Fr Greg.

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La lumière de ce premier dimanche de carême est capitale, déjà parce qu’elle est la première du carême et qu’elle touche quelque chose de radical.  Aristote dit qu’une petite erreur au point de départ entraîne d’immenses conséquences à l’arrivée.

 

Et la lumière qui est donnée est précisément à propos de ce qui éprouve l'homme par excellence, celle à laquelle chacun d’entre nous est confronté. Spécialement à propos de ce qu’est notre bien, de ce qui est bon pour nous, et qui d’une certaine manière nous échappe. En effet, parce que nous existons par un autre, notre bien, ce qui nous achève, n’est pas immédiatement accessible, et se donne à nous d’une manière telle que cela apparaît comme une épreuve pour notre intelligence.

 

Pour Eve, l’interdit apparent de Dieu ‘tu ne mangeras pas du fruit de l’arbre’, et qui éprouve son intelligence: tout 'interdit' semble être un obstacle à notre épanouissement... cet interdit est en fait le signe d’un don qui est de trop, qui touche notre personne dans ce qui l’achève. Le don de Dieu, parce qu'il est à la taille de Dieu nous éprouve, et pour nous il apparait comme quelque chose de négatif, un interdit par exemple. Mais c'est d'abord le signe d'un don caché. Et, le péché originel commence quand Eve réduit le commandement de Dieu à quelque chose qu’elle vit ‘négativement’, comme un interdit !

 

La tentation d’Eve c’est de vouloir s’achever par elle-même, de trouver son bien dans la continuité de ce qu’elle connaît d’elle-même. Le  « vous serez comme des Dieux » c’est de croire que l’on peut connaître et atteindre par soi ce qui est notre bien ultime. Or, ce qui nous épanoui pleinement ne peut pas venir de nous. 

 

Est-ce que ce que l’on est et notre achèvement ultime se fait par nous-même ou bien par un autre ? Je viens d’un autre et, je ne peux être pleinement moi-même que par un autre. C’est notre expérience dans le travail, coopérant avec la matière ; dans l’amitié : l’autre qui est mon ami achève, et épanoui ce qu’il y a de plus moi-même : ma capacité d’aimer. Et, ultimement la personne humaine ne peut pas achever ce qu’elle est en propre à partir d’elle-même.

 

Et cela c’est une épreuve pour notre nature humaine. Eve, malgré elle, « refuse » ce don en le réduisant à ce qu’elle en vit. Et nous avons la même épreuve. Nous vivons le carême comme si c’était un moment d’efforts efficients, comme si Jésus attendait de nous que nous conquérions une espèce de perfection morale : « vous êtes des pêcheurs, maintenant faîtes des efforts pour vous en sortir »

 

Et alors, on retombe dans l’erreur de vouloir y arriver par nous-même. Ça c’est l’épreuve majeure de chacun d’entre nous. On veut devenir ce que l’on est à force d’efficience, de coups de poignets, et réaliser ce que l’on croit être, et supprimer ce que l’on croit ne pas être le chemin.

 

Et Jésus va au désert pour connaître cet état de fragilité que chacun d’entre nous connaissons à cause du péché originel : on claudique, on est bancal, on a des mouvements d’humeurs, des impatiences, des mouvements d’orgueil, des petits égoïsmes…, tout ça on le porte et notre reflexe c’est un peu d’interpréter la parole de Dieu comme si Dieu disait : « maintenant, mon coco débrouille-toi, fais un effort. »  Or, tant qu’on en reste là, c’est la porte ouverte au désespoir.

 

Là est notre épreuve : pour nous, notre misère, notre péché c’est le lieu de notre épreuve ! Pourquoi ? Parce que le péché c’est négatif, cela semble être un obstacle au don de Dieu, à notre croissance, à notre développement. Alors, nous disons : ‘il faut que je supprime mon péché et ensuite je pourrai entrer dans le royaume des Cieux. Je m’appuie sur moi, je vais y arriver’. Ou, plus subtilement : ‘il faut que je m’abandonne, que je ceci, que je…’ : bref, je je je, moa, moa, moa…. C’est ce que dit le démon à Jésus : ‘Tu es fragile,  tu as faim : vas-y, transforme, fais quelque chose. Ou bien : abandonne toi à ‘la providence en soi’, ou tes limites, dépasse-les en les niant. Tu peux y arriver par toi-même’.

 

Jésus, lorsqu’il apparaît à Ste Faustine, lui dit : « donne-moi ta misère. Ta misère je m’en fais responsable, je m’en occupe. Toi, donne la moi ». Et ça, c’est notre foi. C’est notre baptême. Quand je suis baptisé, ma vie je la remets à Dieu, et elle ne m’appartient plus ! Mes luttes ne m'appartiennent plus! Je ne peux donc ni me juger, ni juger mon prochain...!

 

C’est curieux, mais il faut se demander si cela a vraiment pris racine en nous, si c’est notre vie ? Aussi, le premier remède c'est de s'appuyer sur la parole de Dieu. La parole de Dieu, c’est la parole venant de la bouche de Dieu, c’est quelqu’un qui me parle maintenant. Tant que je ne l’entends pas pour moi, ce n’est pas la parole de Dieu. 

 

Ou bien, on la réduit à une parole humaine, comme si elle nous donnait des informations. Or, si ma parole exprime quelque chose qui existe avant qu’elle ne le dise, la parole de Dieu, elle, elle réalise ce qu’elle signifie. Elle est source de plus que ce que nous entendons!! La parole de Dieu, c’est Dieu se donnant, réalisant quelque chose de nouveau qui n’existait pas. C’est ça qu’on dit à chaque messe : « Seigneur je ne suis pas digne de te recevoir, mais dis une seule parole et je serai guéri » donc : « ta parole, c’est ça qui me guérit !! »

 

Ça c’est toute notre vie chrétienne, c’est tout notre carême. Soit je fais de ma vie chrétienne, avec toutes mes fragilités, mes misères un lieu de combat où j’essaye seul de m’en sortir par moi-même… Et alors, on a le démon qui nous dit: « vas-y, est-ce que tu crois en toi ? » Alors que Jésus nous dit « est-ce que tu choisis de t’appuyer sur moi, est-ce que tu veux te nourrir de moi immédiatement ? » Le salut il est là. Parce que ma pauvreté, ma misère, ce n’est pas un obstacle pour Lui !

 

Or si Dieu permet –ce qui nous apparaît comme- nos misères et nos pauvretés, c’est que ce n’est pas d’abord un problème pour Lui. Mais comme ça empêche notre épanouissement, et que ça nous empoisonne la vie, on essaye alors par nous-même de l’enlever. Non seulement ce n’est pas possible, mais ce n’est pas le problème. Ma misère, c’est le lieu dont Jésus se sert pour me communiquer quelque chose qui est complétement au-delà de ma nature.

 

La vérité, là, c’est d'accepter, pour chacun de nous d'être au désert. Face au plan de Dieu je suis perdu. Et il y a une épreuve. Je dois –face à Dieu seulement- faire l’offrande de mon intelligence, je dois accepter de ne pas comprendre. Et si je réduis ma vie à ce que j’en comprends, je serai constamment d’un cet effort d’efficience, à vouloir y arriver par moi-même et à mesurer ma vie en fonction de mes résultats, en fonction de l’image que je me donne ou que je donne aux autres. C’est ma petite gloire, je m’adore moi-même, je compte sur moi.

 

Ce que Jésus dit dans St Jean: « sans moi vous ne pouvez rien faire » : non pas quelque chose, mais rien. Donc, arrête de t’appuyer sur toi-même. C’est cela ‘L’homme ne vit pas seulement de pain’. C’est quoi le pain ?  C’est le fruit de notre travail. Des efforts, Il faut en faire, c’est bien évident, mais ce n’est pas ça le salut. Et notre misère véritable, c’est de vouloir faire de notre efficience notre salut !

 

Et c’est cela la lumière de la croix. A la croix, Jésus choisit d’être trahi. Ce n’est pas seulement qu’il subit ou reçoit nos fautes, mais c’est un choix -Jésus choisit de souffrir, il choisit le péché de l’homme, ses trahisons- parce qu’il en fait le lieu d’un nouveau don. Et alors, mon péché devient comme habité ! Ma mort, ce qui est vain en moi acquiert une signification divine. Ce qui est en vain devient le lieu que Jésus vient habiter. C’est ça le sacrement de confession : la honte c’est humain. On commence à le vivre chrétiennement quand mon péché devient le lieu que Jésus vient habiter, et qu’il en fait un lieu où il se révèle et nous fait participer à sa fécondité.

 

Notre croix est là, notre épreuve est là, comme pour Eve. Eve était face à quelque chose qu’elle ne comprenait pas et elle a réduit le réel, sa vie à ce qu’elle en ressentait. Elle voulait tout posséder, se faire mesure du réel. Et ça, c’est typiquement français : la rationalisation à outrance.

 

On est ainsi, constamment à vouloir mesurer les choses. Ça montre que les luttes que l’on vit, que Dieu permet, nos disputes dans la vie commune, nos difficultés dans notre travail, nos incapacités à grandir dans l’amour, tous ces lieux, je n’en connais pas la signification aux yeux de Dieu. Nous voulons les effacer alors que c’est un mystère qui ne nous appartient pas. Comme dans la parabole où Dieu sème le bon grain et que l’ennemi sème la mauvaise graine, que nous voulons arracher ; or le maître dit : « laisse pousser jusqu’à la moisson, ce n’est pas ton problème ».

 

Jésus répète ça encore différemment dans l’évangile lorsqu’il dit « moi je ne juge personne ». C’est un effort de carême qu’il faut, là, faire. Il faut arrêter de se juger, de se critiquer. Ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas reconnaître ses fautes. Qu’est-ce que ma faute, mon erreur signifie aux yeux de Dieu ? On n’en sait rien. Et, on n’a pas le droit de se juger. Jésus dit à Juda : « ce que tu fais, fais le vite. » Il le pousse presque à la faute... Pourquoi ?  C’est curieux non ?!

 

Pourquoi cela ? Parce que le salut que Jésus nous apporte, c’est Lui. Lui me parlant. Je dois me nourrir de la parole de Dieu tous les matins. Quand Jésus me parle, Il me transforme. Il n’est pas venu m’apporter un salut humain, efficace, un messianisme temporel. Le salut n’est pas une sorte de perfection qui se voit. A la croix la victoire est cachée et pourtant elle est là. Mais on ne peut pas la vivre tout seul. Et c’est ça le carême : « arrête de t’appuyer sur toi ». Quand on jeûne et qu’on a mal à la tête, on sent nos fragilités, ça nous met dans un état où on ne peut que s’appuyer sur Dieu ou alors on râle. Toutes les limites ressortent. On est obligé d’aller mendier auprès de Jésus : « la carapace que je me suis forgée ça ne tient pas beaucoup, viens… ! »

 

 « Tout est grâce, peu importe ma faiblesse et ma fragilité, Jésus c’est Lui qui vient me chercher ». Thérèse de l’EJ.

 

 Fr Grégoire.

 

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Le Visage de Dieu (II)

16 Février 2013, 02:21am

Publié par Fr Greg.

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Au tout début de cette année, le 1erjanvier, nous avons écouté, dans la liturgie, la très belle prière de bénédiction sur le peuple : « Que le Seigneur te bénisse et te garde! Que le Seigneur fasse pour toi rayonner son visage et te fasse grâce ! Que le Seigneur te découvre sa face et t'apporte la paix ! » (Nb 6, 24-26). La splendeur du visage divin est la source de la vie, c’est ce qui permet de voir la réalité ; la lumière de son visage est le guide de notre vie. Dans l’Ancien Testament, il y a un personnage auquel est lié de manière toute spéciale le thème du « visage de Dieu » ; c’est Moïse, celui que Dieu choisit pour libérer le peuple de l’esclavage en Egypte, pour lui donner la Loi de l’alliance et le guider à la Terre promise. Et bien, au chapitre 33 du livre de l’Exode, on dit que Moïse avait une relation étroite et de confiance avec Dieu : « Le Seigneur  parlait à Moïse face à face, comme un homme parle à son ami » (v. 11). Fort de cette confiance, Moïse demande à Dieu « Montre-moi ta gloire ! » et la réponse de Dieu est claire : « Je ferai passer devant toi toute ma beauté et je prononcerai devant toi le nom du Seigneur… Mais, dit-il, tu ne peux pas voir ma face, car l'homme ne peut me voir et vivre… Voici une place près de moi… tu verras mon dos ; mais ma face, on ne peut la voir » (v. 18-23). D’un côté, donc, il y a un dialogue face à face comme entre amis, mais de l’autre il y a l’impossibilité, en cette vie, de voir le visage de Dieu, qui demeure caché ; la vision est limitée. Les Pères disent que ces paroles « tu verras seulement mon dos » veulent dire : « tu peux seulement suivre le Christ et, en le suivant, tu vois de dos le mystère de Dieu ; on peut suivre Dieu, en voyant son dos.


Mais quelque chose de complètement nouveau advient avec l’Incarnation. La recherche du visage de Dieu prend un tour inimaginable parce que, maintenant, on peut voir ce visage : c’est celui de Jésus, du Fils de Dieu qui se fait homme. En lui, le chemin de la Révélation de Dieu, initié avec la vocation d’Abraham, trouve son achèvement ; Jésus est la plénitude de cette Révélation parce qu’il est le Fils de Dieu, à la fois « Médiateur et plénitude de toute la Révélation » (Const. dogm. Dei Verbum, 2). En lui coïncident le contenu de la Révélation et le Révélateur. Jésus nous montre le visage de Dieu et nous fait connaître le nom de Dieu. Dans la prière sacerdotale, lors du dernier repas, il dit au Père : « J'ai manifesté ton nom aux hommes… Je leur ai fait connaître ton nom » (Jn 17,6-26). L’expression « nom de Dieu » signifie Dieu en tant que celui qui est présent au milieu des hommes. Près du buisson ardent, Dieu avait révélé son nom à Moïse, on pouvait alors l’invoquer, il avait donné un signe concret de sa « présence » parmi les hommes. Tout ceci trouve en Jésus son achèvement et sa plénitude : il inaugure un nouveau mode de présence de Dieu dans l’histoire, parce que qui le voit, voit le Père, comme il le dit lui-même à Philippe (cf. Jn 14,9). Le christianisme, affirme saint Bernard, est la « religion de la Parole de Dieu », non pas cependant « une parole écrite et muette, mais celle du Verbe incarné et vivant » (Hom. super missus est, IV, 11 : PL 183, 86B). Dans la tradition patristique et médiévale, on utilise une formule particulière pour exprimer cette réalité : Jésus est leVerbum abbreviatum, le Verbe abrégé (cf. Rm 9, 28, en référence à Is 10,23), il est la Parole brève, abrégée et substantielle du Père, qui nous a tout dit de lui. En Jésus, toute la Parole est présente.


 

En Jésus aussi, la médiation entre Dieu et l’homme trouve sa plénitude. Dans l’Ancien Testament, il y a un groupe de personnages qui ont rempli cette fonction, en particulier Moïse, le libérateur, le guide, le « médiateur » de l’alliance, comme le définit aussi le Nouveau Testament (cf. Gal 3,19 ; Ac 7,35 ; Jn 1,17). Jésus, vrai Dieu et vrai homme, n’est pas simplement un des médiateurs entre Dieu et l’homme, mais il est « le médiateur » de la nouvelle et éternelle alliance (cf. He 8,6 ; 9,15 ; 12,24) ; « Car Dieu est unique, dit Paul, unique aussi le médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus, homme lui-même » (1 Tm 2,5 ; cf. Gal 3,19-20). En lui, nous voyons et nous rencontrons le Père ; en lui, nous pouvons invoquer Dieu en l’appelant du nom de « Abbà, Père » ; en lui, le salut nous est donné.


Le désir de connaître Dieu réellement, c’est-à-dire de voir le visage de Dieu, est inné dans tout homme, même chez les personnes athées. Et nous avons peut-être inconsciemment ce désir de voir simplement qui il est, ce qu’il est , qui il est pour nous. Mais ce désir se réalise en suivant le Christ, nous le voyons ainsi de dos et finalement, nous voyons aussi Dieu comme un ami, nous voyons son visage dans celui du Christ. L’important est de suivre le Christ non seulement lorsque nous avons besoin de lui ou lorsque nous trouvons le temps au milieu de nos occupations quotidiennes, mais dans toute notre vie telle qu’elle est.


C’est l’existence tout entière qui doit être orientée à la rencontre avec lui, à l’amour pour lui ; et, dans cette existence, l’amour du prochain doit aussi avoir une place centrale, cet amour qui, à la lumière du Crucifié, nous fait reconnaître le visage de Jésus dans le pauvre, le faible, celui qui souffre. Cela n’est possible que si le vrai visage de Jésus nous est devenu familier à travers l’écoute de sa Parole, si nous lui parlons intérieurement, si nous entrons dans cette Parole de sorte que nous le rencontrons réellement et, naturellement, dans le mystère de l’Eucharistie. Un passage de l’évangile de saint Luc est significatif : c’est celui des deux disciples d’Emmaüs qui reconnaissent Jésus à la fraction du pain, mais ils ont été préparés par le chemin qu’ils ont parcouru avec lui, préparés par l’invitation qu’ils lui ont adressée de rester avec eux, préparés par leur dialogue qui a rendu leur cœur tout brûlant ; et ainsi, à la fin, ils voient Jésus.

 

Pour nous aussi, l’Eucharistie est la grande école où nous apprenons à voir le visage de Dieu, où nous entrons dans une relation intime avec lui ; et nous apprenons, en même temps, à tourner notre regard vers le moment final de l’histoire, lorsqu’il nous rassasiera de la lumière de son visage. Sur la terre, nous marchons vers cette plénitude, dans l’attente joyeuse s’accomplisse réellement le Royaume de Dieu. Merci.

Benoit XVI.

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Le visage de Dieu...

15 Février 2013, 02:19am

Publié par Fr Greg.

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Le concile Vatican II, dans la Constitution dogmatique sur la Révélation divine, Dei Verbum, affirme que la vérité intime de toute la Révélation de Dieu resplendit pour nous « dans le Christ, qui est à la fois le Médiateur et la plénitude de toute la Révélation » (n. 2). L’Ancien Testament nous raconte comment Dieu, après la création, malgré le péché originel et malgré l’arrogance de l’homme qui veut se mettre à la place de son Créateur, offre de nouveau la possibilité de son amitié, surtout à travers l’alliance avec Abraham et le cheminement d’un petit peuple, le peuple d’Israël, qu’il choisit non pas sur des critères de puissance terrestre, mais simplement par amour.


C’est un choix qui demeure un mystère et qui révèle le style de Dieu, qui en appelle quelques-uns non pour exclure les autres, mais pour qu’ils servent de pont qui mène à lui : l’élection est toujours une élection pour l’autre. Dans l’histoire du peuple d’Israël, nous pouvons re-parcourir les étapes d’un long chemin sur lequel Dieu se fait connaître, se révèle et entre dans l’histoire par des paroles et par des actes. Il se sert, pour cette œuvre, de médiateurs comme Moïse, les prophètes et les Juges qui communiquent au peuple sa volonté, rappellent l’exigence de fidélité à l’alliance et gardent éveillée l’attente de la réalisation pleine et définitive des promesses divines.

 

Et c’est précisément la réalisation de ces promesses que nous avons contemplée à Noël : la Révélation de Dieu atteint son sommet, sa plénitude. En Jésus de Nazareth, Dieu visite réellement son peuple, il visite l’humanité d’une manière qui dépasse toute attente : il envoie son Fils unique. Dieu lui-même se fait homme. Jésus ne nous dit pas quelque chose sur Dieu, il ne parle pas simplement du Père, mais il est révélation de Dieu, parce qu’il est Dieu et ainsi il nous révèle le visage de Dieu. Dans le Prologue de son évangile, saint Jean écrit : « Nul n'a jamais vu Dieu ; le Fils unique, qui est tourné vers le sein du Père, lui, l'a fait connaître » (Jn 1,18).


Je voudrais m’arrêter sur cette « révélation du visage de Dieu ». A cet égard, dans son évangile que nous venons d’entendre, saint Jean nous relate un fait significatif. Alors qu’il approchait de sa Passion, Jésus rassure ses disciples, les invitant à ne pas avoir peur et à avoir foi ; il instaure ensuite avec eux un dialogue dans lequel il parle de Dieu le Père (cf. Jn 14,2-9). A un moment, l’apôtre Philippe demande à Jésus : « Seigneur, montre-nous le Père et cela nous suffit » (Jn 14,8). Philippe est très pratique et concret, il dit ce que nous-mêmes, nous voulons dire : « nous voulons voir, montre-nous le Père », il demande de « voir » le Père, de voir son visage. La réponse de Jésus ne s’adresse pas seulement à Philippe, mais à nous aussi et elle nous introduit dans le cœur de la foi christologique ; le Seigneur affirme : « Qui m’a vu a vu le Père » (Jn 14,9). Cette expression résume de façon synthétique la nouveauté du Nouveau Testament, cette nouveauté qui est apparue dans la grotte de Bethléem : il est possible de voir Dieu, Dieu a manifesté son visage, il est visible en Jésus-Christ.

Le thème de la « recherche du visage de Dieu » est bien présent dans tout l’Ancien Testament, le désir de connaître ce visage, le désir de voir Dieu tel qu’il est,  au point que le terme hébraïque panîm, qui signifie « visage », y apparaît bien 400 fois, dont 100 fois avec une référence à Dieu : on se réfère 100 fois à Dieu, on veut voir le visage de Dieu. Et pourtant la religion juive interdit complètement les images parce que Dieu ne peut pas être représenté – contrairement à ce que faisaient les peuples voisins avec l’adoration de leurs idoles – et donc, avec cette interdiction des images, l’Ancien Testament semble totalement exclure la dimension visible du culte et de la piété. Que signifie alors, pour un juif pieux, chercher le visage de Dieu, si l’on est conscient qu’il ne peut y avoir aucune image de lui ? Cette question est importante : d’un côté, on veut dire que Dieu ne peut pas être réduit à un objet, comme une image que l’on peut prendre dans sa main, mais que l’on ne peut rien mettre non plus à la place de Dieu ; de l’autre, en revanche, on affirme qu’il a un visage, c’est-à-dire qu’il est un « Tu » qui peut entrer en relation, qui n’est pas enfermé dans son ciel à regarder l’humanité d’en haut. Dieu est certainement au-dessus de toute chose, mais il s’adresse à nous, il nous écoute, nous voit, nous parle, fait alliance, et il est capable d’aimer. L’histoire du salut, l’histoire de Dieu avec l’humanité, est l’histoire de ce rapport de Dieu qui se révèle progressivement à l’homme et qui se fait connaître lui-même, qui fait connaître son visage.


Benoit XVI.

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Dans la maladie...

14 Février 2013, 02:20am

Publié par Fr Greg.

 

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Mon Dieu, je te demande avec ferveur la grâce nécessaire pour la pleine mise à profit de ma maladie. Dans ma vie j’ai déjà souffert de nombreuses fois, mais je n’ai jamais senti, autant qu’aujourd’hui, qu’entre la souffrance, la connaissance de toi et l’amour il existe un lien si étroit. Je sais qu’il existe  mais je ne comprends pas pleinement en quoi il consiste. Et pour cela je t’implore, toi qui connais ta créature dans toute sa plénitude, de me donner la grâce des fruits de ma souffrance. 


Et en même temps, je te demande de revenir en bonne santé. Je veux travailler pour les autres, je veux accomplir mes devoirs de famille. Donne-moi la santé, sans laquelle tout cela est impossible, ou en tous cas, est freiné.


Je te remercie, parce que tu me guides, que tu entres chaque jour en moi, que tu m’accordes de connaître toujours mieux ton amour. Et avec une totale confiance je m’abandonne à toi, comme un enfant à son Père.

Bx Jean-Paul II, 1967 Prière dans la maladie

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Le carême ou la ferveur de l'amour qui dépouille de tout ce qui n'est pas lui...

13 Février 2013, 02:35am

Publié par Fr Greg.

 

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Le Carême, c’est un temps de grâce unique : un temps de cure pour se rajeunir, une retraite intensive de laquelle on doit sortir renouvelé !

 

Ce temps c’est donc pour intensifier le chemin, le laisser nous purifier de tout ce qui nous alourdit et nous empêche de se voir tel qu’on est aux yeux de Jésus. C’est chercher à laisser la vie nouvelle –celle de Dieu lui-même- jaillir en nous, déborder, nous faire renaitre.

 

Or, cette vie nous est communiquée gratuitement : c’est donc la gratuité qui doit être la grande lumière pour tout vivre ! Il y a là un choix qui nous est remis : je peux décider de tout vivre selon cette nouvelle intention : sans aucun droit, et avec le désir réel que Jésus qui veut tout prendre, et bien prenne tout, soit tout.

 

Mais alors comment ? Faut-il reprendre ces vieilles méthodes d’aumône (quand on sait ce que les pauvres en font.. ?)  de prières (les dévotions à n’en plus finir c’est proche de la pensée magique et ça ne rend pas toujours très intelligent ??) enfin le jeûne (pas renversant comme moyen pour vivre du salut) ? Pourquoi toutes ces vieilles méthodes qui ne servent souvent qu’à nous faire faire des têtes d’enterrement… ? Sans parler des cendres sur le front... c’est pas un peu de la pathologie grave cela.. ??

           Face à cela on a comme 2 attitudes : soit l’attitude passivo-fataliste : genre : ‘de toute façon, on doit se purifier, il faut en baver un peu, donc on s’en remet une couche pendant 40 jours et on compte les jours...’  soit le style 'intellectuel libérés du 21e siècle à qui on ne la fait pas' : ‘ces trucs du moyen-âge, oui c’est bon pour les grands-mères et les curés, mais pas pour ceux qui écoutent les infos et qui lisent les journaux... rien à faire dans ma vie.. on est des gens sérieux …donc, ça, ce n’est pas pour moi…'

 Or Dieu, déjà dans la genèse, impose comme un jeûne apparemment inutile à Adam et Eve : ‘vous pouvez tout manger, mais de ce fruit, non…!’ ...ah..? Et pourquoi ?? et ensuite, à chaque reprise de son alliance, il ne réclame pas d’abord que l'on raisonne, mais toujours un sacrifice, un don gratuit un peu excessif : " prend ton fils Isaac et va le sacrifier», « tuez l'agneau, mettez-en sur les portes, mangez en hâte » ou une attitude de dépouillement: le peuple d'Israël au désert,  Jonas et ses cendres à Ninive, Isaïe marchant dans le désert, David jeunant devant son fils mourant, … etc.

            Et précisément, Dieu ne réclame pas ces gestes pour d’abord nous purifier, ou nous faire grandir ou nous faire nous reconnaitre ‘comme de sales pêcheurs’, non !  Mais, c’est pour que son don s’inscrive, soit manifesté dans notre vie ! C’est pour qu’on arrête de vivre enfermé dans notre idée du réel, de ce qu’on croit en avoir compris, et qu’on arrête de diminuer la grandeur de notre vie : c'est pour que s’inscrive en nous la marque de Dieu ! Ces gestes sont de petits moyens pour nous faire sortir de nous-même et nous mettre en attente de son passage : La Pâque, passage de Dieu ! 

Nous qui recevons l’Eucharistie, nous ‘avons’ Dieu à disposition! On en use et malgré cela on demeure toujours inquiets de nous-même, repliés sur nous, et ainsi, ce don incroyable n’est pas très réel pour nous; et bien le carême c’est inscrire et rendre manifeste ce don qui nous est fait, un don qui est de trop, qui nous dépasse et qui est tellement fort qu’il nous brûle et nous blesse ; c’est comme le signe de la radicalité dans laquelle Dieu déjà nous entraine !

 Et la souffrance, ces sacrifices gratuits, un peu inutiles, qui nous coûtent, c’est pour qu’on inscrive, qu’on s’approprie dans tout ce que l’on est, la vie de Fils qui nous est donnée ; c’est pour que toute notre personne soit prise par ce don divin qui dépasse tout ce qu’on peut penser ; ces moyens sont donc pour nous la manière de vivre de ce don qui réclame qu’on se quitte, et d’ouvrir les yeux sur ce qu’est le prochain : par l’aumône, ce qu’est Dieu : par la prière, ce que nous sommes: par le jeûne.  

 Et c’est ce que dit Jésus : ton aumône, ta prière, ton jeûne, c’est pour être mobilisé d’une façon unique et personnelle; c'est pour ‘voir' et ‘toucher’ celui qui t’est toujours présent : ton Père qui est là dans le secret… Le carême c’est pour vivre de Celui qui est toujours là et nous attend…C’est pour ouvrir les yeux sur la profondeur de notre vie, sur sa vraie réalité… c’est de quitter les apparences, ce qu’on a compris du réel -qui nous emprisonne par ce que c’est encore nous- et de tout vivre avec lui, de l’intérieur ; c’est pour être possédé par Celui qui veut être notre secret, et connu comme tel...

 

Le carême c’est donc ce don qui veut tout prendre en nous, et qui veut nous faire vivre à sa taille, à la hauteur de ce qu’est notre Père ; Et ces ‘sacrifices’, ces ‘rites’, c’est pour toucher cela avec notre corps, avec notre sensibilité, avec toute notre personne. L’amour réclame de s’éprouver, or, Celui qui est là, c’est Celui qui est pur don, un don qui ne peut pas se dire. Il est un silence substantiel, une présence totale. On ne peut donc vivre de lui en restant dans ce que nous possédons par nos raisonnements, mais en sortant de nous-même, en étant 'arrachés à nous-mêmes’.

 

Le carême c’est donc nous libérer de nous-même –non d’abord par une purification morale ou culpabilisante- mais en nous faisant voir qui on est vraiment, qui on est pour le Père. C’est ultimement, pour pouvoir dire ‘Père’, et vivre de cette présence secrète de Celui qui ne me quitte jamais, de celui qui n’est que pour moi. 

Fr Grégoire.

 

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La main et l'intelligence...

12 Février 2013, 02:49am

Publié par Fr Greg.

 

 

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 « (…) Anaxagore prétend que c’est parce qu’il a des mains que l’homme est le plus intelligent des animaux. Ce qui est rationnel, plutôt, c’est de dire qu’il a des mains parce qu’il est le plus intelligent. Car la main est un outil ; or la nature attribue toujours, comme le ferait un homme sage, chaque organe à qui est capable de s’en servir. Ce qui convient, en effet, c’est de donner des flûtes au flûtiste, plutôt que d’apprendre à jouer à qui possède des flûtes. C’est toujours le plus petit que la nature ajoute au plus grand et au plus puissant, et non pas le plus précieux et le plus grand au plus petit. Si donc cette façon de faire est préférable, si la nature réalise parmi les possibles celui qui est le meilleur, ce n’est pas parce qu’il a des mains que l’homme est le plus intelligent des êtres, mais c’est parce qu’il est le plus intelligent qu’il a des mains.

 

 En effet, l’être le plus intelligent est celui qui est capable de bien utiliser le plus grand nombre d’outils : or, la main semble bien être non pas un outil, mais plusieurs. Car elle est pour ainsi dire un outil qui tient lieu des autres. C’est donc à l’être capable d’acquérir le plus grand nombre de techniques que la nature a donné l’outil de loin le plus utile, la main.

 

   Aussi, ceux qui disent que l’homme n’est pas bien constitué et qu’il est le moins bien partagé des animaux (parce que, dit-on, il est sans chaussures, il est nu et il n’a pas d’armes pour combattre) sont dans l’erreur. Car les autres animaux n’ont chacun qu’un seul moyen de défense et il ne leur est pas possible de le changer pour faire n’importe quoi d’autre, et ne doivent jamais déposer l’armure qu’ils ont autour de leur corps ni changer l’arme qu’ils ont reçue en partage. L’homme, au contraire, possède de nombreux moyens de défense, et il lui est toujours loisible d’en changer et même d’avoir l’arme qu’il veut et quand il le veut. Car la main devient griffe, serre, corne, ou lance, ou épée, ou toute autre arme ou outil. Elle peut être tout cela, parce qu’elle est capable de tout saisir et de tout tenir.

 

La forme même que la nature a imaginée pour la main est adaptée à cette fonction. Elle est, en effet, divisée en plusieurs parties. Et le fait que ces parties peuvent s’écarter implique aussi pour elles la faculté de se réunir, tandis que la réciproque n’est pas vraie. Il est possible de s’en servir comme d’un organe unique, double ou multiple ».

 

     Aristote, Les Parties des animaux, éd. Les Belles Lettres.

 

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L’homme, animal politique...

11 Février 2013, 02:46am

Publié par Fr Greg.

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«  La cité est au nombre des réalités qui existent naturellement, et (…) l’homme est par nature un animal politique. Et celui qui est sans cité, naturellement et non par suite des circonstances, est ou un être dégradé ou au-dessus de l’humanité. Il est comparable à l’homme traité ignominieusement par Homère de : Sans famille, sans loi, sans foyer, car, en même temps que naturellement apatride, il est aussi un brandon de discorde, et on peut le comparer à une pièce isolée au jeu de trictrac.

 

  Mais que l’homme soit un animal politique à un plus haut degré qu’une abeille quelconque ou tout autre animal vivant à l’état grégaire, cela est évident. La nature, en effet, selon nous, ne fait rien en vain ; et l’homme seul de tous les animaux, possède la parole. Or, tandis que la voix ne sert qu’à indiquer la joie et la peine, et appartient aux animaux également (car leur nature va jusqu’à éprouver les sensations de plaisir et de douleur, et à se les signifier les uns aux autres), le discours sert à exprimer l’utile et le nuisible, et, par suite aussi, le juste et l’injuste ; car c’est le caractère propre à l’homme par rapport aux autres animaux, d’être le seul à avoir le sentiment du bien et du mal, du juste et de l’injuste, et des autres notions morales, et c’est la communauté de ces sentiments qui engendre famille et cité ».

                              ARISTOTE. (330 av. J-C.) La Politique. 

 

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La courbe de tes yeux

10 Février 2013, 02:19am

Publié par Fr Greg.

 

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La courbe de tes yeux fait le tour de mon coeur,
Un rond de danse et de douceur,
Auréole du temps, berceau nocturne et sûr,
Et si je ne sais plus tout ce que j'ai vécu
C'est que tes yeux ne m'ont pas toujours vu.

Feuilles de jour et mousse de rosée,
Roseaux du vent, sourires parfumés,
Ailes couvrant le monde de lumière,
Bateaux chargés du ciel et de la mer,
Chasseurs des bruits et sources des couleurs,

Parfums éclos d'une couvée d'aurores
Qui gît toujours sur la paille des astres,
Comme le jour dépend de l'innocence
Le monde entier dépend de tes yeux purs
Et tout mon sang coule dans leurs regards.

Paul ELUARD, Capitale de la douleur, (1926)

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L'ami, signe de la présence du Tout-Autre...

9 Février 2013, 02:33am

Publié par Fr Greg.

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Dans la mesure
 où nous cherchons à comprendre toute la vérité de la rencontre de la personne de l’autre dans l’amour d’amitié, cette expérience nous tourne d’une manière très personnelle vers l’Autre : Celui qui est à la fois tout autre, transcendant, et totalement présent parce qu’il est Celui qui, actuellement, nous fait le don de notre âme spirituelle.

Cela, le philosophe le découvre progressivement, dans la mesure où il cherche la vérité. N’est-ce pas la recherche de la vérité à l’intérieur de l’expérience de l’amour d’amitié, sa première fin, qui conduit la personne humaine jusqu’à la découverte de la Personne première, jusqu’à la sagesse (sophia) ? L’amour d’amitié ne peut se réduire à la prudence (phrônésis) car, dans l’amour, la personne de l’autre nous est donnée comme un bien qui nous dépasse, une véritable fin. L’autre est pour nous, dans sa personne, un don que nous ne pouvons mesurer ni dominer. Dans son être personnel qui nous finalise, il appelle un dépassement vers un Être premier, souverainement bon, source de tout don et de tout amour.

 

La recherche de la vérité à l’intérieur de l’expérience que nous faisons de la fin dans l’amitié, nous amène à un dépassement de nous-mêmes. Cela se manifeste dans une interrogation qui est toujours personnelle : pourquoi la personne de l’autre m’attire-t-elle ? Qu’est-ce que sa bonté, du point de vue de l’être ? Puis-je m’arrêter à sa personne, si noble qu’elle soit ? En effet, cette personne peut mourir, elle peut disparaître.

N’est-ce pas ce qui exige une nouvelle interrogation : l’autre, du point de vue del’être, est-il uniquement la personne amie ? Celle-ci n’est-elle pas plutôt comme un « reflet », un signe de la présence de l’Autre, du tout autre ? En effet, si profondément que nous soyons unis dans l’amour, celui-ci demeure intentionnel et n’est pas victorieux de la mort. De plus, aucune personne humaine, même la plus proche possible dans l’amour, ne peut être la mesure de notre intelligence faite pour la vérité, pour ce qui est. Aristote l’avait bien saisi, qui estimait :

« Il est mieux et il faut, pour préserver la vérité, sacrifier même ce qui nous est intime, surtout quand on est philosophe. L’un et l’autre [Platon et la vérité], en effet, étant des amis, c’est un devoir sacré d’honorer de préférence la vérité » (Ethique à Nicomaque, I, 4, 1096 a 14-17).

C’est bien l’éveil de la recherche de la vérité à l’intérieur de l’amour d’amitié, mais aussi au-delà de celui-ci (la découverte de la vérité « spéculative », celle de notre intelligence faite pour connaître ce qui est), qui nous pousse et nous conduit, étape par étape, à la découverte de la Réalité première, à la connaissance personnelle de la vérité ultime que nous pouvons atteindre, celle de la sagesse. Celle-ci s’épanouit lorsque l’homme découvre, au delà de la personne amie mais présente à travers elle, l’existence d’une Personne première, Source de tout bien et de tout vrai.

 

L’amour d’amitié et la recherche de la vérité, dans une profonde unité, exigent donc de l’homme de dépasser les simples exigences du travail et de la prudence, personnelle et communautaire, pour s’éveiller à la découverte et à la contemplation de la Personne première, au-delà de tout ce qu’il peut expérimenter. Cette Personne première transcende toutes les réalités dont il a l’expérience, mais elle est aussi, comme source de son être, comme Créateur de son âme spirituelle et Père de son esprit, plus présente à lui-même que lui-même. La sagesse contemplative dépasse donc la prudence, parce qu’elle réclame et présuppose l’éveil d’une recherche de la vérité pour elle-même, et un regard sur la fin dans ce qu’elle a de plus profond, au delà de l’intelligence pratique de l’homme délibérant sur les moyens relatifs à la fin et sur l’organisation de la communauté.

D’une part donc, la recherche de la vérité pour elle-même s’explicite d’une manière ultime avec la découverte de Celui que les traditions religieuses appellent Dieu ; d’autre part, la recherche du bonheur de l’homme, dont le premier accomplissement est l’amour d’amitié, trouve son épanouissement plénier lorsque le philosophe affirme que la fin ultime de la personne, cet être qui est esprit, ne peut être que la contemplation de Celui qui est la Personne première, Intelligence subsistante et Bonté souveraine. La sagesse philosophique, dont l’acte parfait est la contemplation, fait donc l’unité entre la philosophie première (la connaissance de ce qui est en tant qu’il est) et l’éthique (la recherche du bien humain), entre l’être et le bien, entre la lumière et l’amour.

 

M.-D. Goutierre

© www.les-trois-sagesses.org

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L'amitié, dépassement de la prudence..

8 Février 2013, 02:27am

Publié par Fr Greg.

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Si la vertu de prudence permet à l’homme d’ordonner sa vie morale en fonction d’une fin poursuivie – elle lui donne ainsi une autonomie et une certaine autorité sur son propre conditionnement –, l’amitié, dans la rencontre de la personne de l’autre, nous permet de toucher, d’expérimenter un premier dépassement de notre autonomie prudentielle.


Pour la personne humaine, l’autre dans tout son réalisme c’est l’ami : une autre personne, qui lui est liée par un choix libre et réciproque reposant sur un véritable amour, un amour de bienveillance selon l’expression d’Aristote. Certes, l’amitié exigera, pour être pleinement vécue, l’acquisition des vertus morales de tempérance, de force, de justice et surtout de prudence ; mais elle nous donne de faire l’expérience, dans l’amour de la personne de l’autre et dans la rencontre de l’amour qu’elle a pour nous, un absolu qui ne relève plus de la prudence. L’amour ne peut se réduire à la prudence : il réclame un dépassement de notre propre autonomie et de notre ordre pratique, dans un don personnel de nous-mêmes.


L’expérience de l’amitié permet donc de découvrir la personne humaine d’une façon plus profonde : à la fois dans le réalisme de ce qui est (la personne amie est autre dans son « je suis », dans son être personnel), et dans l’immanence de l’amour (la personne amie est un autre nous-même, selon l'expression d'Homère). Par l’amour, nous découvrons de l’intérieur une personne qui, cependant, reste autre que nous dans son être et qui, en nous attirant nous finalise et nous permet de nous dépasser.

 

Du point de vue d’une philosophie réaliste, l’amour d’amitié, la philia aristotélicienne, est donc l’expérience la plus profonde que nous pouvons avoir de l’homme, de sa personne. C’est là que l’altérité (la transcendance), mais aussi l’identité (l’immanence) sont les plus grandes. C’est bien là que l’expérience humaine, à la fois interne et externe, est la plus qualitative et la plus profonde.

(A suivre)

 

M.-D. Goutierre

© www.les-trois-sagesses.org

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Qu'est-ce qui est éternel -donc le plus 'efficace' et le plus fécond dans notre vie?

7 Février 2013, 02:25am

Publié par Fr Greg.

 

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Aristote, déjà, remarquait que la prudence et l’art politique ne peuvent être la sagesse :

Il est absurde de penser que la politique ou la prudence sont ce qu’il y a de plus élevé, s’il est vrai que l’homme n’est pas ce qui est le meilleur parmi toutes les réalités dans l’univers (Ethique à Nicomaque, VI, 7, 1141 a 20-22).

Pour que la politique et la prudence (la vertu morale la plus parfaite) soient la sagesse, il faudrait que l’homme soit la réalité première, à laquelle toutes les autres seraient relatives dans l’ordre de l’être. Certes, cela semble vrai tant que nous en restons aux réalités existantes dont nous avons l’expérience : parmi toutes les réalités existantes dont nous avons l’expérience, la personne humaine est la plus parfaite. Aussi, tant que nous en restons à l’expérience des réalités humaines, et même à la connaissance scientifique, une certaine perfection pratique (et l’autorité pour gouverner les autres hommes) semblerait-elle être la qualité humaine la plus noble et la plus grande.

N’est-ce pas ce que soutenaient certains philosophes grecs pour qui la béatitude de l’homme résidait dans la vie politique ? N’est-ce pas aussi la position d’un Platon pour qui le sage ne peut « se contenter » d’être un contemplatif, mais doit redescendre dans la caverne pour éduquer ses concitoyens à la justice ? Cette « tentation » existe toujours pour l’homme moral, parfait : avoir l’autorité, gouverner les autres, chercher à les éduquer, y compris en prétendant savoir mieux qu’eux ce qui est bon pour eux…

 

Il est cependant, pour la personne humaine, deux absolus qui dépassent la prudence et qui, dans une profonde unité, peuvent l’amener à s’interroger sur l’existence d’un Être premier, d’une Personne première, au-delà de l’univers physique et de l’homme. Ayant découvert son existence et la relation qui existe entre elle-même et cet Être premier, le Créateur, la personne humaine, découvrira alors, en adorant, la contemplation comme sa fin ultime, son bonheur parfait : la sagesse est bien cette qualité d’une intelligence dont l’acte le plus parfait est la contemplation ; et celle-ci se suffit à elle-même : le véritable sage ne cherche pas d’abord une vie morale parfaite, ni à gouverner, ni à éduquer les autres : il est trop magnanime pour cela…


Les deux absolus spirituels, personnels, qui conduisent la personne humaine à cette découverte, sont l’amour d’amitié et la recherche de la vérité pour elle-même…

 

M.-D. Goutierre

© www.les-trois-sagesses.org

 

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L'optimisme? la vertu du contribuable qui subit tout!

6 Février 2013, 03:24am

Publié par Fr Greg.

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« Les gens qui me veulent trop de bien me traitent de prophète. Ceux qui ne m’en veulent pas assez me traitent de pessimiste. Le mot de pessimisme n’a pas plus de sens à mes yeux que le mot d’optimisme, qu’on lui oppose généralement. Le pessimiste et l’optimiste s’accordent à ne pas voir les choses telles qu’elles sont. L’optimiste est un imbécile heureux. Le pessimiste est un imbécile malheureux. (…)

 

Je sais bien qu’il y a parmi vous des gens de très bonne foi, qui confondent l’espoir et l’optimisme. L’optimisme est un ersatz de l’espérance, dont la propagande officielle se réserve le monopole. Il approuve tout, il subit tout, il croit tout, c’est par excellence la vertu du contribuable. Lorsque le fisc l’a dépouillé même de sa chemise, le contribuable optimiste s’abonne à une revue nudiste et déclare qu’il se promène ainsi par hygiène, qu’il ne s’est jamais mieux porté.

 

Neuf fois sur dix l’optimisme est une forme sournoise de l’égoïsme, une manière de se désolidariser du malheur d’autrui.

 

C’est un ersatz de l’espérance, qu’on peut rencontrer facilement partout, et même, tenez par exemple, au fond de la bouteille. Mais l’espérance se conquiert. On ne va jusqu’à l’espérance qu’à travers la vérité, au prix de grands efforts et d’une longue patience. Pour rencontrer l’espérance, il faut être allé au-delà du désespoir. Quand on va jusqu’au bout de la nuit, on rencontre une autre aurore.

 

Le pessimisme et l’optimisme ne sont à mon sens, je l’ai dit une fois pour toutes, que les deux aspects, l’envers et l’endroit d’un même mensonge. Il est vrai que l’optimisme d’un malade peut faciliter sa guérison. Mais il peut aussi bien le faire mourir s’il l’encourage à ne pas suivre les prescriptions du médecin. Aucune forme d’optimisme n’a jamais préservé d’un tremblement de terre, et le plus grand optimiste du monde, s’il se trouve dans le champ de tir d’une mitrailleuse, est sûr d’en sortir troué comme une écumoire.

 

L’optimisme est une fausse espérance à l’usage des lâches et des imbéciles. L’espérance est une vertu, virtus, une détermination héroïque de l’âme. La plus haute forme de l’espérance, c’est le désespoir surmonté.

 

Mais l’espoir lui-même ne saurait suffire à tout. Lorsque vous parlez de « courage optimiste », vous n’ignorez pas le sens exact de cette expression dans notre langue et qu’un « courage optimiste » ne saurait convenir qu’à des difficultés moyennes. Au lieu que si vous pensez à des circonstances capitales, l’expression qui vient naturellement à vos lèvres et celle de courage désespéré, d’énergie désespérée. Je dis que c’est précisément cette sorte d’énergie et de courage que notre pays attend de nous. »

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Georges Bernanos, Essais et écrits de combat

 

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Pourquoi je suis POUR le « mariage pour tous »

5 Février 2013, 01:21am

Publié par Fr Greg.

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On aura tout entendu sur ce mariage gay (et pas pour tous). Des gentils progressistes qui sont pour, et des vilains passéistes rigoristes grenouilles de bénitier qui sont contre. Moi, je ne suis ni progressiste ni passéiste : j’aime le profit. Je suis à la tête d’une transnationale. J’ai pas mal cogité sur le sujet, et j’en suis arrivé à me poser cette question : « Mais, en somme, qu’apporte le mariage gay que le PACS n’apportait pas déjà ? » La réponse a été fulgurante : « Rien, à part la notion d’homoparentalité. »

Que des couples gay adoptent ne me semble pas être un mal. Mais l’adoption est difficile et les enfants adoptables rares. Les couples de lesbiennes vont avoir donc accès à la PMA (procréation médicalement assistée). Cette pratique est réservée aux couples stériles. Et, effectivement, un couple de deux femmes est stérile. Mais cela va entraîner une inégalité : les couples homosexuels hommes ne peuvent pas bénéficier de la PMA. Heureusement, il existe la GPA (gestation pour autrui). Qu’est-ce que la GPA, en fait ? Simple : on paie une femme qui loue son utérus pour faire pousser un bébé issu d’une fécondation in vitro. Et là, mon sixième sens se met à tambouriner : bon sang mais c’est bien sûr ! Un nouveau marché ! Et si je montais une boite de mère porteuses ? Je prends des femmes désespérées qui n’ont que cette possibilité pour ne pas tomber dans la prostitution, et je leur colle un embryon.

 

Tant qu’à faire, pourquoi ne pas faire mieux que les autres qui vont immédiatement suivre mon idée ? Avec des enfants à la carte ! Tu veux un garçon ? Un fille ? Et les yeux, tu les veux comment ? Et la taille, la stature ? On a toutes les options ! Y a pas à dire, c’est beau le progrès… Et pourquoi pas créer aussi des castes génétiques ? Des benêts obéissants pour faire des travaux non qualifiés, des classes moyennes très moyennes et des élites très supérieures ! Marrant, j’ai lu un truc comme ça dans ma jeunesse… Un certain Aldous Huxley avait écrit un roman : « Le meilleur des mondes ». S’il n’était pas mort depuis 50 ans, je l’embaucherais immédiatement comme consultant !

 

Vous êtes choqués ? Aucune importance : nos amis les médias vont vous enrober ça avec du sucre. Et on va y aller par petites touches indolores. Il n’y a que le premier pas qui coûte. Nos associations « droit-de-l’hommistes » vont vous expliquer que si vous êtes contre, c’est que vous êtes un sale homophobe passéiste nauséabond et certainement raciste. On est habitué, ça fait déjà 30 ans qu’on vous fait gober n’importe quoi. Remplacement de population, paupérisation des classes moyennes, disparition de votre pays qui est devenu un protectorat qui n’a plus d’armée, de justice, de budget ou de monnaie propre… Vous verrez, ça ira bien, dans le meilleur des mondes… Bon, j’arrête ici. Il faut que je file recruter des matrices plus ou moins consentantes.

Sylvain Banducci, le 3 février 2013

http://www.bvoltaire.fr

 

 

 

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La joie, source de détachement!

4 Février 2013, 02:46am

Publié par Fr Greg.

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            Je n'arrive pas tout à fait à tordre le cou au préjugé tenace qui me laisse croire qu'en me mettant au centre du monde, j'obtiendrai le bonheur en partage. Oui je dis « préjugé », alors qu'il s'agit plutôt d'une intuition obscure qui, tapie au fond de moi, sommeille, sorte d'injonction inconsciente: « Sois le premier, sois le premier en tout, tu seras le plus heureux! »

Je pourrai d'abord critiquer cette funeste conviction et me contenter d'expérimenter à fond ce que je devine déjà: plus nous nous abandonnons, moins nous faisons cas de notre personne, plus nous goûtons la joie libre.

 

Ces derniers temps, je crois m'être focalisé sur un problème pour consacrer toute mon énergie à la lutte: je dois me libérer de ma fascination, je dois résister, je dois..? sur cette pente, je ne fais que m'endurcir. Paradoxalement, cette démarche volontariste, cette tentation de s'aguerrir, me rendent encore plus vulnérable. Je suis épuisé. Par degrés, j'aimerais quitter cette lutte née d'un moi qui,  loin de s'abandonner, voudrait obtenir plus de la vie, même s'il se réclame du détachement.

 

A cette sorte d'instinct vient s'ajouter l'idée vague qu'autrui doit répondre à mes besoins et me servir, tout le temps. Quoi de plus grotesque que d'encourager son enfant à gronder une pierre sur laquelle son pied a glissé! Elle n'y peut rien! Pas plus que la grippe, les infirmités et les intempéries... Je suis cet enfant qui récrimine face à un monde qui lui échappe et lui résiste. Le meilleur service à lui rendre ici serait de l'inviter à passer à autre chose, éventuellement de l'inciter à la prudence. Il faut le dire et le répéter: ce n'est pas le sacrifice ni le renoncement qui conduisent au détachement, mais bien plutôt la joie. …

 

Cette joie, il ne suffit pas de claquer des doigts pour l'appeler. Voilà d'ailleurs ce qui l'apparente à la passion. Elle aussi, plus forte que moi, ne saurait dépendre entièrement de ma volonté. Cependant, je veux continuer à croire, que si minime puisse-t-il être, nous avons sur elle quelque pouvoir…

 

                                                                      Alexandre Jollien,  Le philosophe nu.

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Musique avec Wim Mertens...

3 Février 2013, 03:13am

Publié par Fr Greg.

 

 

 

 

 

 

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L'oeuvre de Dieu (IV)

2 Février 2013, 02:33am

Publié par Fr Greg.

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Les œuvres du diable  

 

L'œuvre du Père rencontre des obstacles dans les hommes, obstacles qui proviennent des œuvres du diable. Un passage de la première Epître de Jean est ici très éclairant : « C'est pour détruire les œuvres du diable que le Fils de Dieu est apparu » (1 Jn 3, 8). Quelles sont les œuvres du diable ? Si nous regardons dans l'Ecriture la première mention du diable, chose est assez nette : dans la tentation du jardin d'Eden, le démon tente Eve en essayant, par le mensonge, de corrompre sa foi dans la rôle de Dieu : « Pas du tout, vous ne mourrez pas ! Mais Dieu sait que, le jour où vous mangerez, vos yeux s'ouvriront et vous serez comme des dieux, qui connaissent le bien et le mal » (Gn 3, 4-5). La mort physique de l'homme,annoncée par Dieu comme un châtiment (Gn 3, 19), est une conséquence de cette mort de la foi. Le péché de Caïn semble bien s'inscrire aussi dans les œuvres du diable. Le péché de Caïn, en effet, est un péché de jalousie, or le livre de la Sagesse déclare que « c'est par la jalousie du diable que le péché est entré dans le monde » (Sg 2, 24). Ne peut-on pas voir le démon derrière cette bête qui convoite Caïn : « Si tu n'es pas bien disposé, le péché n'est-il pas à ta porte, une bête tapie qui te convoite, pourras-tu la dominer ? » (Gn 4, 7). Il est frappant de constater un phénomène similaire au chapitre 8 de l'Evangile de Jean qui montre un affrontement entre Jésus et les Juifs qui ne veulent pas croire en lui. Jésus les exhorte à faire « les oeuvres d'Abraham », au lieu de faire « les œuvres de leur père » :

 

Si vous êtes enfants d'Abraham, faites les œuvres d'Abraham [...] Pourquoi ne reconnaissez-vous pas mon langage ? C'est que vous ne pouvez pas entendre ma parole. Vous êtes du diable, votre père, et ce sont les désirs de votre père que Vous voulez accomplir. Il était homicide dès le commencement (Jn 8, 39.43-44).

 

On voit ici clairement comment les œuvres du diable consistent à empêcher l'homme d'accueillir la parole de Dieu et d'adhérer à Jésus par la foi (20). Ce refus de la foi en Jésus s'accompagned'un désir diabolique de tuer Jésus : « vous cherchez à me tuer, moi, un homme qui vous ai dit la vérité, que j'ai entendue de Dieu. Cela, Abraham ne l'a pas fait ! Vous faites les œuvres de votre père » (Jn 8, 40-41) (21). Ce désir de tuer Jésus apparaît également au chapitre 13 où Jean le relie explicitement au diable : « alors que déjà le diable avait mis au cœur de Judas Iscariote,fils de Simon, le dessein de livrer Jésus » (Jn 13, 2).

 

Mais ces œuvres du diable, qui produisent le refus de croire en Jésus et vont même jusqu'à susciter le désir de la mort de Jésus, se retournent contre l'homme qui les a accueillies dans son cœur : « si vous ne croyez pas que Je Suis, vous mourrez dans vos péchés » (Jn 8, 24). Le désir homicide du diable est dirigé tout à la fois contre Jésus et contre l'homme. C'est sans doute pourquoi l'Ecriture nous dit (22) que Judas - accueillant dans son cœur une ultime œuvre du diable, le désespoir - alla se tuer après avoir livré Jésus.

 

Il serait intéressant ici de comparer ce que Jean et Paul disent au sujet des œuvres du péché. Dans l'Epître aux Galates, Paul nous donne une liste impressionnante des « œuvres de la chair » : « Or les œuvres de la chair sont manifestes : fornication, impureté, débauche, idolâtrie, [...] ceux qui commettent ces fautes-là n'hériteront pas du Royaume de Dieu. Mais le fruit de l'Esprit est charité, joie, paix... » (Ga 5, 19-23). L'opposition entre les œuvres (au pluriel) et le fruit (au singulier) est significative : le péché provoque la dispersion alors que l'Esprit vivifie et unifie. l'expression « fruit de l'Esprit », au lieu d « œuvre de l'Esprit » qu'on attendrait spontanément, souligne la fécondité de l'Esprit Saint.

 

Jean, lui aussi, établit un contraste entre les œuvres mauvaises du péché et les œuvres bonnes, notamment :

 la lumière est venue dans le monde et les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, car leurs œuvres étaient mauvaises. Quiconque, en effet, commet le mal hait la lumière et ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient démontrées coupables, mais celui qui fait la vérité vient à la lumière, afin que soit manifesté que ses œuvres sont faites en Dieu (Jn 3, 19-21).

 Cependant, au lieu de donner une description détaillée des œuvres du péché, Jean se concentre sur l'œuvre mauvaise par excellence qui est le refus de croire en Jésus et il la relie aux œuvres du diable (23).

 

FR. ALAIN-MARIE

Aletheia. Ecole St Jean.

 

(20). C'est aussi ce que montre la parabole du semeur en Mt 13, 3-23 : les oiseaux – qui symbolisent le démon - viennent manger la semence jetée au bord du chemin.

(21). Le désir diabolique de tuer Jésus est particulièrement impressionnant en Ap12 où l'on voit le dragon tenter de dévorer l'enfant de la femme. On peut en voir une illustration historique dans le désir d'Hérode de tuer Jésus dès sa naissance, tant il est vrai que le démon se sert d'instruments pour tuer, puisqu'il ne semble pas avoir la permission de tuer directement (cf. Jb, 2, 6).

(22). Mt 27, 3-5.

(23). Notons également ce passage de Paul qui s'apparente à ce que dit Jean sur les œuvres du diable : « Dès maintenant, oui, le mystère de l'impiété est à l'œuvre » (2Th2,7). 

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L'œuvre de Dieu ? (III)

1 Février 2013, 02:28am

Publié par Fr Greg.

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La foi en Jésus, fruit de l'œuvre du Père             

 

Le chapitre 6 de l'Evangile de Jean nous donne une lumière précieuse sur l'œuvre du Père. Lors de la multiplication des pains, Jésus opère un « signe » particulièrement éloquent : « A la vue du signe qu'il avait opéré, les gens dirent : "C'est vraiment lui le prophète qui doit venir dans le monde" » (Jn 6, 14). Malheureusement, ils semblent bien ne pas reconnaître ce signe précisément comme « signe », c'est-à-dire comme un témoignage en faveur de Jésus, mais simplement comme un «prodige» dont ils entendent profiter en mettant la main sur Jésus. Celui-ci est obligé de s'enfuir. Le lendemain, on le trouve dans la synagogue de Capharnaüm :

 

Ils lui dirent : « Rabbi, quand es-tu arrivé ici ? » Jésus leur répondit : « Amen, amen, je vous le dis, vous me cherchez, non parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé du pain tout votre soûl. Travaillez, non pour la nourriture périssable, mais pour la nourriture qui demeure en vie éternelle, celle que vous donnera le Fils de l'homme, car c'est lui que le Père, Dieu, a marqué de son sceau » (Jn 6, 25-27).

 

Nous reviendrons plus tard à l'invitation faite par Jésus à « travailler ». Examinons pour l'instant la suite du dialogue entre Jésus et les Juifs : « Que nous faut-il faire pour travailler aux œuvres de Dieu ? » (Jn 6, 28). Il semble que le verbe, comme c'est le cas dans d'autres textes du Nouveau Testament (15), signifie ici un effort moral et que l'expression « les œuvres de Dieu » doive être comprise comme un génitif objectif : les Juifs déclarent être disposés à opérer des œuvres bonnes ; ils sont donc sujets de ces œuvres qu'ils pensent entreprendre pour plaire à Dieu.

 

La réponse de Jésus au verset 29 est capitale pour la compréhension de l'œuvre du Père : « L'oeuvre de Dieu, c'est que vous croyiez en celui qu'il a envoyé. » Dans cette réponse de Jésus, au contraire du verset 28, le génitif « œuvre de Dieu » est à entendre en un sens subjectif (genitivus auctoris) : c'est Dieu qui réalise une œuvre dont le terme final, introduit par la conjonction ïva, est l'acte de foi des croyants en Jésus (16). Nous trouvons là une confirmation de ce que nous avons vu plus haut : l'œuvre du Père consiste à conduire les hommes vers Jésus et à susciter en eux l'adhésion de foi par laquelle ils seront sauvés. C'est pourquoi Jésus peut dire un peu plus loin : « Nul ne peut venir à moi si le Père qui m'a envoyé ne l'attire ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour. Il est écrit dans les prophètes : Ils seront tous enseignés par Dieu. Quiconque entend renseignement du Père et s'en instruit vient à moi » (Jn 6, 44-45).

 

Nous sommes ici au cœur de la conception johannique de l'acte de foi. Au lieu d'être envisagé en premier lieu comme un acte personnel du croyant qui choisit librement d'adhérer à la parole de Jésus, l'acte de foi est vu par Jean dans la lumière du Père : cet acte est le fruit dans l'homme de bonne volonté de l'œuvre du Père qui l'attire et le conduit à Jésus pour recevoir de lui la vie. Les œuvres que le Père donne à Jésus d'accomplir (les signes) sont entièrement ordonnées à cette œuvre principale qu'est la foi du croyant. C'est ainsi, semble-t-il, qu'il convient de comprendre la différence entre les œuvres (au pluriel) et l'œuvre (au singulier).

 

Face aux Juifs, Jésus répond donc qu'il ne s'agit pas en premier lieu de faire des œuvres, si bonnes soient-elles, mais plutôt de permettre à l’oeuvre du Père de porter son fruit salvifique qui est la foi en Jésus.

 

On pourrait se demander s'il n'y aurait pas dans le texte une discrète polémique de Jean contre des disciples de Paul qui exagéraient la dialectique foi-œuvres. La réponse de Jésus ne vise pas à dénier l'importance des œuvres bonnes faites pour Dieu ni à les opposer dialectiquement à l’oeuvre de Dieu, mais à rappeler que l'œuvre que Dieu réalise est toujours première par rapport aux œuvres que les hommes entreprennent et qui en sont un fruit (17). Les versets 28-29 sont donc particulièrement importants pour une théologie de la foi et du rapport entre la foi et les œuvres (18).

 

II serait intéressant ici de regarder la manière dont les autres écrits johanniques nous présentent la foi, manière qui est en pleine harmonie avec ce que nous voyons dans le quatrième évangile. Selon la première Epître de Jean : « Si nous recevons le témoignage des hommes, le témoignage de Dieu est plus grand. Car tel est le témoignage de Dieu, que Dieu a rendu à son Fils : celui qui croît au Fils de Dieu a ce témoignage lui » (1 Jn 5, 9-10). Le croyant possède en lui le témoignage du Père faveur de son Fils. C'est aussi pourquoi l'Apocalypse parle des chrétiens comme de « ceux qui ont le témoignage de Jésus. » (19)

 

FR. ALAIN-MARIE

Aletheia. Ecole St Jean.

 

 

(15). Cf. par exemple Rm 2, 10 ; 13, 10 ; Ga 6, 10 ; He 11, 33.

(16). Cf. G. BERTRAM, article « ëçyov, èçyàÇojACd », dans TWNT, II, p. 639.

(17). Cf. le commentaire pertinent de R. H. Lightfoot : « Granted this form of  service or work, namely belief, all other works would follow, being included m this one work and its results » (cf. St. John's Gospel. A Commentary, Oxford, Oxford Clarendon Press, 1956,p.159).

(18). Au lieu de restreindre, comme on le fait souvent, la discussion du problème de la relation foi/œuvres aux Epîtres aux Romains et aux Galates, d'une part, et à l'Epître de Jacques, d'autre part, ne conviendrait-il pas davantage de prendre un point de vue plus élevé, celui de Jean, précisément ?

(19). Cf. Ap 12, 17. Voir aussi Ap 6, 9 où il ne faut pas traduire : « pour le témoignage qu’ils avaient rendu », mais littéralement : « pour le témoignage qu’ils avaient ». Le témoignage rendu par les martyrs est un fruit du témoignage du Père qu'ils ont accueilli en eux.

 

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L'œuvre de Dieu ? (II)

31 Janvier 2013, 01:22am

Publié par Fr Greg.

 

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L' ŒUVRE DU PERE DANS L'EVANGILE DE SAINT JEAN

 

Le substantif (travail, œuvre) est employé 27 fois dans l'Evangile de Jean contre 10 fois dans les évangiles synoptiques. Quant au verbe (travailler, œuvrer), il est employé 8 fois dans l'Evangile de Jean contre 6 fois dans les évangiles synoptiques. On voit donc déjà que ces deux termes sont beaucoup plus employés par Jean que par les autres évangélistes.

 

Le premier emploi de dans l'Evangile de Jean apparaît en Jn 4,34. Aux disciples qui le pressent de manger, Jésus répond : « Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé et d'accomplir son œuvre ». Jésus se présente donc comme celui qui a été envoyé afin d'accomplir l'œuvre du Père. Le discours à Nicodème a déjà lié Renvoi du Fils au salut de l'humanité :

 

Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle. Car Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour condamner le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. Qui croit en lui n'est pas condamné ; qui ne croit pas est déjà condamné car il n'a pas cru au Nom du Fils unique de Dieu (8).

 

On voit dans ce texte comment, d'une part, le salut consiste en l'accueil du don de la vie éternelle, d'autre part, comment on accède au salut par la foi dans le Fils unique de Dieu. Nous verrons justement le lien étroit établi par Jean entre l'œuvre de Dieu et la foi en Jésus.

 

Le travail du Père et celui du Fils

Au chapitre 5 de son évangile, Jean nous rapporte la guérison de l'infirme de la piscine de Béthesda, guérison opérée le jour du sabbat. Après avoir guéri l'infirme, Jésus lui ordonne de prendre son grabat et de marcher. Aux Juifs qui objectent qu'il n'est pas permis de porter un grabat le jour du sabbat 9, Jésus répond : « Mon Père est à l'œuvre jusqu'à maintenant et moi aussi je suis à l'œuvre (10) » Cette affirmation de Jésus est à comprendre en lien avec l'interprétation juive du repos sabbatique que nous avons vue plus haut : du temps de Jésus, les Juifs avaient déjà compris que Dieu continue nécessairement d'être à l'œuvre le jour du sabbat ; ils ne devraient donc pas s'étonner que Jésus lui aussi soit à l'œuvre. Jean mentionne que cette affirmation de Jésus fut comprise par les Juifs comme une prétention insoutenable d'être l'égal de Dieu. Le long discours de Jésus en Jn 5, 19-47 vise à lever le scandale et à justifier l'affirmation de Jésus en montrant la totale dépendance de l'œuvre de Jésus à l'égard de l'œuvre du Père :

 

Amen, amen, je vous le dis, le Fils ne peut faire de lui-même rien qu'il ne voie faire au Père: ce que fait celui-ci, le Fils le fait pareillement. Car le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu'il fait. Il lui montrera des œuvres plus grandes encore que celles-ci ; vous en serez stupéfaits (Jn 5, 19-20).

 

En quoi consistent donc ces œuvres que le Père montre au Fils ? Jésus dit qu'il s'agit d'une œuvre vivificatrice : « Comme le Père en effet ressuscite les morts et les rend à la vie, ainsi le Fils donne vie à qui il veut [...] Comme le Père en effet dispose de la vie, ainsi a-t-il donné au Fils d'en disposer lui aussi (11) ». Le travail de Dieu lors de la création de l'homme avait consisté à modeler le corps de l'homme et à lui donner vie ; l'œuvre vivificatrice du Père, à laquelle le Fils est pleinement associé, consiste à redonner vie à l'homme qui a perdu la vie par le péché.


Cette œuvre du Père est rendue manifeste à travers les signes accomplis par Jésus. Selon la théologie johannique des signes, en effet, les « miracles (12) » de Jésus, avant d'être des œuvres de miséricorde envers des personnes dans une situation de détresse, sont principalement des signes qui l'accréditent comme l'envoyé du Père : « les œuvres que le Père m'a donné d'accomplir, ces œuvres mêmes que je fais me rendent témoignage que le Père m'a envoyé 13 ». Le témoignage des ces œuvres devrait conduire à la foi en Jésus en dépit des difficultés à comprendre ses paroles : « le Père qui demeure en moi accomplit les œuvres. Croyez-m ‘en ! je suis dans le Père et le Père est en moi. Du moins, croyez-le à cause des œuvres 14. » Ces œuvres sont si éloquentes qu'elles doivent suffir pour emporter l'adhésion de foi. C'est pourquoi Jésus peut dire à l'égard de ceux qui refusent de croire en lui : « Si je n'avais pas fait parmi eux des œuvres que nul autre n'a faites, ils n'auraient pas de péché ; mais maintenant ils ont vu et ils nous haïssent, moi et mon Père» (Jn 15,24).

 

FR. ALAIN-MARIE

Aletheia. Ecole St Jean.

 

(8). Jn 3, 16-18.

(9). Cf. Jr 17, 21 : « Ainsi parle Yahvé : Gardez-vous bien - il y va de votre vie - de transporter un fardeau, le jour du sabbat, et de l'introduire par les portes de Jérusalem. »

(10).Jn5,17.

(11). Jn 5, 21.26.

(12). Nous employons ici le mot « miracle » parce que c'est la parole consacrée en français, mais il faut tout de suite faire remarquer que ce mot... n'existe pas tel quel dans le Nouveau Testament ! En effet, ce que nous appelons « miracle » est, en fait, appelé dans le NT par divers termes : « puissance » (ô'ùvau.iç), « prodige » (ïéçaç) et surtout, chez Jean, « signe » (o-nuelov). Cf. J.-P. CHARLIER, Signes et prodiges. Les miracles dans l'évangile. Lire la Bible n°79, Paris, Cerf, 1987.

(13). Jn 5.36.

(14). Jn 14. lOc-11.

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Qu’est-ce que l'œuvre de Dieu ?

30 Janvier 2013, 02:16am

Publié par Fr Greg.

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LE TRAVAIL ET LE REPOS DE DIEU DANS LA GENESE

 

Le travail de la création              

 

Les deux récits de la création dans la Genèse (Gn 1 et 2) nous présentent la création comme un « travail » de Dieu. Le premier récit nous montre Dieu créant de manière progressive, sur un intervalle de six jours, l'univers et ses habitants : la parole de Dieu fait surgir la lumière, la terre, les plantes, les animaux, et enfin l'homme. La parole divine est immédiatement efficace et produit sans peine son effet (1). Le deuxième récit de la création nous présente Dieu assumant tantôt la fonction du potier (pour façonner-le corps de l'homme), tantôt celle du chirurgien (pour façonner celui de la femme), tantôt encore la fonction du jardinier pour planter le jardin en Eden). Curieusement, toutefois, c'est à la fin du premier récit, et non du second, qu'apparaît l'affirmation bien connue du « repos » de Dieu : « Dieu conclut au septième jour l'ouvrage qu'il avait fait et, au septième jour, il chôma, après tout l'ouvrage qu'il avait fait. Dieu bénit le septième jour et le sanctifia, car il avait alors chômé après tout son ouvrage de création » (Gn 2, 2-3).

 

 Comme le remarque Jean Paul II 

l'achèvement de l'œuvre de Dieu ouvre le monde au travail de l'homme [...] A travers cette évocation anthropologique du travail divin, la Bible ne nous donne pas seulement une ouverture sur le rapport mystérieux entre le Créateur et le monde créé, mais elle jette aussi une lumière sur la mission de l'homme à l'égard du cosmos. Le travail de Dieu est en quelque manière exemplaire pour l'homme. Celui-ci, en effet, n'est pas seulement appelé à habiter, mais aussi à construire le monde, en se faisant ainsi collaborateur de Dieu (2).

 

Dans l'Ancien Testament, le Deutéronome se réfère au texte de la Genèse au sujet du commandement du sabbat :

 Observe le jour du sabbat pour le sanctifier, comme te l'a commandé Yahvé, ton Dieu. Pendant six jours tu travailleras et tu feras ton ouvrage, mais le septième jour est un sabbat pour Yahvé ton Dieu. Tu n'y feras aucun ouvrage, toi, ni ton fils, ni ta fille, m ton serviteur, ni ta servante, ni ton bœuf, ni ton âne ni aucune de tes bêtes, ni l'étranger qui réside chez toi. Ainsi, comme toi-même, ton serviteur et ta servante pourront se reposer (Dt5,12-14) (3).

 

Quant au psaume 94, il se termine par une mention du repos de Dieu mise dans la bouche du Seigneur (PS 94, 11) : « Alors, j'ai juré dans ma colère, jamais ils n'entreront dans mon repos. »

 Selon Jean Paul II le repos divin du septième jour n'évoque pas un Dieu inactif, mais il souligne la plénitude de la réalisation accomplie et exprime en quelque sorte la pause faite par Dieu devant l'œuvre « très bonne » sortie de ses mains, pour porter sur elle un regard plein d'une Joyeuse satisfaction : c'est un regard « contemplatif », qui ne vise plus de nouvelles réalisations, mais plutôt la jouissance de la beauté de ce qui a été accompli (4).

fr Alain Marie.

Aletheia. Ecole St Jean.

 

(1) Contrairement à de nombreux mythes de la création (le mythe babylonien, par exemple) où le cosmos est l'enjeu d'une lutte entre des puissances hostiles.

(2). JEAN PAUL II, Lettre apostolique sur la sanctification du dimanche, Dies Domini, §10.

(3). L'affirmation du repos de Dieu le septième jour de la création se retrouve également par deux fois dans le livre de l'Exode (Ex 20, 11 ; 31, 17).

(4). Dies Domini, § 11.

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L’atrabilaire amoureux ...

29 Janvier 2013, 03:35am

Publié par Fr Greg.

 

L'atrabile était pour les anciens le nom de la bile noire qui conduisait à la colère et à la dépression. Alceste, le misanthrope, était atteint de ce mal.

 

Alceste

       

 

 Alceste : « Tous les hommes me sont, à tel point, odieux, Que je serais fâché d’être sage à leurs yeux.

Philinte « Vous voulez un grand mal à la nature humaine !  »

Alceste : » Oui ! j’ai conçu pour elle, une effroyable haine. (…) Contre l’iniquité de la nature humaine, Et je nourris, pour elle, une immortelle haine. »

Molière, le Misanthrope.

 

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Philippe Le Guay confronte deux ego, Fabrice Luchini et Lambert Wilson, dans un duel à fleurets mouchetés autour du Misanthrope.

 

Pile ou face. Ils lancent une pièce en l'air pour savoir qui va incarner Alceste. Dans une maison au charme délabré, deux acteurs répètent Le ­Misanthrope. L'île de Ré est un théâtre. Il s'y passe des choses prodigieuses. Les phrases de Molière résonnent dans des salons vastes et humides. Lambert Wilson est venu déranger Luchini dans sa tanière. L'un est une vedette du petit écran, l'autre s'est retiré du métier. Le héros de feuilleton se balade en manteau blanc, signe des autographes, arbore une coiffure à la Liberace. Son ancien ami bougonne, a des problèmes d'intendance, les joues mal rasées. Il porte des écharpes et des gros pulls qui le font ressembler à Céline.

Les planches? Terminé. Basta. Finito. Pourtant, il se laisse tenter par la proposition. Il hésite, ondoie, revient sur sa décision. Oui. Peut-être. On verra. La partie n'est pas gagnée. Ne pas oublier que ce monsieur balance dans la cheminée les scénarios qu'il reçoit. Mais Molière, hein, Molière? Il n'est pas interdit de rêver d'un retour triomphal. Il y a une saison pour tout. Peut-être que le milieu a changé, que la trahison n'y est plus la règle. Luchini espère une revanche. La célébrité de Wilson l'agace. On ne peut pas éternellement rentrer en soi-même.

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L'astuce de Philippe Le Guay consiste à avoir offert le troisième rôle au décor. On zigzague sur des chemins creux, tombe dans des étangs. On se balade sur de longues plages à marée basse. On dérange des agents immobiliers. Les gens chuchotent sur la place du marché. Une serveuse de café voudrait devenir actrice de X. La province n'est plus ce qu'elle était. Une Italienne cherche à vendre sa villa. Cette brune piquante retourne dans son pays. Au milieu des cartons, elle réveille des désirs assoupis. Ça n'était pas prévu. La vraie vie déboule parmi les textes classiques. D'authentiques sentiments se mêlent aux émotions en caractères d'imprimerie. Ah, ces lueurs inédites qui pétillent soudain dans les regards! Il va falloir gérer cela. Les deux comédiens se surveillent. Leurs ego se frottent comme deux silex. Cela produit des étincelles. Ces Narcisse se tirent le tapis sous les pieds, emploient des formules à double sens, multiplient les cachotteries. Cette profession n'a pas le monopole de la jalousie. La notoriété aiguise les envies. Cela ne va pas sans violence. Ronchonner en robe de chambre est un honnête passe-temps. Il y a de faux espoirs, des états d'âme, des promesses non tenues.

 

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Tristesse rieuse et agressive

Ce duel à fleurets mouchetés est servi par deux phénomènes. Wilson est souple, moelleux. Il résiste à un Luchini acariâtre, lunaire, aux blessures secrètes. On dirait deux sportifs de même niveau. Ils s'échauffent, font des balles. Soudain, c'est le smash. Les répliques claquent. Elles sonnent juste. Le Guay est à son affaire. Il aime la langue française, les plaisirs de l'imagination, les mots qui crépitent comme des feux d'artifice. Un tempérament pareil ne court pas les rues. Quelle joie, quelle chance, de vivre dans un pays où l'on s'étripe pour un adjectif, où prononcer «indicible» au lieu d'«effroyable» constitue un crime, pire: une faute de goût. On déclenche des guerres pour moins que ça. Celle-ci se mène entre deux quinquagénaires bouffis d'orgueil, pétris de malice, au bord de la crise de nerfs. Ils sont capables de piquer des colères terribles à cause d'une virgule ou d'un portable qui sonne. Belle leçon de civilisation.

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 Il règne là-dessus un climat doux-amer. Telles sont les mésaventures qui arrivent au mâle occidental en ce début de siècle vingt et unième. Tout cela sensible, intelligent, avec ce qu'il faut de cruauté. Comment peindre le théâtre? Le moyen de filmer le talent? Il suffit d'avoir la souplesse d'une chanson de Montand, de montrer des cœurs affolés, de rendre poétique un morceau des Charentes-Maritimes, d'écouter ­Molière, qui était un peu le Audiard de son époque.

Luchini, d'une tristesse rieuse et agressive, fonce à deux-roues sur la jetée en costume du XVIIIe. Dans le ciel, il y a de merveilleux nuages. Philippe Le Guay est l'éclaircie du cinéma français.

www.lefigaro.fr

 

 

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Vous est-il nécessaire de consommer pour exister? (II)

28 Janvier 2013, 01:42am

Publié par Fr Greg.

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La société contemporaine donne l'impression d'une société de l'instantané où l'on veut tout, tout de suite. Qu'en est-il vraiment ?

Danielle Rapoport : Les rapports au temps sont plus complexes que cela. L’immédiateté de la réponse à une demande sur Google par exemple. l’instant du « clic », l’accélération généralisée, dessinent une partie seulement du temps contemporain. La « slow attitude » qui concerne de plus en plus de secteurs de la consommation, le besoin pour les gens de faire une pause, ces moments pris à ne rien faire de « consommatoire » - flâner, jouer avec ses enfants… - cela ouvre à d’autres temps. Mais les « net kids » ont eu beaucoup de cadeaux numériques pour Noël, car leur propre temps n’est plus le même que le nôtre, ni celui de la nostalgie. Nous sommes dans un temps pluriel, adapté à nos envies de vivre plusieurs vies et le plus longtemps possible !

En quoi la volonté de reconnaissance d'un droit à l'enfant, via la procréation médicalement assistée (PMA) en débat aujourd'hui, s'inscrit-elle dans cette logique ?

Diane Drory : Il y a actuellement des discussions sur l'adoption par les homosexuels en Belgique, après le vote de la loi de l'adoption par les homosexuels. On veut maintenant revenir à l'accouchement sous X pour que les homosexuels masculins puissent avoir un enfant sans que celui-ci ne puisse jamais remonter à ses origines. Il y a dans ce droit à l'enfant cette marque de toute puissance, où on oublie  qu'un enfant est un don de la vie, et non pas un droit, ou une exigence de voir le désir de l’adulte comblé. Le droit à l'enfant donne lieu à des raisonnements qui oublient l'intérêt de l'enfant, en autres d’avoir droit à connaître ses origines.

Danielle Rapoport : Concernant la PMA, les progrès de la génétique et de la médecine vont de plus en plus loin et offrent la possibilité d’avoir son enfant de façon volontaire. Que ce soit en termes de moment, d’âge de la mère, ou pour demain de détermination du sexe et des caractéristiques physiques et intellectuelles de l’enfant, la procréation de hasard devient plus rare. Est-ce plus ou moins responsable ? Est-ce du seul désir des parents dont il est question, et ce faisant de toute leur histoire et lignée dont l’enfant sera redevable ? Cette logique du droit pose en effet de graves questions sur le réel désir d’enfant, à savoir un nouvel être différent des projections personnelles des parents, et parfois frustrant vis-à-vis des attentes.

Faudrait-il réintroduire de la frustration dans notre société ? Comment ?

Diane Drory : Qu’il faille le faire à travers l'éducation est évident. L’acceptation de la frustration s'acquiert durant l'enfance, l'adolescence, notamment à travers les limites et la transmission de valeurs humaines. Cette dernière est tout à fait essentielle. Il existe une pression sociale, et même professionnelle qui fait que l'on ne supporte plus la frustration, et impose qu'on n'attende plus. Où cela va-t-il s'arrêter ? Il est nécessaire de réintroduire la notion du temps, qui est très importante. Nous sommes tellement pris dans l'immédiateté qu'elle nous empêche de penser. L'acceptation du manque aide à penser, et nous permet de chercher une autre solution, d'ouvrir d'autres pistes. Pendant les guerres se créent de grandes inventions, car l'humain est en manque. Le désir développe la créativité et le manque oblige à se débrouiller et à trouver des solutions alternatives.

Danielle Rapoport: Il ne faut pas le faire n’importe comment. Deux choses importantes à prendre en compte. Le fait d’abord que cette fracture sociale et économique est difficilement admissible, elle expose des inégalités et des injustices peu propices au devenir de l’humain. Les plus pauvres ne devraient pas être en frustration de survie, ni les plus riches en frustration de désir et en « manque de manque ». La nécessité ensuite de réfléchir et de concrétiser les notions de « limites », du fait des impératifs « écolo-durables qui obligent à des frustrations collectivement plus acceptables.

Comment ? Rêvons un peu… Débouter l’argent idolâtre, aider les plus démunis par de vraies actions, non pas d’assistance mais de place possible pour chacun de travailler, de manger correctement, d’être en relation. Apprendre ce qu’est l’argent et sa vraie valeur, ce fluide vital qui ne s’use pas si l’on s’en sert de manière dépassionnée. Ouvrir à la possibilité de prôner des valeurs « d’être », pour pallier le déficit de futur des sociétés et des hommes. Oser la création, l’imagination, aimer la frustration quand elle veut dire désir, courage et volonté d’être et de devenir.

Propos recueillis par Ann-Laure Bourgeois

www.atlantico.fr


Diane Drory est psychologue et psychanalyste. Elle est l'auteur de Au secours !  Je manque de manque ! paru aux éditions De Boeck en 2011.

Danielle Rapoport est psychosociologue, spécialisée dans la consommation. Elle est fondatrice et directrice de Danielle Rapoport conseil, un cabinet d’études et de conseil stratégique.

 

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Vous est-il nécessaire de consommer pour exister?

27 Janvier 2013, 01:32am

Publié par Fr Greg.

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La société de consommation nous a-t-elle rendus intolérants à la frustration, à l'attente et à l'effort ?

Diane Drory : La frustration se manifeste lorsque l'on n'a pas immédiatement ce qui répond à notre désir. Ce dernier reste en attente d'être comblé. La frustration est très importante pour l'humanisation, car en son absence, nous serions en permanence dans la pure pulsion : "je veux, j'ai". La civilisation consiste justement à apprendre à gérer sa pulsion, et à la socialiser, selon les normes de la civilisation dans laquelle on grandit.

La société de consommation nous a rendus plus intolérants à la frustration. Puisqu’elle a pour objectif de faire tourner l'économie, elle cherche à combler tous nos désirs. La société de consommation nous permet d'acquérir les choses de manière rapide, sans faire trop d'effort. On oublie que parfois, il est difficile d'obtenir quelque chose.

La technologie contribue également à ce que nos désirs soient comblés dans l'immédiateté, qui est banalisée. D'un clic, je peux acheter la robe que j'ai vue. Je n'ai plus à prendre le bus ou la voiture pour aller au magasin. D'un clic, je peux aussi contacter quelqu'un à l'autre bout du monde. Il n'y a plus besoin d'aller chez les brocanteurs, qui sont maintenant en ligne. La technologie, avec tous les bienfaits qu'elle apporte montre que l'immédiateté impose plus que jamais que l'éducation doit former l'humain à l'effort et l'attente, qui ne va pas de soi.

Danielle Rapoport : Dans les années 1960, consommer avait un sens à la fois collectif et identitaire : faire marcher les usines, équiper sa maison, s’habiller, après des longues années de véritables manques, étaient synonymes d’un bonheur retrouvé. Aujourd’hui, la société d’"hyperconsommation" répond à des désirs au-delà des besoins vitaux. Sur-sollicités par des produits et un marketing de plus en plus sophistiqué, les consommateurs sont devenus des « ayants droits au plaisir » et à la satisfaction immédiate de leurs envies.

Les changements temporels dus au numérique, les offres de paiement à crédit, souvent pour les plus fragiles et endettés, l’offre qui adapte ses prix au moins disant, ont permis de ne pas vouloir attendre. Mais depuis 20 ans, nous avons appris les arbitrages et le renoncement à certains plaisirs pour d’autres plus investis. Et depuis 2008, certains ont su transformer le risque d’une grande frustration due à la baisse réelle du pouvoir d’achat, en une consommation parallèle, symboliquement plus satisfaisante – marché de l’occasion, troc, gratuité -.  « Faire au mieux comme on peut » est une devise plus raisonnée que le « tout tout de suite » des années 80.

La frustration, l'attente et l'effort ont-ils une utilité ?

Diane Drory : L'intérêt de la frustration est de pouvoir accepter la vie telle qu'elle se présente, de construire l'être au lieu de se focaliser sur l'avoir. Or, c'est en étant un être solide qu'on peut traverser la vie avec plus d'acceptation, et plus d'ouverture à l'autre. Tant qu'on est dans la toute puissance et l'insupportable de la frustration, on est complètement braqué sur soi.

D'où cet individualisme qui fait éclater notre société, on oublie la solidarité. Lorsque l'on est dans l'être, et qu'on accepte la frustration, on est plus facilement dans la solidarité, le respect de l'autre, et l'acceptation de la vie, et ce qu'elle apporte. Il y a l'acceptation des écueils de la vie, et de nos faiblesses.

Danielle Rapoport : Ces trois termes impliquent la capacité que nous avons à réfléchir, peser le pour et le contre, être responsables, avoir une pensée critique. Cette distance entre un désir et sa satisfaction, souvent "déceptive" d’ailleurs via les seuls objets de consommation, permet de quitter le registre de la pulsion pour aller vers plus de créativité, de lien, et au final de nous faire grandir. Savoir choisir, donc savoir faire la différence entre notre désir, ce que nous voulons vraiment, et notre besoin - par exemple de « faire pareil » que les modèles qu’on nous impose, que ses amis etc. - implique aussi de renoncer et de le supporter. Mais c’est grâce à cela que nous devenons des entités uniques et singulières, capables de différence et donc d’accepter celle de l’autre.


Gérer la frustration est-il la marque d'entrée dans le monde adulte ? Peut-on dire, par exemple, que nous sommes de grands enfants ?

Diane Drory : Bien que tous les adultes ne soient heureusement pas concernés, c'est effectivement une marque de grand enfant de ne pas supporter la frustration. On est encore dans un rêve de toute puissance. Notre société n'aide pas à faire le deuil de notre toute-puissance, nous sommes habitués à penser, agir, et avoir comme nous l’entendons c’est pourquoi on a l'impression que les choses nous sont dues. Or, ce n'est pas le cas. Il n'est pas étonnant qu'il y ait énormément de dépressions, de suicides, car les gens sont d'un coup confrontés à la frustration alors qu'ils  n'y sont pas du tout préparés.

Danielle Rapoport : C’est être adulte que de ne pas réclamer à corps et à cris ce que nous ne pouvons-nous permettre d’avoir, et ce qui n’est pas notre vrai désir. Nous devrions savoir poser des limites. Ce qui n’implique pas de renoncer à notre part d’enfance, sa spontanéité, son émerveillement. Ne pas confondre l’enfance et l’infantile.

La société "d’hyperconsommation" nous infantilise souvent, quand parfois nous « craquons » pour tel objet, juste pour emplir un vide et des angoisses, pour exister. Aujourd’hui, s’adonner à des comportements infantiles réfère entre autres à cette peur de grandir, parfois légitime, qu’ont les jeunes,  au refus de prendre ses responsabilités, et plus largement au fantasme d’une société de « dû », maternante… Le retour au principe de réalité n’en est que plus frustrant !

 

Propos recueillis par Ann-Laure Bourgeois

www.atlantico.fr

 

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