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QUE CHERCHEZ-VOUS ?

Un bruit de balançoire...

3 Septembre 2017, 03:54am

Publié par Grégoire.

Un bruit de balançoire...

« J’ai du courrier à faire. Il est important, c’est pourquoi je ne le ferai pas. Ces enveloppes dites ‘à fenêtre’ – leur fenêtre n’ouvre sur rien. Je rassemble mes années autour de moi pour avoir plus de force. Il en faut pour ne rien faire. Le diable des modernes a décidé que nous serions tous, toujours, très occupés. 

Christian Bobin.

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Dieu gît dans les détails...

31 Août 2017, 02:42am

Publié par Grégoire.

Dieu gît dans les détails...
Résistances à tous les étages

« Dieu gît dans les détails », avec comme sous-titre « La Borde, un asile », est le récit de Marie Depussé, prof de littérature à l'université Paris VII, et auteur de nombreux livres, tous azimuts, comme « Conversations sur la folie avec Jean Oury », le fondateur du château de La Borde, ou sur Beckett, son auteur de théâtre préféré.

Alors tout ça est une sacrée histoire. Elle nous dit dès le « commencement » de son livre, être arrivée à La Borde alors qu'elle avait vingt ans. Et y vit toujours... Mais avec un « statut particulier ». Tout en nous racontant la vie quotidienne dans cette clinique psychiatrique, elle nous raconte que son père lui a construit une « cabane », en bordure du Parc. Mais faut voir la « cabane »! Un vrai petit chalet tout confort! Elle laissera planer le doute sur cette situation atypique.

Mais faut que je vous explique, pour ceux qui ne connaissent pas le château de La Borde et son histoire. Tout d'abord, autant dire que c'est « un château qui a l'air de se foutre d'être un château ». Et ça va très bien avec son histoire.

Dans les années 40, vous avez sûrement entendu parler des 40000 morts dans les H.P. de France, tout simplement parce qu'on avait décidé de ne plus les approvisionner. Dans le loir et cher, à Saint-Alban, il n'y a eu aucun mort, parce qu'à l'époque il était dirigé par Lucien Bonnaffé, un psychiatre communiste, et avec les habitants du village s'était organisée une résistance anti-nazie et une organisation communautaire. Il est rejoint deux années plus tard par Tosquelles, un autre psychiatre fuyant le franquisme. Puis quelques années plus tard encore par Jean Oury. A partir de ce moment-là, un foisonnement d'idées va déboucher sur ce qu'on appellera dorénavant la « psychothérapie institutionnelle ».

Dès 1953, Jean Oury achète une ruine de château, celui de La Borde à Cour-Cheverny, pour une bouchée de pain, et tout le monde se mettra à travailler dur pour retaper ce lieu : fous, infirmiers, médecins. Très vite, son ami de toujours, Félix Guattari le rejoindra, et à sa suite Gilles Deleuze, ainsi que d'autres intellectuels comme Paul Eluard. C'est alors une ébullition d'échanges d'idées, qui aboutira à une vie communautaire, sans précédent, puisqu'aujourd'hui encore, tout se décide par réunions et commissions comprenant à la fois des pensionnaires, des moniteurs (psychologues, infirmières, éducateurs), des médecins. A noter qu'aucun mur ne ceinture la propriété de La Borde, et que la libre circulation est de mise dans cet établissement.

Dans les années cinquante et soixante, bien avant 68, beaucoup d'intellectuels passent par là, comme Françoise Dolto qui inaugurera la halte garderie du personnel (à La Borde, les fous ne font pas peur), et Jacques Lacan, le compagnon de route de Jean Oury (avec qui il fera sa psychanalyse), le soutiendra dans sa démarche. Actuellement, bien que certains H.P. revendiquent exercer la psychothérapie institutionnelle, aucun, en fait, va aussi loin que La Borde qui pratique une approche à la fois lacanienne et libertaire.

« Il y avait le château. C'est mieux un château, qu'une maison de banlieue, tellement plus fort, contre le temps, veloutant de son ancienneté la misère des heures, offrant ses hautes fenêtres, ses balcons de pierre, au paysage, afin de le recueillir sans le domestiquer. Et puis ce château-là avait un côté négligé, l'air de se foutre d'être un château : il était un peu sale. Les rhododendrons du parc étaient des arbres sombres, immenses, jamais taillés. Et dans cet abandon la vie d'êtres abandonnés pouvait se faire une place, dans l'ombre de ces arbres qui, inventés par des jardiniers, étaient devenus immenses, insolents et sauvages.
J'essaie de rassembler le faisceau d'évidences qui me fit poser mes bagages, dans la lumière de l'été.
Il y avait autre chose. Tout de suite, les fous me reposèrent. Je sus qu'ils se battaient en première ligne, pour moi. »

Dieu gît dans les détails...
Dieu gît dans les détails...

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Attraper l'éternel par les cheveux...

29 Août 2017, 02:25am

Publié par Grégoire.

Attraper l'éternel par les cheveux...

"Le courage n'est pas de peindre cette vie comme un enfer puisqu'elle en est si souvent un : c'est de la voir telle et de maintenir malgré tout l'espoir du paradis.

La bonté, c'est simple : par définition on n'en a pas. Elle n'a pas de place dans le monde. Donc quand elle est là c'est toujours un miracle. Elle fait éclater toutes les pensées mièvres, convenues, sur elle. Elle vient aussi fracasser l'imposture de la sainte culture imposée par notre saint patron Marcel Proust. L'intelligence qu'elle nous donne nous baigne, nous tombe dessus comme une averse printanière mais rude. Cela fait comme un nimbe. C'est la plus grande surprise, tandis que le mal est inscrit au programme depuis toujours. Le mal, c'est la place des ténors, il est la chose la plus banale, ce à quoi je m'attends toujours. Tandis que la bonté, c'est un oiseau égaré parmi les cuivres et les cordes de ce mauvais concert, c'est le grand naturel du coeur qui est à chaque fois inattendu.

Si j'ai fait une erreur, ce n'est donc pas d'avoir trop parlé de l'amour, c'est d'en avoir parlé de façon trop imprécise. Car je crois que l'intelligence cherche toujours quelque chose à aimer, le but étant de devenir à soi-même comme le ciel étoilé. La vie est une fête de sa propre disparition : la neige, c'est comme des milliers de mots d'amour qu'on reçoit et qui vont fondre, les roses sont comme des petites paroles brûlantes qui vont s'éteindre, et celui qui arrive à les déchiffrer doit être d'une précision hallucinante s'il veut être cru, s'il veut parvenir à faire voir à d'autres ce qu'il a vu. "

Christian Bobin, La lumière du monde

 

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Toute une vie pour en arriver là…

28 Août 2017, 03:08am

Publié par Grégoire.

Toute une vie pour en arriver là…

Personnel et pensionnaires de la maison de retraite de Paimbœuf sont en souffrance. D’une seule voix, ils dénoncent leurs conditions de travail et de vie dans l’établissement. Leurs témoignages laissent entrevoir une fin de vie faite d’ennui et de solitude. Reportage.

La dernière douche de Juliette Abellard date d’il y a trois semaines. Le dernier shampooing aussi. Pour le bain - son pêché mignon - il faut remonter au mois de mai. Depuis qu’une maladie atrophie ses muscles, cette imposante femme, ancienne gardienne de camping, est dépendante des aides-soignantes pour se laver, se coucher, se lever.

» En savoir plushttp://www.ouest-france.fr/journal/pourquoi-les-maisons-de-retraite-sont-sous-tension-5175486

La semaine dernière, Juliette a fait grève aux côtés d’une partie des soixante agents de la maison de retraite de Paimbœuf (Loire-Atlantique). Les uns dénonçant leurs conditions de vie, les autres leurs conditions de travail.

Un ennui terrible

«En gros, nous disposons de quinze minutes pour la toilette de chaque personne, commente une aide-soignante. C’est la chaîne. On n’a pas le temps de discuter et pourtant, elles sont très en demande. S’il y avait plus d’échanges, il y aurait moins d’antidépresseurs et de somnifères.»

Le matin, elles sont cinq pour s’occuper des cinquante-huit résidents. Elles servent le petit-déjeuner, font la toilette et les lèvent avant le déjeuner. «On ne me lève jamais à la même heure: 9h, 11h30… Tout dépend de la tournée du jour», dit Jeanine Pichavent, 84 ans. Après une vie à élever ses cinq enfants, elle a été admise à Paimbœuf il y a trois ans.

Un jour, on lui a servi son potage dans un gobelet en plastique. «Toute une vie pour en arriver là», souffle-t-elle de sa voix fluette. Elle décrit un quotidien fait d’attente et d’ennui. «Le soir, je suis couchée à 19h30. Je ne vois pas très bien, alors la TV, je ne la regarde pas trop. Je reste là à attendre. Attendre le sommeil.»

La direction a pourtant recruté cet été, afin de permettre aux agents de prendre leurs congés. «Et nous allons faire appel à trois personnes en service civique pour renforcer l’animation», ajoute Thierry Fillaut, le directeur.

«On estime qu’un résident dort huit heures, a quatre heures trente de soin et, au mieux, deux heures d’animations, indique Guillaume Gandon, animateur permanent. Le reste? C’est un ennui que nous-mêmes, on ne supporterait pas.»

«Il suffit de les voir, à 11h, faire la queue pour attendre le repas du midi, complète Danielle, la fille d’une résidente. Personne ne se parle, ni ne sourit. Ma mère me répète qu’elle serait mieux au cimetière. Elle ne sort plus de sa chambre.»

La maman de Danielle, comme les autres résidents, débourse environ 2000€ par mois.

«J’ai honte»

Sandrine, une aide-soignante se souvient de cette scène, il y a quelques semaines. Un résident, qui n’a qu’une sœur comme famille proche, a invité l’équipe de jour à trinquer pour son anniversaire. Sa sœur avait préparé une tarte. Ils s’étaient installés dans l’une des salles communes. «Mais personne n’est venu, faute de temps, souffle la soignante. Avant, le dimanche, on prenait l’apéro avec les résidents. Aujourd’hui c’est fini. On n’a même plus le temps de leur tenir la main quand ils sont en fin de vie…»

Fin juillet, la CGT a lancé un appel à la grève. «C’est très dur de rentrer chez soi avec le sentiment du travail mal fait, glisse une aide-soignante, dans l’établissement depuis trente-quatre années. Il y a des résidentes qui travaillaient là. Elles m’ont formée. Et maintenant j’ai honte de la manière dont on les traite. Dans quelques années, c’est moi qui serai résidente ici. Et je n’ose pas imaginer dans quelles conditions.»

 

http://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/paimboeuf-44560/trois-semaines-sans-une-douche-la-maison-de-retraite-de-paimboeuf-5176918

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Ainsi vont nos vies....

27 Août 2017, 03:32am

Publié par Grégoire.

Ainsi vont nos vies....

" Le soir vient. Une longue patience enveloppe les choses et le sang, plus sûrement que le lierre. C’est le bel instant suspendu au-dessus de l’abîme, c’est l’heure de notre mort qui revient ainsi, chaque soir, comme une feuille baignée d’argent qui se détache d’un arbre, très loin dans la forêt. Ce jour ne reviendra plus. Il était le premier et le dernier de son ordre. Un nouveau monde surgira demain des eaux planantes du sommeil, et tout l’effort de vivre, de voir et de sourire sera à reprendre.

La lumière du matin heurtera les yeux. Il faudra à nouveau regagner son corps, aller vers ce qui, dès le réveil, s’approche de nous- femme, songe ou nuée- et dont nous ne savons rien sinon que cela s’avance vers nous, avec la douce fatigue du jour. La beauté est là, dès l’aube. Levée bien avant nous. Fidèle, elle attend. Son haleine se répand dans le moindre silence, dans l’air autour des amandiers. Elle attend que s’ouvre en nous le chemin où elle pourra venir sans se blesser. Elle attend des heures entières, et le mouvement de son attente est celui du jour qui pointe, fleurit puis décline, mourant à nos pieds, méconnu, délaissé. 

Chaque jour ainsi, quelqu’un vient, quelqu’un qui tient entre ses mains un fin couteau de pluie ou bien un seul pétale de rose, de ceux que l’on glisse entre les pages d’un livre épais, plus léger que l’air, plus léger que l’air sur le ventre des moineaux. C’est une mendiante ou une reine qui est en marche vers nous, peut-être les deux à la fois : nous ne saurons jamais rien de plus, et au fond qu’importent les mots, qu’importent les noms ? Des noms nous en avons mis sur tout, nous en avons mis partout, sur la folie, sur les étoffes et sur les chairs, sur les jeunes femmes qui naissent au printemps dessous les cerisiers, sur les étoiles égarées de la mort et sous le pas des chevaux, nous avons mis des noms sur tout et même sur l’ignorance et nous voilà abrutis par des millénaires de savoir, alourdis par ces noms à dépenser chaque jour, comme ça, pour rien, bonjour, bonsoir, que faites-vous dans la vie et comme vos yeux sont pâles, ce sont les yeux de l’hiver, c’est pour mieux t’ignorer mon enfant, pour mieux te tuer.

Ainsi vont-elles, nos vies, dans une guerre incessante de chacun contre soi, contre tous, et le sommeil revient, et la beauté n’est pas encore aujourd’hui parvenue à ses fins, n’a pas encore touché notre âme brûlante de ses doigts de rosée. A peine aurons-nous entrevu quelque chose, par-delà les soucis et la fumée bleue d’une cigarette."

Christian Bobin, l'homme du désastre.

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Dieu protège les roses !

25 Août 2017, 03:10am

Publié par Grégoire.

Dieu protège les roses !

Quand j’ai pensé à vous écrire cette lettre, je ne savais pas si vous étiez vivant ou mort. Et puis j’ai appris votre mort. Elle était prévisible, annoncée par la délicatesse de votre dernier livre, et surtout de son titre : Dernier dernier nuage. Vous aviez le génie des titres. Un autre ici m’éclaire : Dieu protège les roses ! Les deux livres sont dans un coffre-fort qu’il y a dans la banque des nuages. Je vous ai lu dix fois, ça ne s’éclairait pas, et puis tout d’un coup le soleil a explosé en silence sous mes yeux. J’ai tout compris. Est-ce que « comprendre » est le mot ? Je n’en suis pas sûr. Disons que tout d’un coup je suis rentré dans votre cœur. L’étrangeté des images n’était plus meurtrière. Après tout, les roses ont des épines. Je vous ai vu vivre dans le fil de vos livres et j’ai vu l’eau de la vie passer entre vos mains creusées pour la boire. Ce qu’on arrive à retenir près de nous, ce sont des restes, des rebuts – même s’ils sont en or. Le plus lumineux c’est cette chose qui nous serre à la gorge quand du beau temps arrive. Battant le tambour bleu de l’air, les armées de ce que nous avons aimé et qui n’est plus passent sous nos fenêtres, sans lever la tête vers nous. Rien de plus snob qu’un mort. Alors, voyez-vous, il faut lutter contre la mélancolie, renverser l’adversaire en le saisissant par sa ceinture de roses trémières et de ronces, et le plaquer à terre, sur la terre de la page. Aimer ce qui nous quitte, ce qui nous quittait déjà à l’instant de la rencontre, dont les bras tendus nous traversaient comme si nous étions de l’air, comme si notre vie n’avait aucune épaisseur. Nous réjouir d’avoir un court instant longé le mur qui encercle le paradis. La joie ouvre des brèches dans ce mur. Le cœur, quand il devient ce qu’il est, c’est-à-dire un enfant, arrive ensuite à s’y glisser. Je parle là, vous l’avez compris, de la poésie. Vous avez été un de ses bons ouvriers. La mort, c’est juste une histoire de poser ses outils au fond du jardin et d’aller voir ailleurs. C’est votre existence qui m’arrive à travers vos poèmes. C’est la faiblesse et les miracles d’un homme. Car nous sommes porteurs du miracle de vivre, source de prodiges infinis tels que : serrer la main d’un assassin, essuyer la larme d’une rose, faire sonner dans l’air blanc une parole pure. En même temps qu’on m’apprenait votre mort, on m’apprenait votre vie et combien elle avait été inexperte, dure, tentée par les renoncements. Vous avez veillé pendant une éternité votre mère souffrante. Puis sur le tard vous vous êtes marié et votre femme est vite tombée gravement malade et vous êtes passé sans transition d’une veille à une autre. C’est ce qu’on m’a dit. Je ne crois pas que vous soyez mort. Vous savez pourquoi ? Je ne crois pas que, même mort, vous soyez mort, parce que vos doigts ont frôlé une lumière sur la table d’écriture. Ce qu’un homme touche de beau, ce qu’il en invente fait de lui un fils du soleil. Les titres de vos livres voleront toujours dans l’air printanier. Il y a encore celui-ci : Le Christ est du matin. Par bonheur je relis celui qui à lui seul est un poème : Dieu protège les roses ! Vous vous appeliez Jean-Michel Frank. Vous n’êtes pas mort car, pour avoir nourri le Dieu errant sur terre, votre nom a été consigné dans le grand livre du présent absolu qu’il y a sur une table dans le ciel, là-bas, pas loin, au fond du jardin abandonné aux anges et aux chats pauvres.

Christian Bobin

 

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Voir un vrai visage, c'est voir quelqu'un qui a vu quelque chose de plus grand que lui..

23 Août 2017, 03:08am

Publié par Grégoire.

Voir un vrai visage, c'est voir quelqu'un qui a vu quelque chose de plus grand que lui..

"Aimer quelqu'un, c'est le lire. C'est savoir lire toutes les phrases qui sont dans le coeur de l'autre, et en lisant le délivrer. C'est déplier son coeur comme un parchemin et le lire à haute voix, comme si chacun était à lui-même un livre écrit dans une langue étrangère.

Il y a plus de texte écrit sur un visage que dans un volume de la Pléïade et, quand je regarde un visage, j'essaie de tout lire, même les notes en bas de page. Je pénètre dans les visages comme on s'enfonce dans un brouillard, jusqu'à ce que le paysage s'éclaire dans ses moindres détails. Nos propres actes nous restent indéchiffrables; C'est peut-être pourquoi les enfants aiment tant qu'on leur raconte sans fin tel épisode de leur enfance. Lire ainsi l'autre, c'est favoriser sa respiration, c'est-à-dire le faire exister. Peut-être que les fous sont des gens que personne n'a jamais lus, rendus furieux de contenir des phrases qu'aucun regard n'a jamais parcourues. Ils sont comme des livres fermés. Une mère lit dans les yeux de son enfant avant même qu'il sache s'exprimer.

Il suffit d'avoir été regardé par un nouveau-né pour savoir que le petit d'homme sait tout de suite lire. Il est même comme les grands lecteurs : il dévore le visage de l'autre. On lit en quelqu'un comme dans un livre, et ce livre s'éclaire d'être lu et vient nous éclairer en retour, comme ce que fait pour un lecteur une très belle page d'un livre rare.

Quand un livre n'est pas lu, c'est comme s'il n'avait jamais existé. Ce qui peut se passer de plus terrible entre deux personnes qui s'aiment, c'est que l'une des deux pense qu'elle a tout lu de l'autre et s'éloigne, d'autant qu'en lisant on écrit au fur et à mesure et dont les phrases peuvent s'enrichir avec le temps. Le coeur n'est achevé et fait que quand il est fracturé par la mort. Jusqu'au dernier moment le contenu du livre peut être changé. On n'a pas la pleine lecture de ce qu'on lit tant que l'autre est vivant. Dieu serait le seul lecteur parfait, celui qui donne à cette lecture tout son sens. Mais la plupart du temps, la lecture de l'autre reste très superficielle et on ne se parle pas vraiment. Peut-être que chacun de nous est comme une maison avec beaucoup de fenêtres. On peut appeler de l'extérieur et une fenêtre ou deux vont s'éclairer mais pas toutes. Et parfois, exceptionnellement, on va frapper partout et ça va s'éclairer partout, mais ça, c'est extrêmement rare. Quand la vérité éclaire partout, c'est l'amour."

Christian Bobin, la lumière du monde.

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Sona Jobarteh & Band - Kora Music from West Africa

22 Août 2017, 02:48am

Publié par Grégoire.

Exceptionelle !

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Mon intelligence est comme un moineau face au réel...

20 Août 2017, 02:24am

Publié par Grégoire.

Mon intelligence est comme un moineau face au réel...

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Simone Weil, livrée pieds et poings liés aux fourches du réel...

18 Août 2017, 02:23am

Publié par Grégoire.

Simone Weil, livrée pieds et poings liés aux fourches du réel...

Les vrais penseurs, les seuls, sont ceux qui n’ont jamais pris la parole nulle part, dans aucune salle de séminaire aux tables vertes, aux lumières assassines. Personne ne leur a jamais demandé leur avis. Ils n’ont même jamais imaginé que ce qu’ils pouvaient sentir, espérer ou souffrir, avait quelques poids sur la route des astres, le cours du monde terrible. Ils se trompaient. Les pauvres, les mourants et les jeunes filles, tous ceux qui sont livrés pieds et poings liés aux fourches du réel, ceux-là sont les purs penseurs de l’éternel. Ils connaissent chaque carat d’une larme. Ils savent que le Dieu sans impatience est endormi dans un quignon de pain sec. Ils ne croient pas aux fables des moralistes et sentent que tout succès dans le monde repose sur un nombre prodigieux de meurtres et d’oublis. Simone Weil a parlé pour ces gens-là. Je crois qu’elle est la seule.

C’est mon père qui m’a appris à penser. Il me l’a appris sans s’en rendre compte, par la générosité sans protection de sa vie. Ma mère par sa mort a aussi taillé le marbre de mon cerveau, une hémorragie de pensée s’est répandue. La pensée c’est quand la gorge vous serre, quand soudain vous comprenez n’avoir presque jamais été à la hauteur de cette vie banale qui est à chacun de nous somptueusement donnée. 

J’ai la gorge sèche en lisant l’insupportable Simone Weil. Quand mes parents m’abandonnaient, car tous les parents, un jour ou l’autre, abandonnent leurs enfants, quand je mourais du monde dans un bus qui me déportait en vacances forcées, les virages de la route me faisaient mal au coeur. On me donnait, pour atténuer la nausée, un sucre imbibée de la liqueur de la grande Chartreuse. Chaque pensée de Simone Weil a ce goût de résine de sapin, de très haute et fière montagne de la grande Chartreuse. 

J’ai loupé ma vie comme tout le monde. Est-ce que vous croyez qu’on peut la réussir? Même le Christ a échoué et ses amis lui ont échappé comme l’eau entre les doigts. La pensée guérisseuse de Simone Weil invite tout à la fois au détachement absolu et à l’amour fou. Tenir ces deux choses en même temps serait réussir sa vie. Mais qui le peut? 

Dans les derniers jours Simone Weil demande qu’on lui fasse une purée comme sa mère lui en faisait « à la française ». Ce souhait misérable, qui ne sera pas exaucé, est pour moi le sommet cristallin de toute pensée, sa montagne magique. C’est par la misère d’avoir faim et froid que nous sommes nobles et que nous commençons à réfléchir vraiment. C’est par ce cri à la mère qui manque. Tout le reste est illusoire. 

Je suis ébloui par Simone Weil. C’est une amoureuse qui me fait peur. Je la vois traverser les champs d’Egypte; les ciels de Grèce. Je la vois dans les usines, ces bagnes très modernes. Elle cherche quelque chose qui résiste à notre besoin incurable d’être comblé. Ce quelque chose c’est la mort. La mort est un amour aux yeux sans fond qui a regardé mon père, puis ma mère, et qui un jour me dévisagera. Un masque d’or qui très lentement se tourne vers chaque nouveau-né. Le jour où je verrai le masque en face, j’aurai l’âme ensanglantée de soleil et je connaîtrai alors ce qui traversait le silence des pauvres et des colères de Simone Weil -cet amour épuisant, non voulu, inaccessible et seul désirable. 

 

Christian Bobin, Cahiers de l'herne.

 

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Celui qui ouvre un livre a décidé qu'il avait tout le temps pour mourir...

16 Août 2017, 02:23am

Publié par Grégoire.

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l'homme... et la femme.

14 Août 2017, 03:59am

Publié par Grégoire.

l'homme... et la femme.
"L’homme est la plus élevée des créatures,
la femme est le plus sublime des idéaux. 

Dieu a fait pour l’homme un trône, 
pour la femme un autel. 
Le trône exalte,
l’autel sanctifie. 

L’homme est le cerveau, 
la femme le coeur. 
Le cerveau fabrique la lumière,
le coeur produit l’Amour. 
La lumière féconde, 
l’Amour ressuscite. 

L’homme est fort par la raison,
la femme est invincible par les larmes. 
La raison convainc, 
les larmes émeuvent. 

L’homme est capable de tous les héroïsmes,
la femme de tous les martyres. 
L’héroïsme ennobli, 
le martyre sublime. 

L’homme a la suprématie, 
la femme la préférence. 
La suprématie signifie la force,
la préférence représente le droit. 

L’homme est un génie, 
la femme un ange. 
Le génie est incommensurable, 
l’ange indéfinissable.

L’aspiration de l’homme, 
c’est la suprême gloire, 
l’aspiration de la femme, 
c’est l’extrême vertu. 
La gloire fait tout ce qui est grand, 
la vertu fait tout ce qui est divin. 

L’homme est un Code, 
la femme un Evangile. 
Le Code corrige, 
l’Evangile parfait. 

L’homme pense , 
la femme songe. 
Penser, c’est avoir dans le crâne une larve, 
songer, c’est avoir sur le front une auréole. 

L’homme est un océan, 
la femme est un lac. 
L’Océan a la perle qui orne,
le lac, la poésie qui éclaire. 

L’homme est un aigle qui vole, 
la femme est le rossignol qui chante. 
Voler, c’est dominer l’espace, 
chanter, c’est conquérir l’Ame. 

L’homme est un Temple, 
la femme est le Sanctuaire. 
Devant le Temple nous nous découvrons, 
devant le Sanctuaire nous nous agenouillons.

"l’homme est placé où finit la terre , 
la femme où commence le ciel »

Victor Hugo       

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" Le ressort même de la vie c’est improviser, exactement comme en jazz..." C Bobin.

12 Août 2017, 03:53am

Publié par Grégoire.

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" J'ai toujours autant appris dans les visages que dans les livres..."

11 Août 2017, 03:31am

Publié par Grégoire.

" J'ai toujours autant appris dans les visages que dans les livres..."

 Ne cherchez pas son nom sur la boîte aux lettres qui marque l’entrée du chemin. Toute de guingois, porte largement ouverte, elle ferait un nid parfait pour les oiseaux, si le courrier n’y arrivait régulièrement. Prenez le sentier sillonnant à travers bois, sous le feuillage où percent mille pépites de lumière dorée intermittente. Jusqu’à la clairière. Là, se dresse une ancienne bergerie aux volets bleu ciel, coquette mais toute simple, comme les herbes et les fleurs des champs qui l’entourent.

Dans ce gîte sans apprêt, ouvert sur la nature, vit Christian Bobin, l’auteur du Très-Bas, évocation de la vie de saint François d’Assise, et d’une œuvre cheminant entre poésie et méditation. « Je n’ai pas de talent de jardinier ni de bricoleur », glisse-t-il, jovial, pour justifier le tranquille laisser-aller environnant. Nulle ostentation dans les lieux. Les objets ont ici un usage et une juste place, c’est-à-dire une place limitée. Ils n’empiètent pas sur l’essentiel : le ciel et les nuages, les branches des arbres et les petites bêtes de l’été qui invitent à la contemplation.

Nous sommes aux portes du Morvan, entre Autun et Le Creusot, ville où Christian Bobin est né en 1951. Il a vécu dans l’ancienne cité reine de la métallurgie jusqu’en 2005, avant de s’installer ici, dans la forêt. « Dans ma vie, j’ai bougé de 15 kilomètres au plus », s’amuse-t-il.

Habiter un « nid d’oiseau »

L’écrivain, qui se décrit comme « un peu agoraphobe », préférant « l’intérieur à l’extérieur », a son idée sur le lieu de vie parfait. « L’idéal, ce serait de pouvoir habiter un nid d’oiseau. Vous êtes chez vous, à l’abri, mais en plein air, exposé à tous les vents », pose-t-il, malicieux. Avec cette maison, il a presque trouvé l’équivalent, « une ouverture close ou une clôture ouverte ». Il a aussi été séduit par la forêt environnante, dense et mystérieuse, écho à celles des contes qui sont « toujours des lieux de métamorphose, de transformation intérieure ».

 

L’écrivain vit comme dans une « chambre intérieure », dans un espace à la fois clos et ouvert sur le monde. / Corentin Fohlen/Divergence pour La Croix

Christian Bobin n’a jamais cherché à s’éloigner de sa ville natale. S’il est sans nostalgie pour les racines, il constate que l’on est toujours « de quelque part »« L’endroit où l’on a vécu enfant teinte notre pensée et notre sensation. Nous gardons la couleur du bain dans lequel on a été plongé enfant », dit-il, se souvenant d’une ville à « l’atmosphère pleine d’angles, d’acier, où quelque chose de ferreux teintait même les feuilles des arbres ».

Sa ville s’est essoufflée à suivre l’évolution de l’usine, qui lui a imposé sa loi. Elle s’est développée « comme un serpent dans la plaine », décrit-il. « Du coup, elle a aujourd’hui plusieurs centres, mais on peut aussi dire qu’elle n’en a aucun », relève l’écrivain, qui se plaît à voir là « une métaphore de l’errance de l’écriture ».

Bousculer le rapport entre centre et périphéries

Peut-être fallait-il le décor de cette ville, marquée par le capitalisme industriel et ses inégalités, pour que naisse Le Très-Bas, livre qui médite à travers la figure de saint François d’Assise sur le renversement des places et des valeurs que provoque l’Évangile, lorsqu’il est pris au sérieux. Une révolution pacifique qui relègue les puissants de tous ordres à la marge. Tout l’inverse du panorama que proposait le paternalisme local…

« Au Creusot, les grands industriels catholiques avaient presque réussi à inverser la sentence évangélique qui dit :”Les premiers seront les derniers.” Ici, on est arrivé à dire que les premiers seraient bien les premiers, et qu’ils auraient même leurs bancs à l’église ! », résume Christian Bobin.

De cette histoire lui reste une méfiance tenace à l’égard des puissants et le goût délicieux de mettre un brin de désordre dans les hiérarchies du moment, de bousculer le rapport entre centre et périphéries. « Il est temps peut-être que les rois d’aujourd’hui soient mis à la marge, propose-t-il. Ceux qui croient que Paris est le centre, comme un conglomérat de vainqueurs. Ceux qui regardent les “marges” comme des réserves ténébreuses de plaintes et de révoltes à venir. »

La voix est calme. Qui s’agiterait dans une clairière aussi paisible ? Ici, on règle son humeur sur la brise légère qui fait osciller les grandes herbes. « Il serait temps de remettre au centre nerveux de notre société ceux qui servent la vie, ceux qui remaillent sans fin le tissu de la vie, suggère l’écrivain. Ce sont eux qui sont au centre, même si on ne les voit pas, même si on ne les nomme pas, même si on ne les sacre pas. »

D’une main, il attrape la tasse de thé vert posée sur une simple toile cirée à gros pois. « Tout cela peut se faire sans violence, ajoute-t-il. Simplement parce qu’on marquerait un désintérêt profond pour ceux qui ont le sourcil froncé sur les budgets et les graphiques. »

Se retirer du monde pour mieux le percevoir

En quittant la ville du Creusot pour sa clairière dans les bois, Christian Bobin s’est, en apparence, mis un peu plus à l’écart. La maison est isolée. Pas de voisins à proximité. Et l’écrivain ne se rend guère au village le plus proche, distant de quelques kilomètres. « En fait, quand j’habitais en ville, j’étais déjà à l’écart, réfléchit-il. Je n’étais pas du genre à me promener dans les rues. »

Ville ou campagne, il vit comme dans une « chambre intérieure »« Je la déplace toujours avec moi. J’ouvre les livres et elle est là. Un peu comme ces livres pour enfants en trois dimensions. Je pourrais dire que j’habite à l’intérieur d’un pop-up ! »

Dans son écrin de verdure, Christian Bobin perçoit cependant bien l’évolution du monde. « Même au fond des bois, on sait quel est l’état de la société, assure-t-il. La rumeur du monde entre partout, comme l’eau sous les portes. Il suffit d’une chanson, d’un article… » Loin d’isoler, l’écart permet parfois de voir plus large, et avec une autre acuité.

Il se souvient ainsi de sa découverte, il y a quelques années, des nouvelles machines à composter de la SNCF. « J’ai reculé de surprise devant leur manière féroce, vorace, d’aspirer le billet et de le recracher, raconte-t-il. À ce détail fractal, j’ai compris qu’on avait changé de monde. » Comme un petit élément qui contient le tout et le dénonce tout en le faisant apparaître.

Une critique inquiète de la technique

Dans la paix de sa clairière, Christian Bobin se fait ainsi critique des promesses de la technique. Dans les zones rurales qu’il connaît bien, il décrit un désert qui croît entre les humains, à mesure que les techniques se perfectionnent. « On n’a jamais fait autant de distance pour être soigné. C’est comme si la perfection technique et l’humain prenaient deux chemins différents. »

Sa critique n’est pourtant pas celle d’un technophobe conservateur, mais d’un homme inquiet. Inquiet de l’alliage « de brutalité et de rapidité » que porte la technique. Il questionne aussi l’impératif d’efficacité qui l’accompagne. « On voit aujourd’hui des visages qui ne sont plus des visages mais des soucis d’efficacité », regrette-t-il.

Est-ce parce qu’il évolue au rythme de la nature et des saisons que Christian Bobin se méfie des marches forcées ? « La vitesse est un grand diable, pose-t-il. De toute façon, on n’ira jamais plus vite que les apôtres, que quelques pieds nus sur le sable, l’un après l’autre. » Une sagesse qu’il trouve aussi dans le Coran ou le tao, « même chez les Indiens, qui savent qu’on ne fait pas pousser l’herbe en tirant dessus ».

Alors, pour résister, l’écrivain fait alliance avec trois complices : « les livres », ceux-là mêmes qu’il positionne de face, comme des visages, des interlocuteurs, dans son petit bureau dont la fenêtre donne sur la pelouse aux herbes hautes ; « les morts », ou plutôt « ceux qui sont apparemment morts et qui ne le sont pas… »; et « les vivants », bien sûr. « Le premier vivant venu peut être un allié pour peu qu’il consente à une parole, à un lien, à sortir de sa fonction et de l’engourdissement bavard. »

En homme de lettres, il n’oublie pas non plus la force de la poésie. Dans Un bruit de balançoire (1), il la compare au petit marteau rouge que l’on trouve dans les wagons de train. Lui seul, en cas de danger, permet de casser la vitre pour trouver la sortie de secours…

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Christian Bobin, compagnon des lettres

24 avril 1951. Naissance au Creusot d’un père dessinateur à l’usine Schneider et d’une mère calqueuse.

Après des études de philosophie, Christian Bobin travaille pour la bibliothèque municipale d’Autun, puis à l’Écomusée du Creusot.

À la fin des années 1970, il publie ses premiers textes aux éditions Brandes et Fata Morgana.

1989. La Part manquante (Gallimard).

1991. Une Petite Robe de fête (Gallimard).

1992. Le Très-Bas (Gallimard), son livre sur saint François d’Assise, rencontre un vif succès. Il reçoit le prix des Deux-Magots en 1993, puis le Grand Prix catholique de littérature, en 1996.

1995. L’Homme qui marche (Le temps qu’il fait), méditation sur Jésus.

1996. La Plus que vive (Gallimard), hommage à son amie Ghislaine, morte à 44 ans.

2014. La Grande Vie (Gallimard).

2015. Noireclaire (Gallimard).

2016. Prix d’Académie de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre. Christian Bobin a publié plus d’une cinquantaine d’ouvrages. 

Elodie Moraux, La Croix.

http://www.la-croix.com/Culture/Livres-et-idees/Christian-Bobin-paisible-clairiere-2017-08-07-1200868116

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Elle est si brève la vie interminable...

9 Août 2017, 03:01am

Publié par Grégoire.

Elle est si brève la vie interminable...

« Que reste-t-il de cet été, du dernier été de la maison bleue. Peu de chose. Du bonheur répandu sur les chemins, dans les cheveux. Des poussières du bonheur qu'on retrouve dans le lit au matin. Des éclats de paysage, des reprises de lumière. Car le chagrin, quand il vous prend, ne vous consume pas toute. C'est même ce qu'on pourrait lui reprocher, au chagrin. De ne pas tout envahir. D'un seul coup, une bonne fois. D'oublier quelques fleurs simples, dans un coin du jardin dévasté. La douleur comme l'amour sont de mauvais ouvriers. Ils ne savent jamais entrer dans l'âme jusqu'en son fond. Mais y a-t-il un fond.

C'est l'histoire d'un ange triste. Il marche depuis toujours dans un jardin. Le jardin est immense, sans clôture. Les herbes sont des flammes. Les pommiers sont en or. Quand on croque un fruit, on se casse une dent qui repousse aussitôt. De temps en temps, l'ange hausse les épaules, perd quelques plumes, soupire profondément : toujours la même chose, quel ennui. Il décide de partir à l'étranger, sur la terre. Oh, pas longtemps. Un siècle ou deux. Il choisit le moyen de transport le plus rapide : le chagrin qui, du ciel à la terre, chemine à la vitesse de l'éclair. Il voyagera donc dans une larme. Le voilà sur un nuage, quelques instants avant l'orage. La descente commence, il s'évanouit. Il se réveille. Devant lui, un bout de pré sec, sans herbes. Il est dans l'œil humide d'un cheval qui s'ennuie de son sort, qui rêve des pâturages éternels, immenses et sans barrières. Des promeneurs regardent l'animal maigre. Ils se moquent de la pauvre bête qui avale une pomme pourrie et accroche, aux branches de l'arbre, ses deux ailes déplumées dans le dos. » 

Christian Bobin, la femme à venir.

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une plaie par où la lumière gicle...

7 Août 2017, 03:49am

Publié par Grégoire.

une plaie par où la lumière gicle...

 

" J'ai vu un jour ce qu'on ne voit jamais. J'ai vu quelqu'un mourir d'amour. C'était dans un café, un automne à Paris. La jeune femme qui me parlait venait d'être abandonnée par un homme au cœur d'or. Ils avaient partagé le pain de dix années entières. Il l'a quittée comme on cesse de lire un livre, gagné en une seconde par un sommeil analphabète. Un geste avait suffi que rien n'annonçait et cette jeune femme s'était découverte aussi vaine qu'un livre jeté sur le parquet d'une chambre. Depuis elle allait comme un fantôme dans les rues surpeuplées de visages inutiles.

Le couteau de la séparation s'était enfoncé dans son cœur et le manche en bougeait à chaque respiration. Elle ne maudissait ni ne geignait. Elle cherchait à comprendre ce que même les anges, affolés autour d'elle comme des abeilles ayant perdu le chemin de la ruche, ne pouvaient comprendre.
.......

Dans un café où je l'écoutais ce jour-là, elle parlait du ciel et de son ami, de leur fuite commune, et sa parole était comme deux mains plaquées contre une plaie par où la lumière giclait à flots."

C. Bobin, Ressusciter.

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"la première voix féminine du monde, c'était Jésus-Christ." Romain Gary.

5 Août 2017, 03:47am

Publié par Grégoire.

"la première voix féminine du monde, c'était Jésus-Christ." Romain Gary.

"La seule chose qui m'intéresse, c'est la femme, je ne dis pas les femmes, attention, je dis la femme, la féminité. Le grand motif, la grande joie de ma vie a été l'amour rendu pour les femmes et pour la femme. Je fus le contraire du séducteur malgré tout ce que l'on a bien voulu raconter sur ce sujet. C'est une image totalement bidon et je dirais même que je suis organiquement et psychologiquement incapable de séduire une femme. Cela ne se passe pas comme ça, c'est un échange, ce n'est pas une prise de possession par je ne sais quel numéro artistique de je ne sais quel ordre, et ce qui m'a inspiré donc dans tous les livres, dans tout ce que j'ai écrit à partir de l'image de ma mère, c'est la féminité, la passion que j'ai pour la féminité. Ce qui me met parfois en conflit avec les féministes puisque je prétends que la première voix féminine du monde, le premier homme à avoir parlé d'une voix féminine, c'était Jésus-Christ. La tendresse, les valeurs de tendresse, de compassion, d'amour, sont des valeurs féminines et, la première fois, elles ont été prononcées par un homme qui était Jésus. Or il y a beaucoup de féministes qui rejettent ces caractéristiques que je considère comme féminines. En réalité, on s'est toujours étonné du fait qu'un agnostique comme moi soit tellement attaché au personnage de Jésus.

Ce que je vois dans Jésus, dans le Christ et dans le christianisme, en dépit du fait qu'il est tombé entre les mains masculines, devenues sanglantes et toujours sanglantes par définition, ce que j'entends dans la voix de Jésus, c'est la voix de la féminité en dehors de toute question de religion et en dehors de toute question d'appartenance catholique que je puis avoir techniquement. Je puis donc simplement dire que mon rapport avec les femmes a été d'abord un respect et une adoration pour ma mère, qui s'est sacrifiée pour moi, et un amour des femmes dans toutes les dimensions de la féminité, y compris bien sûr celle de la sexualité. On ne comprendra absolument jamais rien à mon oeuvre si l'on ne comprend pas le fait très simple que ce sont d'abord des livres d'amour et presque toujours l'amour de la féminité. Même si j'écris un livre dans lequel la féminité n'apparaît pas, elle y figure comme un manque, comme un trou. Je ne connais pas d'autres valeurs personnelles, en tant que philosophie d'existence, que le couple. Je reconnais que j'ai raté ma vie sur ce point, mais si un homme rate sa vie, cela ne veut rien dire contre la valeur pour laquelle il a essayé de vivre.

Je trouve que c'est ce que j'ai fait de plus valable dans ma vie, c'est d'introduire dans tous mes livres, dans tout ce que j'ai écrit, cette passion de la féminité soit dans son incarnation charnelle et affective de la femme, soit dans son incarnation philosophique de l'éloge et de la défense de la faiblesse, car les droits de l'homme ce n'est pas autre chose que la défense du droit à la faiblesse. Et si on me demande de dire quel a été le sens de ma vie, je répondrais toujours - et c'est encore vraiment bizarre pour un homme qui n'a jamais mis les pieds dans une église autrement que dans un but artistique - que cela a été la parole du Christ dans ce qu'elle a de féminin, dans ce qu'elle constitue pour moi l'incarnation même de la féminité. Je pense que si le christianisme n'était pas tombé entre les mains des hommes, mais entre les mains des femmes, on aurait eu aujourd'hui une tout autre vie, une tout autre société, une tout autre civilisation.

Pour le reste, que voulez-vous que je vous dise ? Je voudrais simplement avoir encore le temps de continuer dans la même direction, aussi longtemps que possible, et je le dis tout de suite, pas tellement pour écrire d'autres romans et en tirer je ne sais quelle gloire, mais simplement par amour de la féminité, par amour de la femme, et je crois que l'on trouvera cet amour, on trouvera cette fidélité dans mon nouveau roman qui s'appelle Les Cerfs-volants. Et je ne voudrais simplement pas qu'il y ait plus tard, quand on parlera de Romain Gary, une autre valeur que celle de la féminité. "

"Le sens de ma vie" dernier entretien de Romain Gary 

© Gallimard

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J'écris comme on appelle un enfant au loin parce qu'il s'en va trop vite....

3 Août 2017, 03:44am

Publié par Grégoire.

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Ne rien faire est VITAL ... !

1 Août 2017, 04:13am

Publié par Grégoire.

Ne rien faire est VITAL ... !

Un célèbre neuropsychologue explique comment le fait de " ne rien faire " est VITAL pour la santé ! Contrairement aux idées reçues, il est bon pour la santé de ne rien faire même si cela est généralement mal perçu en société, que ce soit dans la sphère privée ou professionnelle.

une étude a été menée qui démontre que lorsque le corps humain ne fait pas d’activité, son cerveau se met en mode  " par défaut  " et fait alors le tri des informations qu’il contient. Cette étape est absolument indispensable pour le neuropsychologue Francis Eustache qui exerce au CHU de Caen.

 

« Qu’il est doux de ne rien faire quand tout s’agite autour de vous ! » Cette formule qui invite à mettre de temps en temps un point d’arrêt à la frénésie du mental, nous l’avons tous entendue au moins une fois. Elle n’est pas nouvelle puisqu’elle servait déjà de titre à une émission estivale sur les ondes de France Inter au début des années 1970. Les vacances étaient alors perçues comme la période de l’année la plus favorable pour oser faire publiquement l’apologie de la détente dans une société où l’oisiveté nous est présentée, depuis la nuit des temps, comme la « mère de tous les vices ». Mais en réalité, avez-vous déjà expérimenté ce qu’est véritablement « ne rien faire »? Cette question, je ne manque jamais de la poser à quelqu’un à qui je vais prodiguer un massage Amma assis, pour peu que je sois seule avec la personne et que l’atmosphère du moment me semble se prêter à une certaine jovialité. Pour introduire ces quelques instants de bien-être, et a fortiori lorsque je les propose dans un lieu où habituellement les gens travaillent et s’autorisent rarement au laisser-aller, j’ajoute généralement: « Êtes-vous disposé à jouer le jeu de vraiment ne rien faire, c’est-à-dire de faire complètement la poupée de chiffon qui ne fait rien? » Et de conclure en déclarant: « Sûr qu’on n’a pas dû vous la faire souvent, celle-là ! » En la circonstance, ne rien faire, cela signifie seulement lâcher prise, ne pas vouloir aider ou accompagner le mouvement du praticien, se relaxer totalement et, au sens propre du mot, se laisser faire. Cela n’empêche pas qu’à un moment donné du massage, je demande à la personne de placer ses mains derrière sa nuque. Ainsi, comme le montre l’article qui va suivre, il est très exceptionnel que nous prenions délibérément au cours de notre journée du temps pour ne rien faire, c’est-à-dire ne rien faire du tout. Autant les vertus du travail pour l’épanouissement de la personne humaine ne sont plus à démontrer, autant s’accorder régulièrement des phases d’inactivité éveillée et consciente, qui n’ont bien entendu rien à voir avec la paresse, peut se révéler bénéfique à tous points de vue pour le corps et pour l’esprit. De quoi redonner tout leur sens aux mots joyeusement chantés par Henri Salvador: « Le travail c’est la santé, rien faire c’est la conserver ! »

Pourquoi ne rien faire nous fait du bien ?

Dans un monde où tout va trop vite et où la performance est le mot d’ordre, savoir ne rien faire est une qualité précieuse.

Parce que ne rien faire, ce n’est pas vraiment rien faire !

Regarder des séries, se balader dans le calme, contempler la nature… Ce qu’on entend souvent par « ne rien faire », c’est ne rien faire d’utile. Mais, ne rien faire du tout, c’est différent, et le faire pendant quelques instants permet d’être simplement avec soi-même, de ressentir, de se calmer, de s’apercevoir qu’il y a peut-être un besoin qui n’est pas satisfait, un problème non résolu…

Car lorsqu’on ne fait rien, le cerveau, lui, ne fait pas rien ! Au contraire, il stocke, il assimile, il fait des hypothèses, des liens entre les informations.

Ce n’est pas un hasard si la plupart des grandes idées arrivent lorsqu’on ne travaille pas…

Parce qu’on ne le fait jamais

On a oublié ce que voulait dire « ne rien faire ». Dès qu’on a un moment de « vide », on met le nez dans notre smartphone, on va sur internet, on prend un magazine. On écoute de la musique en marchant, on regarde la télé pour s’endormir… Tous nos instants sont occupés par quelque chose, comme si ne pas avoir quelque chose à faire nous effrayait. Nos esprits sont occupés en permanence et on ne prend pas le temps de se poser ! Pourtant, ces moments rares sont précieux, il faut en profiter.

Parce que c’est bon pour la santé

Une étude a montré que les personnes qui travaillent plus de 55 h par semaine voient leur risque de faire une crise cardiaque augmenter de 33 % par rapport à ceux qui travaillent entre 35 et 40 h. Une autre étude réalisée sur 50 ans et publiée dans l’American Journal of Epidemiology a montré que travailler 10 h par jour augmente le risque de maladies coronariennes de 80% ! Ce qui montre bien qu’être toujours occupé à quelque chose détériore notre santé.

Parce que ne rien faire, c’est améliorer ses performances

Une étude lettone menée par l’entreprise Draugiem group (dans le but de tester une nouvelle application) a montré que les 10 % d’employés les plus productifs sont ceux qui travaillent en moyenne 52 minutes d’affilée (sans se laisser distraire) avant de faire une pause de 17 minutes. D’autre part, K. Anders Ericsson, professeur de psychologie à l’université de Floride, a montré, dans une étude menée à Berlin, que les musiciens les plus brillants ne pratiquaient en moyenne que 90 minutes par jour et faisaient plus de siestes que les autres. En fait, ne rien faire, faire des pauses, est nécessaire pour recharger les batteries, nous aider à faire face à un problème, trouver des solutions et être plus créatifs !

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L’art n'est pas un moyen de propagande ou de prosélytisme !

30 Juillet 2017, 03:53am

Publié par Grégoire.

L’art n'est pas un moyen de propagande ou de prosélytisme !

Dominique Leverd est de la génération de François Beaulieu et Claude Brosset. Il a joué avec Jean Marais, Suzanne Flon, mis en scène Fanny Ardant, Michel Favory et a joué près de 120 rôles et signé une quarantaine de mises en scène. Aujourd’hui, il forme des comédiens et cela dure depuis trente ans. Rencontre avec un homme de théâtre éveillé, pour qui « Tout commence par le Verbe ».

Comment devient-on comédien ?
Dominique Leverd : C’est inexplicable. Être comédien, c’est une vocation. Plus qu’une vocation, c’est un sacerdoce. C’est le don de soi. On ne choisit pas d’être comédien. On se sent comédien. On est choisi par cela. Il n’y a dans le fait de devenir comédien, ni choix, ni réflexion. C’est impératif et évident.

Vous avez une longue carrière. Pouvez-vous nous raconter votre parcours artistique ?
J’ai commencé ma formation chez Blanche Ariel, puis je suis allé au Centre national de la rue Blanche et enfin au Conservatoire. L’année 1968 a été pour nous un effondrement des valeurs, une vague de destruction de tout ce qui faisait la beauté du métier et surtout le désespoir de voir que l’establishment suivait ce mouvement par démagogie. À ce moment-là, on perd tout. Tout est aboli, il n’y a plus de « théâtre », le mot même prend une connotation négative, trop « bourgeois ». C’est un coup de poing.

C’est à ce moment-là que j’ai conscientisé le sens de mon métier. Au milieu de metteurs en scène idéologues, intellectuels, parfois nihilistes, qui faisaient de la déconstruction au profit de leurs propres fantasmes ou idéologies, je suis revenu à la mission originelle de l’artiste : le devoir de l’homme de théâtre c’est de transmettre l’esprit et la lettre de l’auteur.

Vous avez pris une sorte de maquis artistique ?
J’ai créé une compagnie avec laquelle j’ai monté Polyeucte de Pierre Corneille : pour moi, c’était symbolique. Polyeucte est un sommet du théâtre français, un chef-d’œuvre de la littérature dramatique. En montant cette pièce, je disais : « Voilà ce que je pense, voilà ce que je suis, voilà au nom de quoi je fais du théâtre ». J’orientais le public vers la source de l’art et du théâtre en particulier : je montrais qu’elle est par définition spirituelle. C’était une manière de dire : « Dieu est là ».

L’année d’après, j’ai monté Le Maître de Santiago de Montherlant, non pas par choix intellectuel, mais parce qu’il fallait monter les grands auteurs qui portent un message exceptionnel. J’ai monté un certain nombre de chefs-d’œuvre du théâtre français, Tête d’Or de Claudel, Les Femmes SavantesMiguel Mañara… Et j’ai fondé un mouvement appelé « Art et Lumière », qui s’ouvrait pas seulement au théâtre mais à toutes les disciplines artistiques, parce qu’elles ont les mêmes lois, les mêmes valeurs, les mêmes sources, les mêmes finalités…

Quand avez-vous décidé de former des comédiens ?
Quand un comédien commence à mettre en scène, petit à petit les professionnels du métier ne pensent plus à lui comme comédien. Jean-Louis Barrault me l’avait dit. Et puis, il faut dire que les programmations m’intéressaient moins. Quand on me proposait de jouer Mon cul sur la commode, je préférais monter Dialogues des carmélites. On n’est jamais mieux servi que par soi-même.

C’est en engageant des comédiens pour jouer que je me suis rendu compte que mai 68 avait absolument dégradé le métier de comédien. L’enseignement au Conservatoire était devenu un chaos. Je me suis dit qu’il fallait former les gens, qu’il fallait passer le flambeau et que je devais transmettre ce que j’avais reçu.

Pourquoi avoir donné à votre école de théâtre le nom de Verbe et Lumière ?
Parce que le théâtre est l’art du Verbe. Et que le Verbe est la lumière des hommes, comme dit saint Jean. Ce n’est pas un jeu de mots. C’est fondamental. Le Verbe c’est la parole intérieure et extérieure. C’est l’intention et l’expression. Comme dit saint Augustin, il y a un verbe intérieur : je vis quelque chose en moi et je l’exprime. C’est le rapport du Père avec le Fils. Le Père ne se manifeste pas, Il se manifeste totalement dans le Fils.

Et la lumière, parce que le Verbe éclaire. Parce qu’avec quelques mots, je peux totalement éclairer le cœur d’un homme, ne serait-ce que sur le plan humain. Et inversement, avec quelques mots je peux détruire quelqu’un. Si je répète à un élève qu’il n’est pas bon, je ne changerai rien en lui. Mais si je lui dis ce qui est bien, j’éclaire son travail.

Votre ascèse personnelle, est-ce que c’est une conversion ?
Je préfère parler de seconde naissance. À ce moment-là, je suis né au sens spirituel de ma vie. C’est une conscientisation intérieure, une affirmation qui se manifeste en vous, dont vous êtes à la fois acteur et témoin, qui s’imprime en vous, qui consacre votre vie toute entière, et une fois que c’est là, vous vous dites « c’est cela et pas autre chose ». Évidemment, quand on a vu la lumière, la beauté des choses, on n’a plus envie de regarder la laideur et ce qui dégrade.

Votre seconde naissance s’est donc fait en pleine corrélation avec votre art ?
Oui ces deux dimensions de ma vie sont inséparables. L’une amène l’autre. Tout mon voyage spirituel est totalement inhérent à mon activité artistique. L’activité artistique est une activité intérieure, spirituelle et non pas psychologique.

Qui ont été vos maîtres artistiques ?
J’ai eu la chance de rencontrer des hommes remarquables sur mon chemin de comédien. Parmi ces êtres remarquables, il y a ma mère. J’ai également intégré les petits chanteurs à la Croix de bois ; c’est une formation extraordinaire qui a compté énormément dans ma vie. J’y ai rencontré Mgr Maillet qui est toujours resté un exemple pour moi. Je pense aussi à ceux qui m’ont formé en tant que comédien : Henri Rollan, Jean Meyer… Ils savaient ce qu’est le théâtre.

Les chrétiens ont parfois tendance à prendre le théâtre comme moyen d’évangélisation. Qu’en pensez-vous ?
Il n’y a pas plus de théâtre chrétien qu’il n’y a de théâtre de droite ou de gauche. L’idée tue l’art. Dès qu’il y a une quête de vérité authentique à l’intérieur, c’est une quête de Dieu. Parce que Dieu est la vérité. Ce n’est pas un jeu de mots, c’est une réalité ! Je déplore qu’on fasse de l’art un moyen de propagande ou de prosélytisme. À partir du moment où je regarde l’homme traversé par ses passions positives ou négatives, je regarde la personne humaine dans son unité et sa vérité, avec toute sa contradiction bien sûr. Mais dès lors que je contemple la vérité de la personne humaine, dès lors que je regarde la beauté du monde, je m’approche de la beauté de Dieu.

Théâtre et Église n’ont pas toujours fait bon ménage. Quel regard portez-vous sur ces relations parfois complexes ?
Je crois qu’il faut faire une distinction entre le clergé — qui sont des hommes comme nous tous, c’est-à-dire imparfaits qui peuvent faire des erreurs — et l’Église. L’Église, Corps Mystique du Christ porte le message du Seigneur. Oui, des hommes se sont trompés sur les comédiens, mais à côté de cela, le théâtre est né chez les Jésuites, Jean Paul II écrivait du théâtre et jouait ses pièces… Et l’excommunication a été abolie grâce aux travaux du révérend père Carré, très grand personnage et membre de l’Académie française. Ce dominicain s’est battu pour la cause des comédiens, avec Georges Le Roy, de la Comédie Française, et tous deux ont obtenu que l’excommunication soit levée.

Y a-t-il un rôle que vous avez préféré ?
Je ne sais pas. Que je joue Rodrigue, Lorenzaccio, Karamazov, Clitandre… c’est toujours la même passion, la même disposition intérieure. C’est comme si vous demandiez à mon œil ce qu’il préfère regarder.

Je vois la vie, je ressens tout. Un rôle, c’est voir et sentir. C’est être éveillé à la multiplicité des formes et des sentiments qui habitent l’homme. Le théâtre nous met dans une relation physique avec les choses, nous demande une « sensivité » extrême à tout « au silence et au tremblement d’un arbre et à l’explosion d’une bombe atomique », comme disait Henri Rollan.

À quoi aspire un comédien qui a joué plus de 120 rôles, signé une quarantaine de mises en scène et formé des comédiens pendant trente ans ?
À continuer !

https://fr.aleteia.org/2017/07/18

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Maladie infectieuse des sérieux...

28 Juillet 2017, 03:40am

Publié par Grégoire.

Maladie infectieuse des sérieux...

Il y a toujours un peu de folie dans l'amour.

Mais il y a toujours aussi un peu de raison dans la folie.
Et à moi aussi qui aime ce qui vit, il me semble que les papillons ou bulles de savon et les êtres humains qui leur ressemblent sont ceux qui en savent le plus du bonheur.
Voir compter ces âmes légères, un peu folles, fragiles et mobiles - voilà ce qui donne à Zarathoustra envie de larmes et de chansons.
Je ne croirai qu'en un dieu qui s'entendrait à danser. Et lorsque je vis mon diable, je le trouvai grave, minutieux, solennel ; c'était l'esprit de pesanteur -par lui toutes les choses tombent.

On ne tue pas par la colère, mais on tue par le rire.

Allons, tuons l'esprit de pesanteur!

Nietzsche, " Ainsi parlait Zarathoustra.

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«Combien faut-il de souffrance pour mettre au monde un poète ?»

26 Juillet 2017, 04:23am

Publié par Grégoire.

«Combien faut-il de souffrance pour mettre au monde un poète ?»

"Je suis le livre errant, le livre sans auteur. J’écris avec l’aide du vent qui tourne mes pages, avec l’aide du sang pourpre des feuilles des arbres. Je suis l’errance, l’errance qui sait tout. En fait je n’écris pas, je me promène, mes deux cœurs en chaque main, comme des valises spirituelles. Les pays sont devenus si proches qu’il est plus difficile d’enjamber une flaque d’eau que de voyager jusqu’aux Indes. Mes pensées sont des Juifs qui se cachent. Le son de leurs violons est si pur qu’il fait peur aux modernes nuisances sonores.

Que vais-je écrire sur cette page blanche ? On ne sait pas quand l’âme vous force à prendre la plume. C’est une sorte d’esclavagisme spirituel. D’ailleurs pour qui écrire, et qu’écrire puisque l’écriture a déjà tout écrit ? L’admirateur et l’admiré sont morts. Il ne reste plus que quelques branches qui jonchent la chaussée et regardent la vie marcher pieds nus. Je ne suis pas un écrivain, juste le secrétaire de Dieu qui dicta sa pensée. Il sait que je n’ai pas la foi, c’est pour cela que je lui conviens. Que lui importe que je sois inconnu. Il sait qu’une bouche récitera mes poèmes après ma mort.

Le ciel ne s'est pas rasé ce matin. Sa barbe blanche est clairsemée de gris. Je me coupe en épluchant une pomme de terre. Le sang coule le long de mon bras comme un vieux vin éventé. Moi, je suis une antique bouteille de chair oubliée.
Pour mon esprit un grain de sable est plus émouvant qu'un musée. En vérité, je ne m'appartiens pas. Ni mon intelligence ni mes pas ne sont à moi. Le seul don que je mérite, c'est la pensée. Dans une vieille brocante, j'ai trouvé un recueil des poèmes de Rimbaud pour un euro. C'est beau qu'un livre vaille moins qu'une pile électrique, car c'est lui pourtant qui éclaire le monde."

Jean Marie Kerwich, le livre errant.

 

 

 

 

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"il y a quelqu'un?" est la question qui sort sous la pioche des poètes.

24 Juillet 2017, 04:30am

Publié par Grégoire.

"il y a quelqu'un?" est la question qui sort sous la pioche des poètes.

Malheur à vous qui avez fait du Christ un fils de bonne famille. Les saints et les joueurs de jazz ne sont pas des gens convenables, c’est pourquoi les connaître donne tant de joie. La main en suspens au-dessus du clavier, Thelonious Monk appelle en silence. «Il y a quelqu’un?» est la question posée. On entend la même question dans les psaumes. Chaque note est jouée dans l’espérance d’entendre la réponse. Les musiciens de jazz ne vieillissent jamais. Avec le temps, ils deviennent des montagnes sacrées aux vapeurs de tabac anglais, chefs-d’œuvre de joie-sagesse. Monk a fini ses jours dans un appartement new-yorkais, au milieu d’une centaine de chats regardant les étoiles tituber sur les eaux noires de l’Hudson, toute l’Égypte dans leurs yeux. Une baronne l’avait adopté avec son épouse. Isabelle Rimbaud, Dora Diamant, Nadejda Mandelstam: les femmes qui prennent soin des poètes, on devrait comme je le fais ici recopier leur nom, faire en sorte que la mousse du temps ne le recouvre jamais.

Dans les dernières années, Thelonious Monk ne touchait plus aucun piano, ne parlait plus. Ce n’était pas la folie. La folie est un bêlement d’agneau égaré. C’était la paix immense que savent les nouveau-nés. Il avait rejoint ce royaume jadis entrevu entre deux notes. Vivre répond à tout. Oui, sans aucun doute, «il y a quelqu’un». J’ai vu une pauvresse dans une galerie marchande compter ses sous. De sa main droite, elle prélevait une à une les petites pièces en cuivre dans sa main gauche comme on cueille des mûres, en prenant soin de ne pas les écraser. Une lumière sortait de ses mains. Son attention valait celle d’une sainte. Son courage m’éblouissait. Il faut du courage pour tout, même pour ramasser un crayon tombé à terre. Nous sommes des brouillons de poème, les tentatives que fait Dieu pour prendre l’air. La paix intérieure est la seule terre sainte.

J’écoute un hibou dans l’opéra glacé de la nuit. Je ne crois pas à ce qu’on me dit. Je crois à la manière dont on me le dit. Je crois à la vérité inexprimable des souffles. Je crois au Dieu qui fait briller le poil des chats et les yeux des vieux pianistes de jazz. Elle est si brève, la vie interminable. Je donne mon cœur aux vagabonds qui dorment dans les fossés des livres. La vie est un conte de fées avec ses forêts, ses ogres et sa chance ultime. Je ne crois à rien de raisonnable. Les saints surgissent de leurs écrits le visage barbouillé du miel des lumières, comme des ours de l’absolu. Ce qui peut être expliqué ne mérite pas d’être compris. Je crois que nous passons le meilleur de notre vie à construire des fenêtres pour encadrer le vide et que c’est la plus belle partie du conte de fées.

Christian Bobin.

 

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La robe rouge

22 Juillet 2017, 04:03am

Publié par Grégoire.

 

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Un bruit de balançoire

20 Juillet 2017, 03:38am

Publié par Grégoire.

Un bruit de balançoire

Je suivais le cortège funéraire de mon dernier manuscrit. Le chemin était en pente, les cailloux rissolaient. Nous allions de l’été à l’automne comme on passe sans s’en rendre compte une frontière. Non : plutôt comme on marche sans les connaître sur d’anciennes tranchées.

Le sol était rempli de guerres et mon cœurs était en paix. Je suivais le corbillard invisible de mon manuscrit. Je l’avais relu la veille et, comment dire : c’était comme si j’avais regardé passer sur le fleuve de papier des troncs d’arbres flottant, s’entassant et ne bougeant plus.

Mes mots ne donnaient qu’une lumière morte. J’ai ramassé les feuillets, tout jeté. C’est ce cortège que je suivais le lendemain. Les funérailles de mes trouvailles. L’enterrement se terminait au bout du chemin, près de la voiture qui mangeait son foin. Je suis rentré dans la maison où mon enfance m’attendait. Je me suis trouvé devant moi-même à huit ans. Je me suis donné un feutre. Tiens, écris, moi je vais me promener. Je reviendrai te voir quand tu auras fini. L’enfant-moi a souri puis il a plongé la tête, sa grosse tête butée, granitique, picorée de flammes, dans le papier blanc. Je suis sorti. Il m’a semblé qu’il écrivait des lettres. Il ne sait écrire que ça. Sa vie n’est rien qu’écrire. Le panda mange de l’eucalyptus, et lui de l’encre.

Christian Bobin, un bruit de balançoire.

 

Un bruit de balançoire

Pour la première fois, Christian Bobin livre un texte entièrement composé de lettres. Rares et précieuses, elles sont adressées tour à tour à sa mère, à un bol, à un nuage, à un ami, à une sonate. Sous l’ombre de Ryokan, moine japonais du XIXe siècle, l’auteur compose une célébration du simple et du quotidien. La lettre est ici le lieu de l’intime, l’écrin des choses vues et aimées. Elle célèbre le miracle d’exister. Et d’une page à l’autre, nous invite au recueillement et à la méditation.

« J’ai interrogé les livres et je leur ai demandé quel était le sens de la vie, mais ils n’ont pas répondu. J’ai frappé aux portes du silence, de la musique, et même de la mort, mais personne n’a ouvert. Alors j’ai cessé de demander. J’ai aimé les livres pour ce qu’ils étaient, des blocs de paix, des respirations si lentes qu’on les entend à peine. »

https://www.editions-iconoclaste.fr/livres/bruit-de-balancoire/

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