Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
QUE CHERCHEZ-VOUS ?

Discours impertinent sur la recherche de la vérité

6 Mars 2013, 01:13am

Publié par Fr Greg.

 

achathx7.jpg

 

Comme il est des choses trop graves pour en parler sérieusement, nous choisirons d’en parler ici par mode de plaisanterie, espérant qu’ainsi nous pourrons aller au bout de pensées qui, prises en l’espace du sérieux, ne pourraient que tourner court. C’est pourquoi nous n’hésiterons pas à prendre le ton et l’allure d’un célèbre Discours qui fut en quelque sorte à l’origine des temps modernes.

    La mort est la chose du monde la mieux partagée, car il est sans exemple qu’un homme ait pu y échapper. Mais il n’en est pas des humains comme des bêtes ; car la mort pour eux n’est pas simplement la fin brutale de la vie, elle est ce qui peut hanter la vie même et la transformer en horreur et terreur.

  C’est-à-dire que la question précédant toute question, et toute ambition même de la pensée, est cette menace qui pèse sur l’homme de le détruire en son humanité. Le meurtre paraît régner sur l’histoire ; et, là encore, pas celui du tigre ou du lion qui ont faim, mais celui de l’être humain acharné à détruire en l’autre humain son humanité, à se faire meurtrier de la parole où se manifestait sa présence.

Se séparer de cette mort-là est l’œuvre première, qui instaure l’humanité, c’est-à-dire le primitif pouvoir être de ceux qui s’appellent humains ; hors de quoi aucune autre œuvre n’est possible, aucune demeure habitable, aucun chemin ouvert.

C’est à cette urgence par-delà toute urgence qu’ont répondu, ou cru répondre, les mythes et les sagesses, les religions et les philosophies. Au point où nous sommes venus, il y a doute sur la capacité de ces immenses constructions de l’esprit à assumer la tâche primordiale. Non qu’elles soient méprisables ; peut-être même portent-elles - du moins certaines d’entre elles - ce qu’il nous faut absolument préserver ou retrouver ; mais ce ne sera qu’à surmonter ce soupçon où nous sommes, quant à leur état présent.

D’où viennent doute ou soupçon ? D’un constat, déjà, du côté de ce qu’on nomme culture, celle des gens cultivés. Le XXe siècle, là-dessus, nous a enseigné cette vérité terrible : on peut être un scientifique remarquable, un excellent artiste et pactiser avec l’atroce, voire le servir. On peut enseigner la philosophie, être un homme pieux et ne pas voir l’ignominie et s’en accommoder. A vrai dire, on pouvait s’en apercevoir depuis longtemps ; mais le XXe siècle a donné à ce constat une force inédite. La capacité de faire taire la voix humaine, de réduire des êtres humains, non à l’état de bêtes, mais de choses sans nom, y a pris des proportions inouïes. Nous savons désormais que cette dérive monstrueuse est possible, comme nous savons que nos propres techniques peuvent passer sous le pouvoir de la destruction.


    C’est au point que la recherche même de la vérité se trouve compromise, puisque celle qui réussit si admirablement en mathématiques et en physique peut se trouver incompétente et impuissante devant les assauts de la Mort. Cela suggère qu’il faudrait remonter aux sources, oser rouvrir cet espace que le succès de nos sciences rend vain et dérisoire.

    
    C’est pourquoi l’on se tourne à nouveau vers les sagesses et les croyances que nous récusions tout à l’heure, en protestant qu’elles peuvent se délier de cette culture, celle d’Occident, qui ne nous garantit plus contre la chute. On se tourne vers l’archaïque et l’exotique, la tradition perdue ou la voie étrangère, comme vers ce qui donne à nouveau souffle et assurance.

Ce mouvement, toutefois, dépend encore de la situation présente. Devant, ou plutôt dans la formidable explosion du monde, de l’homme, de tout, qui est le fait et le fruit de la modernité, il fait figure d’un recours vers un ailleurs, qui nous dispense d’affronter ce que nous sommes réellement devenus. La violence de la critique, l’interrogation sans réserve, la mise à la question de toute certitude, le passage à l’universel d’une mondialisation qui brasse toutes les différences et relativise tout, la puissance technique qui délie des contraintes de la nécessité, la défaite des ordres anciens qui libère le désir et l’envie, voilà le monde que nous habitons et qui renvoie les chemins de foi ou de sagesse, sinon à l’insignifiance, du moins à des possibilités inscrites dans ce monde-là. Rien à faire : on ne remonte pas l’histoire et on ne sort pas de soi-même. Ce n’est même plus le doute qui vient là : c’est une absence irréparable à ce qui n’est plus de notre lieu ; on peut y trouver goût, refuge, secours et progrès spirituel. Mais si l’on accepte d’être conscient, c’est avec la conscience d’une sorte d’artifice, qui transforme ce qui était la vérité d’un monde en ce qui est une marge du nôtre.

Reste précisément à habiter ce monde-ci, dans l’oubli résolu des questions vaines puisque insolubles. C’est la fin de cet homme du questionnement et de la recherche, constructeur de systèmes et critique de ceux des autres, ambitieux sans mesure, croyant au sens de l’histoire et à l’avenir de l’humanité, raison et révolution réussies : bref, c’est la fin de l’homme moderne. En cet âge nouveau, qui n’a pas encore de nom (post-moderne est vague et équivoque), les êtres humains sont comme submergés dans un processus qui se confond pour eux avec le réel et qui seul leur donne consistance et existence. Il n’est point le fait du divin ou de la nature, mais des hommes eux-mêmes ; pourtant il semble avoir sa logique propre, qui défie toute prétention à la diriger, comme si l’alliance de l’économie et de la technique soutenue par la science offrait un monde de possibilités infinies, une explosion d’explosions, dont il suffirait aux humains de jouir, pour que toute question extérieure soit abolie et toute l’existence comblée, dans une limite définitivement acceptée.

    Par rapport à l’urgence évoquée au début, ce déferlement prodigieux de productions, images, paroles couvre un silence lui aussi prodigieux.

Maurice Bellet.

Commenter cet article