Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
QUE CHERCHEZ-VOUS ?

Reconstruire l'éternité : Notre Dame à coeur ouvert

12 Juin 2020, 09:42am

Publié par Grégoire.

Reconstruire l'éternité : Notre Dame à coeur ouvert

(...)

Nous sommes des passeurs.

Quand l'architecte fabrique une oeuvre, l'Architecte du Patrimoine s'efface pour faire place à l'œuvre. Dans « Guerre aux démolisseurs », Hugo exhorte à l'humilité : « Faites réparer ces beaux et graves édifices. Faites-les réparer avec soin, avec intelligence, avec sobriété. Vous avez autour de vous des hommes de science et de goût qui vous éclaireront dans ce travail. Surtout, que l'architecte-restaurateur soit frugal de ses propres imaginations ; qu'il étudie curieusement le caractère de chaque édifice, selon chaque siècle et chaque climat. Qu'il se pénètre de la ligne générale et de la ligne particulière du monument qu'on lui met entre les mains ; et qu'il sache habilement souder son génie au génie de l'architecte ancien. » 

Je m'interroge aussi sur ce « geste architectural » dont on nous parle tant. Pourquoi faudrait-il qu'il soit exclusivement du côté de l'écriture contemporaine ?

(…)

 

Être éclairés

La question de la gestion de la lumière s'est rapidement imposée dans les réponses des architectes à l’assaut de la toiture de Notre-Dame, de la flèche et du ciel. Et nous volons, attirés comme des papillons de nuit, cherchant une lampe pour venir pour se brûler. Car on confond « être éclairé » et « être dans la lumière » de Dieu.

Ainsi, on veut nous faire croire que le verre est la matière de la lumière par excellence. Et comme nous souffrons de ne pas y voir clair, la transparence nous apparait comme le remède idéal. Hélas, ce n'est pas dans la boule de cristal qu'est la flèche qu'il faut la chercher. Elle ne réglera pas elle toute seule la confiance per due dans tous les espoirs déçus. Et, en aucun cas, cette lumière-là ne peut faire la lumière sur notre passé et notre présent qui peuvent, de temps à autre, nager en eaux troubles.

Le verre transparent laisse voir nettement les objets. Le verre translucide laisse passer la lumière. De l'autre côté, les formes résistent se dévoiler, les visages portent des masques, les corps traînent derrière eux de grandes capes, il y a encore quelque chose du mystère. Je préfère ce flou, l'aléatoire, le changeant de la matière transluCide afin que demeure le continuum du nuage. C'est moi ensuite qui décide de faire le nec, la mise au point sur les couleurs et la forme des objets, de manière sélective si le souhaite. En tout état de cause, la matière du verre seule me semble être une réponse évanescente, évaporée et intangible qui manque de chair,

Dans les projets que je vois, le choix du verre apporte une solution radicale à la prétendue obscurité de la cathédrale. En réalité, la lumière dont on parle à Notre-Dame n'a rien à voir avec le lumen ou le lux, qui est une unité de mesure de l'éclairement lumineux. La lumière qu'on cherche dans la cathédrale n'éclaire pas une surface ou le sens de la vue. Cette lumière est toute intérieure et ne dépend pas de la quantité des rayons du soleil diffusés à l'intérieur de la coquille. 

L'obscurité qu'on reproche à Notre-Dame n'est pas n'importe quelle obscurité en fait. Elle est la mystérieuse obscurité, la part d'ombre qui fait la part belle à tous les cierges allumés dans les chapelles et le choeur. Sans obscurité, point de lumière pour éclairer les endroits choisis. Il faut avoir conscience de l'immensité de l'ombre. La cathédrale n'a pas besoin de la clarté d'un écrasant soleil pour accueillir et se revêtir de lumière.

Il est d'ailleurs intéressant de noter que c'est précisément le siècle des Lumières qui cherche aussi à apporter la lumière du soleil à l'intérieur de l'édifice. Les vitraux médiévaux sont déposés et remplacés par des vitrages clairs et géométriques et les élévations sont complètement badigeonnées. Ce projet traduit, comme pour le xxie siècle, l'expression d'un grand besoin de lumière, apparentée ici à la connaissance. Dans un même temps, il règle son compte à tout le mysticisme du Moyen Âge en barbouillant de blanc la profondeur des couleurs et la lumière de l'or.

(...)

 

 

L'incendie de Notre-Dame de Paris a sidéré les Français comme le monde entier, croyants comme non-croyants, comme si une part de nous-mêmes avait brûlé, une part d'enfance avec notre Mère.

Marie-Amélie Tek en a été d'autant plus bouleversée que, architecte du patrimoine, elle a voué sa vie à la préservation du patrimoine.

Dans cet essai, écrit avec le coeur et un style d'une poésie éblouissante, l'auteur revient sur la signification profonde du bâtiment, sur le rapport à la matière et à l'harmonie, s'effrayant que l'on dissocie la fonction du lieu et sa construction. Elle interpelle les architectes qui doivent s'effacer derrière les mille ans de prières qui ont façonné Notre-Dame. Elle fait ainsi un développement rassérénant sur le bois de la charpente, allant à la rencontre des bûcherons qui retrouvent les techniques ancestrales pour couper le bois, le travailler. La matière n'est pas que matériau, elle vit aussi de la fonction qu'on lui donne, de l'âme de ceux qui la travaillent.

À la suite de Victor Hugo qui voyait en Notre-Dame un chef-d'oeuvre d'art total, Marie-Amélie Tek nous propose un ouvrage visionnaire, déployant avec force les arguments historiques, architecturaux, mais aussi humains afin de nous questionner sur notre rapport à la cathédrale Notre-Dame de Paris, mais aussi sur la résonance du patrimoine spirituel en chacun de nous.

Commenter cet article