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QUE CHERCHEZ-VOUS ?

Sens et décence du travail...

16 Mars 2013, 02:24am

Publié par Fr Greg.

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Laissons un début célèbre débuter notre propos. N’y a-t-il pas, en effet, introduction plus appropriée que l’incipit de La Peste d’Albert Camus[1] où le narrateur, encore anonyme, présente ainsi la petite société d’Oran, un narrateur [2] qui insiste à chaque page sur la vie en communauté menée avec ses « concitoyens »?

« Une manière commode de faire la connaissance d’une ville est de chercher comment on y travaille, comment on y aime et comment on y meurt. Dans notre petite ville - est-ce l’effet du climat - tout cela se fait ensemble, du même air frénétique et absent. C’est-à-dire qu’on s’y ennuie et qu’on s’y applique à prendre des habitudes. Nos concitoyens travaillent beaucoup, mais toujours pour s’enrichir. Ils s’intéressent surtout au commerce et ils s’occupent d’abord, selon leur expression, de faire des affaires. Naturellement, ils ont du goût aussi pour les joies simples, ils aiment les femmes, le cinéma et les bains de mer. Mais, très raisonnablement, ils réservent les plaisirs pour le samedi soir et le dimanche, essayant, les autres jours de la semaine, de gagner beaucoup d’argent. »

Dans sa déclamation actuelle au théâtre des Mathurins à Paris, Francis Huster qui fait vivre cette « chronique imaginaire » sur les planches prononce les expressions « pour s’enrichir », « gagner beaucoup d’argent » et « faire des affaires » de manière spécifique et appuyée, avec agacement. Joignant le geste à la parole, l’acteur dessine de la main son dégoût, dans l’air, donnant un relief péjoratif aux préoccupations vénales et peu élevées de la population d’Oran livrée à l’habitude et à l’ennui. Les leitmotive de l’œuvre sont lancés, travail, amour, mort. Et quelques chapitres plus loin, l’un des personnages du roman, Joseph Grand, explique au Docteur Rieux pourquoi sa femme est partie sans crier gare :

« Le reste de l’histoire … était très simple. Il en est ainsi pour tout le monde : on se marie, on aime encore un peu, on travaille. On travaille tant qu’on en oublie d’aimer ».

Qu’est-ce qu’un travail humain ?

Notre romancier est également philosophe et c’est en philosophe que le romancier lance les bases de sa fiction humaniste nommant en premier l’une des dimensions fondamentales de l’homme, son travail, mais pour la mettre tout de suite en concurrence avec une deuxième dimension fondamentale, l’amour. Quand l’auteur du Mythe de Sisyphe stigmatise les habitants d’Oran travaillant, aimant, mourant, « faisant tout cela ensemble du même air frénétique et absent », il leur reproche de ne pas trouver, de ne pas donner de sens à leur travail, à leur amour, à leur mort ; il reproche aux concitoyens de Rieux de vivre en anesthésiés, de vivre dans l’absurde sans but qui puisse éclairer le chemin. Tel Sisyphe poussant son rocher, les citoyens d’Oran traînent leur travail dans une répétition égoïste sans sens, condamnés à une réduplication réductrice car sans finalité, se condamnant à une routine d’autant plus mortifère qu’elle est méthodique et raisonnable. Particulièrement révélateurs, les adjectifs « frénétique » et « absent » qualifiant « l’air » des membres de cette société. Synonymes de « fou », de et de « sans conscience », ils révèlent ni plus ni moins l’absence d’humanité de vies d’automates, vidées de toute liberté, de vies dégradées.

La question est brûlante. Les habitants d’Oran tels que Camus les dépeint nous ressemblent plus que jamais. Le roman, quoique écrit en 1947, n’est finalement pas si daté et continue à interroger les convulsions de notre société postmoderne en crise. Qu’est-ce qui donne sens au travail ? Comment faire pour qu’un travail soit véritablement humain ? C’est notre question avec celle de la décence qu’il implique pour être véritablement travail digne de l’homme, travail rendant l’homme digne de lui-même.

Le travail, un bien pour l’homme

Travailler est le propre de l’homme, occupe le temps de l’homme. C’est dans sa nature de travailler. Les diverses activités qui remplissent sa vie disent un statut de son corps, puisqu’avec ce corps il domine alors la matière qu’il ennoblit en transformant le monde. L’homme travaille de ses mains, utilise pour cela sa force vitale, se sert de son esprit. Il développe des talents, exerce son génie pour produire et faire. Il aboutit à une œuvre, dans laquelle il se reconnaît, de laquelle il se nourrit. C’est cette œuvre qui le réjouit, qui le satisfait, œuvre fruit de son travail, œuvre également qui justifie le salaire. Dimension individuelle bien sûr du travail. Mais dimension collective également : l’homme en travaillant accroît le bien commun d’une société et par là peut la rendre plus libre.

On m’objectera que travailler n’est pas souvent perçu comme cela, avec son angle de peine et d’effort rude. Le mot « travail » n’a-t-il pas à voir avec un instrument de torture d’esclave, ce tripaliumantique composé de trois pieux ? Le récit judéo-chrétien de la chute originelle n’a-t-il pas d’ailleurs gauchi notre vision du travail quand l’interprétation insiste autant sur le châtiment d’Adam transmis à toute l’humanité, sur ce « tu travailleras à la sueur de ton front[3] » retenu comme une seule obligation pénible, et comme séparation de Dieu ? (« Tu travailleras à la sueur de ton front », mot à mot « tu mangeras ton pain à la sueur de ton front » où l’on voit qu’on doit travailler en vue de son pain quotidien, de sa subsistance, ce qui fera dire à saint Paul : « que celui qui ne travaille pas qu’il ne mange pas non plus !…) Sans aucun doute l’assimilation du monde, son appropriation après la chute est difficile. Mais chacun en a fait l’expérience, quand l’homme travaille en voyant le sens de ce qu’il fait, même au prix de fatigues physiques, cela l’épanouit. Preuve donc que le travail n’est pas que peine. Quand il n’est pas simple instrument mais partie prenante d’une œuvre à faire, l’homme aime travailler, c’est un bien pour lui ; encore faut-il qu’il soit un bien utile, un bien digne. C’est un gage de son développement, de la croissance de sa personne, de son élévation spirituelle. En travaillant l’homme devient ce qu’il est et grandit en humanité. Tout homme a le droit de vivre cela.

Ne pas travailler, un mal

À l’inverse, ne pas travailler est un mal, plus qu’un préjudice, une profonde souffrance, une injustice. La plaie du chômage ne nous le rappelle que trop en inversant les choses : travailler n’est plus obligation ; avec les subventions, l’on mange sans travailler ; on enlève au travailleur la possibilité de se réaliser en tant qu’homme. Plaie également d’une certaine mécanisation, des machines supplantant parfois l’homme ou le rendant esclave.

Éloquent à ce titre, le film récent Ma part du gâteau (Cédric Klapisch, 2011). Il s’ouvre sur la tentative de suicide d’une salariée de Dunkerque. Cette mère de famille divorcée, élevant seule ses trois enfants, voit soudain sa vie basculer quand les licenciements la touchent elle aussi après avoir travaillé vingt ans pour la même entreprise. C’était toute sa vie. « Elle était possédée par son histoire » dirait Florence Aubenas[4]. Le sentiment de gâchis et d’injustice atteint son paroxysme. D’où son désespoir. Et c’est bien compréhensible. La nature du travail n’est pas seulement liée à l’objet exécuté, mais aussi à celui qui l’exécute, c’est-à-dire à une personne libre. Se séparer de travailleurs comme de vulgaires choses - « on n’est rien » dit l’héroïne dans le film – est strictement contre nature, indécent. Les chômeurs, des laissés-pour-compte, voilà ce que produit notre société au lieu d’en faire des partenaires, d’en mesurer le profit potentiel, d’utiliser leur capacité de travail. Nul doute que les économistes auraient là de bonnes pistes de réflexion.[5]

Importance de la dimension subjective du travail

Dans Laborem exercens, la troisième des quatorze encycliques écrites en vingt-sept ans de pontificat, Jean-Paul II, l’ex-mineur d’une Pologne broyée par un communisme dépersonnalisant, rappelle ce distinguo traditionnel que l’Église a toujours fait et ne cesse d’affirmer à temps et à contretemps dans notre âge de fer, rappelle que l’homme ne saurait être traité comme un instrument de production, en « force anonyme », ne saurait être « traité de la même façon que l’ensemble des moyens matériels de production », et non selon la vraie dignité de son travail :

« Les sources de la dignité du travail doivent être cherchées surtout, non pas dans sa dimension objective mais dans sa dimension subjective… Le premier fondement de la valeur du travail est l’homme lui-même, son sujet. Ici vient tout de suite une conclusion très importante de nature éthique : bien qu’il soit vrai que l’homme est destiné et est appelé au travail, le travail est avant tout « pour l’homme » et non l’homme « pour le travail ». … Le but du travail, de tout travail exécuté par l’homme – fût-ce le plus humble service, le travail le plus monotone selon l’échelle commune d’évaluation, voire le plus marginalisant – reste toujours l’homme lui-même. » (n.6)

Le pape slave connaissait la dure réalité du travail en Union soviétique et dans ses pays satellites. Tous ceux qui ont connu les camps de travail dans des systèmes totalitaires savent à quel point le travail forcé peut nier l’homme, lui extorquant sa liberté et sa dignité. J’ai en tête l’épisode que rapporte Soljenitsyne dans Une journée d’Ivan Denissovitch, l’épisode des énormes numéros usés par la pluie et le vent qu’on était obligé de repeindre à la peinture blanche sur les dos des zek : le travailleur, un numéro. Quand on nous donne en modèle actuellement les pays asiatiques qui, euxsavent travailler – combien de fois n’entend-on pas cela – je me demande si l’on n’est pas prêt à retomber dans les pires travers qu’une Histoire proche pourtant a stigmatisés, croyant que les sorties de crise passent par leurs façons de tout sacrifier au travail.

Travail et repos : une alternance de décence

Mais l’homme est l’homme. Et ce qui est un bien pour l’homme occidental l’est également pour l’homme oriental, pour tout homme : aspiration à la liberté, à une compatibilité de la vie personnelle avec la vie professionnelle, compatibilité de la vie professionnelle avec la vie familiale. Jouissance d’un repos le dimanche bon pour tous, bien loin d’être « une stupidité économique »[6]. Dans les lignes liminaires du roman de Camus le lecteur note que même les habitants d’Oran ne font pas de commerce le samedi soir et le dimanche ; ils les réservent aux plaisirs, à des « joies simples ».

« Jour des liens », comme l’ont appelé certains. Jour où, comme le dit notre ami Joseph Thouvenel de la CFTC, « l’on met entre parenthèses la consommation et la production pour autre chose ». Jour où l’on « fait société » comme le dit le Docteur en droit Daniel Perron, jour pour Dieu surtout où les catholiques célèbrent l’Eucharistie qui forme l’Église.

Notre Constitution garantit en son article premier une République « sociale ». N’est-il donc pas incohérent le Gouvernement qui touche au jour censé créer le lien social qui se délite un peu plus chaque jour ? Le dimanche est jour d’un travail « invisible », du travail bénévole[7], gratuit. Jour d’une « véritable valeur ajoutée de la cohésion sociale ». Le moteur, on le voit, n’est plus alors l’argent mais le don. C’est ainsi que le sens du travail se révèle paradoxalement lorsqu’on ne travaille pas, quand l’homme prend ce repos, quand l’homme prend conscience de ce qu’il a fait, de ce pour quoi il est fait. Il est alors décent de donner ce jour à tous.

DÉCENT, mot que l’Organisation International du Travail met à l’honneur dans ses codes. Décence selon le dictionnaire historique d’Alain Rey (Bordas) vient de « decens et est employé au sens moral de « convenable » « séant » ». Venant « du participe présent de decere, décent est surtout employé en construction impersonnelle. Decet, il convient. » « Mot spécialisé sur le plan de l’acceptabilité selon les normes sociales et signifie correct, acceptable. » Actuellement, travailler le dimanche et les jours fériés, travailler la nuit n’est toujours pas du travail décent. Jusques à quand ? Une dérégulation puissante est en marche.

Au niveau chrétien, le travail sanctifie le temps

Revenons encore à ce portail de La Peste. Les habitants d’Oran ne travaillent « que pour s’enrichir ». N’y aurait-il pas un autre but plus humain au travail ? Ce que nous révèlent les Écritures nous invite, en effet, à penser plus haut encore. Surtout nous, qui ne sommes plus les hommes d’après la chute mais les hommes de la Nouvelle Alliance, les hommes d’après la Croix, la grande œuvre de Dieu. Le travail, malgré son statut très rude depuis le jardin d’Eden, est une grâce donnée à l’homme pour sanctifier le temps. C’est même par le travail que l’homme va sanctifier le temps. L’amour ne se mesure pas, on n’aime pas trente-cinq heures par semaine ; quand on aime quelqu’un, on l’aime tout le temps même quand on n’y pense pas et même après sa mort. Le temps mesure le travail : on travaille deux heures et en sanctifiant son travail, on sanctifie le temps. Dans cette lumière on se rend encore mieux compte à quel point le travail doit être humain car la grâce ne peut s’enraciner que dans ce qui est humain. Alors plus le lieu de la grâce atteindra sa finalité naturelle, plus la grâce s’épanouira pleinement. N’est-ce pas normal d’offrir à Dieu, de rendre sacré, ce que l’homme a de meilleur ? Peut-on rendre sacré un travail inhumain ? C’est donc impératif pour un chrétien de faire un travail humain et d’offrir aux autres un travail qui respecte toute leur personne. Accomplir un travail humain, c’est se rendre justice à soi-même ; offrir un travail humain quand on est patron, c’est rendre justice aux autres ; et n’est-ce pas justice que d’offrir à Dieu un travail digne de ce nom ?

Dieu laisse à l’homme rien moins que de coopérer à sa création qui n’est pas achevée. Il lui laisse ainsi de se sanctifier par son travail, lui laisse un jour particulier sans travail, de repos, pour qu’il pense aux fins de son corps mortel promis à autre chose qu’à la putréfaction. Le jour sans travail, le repos hebdomadaire, une fois par semaine, donné le dimanche, a un visage, il ne ressemble pas aux autres jours. Il porte une valeur prophétique, celle que ce corps qui a travaillé, aimé et qui va mourir, pour reprendre la trilogie camusienne de tout à l’heure, est appelé à la vie qui dure toujours, à la vie éternelle, à être corps glorieux. Le dimanche ? Un jour vital pour ne pas s’aliéner aux choses matérielles donnant sens au travail des six autres jours. Un jour pour tous, pas un luxe pour un petit nombre. Est grandement responsable l’employeur qui fait main basse sur un tel jour et qui pour un profit « maximal » accapare ce qui ne lui appartient pas, oublie un principe énorme, la destination universelle des biens, droit commun de tous à utiliser les biens de la création.

Dans trois jours, ce 7 octobre, se déroulera la Journée Mondiale du Travail Décent (JMTD). Pourquoi ne pas participer à cet événement chacun à sa manière en se posant cette question simple : pour qui est-ce que je travaille ? Pour moi ? pour ma famille ? pour la société à laquelle j’appartiens ? et dans quelle proportion ? À quel bien commun est-ce que je participe ? Relisons aussi, pourquoi pas, Laborem exercens, première encyclique sociale de Jean-Paul II, pape qui a travaillé à son travail de pape avec une ardeur peu commune. Bel anniversaire en effet que ce jour de 1981 où cette encyclique a été écrite pour le monde entier[8], il y a tout juste trente ans. Non l’argent vulgaire ne peut être la clé du travail de l’homme avec comme seul moteur la cupidité pourrissant le cœur d’hommes qui « s’appliquent » à ne posséder que pour posséder. Ce « faire des affaires » que critique Camus via son narrateur concernant les habitants d’Oran.

Travailler, aimer, mourir. Travailler et pouvoir aimer encore. Travailler pour ne pas mourir comme une bête. Travailler, aimer, mourir. Non plus avec un air frénétique et absent. Travailler avec ardeur et avec conscience. Mettre au cœur de nos économies « capitalistes rigides »[9] un peu moins de cupidité, un peu plus de don et de gratuité. Pour que Sisyphe, levant les yeux sur des « choses nouvelles »[10], sorte de son destin tragique et maîtrise, enfin libre, son rocher.

 Hélène Bodenez

www.libertepolitique.com


[1] Roman écrit en 1947 et qui valut par la suite à Camus le Prix Nobel.

[2] L’anonymat est levé à la fin du roman : il s’agit du Docteur Rieux.

[3] Gn. 3,19.

[4] Florence Aubenas, Le quai de Ouistreham, p. 24, Éditions de l’Olivier, Points, 2011, P2679.

[5] Robert Lutz et Giles Decock, Réflexions sur le travail, « Pour un nouveau protocole anti-chômage », Éditions Grégoriennes, Le Guetteur, 2011.

[6] Echange rapide sur Radio Notre-Dame le vendredi 30 septembre 2011 entre Jean-Pierre Denis (La Vie) et Jean-Luc Mouton (Réforme).

[7] S’organise une conférence le 17 octobre 2011 au Comité économique et social européen à Bruxelles en l’année européenne du bénévolat : L’apport du « travail invisible » à la création de richesse – valeur ajoutée de la cohésion sociale.

[8] L’attentat du 13 mai en a retardé la publication qui eut lieu le 14 septembre, jour de la Croix glorieuse. Tout un symbole quand on lit la fin de l’encyclique : « Dans le travail de l’homme, le chrétien retrouve une petite part de la croix du Christ et l’accepte dans l’esprit de rédemption avec lequel le Christ a accepté sa croix pour nous. Dans le travail, grâce à la lumière dont nous pénètre la résurrection du Christ, nous trouvons toujours une lueur de la vie nouvelle, du bien nouveau, nous trouvons comme une annonce des « cieux nouveaux et de la terre nouvelle » auxquels participent l'homme et le monde précisément par la peine au travail. Par la peine, et jamais sans elle. D'une part, cela confirme que la croix est indispensable dans la spiritualité du travail ; mais, d'autre part, un bien nouveau se révèle dans cette croix qu’est la peine, un bien nouveau qui débute par le travail lui-même, par le travail entendu dans toute sa profondeur et tous ses aspects, et jamais sans lui. » (n.27)

[9] Jean-Paul II, Laborem exercens,

[10] Rerum Novarum, titre de l’encyclique de Léon XIII que tous les papes après lui n’ont cessé de reprendre et d’en approfondir le sens.

 

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Notre vocation : vivre de la sagesse de la Croix

15 Mars 2013, 03:31am

Publié par Fr Greg.

 

 

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Le sommet, c’est la Croix du Christ : on ne peut pas aller plus loin. Tout le mystère de l’Incarnation est pour cela, pour que la nature humaine présente dans le Christ soit l’Agneau. A partir de la Croix du Christ, notre humanité est agneau, et c’est cela notre vocation. Il n’y a que dans l’Evangile de Jean que l’Esprit Saint, par Jean-Baptiste, a dit : « Voici l’Agneau de Dieu » (Jn 1, 29 et 36).

 

L’Esprit Saint le dit donc pour chacun d’entre vous et vous devez le redire tous les matins : « Voici l’Agneau de Dieu ». Cela nous aide prodigieusement à accepter toutes les difficultés, toutes les incompréhensions – car il y en a forcément, il ne peut pas en être autrement. Jésus a été parmi les hommes, l’incompris par excellence : il était trop grand… et il était trop petit. Les hommes aiment in medio stat virtus – la vertu est au milieu de deux extrêmes -, et là on est à l’aise ! C’est ce que Descartes a compris et c’est ce que, à sa suite, nous comprenons : « pas trop à droite, pas trop à gauche, au milieu stat virtus ».

 

Oui, la vertu s’installe là, au milieu, entre les deux extrêmes. Et notre vie chrétienne, c’est les deux extrêmes ; notre vocation chrétienne, c’est la vocation de l’Agneau, et l’Agneau, c’est l’offrande de tout nous-mêmes pour devenir la nourriture de nos frères. Jésus est l’Agneau, la nourriture des frères ; il est le véritable Agneau pascal pour nourrir ses frères, pour les rassembler, pour leur apprendre à s’aimer. Ils s’aiment dans le Christ et par lui.

 

fr Marie-Dominique Philippe.

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l'évangile qui prend le bus...

14 Mars 2013, 11:14am

Publié par Fr Greg.

 

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François, alors Cardinal à Buenos Aires, prenait le bus... 

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Du bout du monde...!!

13 Mars 2013, 22:26pm

Publié par Fr Greg.

 

 

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nous ne sommes faits que de ceux que nous aimons et de rien d'autre...

13 Mars 2013, 03:39am

Publié par Fr Greg.

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La durée amoureuse n'est pas une durée. Le temps passé dans l'amour n'est pas du temps, mais de la lumière, un roseau de lumière, un duvet de silence, une neige de chair douce.


Vous écrivez l'histoire de l'amour pur, l'histoire du deuil de l'amour pur. Il n'y a rien d'autre à écrire, n'est-ce pas. Il n'y a rien d'autre à chanter dans la vie que l'amour enfui dans la vie. Vous n'écrivez pas pour retenir. Vous écrivez comme on recueille le parfum d'une fleur vers sa mort, sans pouvoir la guérir, sans savoir enlever cette tache brune sur un pétale, comme une trace de morsure minuscule - des dents de lait, mortelles.


Dans le chant, la voix se quitte : c'est toujours une absence que l'on chante. Le temps de chanter est la claire confusion de ces deux saisons dans la vie : l'excès et le défaut. Le comble et la perte.

 

On pense qu'on a très peu de temps dans la vie, qu'un an dure comme un sourire, que dix ans passent comme une ombre et que, dans si peu de temps, il ne reste qu'une seule chance, qu'une seule grâce : devancer notre mort dans la légèreté d'un sourire, dans l'errance d'une parole.

 

Il a cinquante ans. C'est l'âge où un homme entreprend l'inventaire de ses biens. C'est quoi réussir sa vie. Ce qu'on gagne dans le monde, on le perd dans sa vie.

 

Il n'y a pas d'apprentissage de la vie. Il n'y a pas plus d'apprentissage de la vie que d'expérience de la mort.

La vérité est sur des tréteaux dans un cercueil encore ouvert. La vérité a le visage d'un mort. C'est un visage retourné comme un gant. Un visage sans dedans ni dehors. Un mort c'est comme une personne. Un mort c'est comme tout le monde. Tout va vers ce visage, comme vers sa perfection. La peur, l'attente, la colère, l'espérance de l'amour et les soucis d'argent, tout va vers ce visage comme vers un dernier mot. Le mort se tait pour dire en une seule fois. Le mort dit vrai en ne disant plus et si, sur lui, l'on jette tant de silence, c'est pour ne rien entendre.

Christian Bobin.

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Nous ne possédons que ce qui nous échappe et se nourrit de notre amour

12 Mars 2013, 03:38am

Publié par Fr Greg.

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Il faut d'abord dire "je". C'est difficile, c'est comme se perdre dans la forêt, loin des chemins, c'est comme sortir de maladie, de la maladie des vies impersonnelles, des vies tuées. Ensuite, il faut dire "vous". La souffrance peut aider - la souffrance d'un bonheur, la jalousie, le froid, la candeur d'une saison sur la vitre du sang. Tout peut aider en un sens à dire "vous", tout ce qui manque et qui est là, sous les yeux, dans l'absence abondante.


L'émerveillement n'est pas l'oubli de la mort, mais la capacité de la contempler comme tout le reste, comme l'amer et le sombre : dans la brûlure d'une première fois, dans la fraîcheur d'une connaissance sans précédent.

 

La fin de l'enfance est sans histoire. C'est une mort inaperçue de celui qu'elle atteint. C'est la plus grande énigme dans la vie, comme l'épuisement d'une étoile dont l'éclat ne cesse plus de ravir toutes vos heures, jusqu'à la dernière.

 

Il n'y a ni futur ni passé dans la vie. Il n'y a que du présent, qu'une hémorragie éternelle de présent.


Nous n'avons guère plus de prise sur notre vie que sur une poignée d'eau claire. Nous ne possédons que ce qui nous échappe et se nourrit de notre amour : un arbre dans le songe, un visage dans le silence, une lumière dans le ciel. Le reste n'est rien. Le reste c'est tout ce qu'on jette dans les jours de colère, dans les heures de rangement. Il y a ceux qui jettent. Il y a ceux qui gardent. Il y a ceux qui régulièrement mettent leur maison à sac, ou le réduit d'une mémoire, le recoin d'un amour. Ils mettent de l'ordre. Ils mettent le vide, croyant mettre de l'ordre. Ils jettent. C'est une manière de funérailles, une façon d'apprivoiser l'absence - comme de ratisser le gravier d'un chemin par où mourir viendra. Et il y a ceux qui gardent. Ils entassent dans un tiroir, dans une parole, dans un amour. Ils ne perdent rien. Ils disent : on ne sait jamais. Même s'ils savent, ils ne savent jamais. Même s'ils savent que jamais ils ne reviendront aux lettres anciennes, aux boîtes rouillées, aux vieux médicaments et aux vieilles amours. Tant pis, ils gardent.

Christian Bobin

 

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quand on aime, on découvre avec ravissement la certitude de n'être rien

11 Mars 2013, 03:34am

Publié par Fr Greg.

 

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Il faut donner à l'autre ce qu'il attend pour lui, non ce que vous souhaitez pour vous. Ce qu'il espère, non ce que vous êtes. Car ce qu'il espère, ce n'est jamais ce que vous êtes, c'est toujours autre chose. J'ai donc appris très tôt à donner ce que je n'avais pas.


Qu'est ce que c'est un adulte ? C'est quelqu'un qui est absent de sa parole comme de sa vie - et qui le cache. C'est quelqu'un qui ment. Il ment non sur telle ou telle chose, mais sur ce qu'il est. Un enfant devient adulte quand il est capable d'un tel mensonge profond, essentiel.

 

Oui, on est un peu comme ça quand on est amoureux. On vide ses poches, on perd son nom. On découvre avec ravissement la certitude de n'être rien.


Ma vie ne vient à moi qu'en mon absence. Dans la clarté d'une pensée indifférente à mes pensées. Dans la pureté d'un regard indifférent à mes désirs. Ma vie fleurit loin de moi, à l'école buissonière. Je m'en sépare en allant dans le monde. Je la rejoins en contemplant le ciel. Le ciel matériel, peint en bleu et en or... Les lumières qui y traînent sont des lettres d'amour. Un amour sans appartenance. Sans avidité. Un amour qui ne vous demande rien - sinon d'être là. Qui vous donne l'éternel, en passant.

Pourquoi faudrait-il un sens à nos jours ? Pour les sauver ? Mais ils n'ont pas besoin de l'être. Il n'y a pas de perte dans nos vies, puisque nos vies sont perdues d'avance, puisqu'elles passent un peu plus, chaque seconde.

Sans doute l 'avez-vous remarqué : notre attente - d'un amour, d'un printemps, d'un repos - est toujours comblée par surprise. Comme si ce que nous espérions était toujours inespéré. Comme si la vraie formule d'attendre était celle-ci : ne rien prévoir, sinon l'imprévisible. Ne rien attendre, sinon l'inattendu.

Reste l'amour qui nous enlève de tout, sans nous sauver de rien. La solitude est en nous comme une lame, profondément enfoncée dans les chairs. On ne pourrait nous l'enlever sans nous tuer aussitôt. L'amour ne révoque pas la solitude. Il la parfait. Il lui ouvre tout l'espace pour brûler. L'amour n'est rien de plus que cette brûlure, comme au blanc d'une flamme. Une éclaircie dans le sang. Une lumièredans le souffle. Rien de plus. Et pourtant il me semble que tout une vie serait légère, penchée sur ce rien. Légère, limpide : l'amour n'assombrit pas ce qu'il aime. Il ne l'assombrit pas parce qu'il ne cherche pas à le prendre. Il le touche sans le prendre. Il le laisse aller et venir. Il le regarde s'éloigner, d'un pas si fin qu'on ne l'entend pas mourir : éloge du peu, louange du faible. L'amour s'en vient, l'amour s'en va. Toujours à son heure, jamais à la vôtre.

 

Christian Bobin : La part manquante ( Ed. Gallimard - 1989 )

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La femme, la vivante...

10 Mars 2013, 01:15am

Publié par Fr Greg.

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Les hommes sont des petits garçons obéissants.

Ils vivent comme on leur a appris à vivre.

Quand le temps est venu de quitter leur mère, ils disent:

d’accord mais il me faut une femme,

j’ai droit à une certaine quantité de femme rien qu’à moi,

il me faut une femme dans mon lit, à ma table,

une mère pour mes enfants et pour moi qui resterai inguérissable de mon enfance.

Et parce qu’il leur semble que le meilleur moyen de tenir une femme, c’est encore de l’épouser, alors ils épousent et prennent le mariage comme un fléau de plus, une corvée inévitable comme celle du travail salarié ou des courses à faire le samedi.

Quand ils ont leur femme, ils n’y pensent plus.

Ils jouent avec un ordinateur, réparent une étagère, passent la tondeuse dans le fond du jardin.

C’est leur manière de se reposer d’une vie vécue comme une intempérie.

C’est leur manière de partir sans partir. Avec le mariage quelque chose finit pour les hommes.

 

Pour les femmes, c’est l’inverse : quelque chose commence.

Dès l’adolescence les femmes vont droit à leur solitude.

Elles y vont si droit qu’elles l’épousent. La solitude peut-être un abandon et elle peut être une force.

Dans le mariage les femmes découvrent les deux. Le mariage est une histoire très souvent voulue par les femmes et par elles seules, rêvée en profondeur par elles seules, portée par elles seules, ce qui fait que parfois elles se lassent et désertent : quitte à être seules, autant l’être pleinement.

Lorsqu’on entre dans un lien, quel qu’il soit, on en connaît tout à l’avance.

Il suffit de voir une personne passer une porte, de regarder la manière qu’elle à de voyager avec son âme pour tout deviner d’elle, passé, présent, avenir.

Ce que les présences donneront plus tard, elles le donnent immédiatement.

Alors qui épouse-t-on lorsqu’on épouse ?

Qu’y a –t-il dans le cœur d’une mariée ?

Des siècles de théologie ou de psychanalyse m’éclairent là-dessus beaucoup moins qu’une chanson d’Edith Piaf.

C’est une chanson de quatre sous et ces quatre sous valent de l’or.

C’est une chanson qui dit l’évidence – une femme amoureuse oublie tout même ce qu’elle sait de l’amour:

Non, rien de rien, non, je ne regrette rien, ni le bien qu’on m’a fait, ni le mal, tout çà m’est bien égal, non, rien de rien, je ne regrette rien, car ma vie, car mes joies, aujourd’hui, çà commence avec toi.

Christian Bobin. La plus que vive.

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Les mains, vues par un génie...

9 Mars 2013, 03:53am

Publié par Fr Greg.

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L'artiste est celui à qui il revient à partir de nombreuses choses, d'en faire une seule, et à partir de la moindre partie d'une seule chose, de se faire un monde. Il y a dans l'œuvre de Rodin, des mains, de petites mains autonomes qui sans faire partie d'aucun corps sont vivantes.

 

Des mains qui se dressent irritées et méchantes, des mains dont les cinq doigts hérissés paraissent aboyer comme cinq gueules d'un chien des enfers. Des mains qui marchent, des mains qui s'éveillent, des mains criminelles, des mains à l'hérédité chargée, et d'autres qui sont fatiguées, qui ne veulent plus rien, qui se sont couchées dans un coin comme des bêtes malades qui savent que personne ne peut les secourir. Mais les mains sont déjà un organisme complexe un delta ou conflue quantité de vie venue de loin, pour se déverser dans le grand fleuve de l'action. Il y a une histoire des mains, elles ont effectivement leur civilisation à elles leur beauté particulière; on leur reconnaît le droit d'avoir une évolution propre et leurs propres désirs, leurs sentiments, leurs lubies et leurs préférences. Or Rodin sachant par l'éducation qu'il s'est donné que le corps n'est tout entier composé que des théâtres où se joue la vie-une vie capable à chaque endroit de devenir individuelle et  grandiose -a le pouvoir de conférer à n'importe quelle portion de cette vaste surface vibrante , l'autonomie et la plénitude d'un tout. De même que pour lui le corps humain n'est un tout  que pour autant une action commune (interne ou externe) mobilise tous ces membres et toutes ces énergies, de même pour lui les différentes parties de corps différents s'ordonnent aussi inversement en un seul organisme, lorsqu'elles sont jointes ensemble par nécessité intrinsèque.

 

Un main qui se pose sur l'épaule ou la cuisse d'autrui ne fait déjà plus tout à fait partie du corps dont elle est venue; avec l'objet qu'elle effleure ou empoigne, elle forme une nouvelle chose, une chose de plus qui n'a pas de nom et n'appartient à personne; et c'est de cette chose, avec ses frontières bien déterminées, qu'il s'agit dorénavant. Cette découverte est le fondement du groupement des personnages chez Rodin; c'est d'elle que résulte la façon inouïe dont les figures sont liées les unes aux autres, la cohésion des formes, et leur manière de ne pas se lâcher, à aucun prix. Il ne part pas des figures qui s’enlacent, il n'a pas de modèles qu'il dispose et arrange. Il commence aux endroits où le contact est le plus fort, qui sont autant de sommets de l'œuvre; il attaque à l'endroit où naît quelque chose de nouveau, et tout le savoir de son instrument, il le consacre aux mystérieuses manifestations qui accompagnent le devenir d'une chose nouvelle. Il travaille quasiment à la lueur des éclairs qui jaillissent en ces points, et, de tout le corps il ne voit que les parties qui en sont éclairées (…)


On a le sentiment que des surfaces en contact, des ondes partent là dans les corps tout entiers, des frissons de beauté, de pressentiment et d'énergie (…)

 

                                                                                  Rainer Maria Rilke  « Auguste Rodin »

 

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Nous avons reconnu et nous avons cru que l'amour de Dieu est parmi nous (II)

8 Mars 2013, 01:17am

Publié par Fr Greg.

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L’existence chrétienne consiste en une ascension continue du mont de la rencontre avec Dieu pour ensuite redescendre, en portant l’amour et la force qui en dérivent, de manière à servir nos frères et sœurs avec le même amour que Dieu. Dans l’Ecriture Sainte nous voyons que le zèle des Apôtres pour l’annonce de l’Évangile que suscite la foi est étroitement lié à l’attention charitable du service envers les pauvres (cf. Ac 6, 1-4). Dans l’Église, contemplation et action, symbolisées d’une certaine manière par les figures évangéliques des sœurs Marie et Marthe, doivent coexister et s’intégrer (cf. Lc 10, 38-42). La priorité va toujours au rapport avec Dieu et le vrai partage évangélique doit s’enraciner dans la foi (cf. Catéchèse lors de l’Audience générale du 25 avril 2012). Parfois, on tend en effet à circonscrire le terme de « charité » à la solidarité ou à la simple aide humanitaire. Il est important, en revanche, de rappeler que la plus grande œuvre de charité est justement l’évangélisation, c’est-à-dire le « service de la Parole ». Il n’y a pas d’action plus bénéfique, et donc charitable, envers le prochain que rompre le pain de la Parole de Dieu, le faire participer de la Bonne Nouvelle de l’Évangile, l’introduire dans la relation avec Dieu: l’évangélisation est la promotion la plus élevée et la plus complète de la personne humaine. Comme l’écrit le Serviteur de Dieu le Pape Paul VI dans l’Encyclique Populorum progressio, le premier et principal facteur de développement est l’annonce du Christ (cf. n. 16). C’est la vérité originelle de l’amour de Dieu pour nous, vécue et annoncée, qui ouvre notre existence à accueillir cet amour et rend possible le développement intégral de l’humanité et de tout homme (cf. Enc. Caritas in veritate, n. 8).

En somme, tout part de l’Amour et tend à l’Amour. L’amour gratuit de Dieu nous est communiqué à travers l’annonce de l’Évangile. Si nous l’accueillons avec foi, nous recevons ce premier et indispensable contact avec le divin en mesure de nous faire « aimer l’Amour », pour ensuite demeurer et croître dans cet Amour et le communiquer avec joie aux autres.

A propos du rapport entre foi et œuvres de charité, une expression de la Lettre de saint Paul aux Ephésiens résume peut-être leur corrélation de la meilleure des manières : « C’est bien par la grâce que vous êtes sauvés, à cause de votre foi. Cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. Cela ne vient pas de vos œuvres, il n’y a pas à en tirer orgueil. C’est Dieu qui nous a faits, il nous a créés en Jésus-Christ, pour que nos œuvres soient vraiment bonnes, conformes à la voie que Dieu a tracée pour nous et que nous devons suivre » (2, 8-10). On perçoit ici que toute l’initiative salvifique vient de Dieu, de sa Grâce, de son pardon accueilli dans la foi; mais cette initiative, loin de limiter notre liberté et notre responsabilité, les rend plutôt authentiques et les orientent vers les œuvres de charité. Celles-ci ne sont pas principalement le fruit de l’effort humain, dont tirer gloire, mais naissent de la foi elle-même, elles jaillissent de la Grâce que Dieu offre en abondance. Une foi sans œuvres est comme un arbre sans fruits: ces deux vertus s’impliquent réciproquement. Le Carême nous invite précisément, avec les indications traditionnelles pour la vie chrétienne, à alimenter la foi à travers une écoute plus attentive et prolongée de la Parole de Dieu et la participation aux Sacrements, et, dans le même temps, à croître dans la charité, dans l’amour de Dieu et envers le prochain, également à travers les indications concrètes du jeûne, de la pénitence et de l’aumône.

4. Priorité de la foi, primat de la charité

Comme tout don de Dieu, foi et charité reconduisent à l’action de l’unique et même Esprit Saint (cf. 1 Co 13), cet Esprit qui s’écrie en nous « Abbà ! Père » (Gal 4, 6), et qui nous fait dire: « Jésus est Seigneur » (1 Co 12, 3) et « Maranatha ! » (1 Co 16, 22; Ap 22, 20).

La foi, don et réponse, nous fait connaître la vérité du Christ comme Amour incarné et crucifié, adhésion pleine et parfaite à la volonté du Père et miséricorde divine infinie envers le prochain; la foi enracine dans le cœur et dans l’esprit la ferme conviction que précisément cet Amour est l’unique réalité victorieuse sur le mal et sur la mort. La foi nous invite à regarder vers l’avenir avec la vertu de l'espérance, dans l’attente confiante que la victoire de l’amour du Christ atteigne sa plénitude. De son côté, la charité nous fait entrer dans l’amour de Dieu manifesté dans le Christ, nous fait adhérer de manière personnelle et existentielle au don total de soi et sans réserve de Jésus au Père et à nos frères. En insufflant en nous la charité, l’Esprit Saint nous fait participer au don propre de Jésus: filial envers Dieu et fraternel envers chaque homme (cf. Rm 5, 5).

La relation qui existe entre ces deux vertus est semblable à celle entre les deux sacrements fondamentaux de l'Église : le Baptême et l’Eucharistie. Le Baptême (sacramentum fidei) précède l'Eucharistie (sacramentum caritatis), mais il est orienté vers celle-ci, qui constitue la plénitude du cheminement chrétien. De manière analogue, la foi précède la charité, mais se révèle authentique seulement si elle est couronnée par celle-ci. Tout part de l’humble accueil de la foi (« se savoir aimé de Dieu »), mais doit arriver à la vérité de la charité (« savoir aimer Dieu et son prochain »), qui demeure pour toujours, comme accomplissement de toutes les vertus (cf. 1 Co 13, 13).

Chers frères et sœurs, en ce temps de Carême, où nous nous préparons à célébrer l’événement de la Croix et de la Résurrection, dans lequel l'Amour de Dieu a racheté le monde et illuminé l’histoire, je vous souhaite à tous de vivre ce temps précieux en ravivant votre foi en Jésus Christ, pour entrer dans son parcours d’amour envers le Père et envers chaque frère et sœur que nous rencontrons dans notre vie. A cette fin j’élève ma prière à Dieu, tandis que j’invoque sur chacun et sur chaque communauté la Bénédiction du Seigneur!

Du Vatican, le 15 octobre 2012

Benoit XVI.

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Nous avons reconnu et nous avons cru que l'amour de Dieu est parmi nous

7 Mars 2013, 01:15am

Publié par Fr Greg.

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Chers frères et sœurs,

La célébration du Carême, dans le contexte de l'Année de la foi, nous offre une occasion précieuse pour méditer sur le rapport entre foi et charité: entre le fait de croire en Dieu, dans le Dieu de Jésus Christ, et l'amour qui est le fruit de l'action de l'Esprit Saint et qui nous guide sur un chemin de consécration à Dieu et aux autres.

1. La foi comme réponse à l'amour de Dieu.

Dans ma première encyclique, j’ai déjà offert certains éléments pour saisir le lien étroit entre ces deux vertus théologales, la foi et la charité. En partant de l'affirmation fondamentale de l'apôtre Jean: « Nous avons reconnu et nous avons cru que l'amour de Dieu est parmi nous » (1 Jn 4, 16), je rappelais qu'« à l’origine du fait d’être chrétien, il n’y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un événement, avec une Personne, qui donne à la vie un nouvel horizon et par là son orientation décisive... Comme Dieu nous a aimés le premier (cf. 1 Jn 4, 10), l’amour n’est plus seulement « un commandement », mais il est la réponse au don de l'amour par lequel Dieu vient à notre rencontre » (Deus caritas est, n. 1). La foi constitue l'adhésion personnelle – qui inclut toutes nos facultés – à la révélation de l'amour gratuit et « passionné » que Dieu a pour nous et qui se manifeste pleinement en Jésus Christ ; la rencontre avec Dieu Amour qui interpelle non seulement le cœur, mais également l'esprit: « La reconnaissance du Dieu vivant est une route vers l’amour, et le oui de notre volonté à la sienne unit intelligence, volonté et sentiment dans l’acte totalisant de l’amour. Ce processus demeure cependant constamment en mouvement: l’amour n’est jamais "achevé" ni complet » (ibid., n. 17). De là découle pour tous les chrétiens, et en particulier, pour les « personnes engagées dans les services de charité », la nécessité de la foi, de la « rencontre avec Dieu dans le Christ, qui suscite en eux l’amour et qui ouvre leur esprit à l’autre, en sorte que leur amour du prochain ne soit plus imposé pour ainsi dire de l’extérieur, mais qu’il soit une conséquence découlant de leur foi qui devient agissante dans l’amour » (ibid. n. 31a). Le chrétien est une personne conquise par l'amour du Christ et donc, mû par cette amour – « caritas Christi urget nos » (2 Co 5, 14) –, il est ouvert de façon concrète et profonde à l'amour pour le prochain (cf. ibid., n. 33). Cette attitude naît avant tout de la conscience d'être aimés, pardonnés, et même servis par le Seigneur, qui se penche pour laver les pieds des Apôtres et s'offre lui-même sur la croix pour attirer l'humanité dans l'amour de Dieu.

« La foi nous montre le Dieu qui a donné son Fils pour nous et suscite ainsi en nous la certitude victorieuse qu’est bien vraie l’affirmation: Dieu est Amour... La foi, qui prend conscience de l’amour de Dieu qui s’est révélé dans le cœur transpercé de Jésus sur la croix, suscite à son tour l’amour. Il est la lumière – en réalité l’unique – qui illumine sans cesse à nouveau un monde dans l’obscurité et qui nous donne le courage de vivre et d’agir » (ibid., n. 39). Tout cela nous fait comprendre que l'attitude principale qui distingue les chrétiens est précisément « l’amour fondé sur la foi et modelé par elle » (ibid., n. 7).

2. La charité comme vie dans la foi

Toute la vie chrétienne est une réponse à l’amour de Dieu. La première réponse est précisément la foi comme accueil, plein d’émerveillement et de gratitude, d’une initiative divine inouïe qui nous précède et nous interpelle. Et le « oui » de la foi marque le début d’une histoire lumineuse d’amitié avec le Seigneur, qui remplit et donne son sens plénier à toute notre existence. Mais Dieu ne se contente pas que nous accueillions son amour gratuit. Il ne se limite pas à nous aimer, mais il veut nous attirer à lui, nous transformer de manière profonde au point que nous puissions dire avec saint Paul: ce n’est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi (cf. Ga 2, 20).

Quand nous laissons place à l’amour de Dieu, nous devenons semblables à lui, nous participons de sa charité même. Nous ouvrir à son amour signifie le laisser vivre en nous, et nous conduire à aimer avec lui, en lui et comme lui; ce n’est qu’alors que notre foi devient vraiment opérante par la charité (cf. Ga 5, 6) et qu’il prend demeure en nous (cf. 1 Jn 4, 12).

La foi, c’est connaître la vérité et y adhérer (cf. 1 Tm 2, 4); la charité, c’est « cheminer » dans la vérité (cf. Ep 4, 15). Avec la foi, on entre dans l’amitié avec le Seigneur; avec la charité, on vit et on cultive cette amitié (cf. Jn 15, 14s). La foi nous fait accueillir le commandement du Seigneur et Maître; la charité nous donne la béatitude de le mettre en pratique (cf. Jn 13, 13-17). Dans la foi, nous sommes engendrés comme fils de Dieu (cf. Jn 1, 12s); la charité nous fait persévérer concrètement dans la filiation divine en apportant le fruit de l’Esprit Saint (cf. Ga 5, 22). La foi nous fait reconnaître les dons que le Dieu bon et généreux nous confie; la charité les fait fructifier (cf. Mt 25, 14-30).

3. Le lien indissoluble entre foi et charité

A la lumière de ce qui a été dit, il apparaît clairement que nous ne pouvons jamais séparer, voire opposer, foi et charité. Ces deux vertus théologales sont intimement liées et il est erroné de voir entre celles-ci une opposition ou une « dialectique ». En effet, d’un côté, l’attitude de celui qui place d’une manière aussi forte l’accent sur la priorité et le caractère décisif de la foi au point d’en sous-évaluer et de presque en mépriser les œuvres concrètes de la charité et de la réduire à un acte humanitaire générique, est limitante. Mais, de l’autre, il est tout aussi limitant de soutenir une suprématie exagérée de la charité et de son activité, en pensant que les œuvres remplacent la foi. Pour une vie spirituelle saine, il est nécessaire de fuir aussi bien le fidéisme que l’activisme moraliste.

Benoit XVI

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Discours impertinent sur la recherche de la vérité

6 Mars 2013, 01:13am

Publié par Fr Greg.

 

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Comme il est des choses trop graves pour en parler sérieusement, nous choisirons d’en parler ici par mode de plaisanterie, espérant qu’ainsi nous pourrons aller au bout de pensées qui, prises en l’espace du sérieux, ne pourraient que tourner court. C’est pourquoi nous n’hésiterons pas à prendre le ton et l’allure d’un célèbre Discours qui fut en quelque sorte à l’origine des temps modernes.

    La mort est la chose du monde la mieux partagée, car il est sans exemple qu’un homme ait pu y échapper. Mais il n’en est pas des humains comme des bêtes ; car la mort pour eux n’est pas simplement la fin brutale de la vie, elle est ce qui peut hanter la vie même et la transformer en horreur et terreur.

  C’est-à-dire que la question précédant toute question, et toute ambition même de la pensée, est cette menace qui pèse sur l’homme de le détruire en son humanité. Le meurtre paraît régner sur l’histoire ; et, là encore, pas celui du tigre ou du lion qui ont faim, mais celui de l’être humain acharné à détruire en l’autre humain son humanité, à se faire meurtrier de la parole où se manifestait sa présence.

Se séparer de cette mort-là est l’œuvre première, qui instaure l’humanité, c’est-à-dire le primitif pouvoir être de ceux qui s’appellent humains ; hors de quoi aucune autre œuvre n’est possible, aucune demeure habitable, aucun chemin ouvert.

C’est à cette urgence par-delà toute urgence qu’ont répondu, ou cru répondre, les mythes et les sagesses, les religions et les philosophies. Au point où nous sommes venus, il y a doute sur la capacité de ces immenses constructions de l’esprit à assumer la tâche primordiale. Non qu’elles soient méprisables ; peut-être même portent-elles - du moins certaines d’entre elles - ce qu’il nous faut absolument préserver ou retrouver ; mais ce ne sera qu’à surmonter ce soupçon où nous sommes, quant à leur état présent.

D’où viennent doute ou soupçon ? D’un constat, déjà, du côté de ce qu’on nomme culture, celle des gens cultivés. Le XXe siècle, là-dessus, nous a enseigné cette vérité terrible : on peut être un scientifique remarquable, un excellent artiste et pactiser avec l’atroce, voire le servir. On peut enseigner la philosophie, être un homme pieux et ne pas voir l’ignominie et s’en accommoder. A vrai dire, on pouvait s’en apercevoir depuis longtemps ; mais le XXe siècle a donné à ce constat une force inédite. La capacité de faire taire la voix humaine, de réduire des êtres humains, non à l’état de bêtes, mais de choses sans nom, y a pris des proportions inouïes. Nous savons désormais que cette dérive monstrueuse est possible, comme nous savons que nos propres techniques peuvent passer sous le pouvoir de la destruction.


    C’est au point que la recherche même de la vérité se trouve compromise, puisque celle qui réussit si admirablement en mathématiques et en physique peut se trouver incompétente et impuissante devant les assauts de la Mort. Cela suggère qu’il faudrait remonter aux sources, oser rouvrir cet espace que le succès de nos sciences rend vain et dérisoire.

    
    C’est pourquoi l’on se tourne à nouveau vers les sagesses et les croyances que nous récusions tout à l’heure, en protestant qu’elles peuvent se délier de cette culture, celle d’Occident, qui ne nous garantit plus contre la chute. On se tourne vers l’archaïque et l’exotique, la tradition perdue ou la voie étrangère, comme vers ce qui donne à nouveau souffle et assurance.

Ce mouvement, toutefois, dépend encore de la situation présente. Devant, ou plutôt dans la formidable explosion du monde, de l’homme, de tout, qui est le fait et le fruit de la modernité, il fait figure d’un recours vers un ailleurs, qui nous dispense d’affronter ce que nous sommes réellement devenus. La violence de la critique, l’interrogation sans réserve, la mise à la question de toute certitude, le passage à l’universel d’une mondialisation qui brasse toutes les différences et relativise tout, la puissance technique qui délie des contraintes de la nécessité, la défaite des ordres anciens qui libère le désir et l’envie, voilà le monde que nous habitons et qui renvoie les chemins de foi ou de sagesse, sinon à l’insignifiance, du moins à des possibilités inscrites dans ce monde-là. Rien à faire : on ne remonte pas l’histoire et on ne sort pas de soi-même. Ce n’est même plus le doute qui vient là : c’est une absence irréparable à ce qui n’est plus de notre lieu ; on peut y trouver goût, refuge, secours et progrès spirituel. Mais si l’on accepte d’être conscient, c’est avec la conscience d’une sorte d’artifice, qui transforme ce qui était la vérité d’un monde en ce qui est une marge du nôtre.

Reste précisément à habiter ce monde-ci, dans l’oubli résolu des questions vaines puisque insolubles. C’est la fin de cet homme du questionnement et de la recherche, constructeur de systèmes et critique de ceux des autres, ambitieux sans mesure, croyant au sens de l’histoire et à l’avenir de l’humanité, raison et révolution réussies : bref, c’est la fin de l’homme moderne. En cet âge nouveau, qui n’a pas encore de nom (post-moderne est vague et équivoque), les êtres humains sont comme submergés dans un processus qui se confond pour eux avec le réel et qui seul leur donne consistance et existence. Il n’est point le fait du divin ou de la nature, mais des hommes eux-mêmes ; pourtant il semble avoir sa logique propre, qui défie toute prétention à la diriger, comme si l’alliance de l’économie et de la technique soutenue par la science offrait un monde de possibilités infinies, une explosion d’explosions, dont il suffirait aux humains de jouir, pour que toute question extérieure soit abolie et toute l’existence comblée, dans une limite définitivement acceptée.

    Par rapport à l’urgence évoquée au début, ce déferlement prodigieux de productions, images, paroles couvre un silence lui aussi prodigieux.

Maurice Bellet.

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Dieu est comme une mère...

5 Mars 2013, 01:13am

Publié par Fr Greg.

 

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Prenons un homme de quarante ans ayant encore sa mère qu’il respecte et vénère, et qu’il va exactement visiter chaque jour durant une demi-heure malgré des occupations absorbantes, parlant filialement avec elle de choses et d’autres, puis, régulièrement, la demi-heure passée, la quittant jusqu’au lendemain. On ne peut vraiment demander plus et, du point de vue des mères, il serait à souhaiter que tous les hommes agissent ainsi.

Cette image nous montre le début de la vie d’oraison, l’âme faisant chaque jour sa méditation, ce qui est nécessaire pour commencer, et suivant fidèlement sa petite méthode point par point. C’est déjà quelque chose, mais ce n’est qu’un commencement, bien que certaines âmes croient faire merveille par leurs beaux discours et raisonnements.

 

Supposons que l’âme soit fidèle et que Dieu la fasse avancer. Oh ! comme elle est rajeunie par ce seul fait ! Ce n’est plus l’homme de quarante ans donnant une demi-heure chaque jour à sa mère. C’est le fils de vingt ans, s’éloignant de sa mère, sans doute, pour se donner à ses occupations, mais lui restant tendrement uni. Pour un jeune homme bien né, les rapports avec une mère sont encore très intimes à vingt ans.

 

Voyons ensuite l’âme monter d’un nouveau degré : c’est alors le fils de quinze ans. À quinze ans on demeure encore chez sa mère. On possède encore toutes les chères et saintes illusions de l’enfant au sujet de ses parents, de la maison paternelle, qui est tout pour l’enfant.


Ainsi fait notre petite âme dans la maison de son Père céleste. Il lui a fait cette grâce, demandée par le psalmiste, « d’habiter la maison du Seigneur chaque jour de sa vie » (Ps 26, 4). Cette maison, c’est la maison de l’oraison. L’âme ne la quitte pas. Sans doute elle ne parle pas sans cesse de Dieu ou à Dieu, mais elle ne le quitte pas du regard, ne fait rien, pour ainsi dire, sans être mue par Dieu ; elle est enveloppée de Dieu, n’a plus d’autres idées que celles de Dieu. Quel immense progrès : ne plus pouvoir sortir de l’atmosphère de Dieu !

 

L’âme avance toujours. Elle arrive à dix ans, âge où l’enfant ne sait pas encore tenir de conversations comme les grandes personnes ; mais ses petits entretiens n’en plaisent que davantage à sa mère. Quel progrès quand l’âme commence à ne plus même pouvoir parler, comme au temps de sa toute petite enfance ! En cet état elle n’a plus d’autres vues que celles de Dieu, tout comme l’enfant qui ne voit que sa mère.

 

Avançons encore et voyons l’enfant à l’âge de quatre ans, âge si aimé des mères, car à cet âge la mère et l’enfant se suffisent pleinement. Le langage de l’enfant est un bégaiement, mais combien délicieux pour le cœur de la mère ! Elle-même se « rapetisse », si l’on peut dire, pour babiller, pour bégayer avec son enfant : ils n’ont pas besoin d’autre chose.


Quelle image frappante et sublime de ce qu’est Dieu avec ses saints ! Si quelque phonographe inconnu pouvait enregistrer et nous répéter l’oraison des saints, nous serions étonnés, éblouis par leur simplicité, leur enfantillage, leur bégaiement d’amour. Cette simplicité leur est nécessaire pour ne vouloir que Dieu, pour n’avoir besoin que de Dieu au milieu de tous leurs travaux, de leurs épreuves. Dieu leur suffit et – chose exquise – les saints suffisent pleinement à Dieu. Dieu n’a pas besoin d’autre chose. Il oublie tout pour ainsi dire, pour s’amuser à écouter le bégaiement de ses saints, pour s’y perdre avec délices. Qu’importe à la mère ce qui l’entoure quand elle parle avec son enfant ? Comparaison frappante. Dieu oublie tous les blasphèmes, toutes les iniquités qui mériteraient l’écrasement de la terre. On se demande parfois pourquoi Dieu ne châtie pas… Ah ! C’est que Dieu est avec ses saints, et près d’eux. Il oublie, il ne voit pas, il n’entend pas autre chose, et c’est ce bégaiement des saints qui nous obtient miséricorde.

 

 

Ce babil enfantin du tout-petit avec sa mère, est-ce le terme de la vie d’oraison ? Continuons la comparaison commencée. Il est un âge où l’enfant ne parle pas, ne marche pas, âge où, par conséquent, l’enfant vit de sa mère et repose continuellement dans ses bras, sur son cœur. Cet âge-là est l’image des grands saints. Abîmés en Dieu, ils ne peuvent plus parler : silence sacré bien au-dessus du bégaiement. Ils sont alors endormis sur le sein de Dieu, s’alimentant de sa substance, ne pouvant se nourrir d’autre aliment, comme les tout-petits qui ne peuvent vivre que de la substance de leur mère. De même, les saints ne peuvent quitter Dieu.

 

 

Est-ce là le dernier mot, le dernier progrès ? L’union la plus grande qui puisse connaître l’enfant avec sa mère est celle de l’époque sacrée où il ne fait qu’un avec elle. On ne le voit même pas : il vit en elle.

 

Ici, ce sont les très grands saints qu’on ne peut même plus voir, tant ils sont perdus, fondus en Dieu, n’ayant plus qu’une seule vie avec lui ; ils sont tellement invisibles qu’ils paraissent morts, et cependant ils vivent d’une vie intime, d’une vie mystérieuse avec Dieu. C’est de cette vie que saint Paul disait : « Nous sommes morts et notre vie est désormais cachée avec le Christ en Dieu » (Col 3,3). Nous sommes morts, on ne peut plus nous voir…

 

fr Thomas Dehau, OP

 

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Nos blessures, ouverture à l'Autre...

4 Mars 2013, 01:00am

Publié par Fr Greg.

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Il y a une folle illusion à se vouloir à l'abri de tout, illusion soigneusement entretenue par la société moderne. De qui, de quoi peut-on se garder? de la malice du monde, de la trahison et des peines amoureuses? de la charge des ans, de la mort ignominieuse? Qui se pense assez puissant ou assez riche pour écarter le malheur? Le monde contemporain, qui ne parle que de bien-être, de bonheur, de santé et de sécurité, se trouve accablé d'une terrible maladie, la maladie de l'infantilisme. 


Aussi n'invoque-t-il que ce mot magique qui trahit son effroi devant la fragilité et le trépas: "guérir". 


Grâce à la recherche scientifique, grâce à telle plante, telle gymnastique, tel régime alimentaire, en recourant au besoin à la méditation, à la récitation de mantras et autres recettes zen ou chamaniques, la créature humaine peut se protéger de tout, et surtout oublier qu'elle est mortelle. 


L'obsession de guérir anesthésie la conscience et étouffe le questionnement métaphysique. 

Or, il n'est que deux façon d'être indestructible: soit à la façon d'une machine imperturbable que l'on entretient en changeant les pièces, en veillant sur le mécanisme; soit en découvrant son essence immortelle. La seconde voie est celle qu'indiquent et que nourrissent la philosophie véritable, les spiritualités de diverses traditions ainsi que les mythes qui sont des éveilleurs de conscience et des passeurs de sagesse. 



Jacqueline Kelen - Divine blessure

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Être vulnérable, ou sans réserve... (II)

3 Mars 2013, 02:40am

Publié par Fr Greg.

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L'autre chose qu'ils avaient en commun était ceci. Ils adoptaient complètement la vulnérabilité. Ils pensaient que ce qui les rendait vulnérable les rendait également beaux. Ils ne prétendaient pas que la vulnérabilité était confortable, ni qu'elle était atroce --comme je l'avais entendu auparavant dans les entretiens sur la honte. Ils disaient juste qu'elle était nécessaire. Ils parlaient de la volonté de dire "Je t'aime" le premier, la volonté de faire quelque chose quand il n'y a aucune garantie de réussite, la volonté de ne pas retenir son souffle en attendant le coup de fil du médecin après une mammographie. Ils étaient prêts à s'investir dans une relation qui pourrait marcher, ou pas. Ils pensaient que c'était essentiel.

Pour ma part, je l'ai ressenti comme une trahison. Je ne pouvais pas croire que j'avais prêté serment d'allégeance à la recherche -- le principe même de la recherche est de contrôler et de prévoir, d'étudier un phénomène dans le but explicite de le contrôler et de le prévoir. Et là, ma mission de contrôler et de prévoir aboutissait au résultat que la meilleure façon de vivre est d'accepter sa vulnérabilité, et d'arrêter de contrôler et de prévoir. Ça (Rires) -- qui en fait ressemblait plutôt à ça. (Rires) Vraiment ! J'ai appelé ça une dépression, ma psychothérapeute appelle ça un éveil spirituel. Un éveil spirituel, ça sonne mieux qu'une dépression, mais je vous assure que c'était bien une dépression. Et j'ai dû ranger mes données et chercher un psychothérapeute. Laissez-moi vous dire quelque chose : vous découvrez vraiment qui vous êtes quand vous appelez vos amis pour leur dire :" Je crois que j'ai besoin de voir un psy. Tu aurais quelqu'un à me recommander ? " Parce que à peu près cinq de mes amis ont fait : " Wow. Je n'aimerais pas être ton psychothérapeute." (Rires) Et moi : " Comment ça ? " Et eux : " Moi ce que j'en dis, tu sais. N'apporte pas ta règle." Et moi : "Ok..."

J'ai donc trouvé une psychothérapeute. Mon premier rendez-vous avec elle, Diana -- j'ai apporté ma liste sur la façon dont les "sans réserve" vivent, et je me suis assise. Et elle m'a dit : " Comment allez-vous ?" Et j'ai dit :" Je suis en pleine forme. Ça va bien." Elle a dit : " Qu'est-ce qui se passe ? " C'était une psychothérapeute qui consultait elle-même des psychothérapeutes ; on devrait aller chez ce genre là de psychothérapeute, parce que leur détecteur de conneries est très au point. (Rires) Alors j'ai dit : " Voilà, j'ai un problème." Et elle a dit : " Quel est le problème ? " Et j'ai dit : " Et bien, j'ai un problème de vulnérabilité. Et je sais que la vulnérabilité est au cœur de la honte et de la peur et de notre problème d'estime de soi, mais il semble que ce soit aussi la source de la joie, de la créativité, du sentiment d'appartenance, de l'amour. Et je pense que j'ai un problème, et j'ai besoin d'aide." Et j'ai dit : " Mais voilà, pas d'histoires de famille, pas de ces conneries sur l'enfance. " J'ai seulement besoin d'une stratégie." Merci. Alors elle a fait comme ça.  Et moi j'ai dit : " C'est mauvais, n'est-ce pas ? " Et elle a dit : " Ce n'est ni mauvais ni bon. " "C'est juste ce que c'est. " Et je me suis dit : " Oh mon Dieu, on va se faire chier."

Et ça a été le cas, et en même temps non. Et ça m'a pris près d'un an. Vous savez comment certaines personnes, quand elles réalisent que la vulnérabilité et la tendresse sont importantes, lâchent prise et y vont à fond. Premièrement, ça n'est pas mon style, et deuxièmement, je ne fréquente même pas ce genre de personnes. (Rires) Pour moi, ça a été une lutte d'une année. Ça a été une tuerie. La vulnérabilité gagnait du terrain, je le regagnais à nouveau. J'ai perdu la bataille, mais j'y ai sans doute récupéré ma vie.

Et je suis donc retourné à mes recherches et j'ai passé les deux années suivantes à essayer de vraiment comprendre ce que eux, les sans réserve, faisaient comme choix, et ce que nous, nous faisons de la vulnérabilité. Pourquoi est-ce un tel problème ? Est-ce que je suis la seule pour qui c'est un problème ? Non. Voici donc ce que j'ai appris. Nous anesthésions la vulnérabilité -- quand nous attendons le coup de fil. C'est drôle, j'ai envoyé quelque chose sur Twitter et Facebook qui demandait : "Comment définiriez-vous la vulnérabilité ? Qu'est-ce qui vous rend vulnérable ? " Et en une heure et demie, j'avais 150 réponses. Parce que je voulais savoir ce qui se cache derrière tout ça. Devoir demander de l'aide à mon mari, parce que je suis malade, et on vient juste de se marier ;prendre l'initiative sur le plan sexuel avec mon mari ; prendre l'initiative avec ma femme ;être rejetée ; inviter quelqu'un à sortir ; attendre que le docteur rappelle ; être virée ; virer des gens -- voici le monde dans lequel nous vivons. Nous vivons dans un monde vulnérable. Et l'une des façons dont nous traitons ce problème, c'est d'anesthésier la vulnérabilité.

Et je pense qu'il y a des preuves de cela -- ça n'en est pas la seule raison, mais je pense que c'en est une grande -- nous sommes la plus endettée, obèse, accro aux drogues et aux médicaments, de toutes les assemblées d'adultes de l'histoire des États-Unis. Le problème -- et c'est ce que j'ai appris de mes recherches -- c'est qu'on ne peut pas anesthésier ses émotions de façon sélective. On ne peut pas dire : " Là, c'est ce qui est mauvais. Voilà la vulnérabilité, voilà le chagrin, voilà la honte, voilà la peur, voilà la déception, je ne veux pas ressentir ces émotions. Je vais plutôt prendre quelques bières et un muffin à la banane. (Rires) Je ne veux pas ressentir ces émotions. Et je sais que ça, c'est un rire entendu. Je gagne ma vie en infiltrant les vôtres. Seigneur. (Rires) Vous ne pouvez pas anesthésier ces sentiments pénibles sans anesthésier en même temps les affects, nos émotions. Vous ne pouvez pas anesthésier de façon sélective. Alors quand nous les anesthésions, nous anesthésions aussi la joie, nous anesthésions la gratitude, nous anesthésions le bonheur. Et nous nous retrouvons malheureux, et nous cherchons un but et un sens à nos vies, et nous nous sentons vulnérables, alors nous prenons quelques bières et un muffin à la banane. Et ça devient un cercle vicieux.

Une des choses auxquelles je pense que nous devrions réfléchir, est le pourquoi et le comment de cette anesthésie. Ça ne peut pas être que de l'accoutumance. L'autre chose que nous faisons est de rendre certain tout ce qui est incertain. La religion est passée d'une croyance en la foi et les mystères, à une certitude. J'ai raison, tu as tort. Ferme-la. Point final. C'est certain. Plus nous sommes effrayés, plus nous sommes vulnérables, et plus nous sommes effrayés encore. Voilà à quoi ressemble la politique de nos jours. Il n'y a plus de discours désormais. Il n'y a plus de débat. Il n'y a que la recherche d'un coupable à blâmer. Vous savez comment je décris cela dans mes recherches ? Une façon de se décharger de la douleur et de l'inconfort. Nous perfectionnons tout. Si il y a quelqu'un qui voudrait que sa vie soit parfaite, c'est bien moi, mais ça ne marche pas. Parce que ce que nous faisons, c'est de prendre la graisse de nos derrières et de la mettre dans nos joues. (Rires) Ce qui, je l'espère, dans une centaine d'années, fera dire aux gens qui nous étudierons : "Wow..."

Et le plus dangereux, c'est que nous perfectionnons nos enfants. Laissez-moi vous expliquer comment nous pensons de nos enfants. Ils sont conçus dès le départ pour avoir des problèmes. Et quand vous tenez ces petits êtres parfaits dans vos mains, votre devoir n'est pas de dire : "Regardez-le, il est parfait. Ma tâche est de le garder parfait --m'assurer qu'il intègre l'équipe de tennis dès le CM2, et l'Université de Yale avant la 5ème. " Ça n'est pas ça, notre devoir. Notre devoir, c'est de le regarder, et de lui dire : " Tu sais quoi ? Tu n'es pas parfait, et tu es conçu pour avoir des problèmes, mais tu mérites de recevoir de l'amour et d'être parmi nous. Ça, c'est notre devoir. Donnez-moi une génération de gosses élevés comme ça, et on réglera les problèmes que nous connaissons aujourd'hui, je pense. Nous aimons croire que nos actions n'ont pas de conséquences sur les autres. Nous faisons cela dans nos vies personnelles. Nous faisons cela dans les entreprises -- que ce soit lors d'un renflouement, une fuite de pétrole, une convocation -- nous nous comportons comme si nos actions n'avaient pas un énorme impact sur les autres. J'ai envie de dire aux entreprises : " Nous ne sommes pas nés de la dernière pluie, les gars. On a seulement besoin que vous soyez authentiques et vrais, et que vous nous disiez : ' Nous sommes désolés. On va régler ça.' "


Mais il y a une autre voie, et je vais finir là-dessus. Voici ce que j'ai découvert : c'est d'accepter de se montrer, de se montrer vraiment, de se montrer vulnérable ; d'aimer de tout notre cœur, même si il n'y a aucune certitude -- et ça, c'est vraiment dur, et je peux vous le dire en tant que parent, c'est atrocement difficile -- de s'exercer à la gratitude et à la joie dans ces moments de terreur, où nous nous demandons : " Suis-je capable de t'aimer à ce point ? Suis-je capable de croire en cela avec autant de passion ? Suis-je capable d'être aussi fervent ? " Juste pouvoir s'arrêter et, au lieu de s'imaginer les catastrophes qui risquent d'arriver, de dire : " Je suis simplement reconnaissant, parce que me sentir si vulnérable signifie que je suis vivant. " Et pour finir, ce qui je pense est le plus important, c'est de croire que nous sommes bien comme nous sommes. Parce je pense que quand on écoute la petite voix qui nous dit : " Je suis bien comme je suis ", alors nous arrêtons de hurler, et nous commençons à écouter, nous devenons plus gentils et plus doux avec notre entourage, et nous sommes plus gentils et plus doux avec nous-mêmes.

Brene Brown.

 

 

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Être vulnérable, ou sans réserve...

2 Mars 2013, 02:36am

Publié par Fr Greg.

 

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Et voilà où mon histoire commence. Quand j'étais une jeune chercheuse, une étudiante en doctorat, pendant ma première année j'ai eu un directeur de recherche qui nous a dit :" Voilà le topo : ce qu'on ne peut pas mesurer n'existe pas." Et j'ai pensé qu'il essayait de m'embobiner. Et j'ai fait : " Vraiment ?", et lui : "Absolument." Il faut que vous sachiez que j'ai une licence d'assistance sociale, un master d'assistance sociale, et que je préparais une thèse d'assistance sociale, alors j'avais passé toute ma carrière universitaire entourée de gens qui croyaient en quelque sorte que la vie c'est le désordre, et qu'il faut l'aimer ainsi. Alors que moi ça serait plutôt : la vie c'est le désordre, il faut la nettoyer, l'organiser, et bien la ranger dans des petites cases. (Rires) Alors quand je pense que j'ai trouvé ma voie, que j'ai engagé ma carrière sur un chemin qui m'amène -- vraiment, dans l'aide sociale, on dit beaucoup qu'il faut plonger dans l'inconfort du travail. Et moi je suis plutôt : évacuer l'inconfort une bonne fois pour toutes, le dégager et n'obtenir que des 20 sur 20. C'était ma devise. C'est pourquoi j'étais très enthousiasmée par cette idée. Et que je me suis dit, tu sais quoi, c'est la carrière qu'il te faut, parce que je m'intéresse à des sujets compliqués, mais je veux pouvoir les rendre moins compliqués. Je veux les comprendre. Je veux m'infiltrer dans ces questions, que je sais importantes et les décoder pour tout le monde.


J'ai donc commencé avec les relations humaines. Parce que, quand vous avez travaillé dans le social pendant 10 ans, vous réalisez que les relations humaines sont la raison de notre présence sur terre. C'est ce qui donne un but et du sens à nos vies. Tout tourne autour de cela. Peu importe que vous en discutiez avec des gens qui travaillent dans le secteur de la justice sociale, ou bien de la santé mentale, ou de la maltraitance, ou de la négligence parentale, ils vous diront tous que les relations, la capacité d'entrer en relation, c'est -- sur le plan neurobiologique, nous sommes conçus ainsi -- c'est la raison de notre présence sur terre. J'ai donc pensé: je vais commencer par les relations humaines. Vous connaissez cette situation où vous avez un entretien d'évaluation avec votre patron, et elle vous parle de 37 choses que vous faites incroyablement bien, et puis d'une chose -- " Une occasion de vous améliorer." (Rires) Et tout ce que vous retenez, c'est cette "occasion de vous améliorer", pas vrai ? Eh bien, à première vue, c'est également la direction que mon travail a prise, parce que, quand j'ai interrogé les gens sur l'amour, ils m'ont parlé de chagrin. Quand j'ai interrogé les gens sur le sentiment d'appartenance, ils m'ont raconté leurs plus atroces expériences où ils étaient exclus. Et quand j'ai interrogé les gens sur les relations humaines, les histoires qu'ils m'ont racontées parlaient d'isolement.

Aussi très rapidement -- en fait après seulement six semaines de recherches -- j'ai buté sur cette chose sans nom qui détruisait totalement les relations d'une façon que je ne comprenais pas, et que je n'avais jamais vu. J'ai donc pris un peu de recul sur ma recherche et je me suis dit, il faut que je comprenne ce dont il s'agit. Et j'ai découvert qu'il s'agissait de la honte. On peut vraiment comprendre la honte facilement si on la considère comme la peur de l'isolement. Il y a-t-il quelque chose chez moi qui ferait que, si d'autres le savaient ou le voyaient, je ne mériterais pas d'être en relation avec eux ? Il y a une chose que je peux vous en dire : c'est universel ; on a tous ça. Les seules personnes qui n'éprouvent pas la honte sont celles qui sont incapables d'empathie ou de relations humaines. Personne ne veut en parler, et moins on en parle, plus on la ressent. Ce qui est à la base de cette honte, ce "Je ne suis pas assez bien ", -- qui est un sentiment que nous connaissons tous : " Je ne suis pas assez neutre. Je ne suis pas assez mince, pas assez riche, pas assez beau, pas assez malin, pas assez reconnu dans mon travail." Ce qui est à la base de tout ça, c'est une atroce vulnérabilité, cette idée que, pour pouvoir entrer en relation avec les autres, nous devons nous montrer tels que nous sommes, vraiment tels que nous sommes.


Et vous savez ce que je pense de la vulnérabilité. Je hais la vulnérabilité. J'ai donc pensé, voilà l'occasion que j'attendais de la faire battre en retraite avec ma règle. Je vais m'y plonger, je vais démêler toute cette histoire, je vais y consacrer une année, je vais complètement déboulonner la honte, je vais comprendre comment fonctionne la vulnérabilité, et je vais être la plus forte. J'étais donc prête, et j'étais vraiment enthousiaste. Comme vous vous en doutez, ça ne s'est pas bien passé. (Rires) Vous vous en doutez. Alors, je pourrais vous en dire long sur la honte, mais il me faudrait prendre le temps de parole de tous les autres. Mais voilà ce que je peux vous dire, ce à quoi ça se résume -- et c'est peut-être la chose la plus importante que j'ai jamais apprise pendant les dix années passées sur cette recherche. Mon année s'est transformée en six années, des milliers de récits, des centaines de longs entretiens, de groupes de discussion. À un moment, les gens m'envoyaient des pages de journaux, ils m'envoyaient leurs histoires -- des milliers d'éléments d'information en six ans. Et j'ai commencé à comprendre.


J'ai commencé à comprendre : voilà ce qu'est la honte, voilà comment ça marche. J'ai écrit un livre, j'ai publié une théorie, mais quelque chose n'allait pas -- et ce que c'était, c'est que, si je prenais les gens que j'avais interviewés, et que je les divisais grossièrement en deux catégories: ceux qui croyaient vraiment en leur propre valeur --c'est à cela que ça se résume, croire en sa propre valeur -- ils ont un fort sentiment d'amour et d'appartenance -- et ceux qui ont du mal avec ça, ceux qui se demandent tout le temps si ils sont assez bien. Il n'y avait qu'une variable qui différenciait ceux qui ont un fort sentiment d'amour et d'appartenance de ceux qui ont vraiment du mal avec ça. Et c'était que ceux qui ont un fort sentiment d'amour et d'appartenance pensent qu'ils méritent l'amour et l'appartenance. C'est tout. Ils pensent qu'ils le méritent. Et pour moi la chose qui nous prive de relations humaines est notre peur de ne pas mériter ces relations, c'était quelque chose que, sur le plan personnel comme professionnel, j'ai eu l'impression que j'avais besoin de mieux comprendre. Alors ce que j'ai fait, c'est que j'ai pris tous les interviews dans lesquels je pouvais voir des gens qui croyaient mériter, qui vivaient ainsi, et je les ai simplement examinés attentivement.

 

Qu'ont en commun tous ces gens ? Je suis un peu accro aux fournitures de bureau, mais c'est une autre histoire. J'avais une chemise cartonnée, et j'avais un marqueur, et j'ai fait, comment vais-je intituler cette recherche ? Et les premiers mots qui me sont venus à l'esprit ont été "sans réserve". Ce sont des gens sans réserves, qui vivent avec ce sentiment profond de leur valeur. Alors je l'ai inscrit sur la couverture de la chemise, et j'ai commencé à examiner les données. En réalité, j'ai commencé par le faire pendant quatre jours par une analyse des données extrêmement intensive, où je suis revenue en arrière, j'ai ressorti ces interviews, ressorti les récits, ressorti les incidents. Quel est le thème ? Quel est le motif ? Mon mari a quitté la ville avec les enfants parce que je rentre à chaque fois dans ce délire à la Jackson Pollock, où je ne fais qu'écrire, et où je suis en mode chercheuse. Et voici ce que j'ai trouvé. Ce qu'ils avaient en commun, c'était un sens du courage. Là je veux prendre une minute pour vous expliquer la distinction entre le courage et la bravoure. Le courage, la définition originelle du courage, lorsque ce mot est apparu dans la langue anglaise -- il vient du latin "cor", qui signifie "cœur" -- et sa définition originelle était : raconter qui nous sommes de tout notre cœur. Ainsi, ces gens avaient, très simplement, le courage d'être imparfaits. Ils avaient la compassion nécessaire pour être gentils, tout d'abord avec eux-mêmes, puis avec les autres, car, à ce qu'il semble, nous ne pouvons faire preuve de compassion envers les autres si nous sommes incapables d'être gentils envers nous-même. Et pour finir, ils étaient en relation avec les autres, et -- c'était ça le noyau dur -- de par leur authenticité, ils étaient disposés à abandonner l'idée qu'ils se faisaient de ce qu'ils auraient dû être, de façon à être qui ils étaient, ce qui est un impératif absolu pour entrer en relation avec les autres.

 

Brene Brown.

 

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Grandir en réalisme pour perdre son hypersensibilité...

1 Mars 2013, 03:47am

Publié par Fr Greg.

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Vive flamme d'amour...

28 Février 2013, 01:05am

Publié par Fr Greg.

 

 

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Ô vive flamme d'amour ,

qui tendrement me blesses
au centre le plus profond de mon âme,
N'ayant plus de rigueur,
achève si tu veux,
brise la trame de ce rencontre heureux.

Ô cautère suave
ô délicieuse plaie,
ô douce main, ô touche délicate,
qui a goût d'éternité
et toute dette paie,
tuant, la mort en vie tu as changée.

Ô torches de lumière,
dans les splendeurs desquelles
les profondes cavernes du sens
qui était obscur, aveugle,
par d'étranges faveurs,
chaleur et clarté donnent à l'ami.

Que doux et amoureux
tu t'éveilles en mon sein
où toi seul en secret as ton séjour.
Ton souffle savoureux
plein de gloire et de bien,
que délicatement il m'énamoure !

St Jean de la Croix

 

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Pourquoi la souffrance des enfants?

27 Février 2013, 02:11am

Publié par Fr Greg.

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Rieux dit que non, mais que l'enfant résistait depuis plus longtemps qu'il n'était normal. Paneloux, qui semblait un peu affaissé contre le mur, dit alors sourdement :

- S'il doit mourir, il aura souffert plus longtemps.

Rieux se retourna brusquement vers lui et ouvrit la bouche pour parler, mais il se tut, fit un effort visible pour se dominer, et ramena son regard sur l'enfant.

La lumière s'enflait dans la salle. Sur les cinq autres lits, des formes remuaient et gémissaient, mais avec une discrétion qui semblait concertée. Le seul qui criât, à l'autre bout de la salle, poussait à intervalles réguliers de petites exclamations qui paraissaient traduire plus d'étonnement que de douleur. Il semblait que, même pour les malades, ce ne fût pas l'effroi du début. Il y avait même, maintenant, une sorte de consentement dans leur manière de prendre la maladie. Seul, l'enfant se débattait de toutes ses forces. Rieux qui, de temps en temps, lui prenait le pouls, sans nécessité d'ailleurs et plutôt pour sortir de l'immobilité impuissante où il était, sentait, en fermant les yeux, cette agitation se mêler au tumulte de son propre sang. Il se confondait alors avec l'enfant supplicié et tentait de le soutenir de toute sa force encore intacte. Mais une minute réunies, les pulsations de leurs deux cœurs se désaccordaient, l'enfant lui échappait, et son effort sombrait dans le vide. Il lâchait alors le mince poignet et retournait à sa place.

 

Le long des murs peints à la chaux, la lumière passait du rose au jaune. Derrière la vitre, une matinée de chaleur commençait à crépiter. C'est à peine si on entendit Grand partir en disant qu'il reviendrait. Tous attendaient. L'enfant, les yeux toujours fermés, semblait se calmer un peu. Les mains, devenues comme des griffes, labouraient doucement les flancs du lit. Elles remontèrent, grattèrent la couverture près des genoux, et, soudain, l'enfant plia ses jambes, ramena ses cuisses près du ventre et s'immobilisa. Il ouvrit alors les yeux pour la première fois et regarda Rieux qui se trouvait devant lui. Au creux de son visage maintenant figé dans une argile grise, la bouche s'ouvrit et presque aussitôt, il en sortit un seul cri continu, que la respiration nuançait à peine, et qui emplit soudain la salle d'une protestation monotone, discorde, et si peu humaine qu'elle semblait venir de tous les hommes à la fois. Rieux serrait les dents et Tarrou se détourna. Rambert s'approcha du lit près de Castel qui ferma le livre, resté ouvert sur ses genoux. Paneloux regarda cette bouche enfantine, souillée par la maladie, pleine de ce cri de tous les âges. Et il se laissa glisser à genoux et tout le monde trouva naturel de l'entendre dire d'une voix un peu étouffée, mais distincte derrière la plainte anonyme qui n'arrêtait pas : « Mon Dieu, sauvez cet enfant. »

 

Mais l'enfant continuait de crier et, tout autour de lui, les malades s'agitèrent. Celui dont les exclamations n'avaient pas cessé, à l'autre bout de la pièce, précipita le rythme de sa plainte jusqu'à en faire, lui aussi, un vrai cri, pendant que les autres gémissaient de plus en plus fort. Une marée de sanglots déferla dans la salle, couvrant la prière de Paneloux, et Rieux, accroché à sa barre de lit, ferma les yeux, ivre de fatigue et de dégoût.

Quand il les rouvrit, il trouva Tarrou près de lui.

- Il faut que je m'en aille, dit Rieux. Je ne peux plus les supporter.

Mais brusquement, les autres malades se turent. Le docteur reconnut alors que le cri de l'enfant avait faibli, qu'il faiblissait encore et qu'il venait de s'arrêter. Autour de lui, les plaintes reprenaient, mais sourdement, et comme un écho lointain de cette lutte qui venait de s'achever. Car elle s'était achevée. Castel était passé de l'autre côté du lit et dit que c'était fini. La bouche ouverte, mais muette, l'enfant reposait au creux des couvertures en désordre, rapetissé tout d'un coup, avec des restes de larmes sur son visage.

Paneloux s'approcha du lit et fit les gestes de la bénédiction. Puis il ramassa ses robes et sortit par l'allée centrale.

- Faudra-t-il tout recommencer ? demanda Tarrou à Castel.

Le vieux docteur secouait la tête.

- Peut-être, dit-il avec un sourire crispé. Après tout, il a longtemps résisté.

Mais Rieux quittait déjà la salle, d'un pas si précipité, et avec un tel air, que lorsqu'il dépassa Paneloux, celui-ci tendit le bras pour le retenir.

- Allons, docteur, lui dit-il.

Dans le même mouvement emporté, Rieux se retourna et lui jeta avec violence :

- Ah ! celui-là, au moins, était innocent, vous le savez bien !

Puis il se détourna et, franchissant les portes de la salle avant Paneloux, il gagna le fond de la cour d'école. Il s'assit sur un banc, entre les petits arbres poudreux, et essuya la sueur qui lui coulait déjà dans les yeux. Il avait envie de crier encore pour dénouer enfin le nœud violent qui lui broyait le cœur. La chaleur tombait lentement entre les branches des ficus. Le ciel bleu du matin se couvrait rapidement d'une taie blanchâtre qui rendait l'air plus étouffant. Rieux se laissa aller sur son banc. Il regardait les branches, le ciel, retrouvant lentement sa respiration, ravalant peu à peu sa fatigue.

- Pourquoi m'avoir parlé avec cette colère ? dit une voix derrière lui. Pour moi aussi, ce spectacle était insupportable.

Rieux se retourna vers Paneloux :

- C'est vrai, dit-il. Pardonnez-moi. Mais la fatigue est une folie. Et il y a des heures dans cette ville où je ne sens plus que ma révolte.

- Je comprends, murmura Paneloux. Cela est révoltant parce que cela passe notre mesure. Mais peut-être devons-nous aimer ce que nous ne pouvons pas comprendre.

Rieux se redressa d'un seul coup. Il regardait Paneloux, avec toute la force et la passion dont il était capable, et secouait la tête.

- Non, mon père, dit-il. Je me fais une autre idée de l'amour. Et je refuserai jusqu'à la mort d'aimer cette création où des enfants sont torturés.

Sur le visage de Paneloux, une ombre bouleversée passa.

- Ah ! docteur, fit-il avec tristesse, je viens de comprendre ce qu'on appelle la grâce.

Mais Rieux s'était laissé aller de nouveau sur son banc. Du fond de sa fatigue revenue, il répondit avec plus de douceur :

- C'est ce que je n'ai pas, je le sais. Mais je ne veux pas discuter cela avec vous. Nous travaillons ensemble pour quelque chose qui nous réunit au delà des blasphèmes et des prières. Cela seul est important.

Paneloux s'assit près de Rieux. Il avait l'air ému.

- Oui, dit-il, oui, vous aussi vous travaillez pour le salut de l'homme.

Rieux essayait de sourire.

- Le salut de l'homme est un trop grand mot pour moi. Je ne vais pas si loin. C'est sa santé qui m'intéresse, sa santé d'abord.

Paneloux hésita.

- Docteur, dit-il.

Mais il s'arrêta. Sur son front aussi la sueur commençait à ruisseler. Il murmura : « Au revoir » et ses yeux brillaient quand il se leva. Il allait partir quand Rieux, qui réfléchissait, se leva aussi et fit un pas vers lui.

- Pardonnez-moi encore, dit-il. Cet éclat ne se renouvellera plus.

Paneloux tendit sa main et dit avec tristesse :

- Et pourtant je ne vous ai pas convaincu !

- Qu'est-ce que cela fait ? dit Rieux. Ce que je hais, c'est la mort et le mal, vous le savez bien. Et que vous le vouliez ou non, nous sommes ensemble pour les souffrir et les combattre.

Rieux retenait la main de Paneloux.

- Vous voyez, dit-il en évitant de le regarder, Dieu lui-même ne peut maintenant nous séparer.

A. Camus. La peste.

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Pourquoi ces blessures qui s'imposent...?

26 Février 2013, 03:09am

Publié par Fr Greg.

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« J’ai reçu la vie comme une blessure béante, et j’ai défendu au suicide de guérir la cicatrice. Je veux que le Créateur en contemple, à chaque heure de son éternité, la crevasse béante. C’est le châtiment que je lui inflige… Je n’ai pas mérité ce supplice… »

Isidore Ducasse, Comte de Lautréamont.

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Des mots vrais et humain, pour sortir de la sinistrose et des conneries qu'on envoie par email!

25 Février 2013, 02:10am

Publié par Fr Greg.

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Le serviteur souffrant

24 Février 2013, 02:13am

Publié par Fr Greg.

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Apprennez à vous aimer!

23 Février 2013, 02:32am

Publié par Fr Greg.

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Le jour où je me suis aimé pour de vrai, j’ai compris qu’en toutes circonstances, j’étais à la bonne place, au bon moment. Et alors, j’ai pu me relaxer. Aujourd’hui je sais que cela s’appelle… l’Estime de soi.

Le jour où je me suis aimé pour de vrai, j’ai pu percevoir que mon anxiété et ma souffrance émotionnelle n’étaient rien d’autre qu’un signal lorsque je vais à l’encontre de mes convictions. Aujourd’hui je sais que cela s’appelle… l’Authenticité.


Le jour où je me suis aimé pour de vrai, J’ai cessé de vouloir une vie différente et j’ai commencé à voir que tout ce qui m’arrive contribue à ma croissance personnelle. Aujourd’hui, je sais que cela s’appelle… la Maturité. 

Le jour où je me suis aimé pour de vrai, j’ai commencé à percevoir l’abus dans le fait de forcer une situation ou une personne, dans le seul but d’obtenir ce que je veux, sachant très bien que ni la personne ni moi-même ne sommes prêts et que ce n’est pas le moment… Aujourd’hui, je sais que cela s’appelle… le Respect. 


Le jour où je me suis aimé pour de vrai, j’ai commencé à me libérer de tout ce qui n’était pas salutaire, personnes, situations, tout ce qui baissait mon énergie. Au début, ma raison appelait cela de l’égoïsme. Aujourd’hui, je sais que cela s’appelle… l’Amour propre.

Le jour où je me suis aimé pour de vrai, j’ai cessé d’avoir peur du temps libre et j’ai arrêté de faire de grands plans, j’ai abandonné les méga-projets du futur. Aujourd’hui, je fais ce qui est correct, ce que j’aime quand cela me plait et à mon rythme. Aujourd’hui, je sais que cela s’appelle… la Simplicité.


Le jour où je me suis aimé pour de vrai, j’ai cessé de chercher à avoir toujours raison, et je me suis rendu compte de toutes les fois où je me suis trompé. Aujourd’hui, j’ai découvert … l’Humilité. 

Le jour où je me suis aimé pour de vrai, j’ai cessé de revivre le passé et de me préoccuper de l’avenir. Aujourd’hui, je vis au présent, là où toute la vie se passe. Aujourd’hui, je vis une seule journée à la fois. Et cela s’appelle… la Plénitude.


Le jour où je me suis aimé pour de vrai, j’ai compris que ma tête pouvait me tromper et me décevoir. Mais si je la mets au service de mon coeur, elle devient une alliée très précieuse ! Tout ceci, c’est… le Savoir vivre. Nous ne devons pas avoir peur de nous confronter. Du chaos naissent les étoiles.

Kim et Alison Mc Millen

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Dieu est Père (II)

22 Février 2013, 02:03am

Publié par Fr Greg.

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La paternité de Dieu est alors l’amour infini, la tendresse qui se penche sur nous, ses enfants, qui sommes faibles et qui avons besoin de tout. Le psaume 103, le grand chant de la miséricorde divine, proclame : « Comme est la tendresse d’un père pour ses fils, tendre est le Seigneur pour qui le craint ; il sait de quoi nous sommes pétris, il se souvient que poussière nous sommes » (vv.13-14). C’est précisément notre petitesse, notre nature humaine faible, notre fragilité qui devient un appel à la miséricorde du Seigneur pour qu’il manifeste sa grandeur et sa tendresse de Père en nous aidant, en nous pardonnant et en nous sauvant.

Et Dieu répond à notre appel, en envoyant son Fils, qui meurt et ressuscite pour nous ; il entre dans notre fragilité et fait ce que l’homme, seul, n’aurait jamais pu faire : il prend sur lui le péché du monde, lui, l’agneau innocent, et nous ouvre à nouveau le chemin vers la communion avec Dieu, il fait de nous les vrais fils de Dieu. C’est là, dans le mystère pascal, que se révèle dans toute sa lumière le visage définitif de Dieu. Et c’est là, sur la croix glorieuse, qu’advient la pleine manifestation de la grandeur de Dieu comme « Père tout-puissant ».

Mais nous pourrions nous demander : comment est-il possible de penser à un Dieu tout-puissant en regardant la croix du Christ, ce pouvoir du mal qui en arrive à tuer le Fils de Dieu ? Nous aimerions certainement une toute-puissance divine selon nos schémas mentaux et selon nos désirs : un Dieu « tout-puissant » qui résolve les problèmes, qui intervienne pour nous éviter les difficultés, qui soit vainqueur des puissances adverses, qui change le cours des événements et supprime la douleur. C’est ainsi qu’aujourd’hui certains théologiens disent que Dieu ne peut pas être tout-puissant sinon il ne pourrait y avoir tant de souffrance, tant de mal dans le monde. En réalité, devant le mal et la souffrance, pour beaucoup, pour nous, il devient problématique, difficile de croire en un Dieu Père et de le croire tout-puissant ; certains cherchent refuge dans les idoles, en cédant à la tentation de trouver une réponse dans une toute-puissance supposée « magique » et dans ses promesses illusoires.

Mais la foi en Dieu tout-puissant nous pousse à parcourir des sentiers bien différents : apprendre à connaître que la pensée de Dieu est différente de la nôtre, que les voies de Dieu sont différentes des nôtres (cf. Is 55,8) et aussi que sa toute-puissante est différente : elle ne s’exprime pas comme une force automatique et arbitraire, mais elle est marquée par une liberté amoureuse et paternelle. En réalité, Dieu, en créant des créatures libres, en donnant la liberté, a renoncé à une partie de son pouvoir, nous laissant le pouvoir de notre liberté. C’est ainsi qu’il aime et qu’il respecte notre liberté de répondre par amour à son appel. Comme Père, Dieu désire que nous devenions ses enfants et que nous vivions comme tels en son Fils, en communion, dans une totale familiarité avec lui. Sa toute-puissance ne s’exprime pas dans la violence, dans la destruction de tout pouvoir adverse, comme nous le désirerions, mais elle s’exprime dans l’amour, dans la miséricorde, dans le pardon, dans l’acceptation de notre liberté et dans une invitation inlassable à la conversion du cœur, dans une attitude faible en apparence – Dieu semble faible, si nous pensons à Jésus-Christ qui prie, qui se fait tuer. C’est une attitude en apparence faible, faite de patience, de douceur et d’amour, qui montre que c’est cela la vrai manière d’être puissant. C’est cela la puissance de Dieu ! Et cette puissante vaincra ! Le sage du Livre de la Sagesse s’adresse à Dieu ainsi : « Mais tu as pitié de tous, parce que tu peux tout, tu fermes les yeux sur les péchés des hommes, pour qu'ils se repentent.Tu aimes en effet tout ce qui existe… Mais tu épargnes tout, parce que tout est à toi, Maître ami de la vie ! » (11,23-24a et 26).

Seul celui qui est vraiment puissant peut supporter le mal et se montrer compatissant ; seul celui qui est vraiment puissant peut exercer pleinement la force de l’amour. Et Dieu, à qui appartiennent toutes les choses parce que tout a été fait par lui, révèle sa force en aimant toute chose et toute personne, attendant patiemment la conversion des hommes, dont il veut faire ses enfants. Dieu attend notre conversion. L’amour tout-puissant de Dieu ne connaît pas de limites, au point qu’il « n'a pas épargné son propre Fils mais l'a livré pour nous tous » (Rm 8,32). La toute-puissance de l’amour n’est pas celle du pouvoir du monde, mais celle du don total et Jésus, le Fils de Dieu, révèle au monde la véritable toute-puissance du Père en donnant sa vie pour nous, pécheurs. Voilà la véritable, l’authentique et parfaite puissance divine : répondre au mal, non pas par le mal mais par le bien, aux insultes par le pardon, à la haine homicide par l’amour qui fait vivre. Alors le mal est vraiment vaincu, parce que lavé par l’amour de Dieu ; alors la mort est définitivement anéantie parce qu’elle est transformée en don de la vie. Dieu le Père ressuscite son Fils : la mort, la grande ennemie (cf. 1 Co 15,26), est engloutie et privée de son venin (cf. 1 Co 15,54-55) et nous, libérés du péché, nous pouvons accéder à notre réalité d’enfants de Dieu.

Lorsque nous disons « Je crois en Dieu tout-puissant », nous exprimons notre foi dans la puissance de l’amour de Dieu qui, en son fils mort et ressuscité, est vainqueur de la haine, du mal, du péché et nous ouvre à la vie éternelle, celle des enfants qui désirent être pour toujours dans la « Maison du Père ». Dire « Je crois en Dieu le Père tout-puissant », dans sa puissance, dans sa manière d’être Père, est toujours un acte de foi, de conversion, de transformation de notre manière de penser, de toutes nos affections, de tout notre mode de vie.

Chers frères et sœurs, demandons au Seigneur de soutenir notre foi, de nous aider à trouver vraiment la foi, de nous donner la force d’annoncer le Christ crucifié et ressuscité et d’en témoigner par notre amour de Dieu et de notre prochain. Et que Dieu nous accorde d’accueillir le don de notre filiation, pour vivre en plénitude les réalités du Credo, dans un abandon confiant à l’amour du Père et à sa miséricordieuse toute-puissance qui est la véritable toute-puissance et qui nous sauve.

Benoit XVI.

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Dieu est Père

21 Février 2013, 02:59am

Publié par Fr Greg.

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Il n’est pas toujours facile aujourd’hui de parler de paternité. Surtout dans le monde occidental, les familles décomposées, les obligations professionnelles toujours plus prenantes, les préoccupations et souvent la difficulté à équilibrer le budget familial, la présence envahissante des mass media dans la vie quotidienne avec leurs distractions, font partie des nombreux facteurs qui peuvent empêcher un rapport serein et constructif entre les parents et les enfants. La communication se fait parfois difficile, la confiance s’affaiblit et le rapport avec la figure paternelle peut devenir problématique ; et il devient tout aussi problématique d’imaginer Dieu comme un père si l’on n’a pas de modèles de référence justes. Pour ceux qui ont fait l’expérience d’un père trop autoritaire ou inflexible, indifférent ou peu affectueux, ou carrément absent, il n’est pas facile de penser sereinement à Dieu comme à un père et de s’abandonner à lui dans la confiance.

Mais la révélation biblique aide à dépasser cette difficulté en nous parlant d’un Dieu qui nous montre ce que signifie vraiment être « père » ; et c’est surtout l’Evangile qui nous révèle ce visage de Dieu comme Père qui aime jusqu'à donner son propre Fils pour le salut de l’humanité. La référence à la figure paternelle aide donc à comprendre quelque chose de l’amour de Dieu qui demeure cependant infiniment plus grand, plus fidèle, plus total que celui de n’importe quel  homme. « Quel est d'entre vous l'homme, dit Jésus pour montrer aux disciples le visage du Père, auquel son fils demandera du pain, et qui lui remettra une pierre ? Ou encore, s'il lui demande un poisson, lui remettra-t-il un serpent ? Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père qui est dans les cieux en donnera-t-il de bonnes à ceux qui l'en prient ! » (Mt 7, 9-11 ; cf. Lc 11, 11-13). Dieu est notre Père parce qu’il nous a bénis et choisis avant la création du monde (cf. Ep 1, 3-6), et il a fait réellement de nous des fils en Jésus (cf. 1 Jn 3,1). Et, comme Père, Dieu accompagne notre existence avec amour, en nous donnant sa Parole, son enseignement, sa grâce et son Esprit.

Comme le révèle Jésus, il est le Père qui nourrit les oiseaux du ciel sans qu’ils aient à semer et à moissonner, qui revêt de couleurs merveilleuses les fleurs des champs, avec des vêtements plus beaux que ceux du roi Salomon (cf. Mt 6, 26-32 ; Lc 12, 24-28) ; et nous, ajoute Jésus, nous valons bien plus que les fleurs et les oiseaux du ciel ! Et s’il est bon au point de faire « lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes » (Mt 5, 45), nous pourrons toujours, sans crainte et avec une confiance totale, nous en remettre à son pardon paternel lorsque nous faisons fausse route. Dieu est un Père bon qui accueille et embrasse le fils perdu qui s’est repenti (cf. Lc 15, 11suiv.), qui donne gratuitement à ceux qui demandent (cf. Mt 18,19 ; Mc 11-24 ; Jn 16,23) et qui offre le pain du ciel et l’eau vive qui font vivre pour l’éternité (cf. Jn 6,32;51;58).

C’est pourquoi l’auteur du psaume 27, encerclé par ses ennemis, assailli par des hommes malveillants et calomniateurs, tout en cherchant dans la prière l’aide du Seigneur et en l’invoquant, peut donner un témoignage plein de foi en affirmant : « Si mon père et ma mère m'abandonnent, le Seigneur m'accueillera » (v.10). Dieu est un Père qui n’abandonne jamais ses enfants, un père plein d’amour qui soutient, aide, accueille, pardonne, sauve, avec une fidélité qui surpasse immensément celle des hommes, pour s’ouvrir à une dimension d’éternité. « Car éternel est son amour », répète à chaque verset le psaume 136, comme une litanie, en parcourant à nouveau l’histoire du salut. L’amour de Dieu notre Père ne diminue jamais, ne se lasse pas de nous : c’est un amour qui se donne jusqu’au bout, jusqu’au sacrifice de son fils. La foi nous donne cette certitude qui devient un rocher sûr sur lequel construire notre vie : nous pouvons affronter tous les moments de difficulté et de danger, faire l’expérience de l’obscurité des périodes de crise et du temps de la douleur, soutenus par la confiance en Dieu qui ne nous laisse pas seuls et qui est toujours proche, pour nous sauver et nous conduire à la vie éternelle.

C’est dans l’amour du Seigneur Jésus que se montre en plénitude le visage bienveillant du Père qui est dans les cieux. C’est en le connaissant, lui, que nous pouvons connaître aussi le Père (cf. Jn 8,19;14,7), c’est en le voyant que nous pouvons voir le Père, parce qu’il est dans le Père et que le Père est en lui (cf. Jn 14,19-11). Il est « l’image du Dieu invisible », comme le définit l’hymne de la Lettre aux Colossiens, « Premier-né de toute créature… Premier-né d'entre les morts », « en qui nous avons la rédemption, la rémission des péchés » et la réconciliation de toutes choses, de « tous les êtres pour lui, aussi bien sur la terre que dans les cieux, en faisant la paix par le sang de sa croix » (cf. Col 1,13-20).

La foi en Dieu Père demande de croire dans le Fils, sous l’action de l’Esprit, en reconnaissant dans la Croix qui sauve le dévoilement définitif de l’amour divin. Dieu est notre Père en nous donnant son Fils : Dieu est notre Père en nous pardonnant notre péché et en nous amenant à la joie de la vie par la résurrection ; Dieu est notre Père en nous donnant l’Esprit qui fait de nous ses enfants et nous permet de l’appeler « Abbà, Père » (cf. Rm 8,15). C’est pourquoi Jésus, nous enseignant à prier, nous invite à dire « Notre Père » (Mt 6,9-13 ; cf. Lc 11,2-4).

Benoit XVI.

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