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QUE CHERCHEZ-VOUS ?

L’atrabilaire amoureux ...

29 Janvier 2013, 03:35am

Publié par Fr Greg.

 

L'atrabile était pour les anciens le nom de la bile noire qui conduisait à la colère et à la dépression. Alceste, le misanthrope, était atteint de ce mal.

 

Alceste

       

 

 Alceste : « Tous les hommes me sont, à tel point, odieux, Que je serais fâché d’être sage à leurs yeux.

Philinte « Vous voulez un grand mal à la nature humaine !  »

Alceste : » Oui ! j’ai conçu pour elle, une effroyable haine. (…) Contre l’iniquité de la nature humaine, Et je nourris, pour elle, une immortelle haine. »

Molière, le Misanthrope.

 

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Philippe Le Guay confronte deux ego, Fabrice Luchini et Lambert Wilson, dans un duel à fleurets mouchetés autour du Misanthrope.

 

Pile ou face. Ils lancent une pièce en l'air pour savoir qui va incarner Alceste. Dans une maison au charme délabré, deux acteurs répètent Le ­Misanthrope. L'île de Ré est un théâtre. Il s'y passe des choses prodigieuses. Les phrases de Molière résonnent dans des salons vastes et humides. Lambert Wilson est venu déranger Luchini dans sa tanière. L'un est une vedette du petit écran, l'autre s'est retiré du métier. Le héros de feuilleton se balade en manteau blanc, signe des autographes, arbore une coiffure à la Liberace. Son ancien ami bougonne, a des problèmes d'intendance, les joues mal rasées. Il porte des écharpes et des gros pulls qui le font ressembler à Céline.

Les planches? Terminé. Basta. Finito. Pourtant, il se laisse tenter par la proposition. Il hésite, ondoie, revient sur sa décision. Oui. Peut-être. On verra. La partie n'est pas gagnée. Ne pas oublier que ce monsieur balance dans la cheminée les scénarios qu'il reçoit. Mais Molière, hein, Molière? Il n'est pas interdit de rêver d'un retour triomphal. Il y a une saison pour tout. Peut-être que le milieu a changé, que la trahison n'y est plus la règle. Luchini espère une revanche. La célébrité de Wilson l'agace. On ne peut pas éternellement rentrer en soi-même.

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L'astuce de Philippe Le Guay consiste à avoir offert le troisième rôle au décor. On zigzague sur des chemins creux, tombe dans des étangs. On se balade sur de longues plages à marée basse. On dérange des agents immobiliers. Les gens chuchotent sur la place du marché. Une serveuse de café voudrait devenir actrice de X. La province n'est plus ce qu'elle était. Une Italienne cherche à vendre sa villa. Cette brune piquante retourne dans son pays. Au milieu des cartons, elle réveille des désirs assoupis. Ça n'était pas prévu. La vraie vie déboule parmi les textes classiques. D'authentiques sentiments se mêlent aux émotions en caractères d'imprimerie. Ah, ces lueurs inédites qui pétillent soudain dans les regards! Il va falloir gérer cela. Les deux comédiens se surveillent. Leurs ego se frottent comme deux silex. Cela produit des étincelles. Ces Narcisse se tirent le tapis sous les pieds, emploient des formules à double sens, multiplient les cachotteries. Cette profession n'a pas le monopole de la jalousie. La notoriété aiguise les envies. Cela ne va pas sans violence. Ronchonner en robe de chambre est un honnête passe-temps. Il y a de faux espoirs, des états d'âme, des promesses non tenues.

 

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Tristesse rieuse et agressive

Ce duel à fleurets mouchetés est servi par deux phénomènes. Wilson est souple, moelleux. Il résiste à un Luchini acariâtre, lunaire, aux blessures secrètes. On dirait deux sportifs de même niveau. Ils s'échauffent, font des balles. Soudain, c'est le smash. Les répliques claquent. Elles sonnent juste. Le Guay est à son affaire. Il aime la langue française, les plaisirs de l'imagination, les mots qui crépitent comme des feux d'artifice. Un tempérament pareil ne court pas les rues. Quelle joie, quelle chance, de vivre dans un pays où l'on s'étripe pour un adjectif, où prononcer «indicible» au lieu d'«effroyable» constitue un crime, pire: une faute de goût. On déclenche des guerres pour moins que ça. Celle-ci se mène entre deux quinquagénaires bouffis d'orgueil, pétris de malice, au bord de la crise de nerfs. Ils sont capables de piquer des colères terribles à cause d'une virgule ou d'un portable qui sonne. Belle leçon de civilisation.

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 Il règne là-dessus un climat doux-amer. Telles sont les mésaventures qui arrivent au mâle occidental en ce début de siècle vingt et unième. Tout cela sensible, intelligent, avec ce qu'il faut de cruauté. Comment peindre le théâtre? Le moyen de filmer le talent? Il suffit d'avoir la souplesse d'une chanson de Montand, de montrer des cœurs affolés, de rendre poétique un morceau des Charentes-Maritimes, d'écouter ­Molière, qui était un peu le Audiard de son époque.

Luchini, d'une tristesse rieuse et agressive, fonce à deux-roues sur la jetée en costume du XVIIIe. Dans le ciel, il y a de merveilleux nuages. Philippe Le Guay est l'éclaircie du cinéma français.

www.lefigaro.fr

 

 

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