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Rien ne se propage mieux que la peur ..

14 Mai 2020, 01:44am

Publié par Grégoire.

Rien ne se propage mieux que la peur ..

Une pandémie dévastatrice explose à l’échelle du globe… Au Centre de Prévention et de Contrôle des Maladies, des équipes se mobilisent pour tenter de décrypter le génome du mystérieux virus, qui ne cesse de muter. Le Sous-Directeur Cheever, confronté à un vent de panique collective, est obligé d’exposer la vie d’une jeune et courageuse doctoresse. Tandis que les grands groupes pharmaceutiques se livrent une bataille acharnée pour la mise au point d’un vaccin, le Dr. Leonora Orantes, de l’OMS, s’efforce de remonter aux sources du fléau. Les cas mortels se multiplient, jusqu’à mettre en péril les fondements de la société, et un blogueur militant suscite une panique aussi dangereuse que le virus en déclarant qu’on "cache la vérité" à la population…

Qu'a voulu nous dire Soderbergh ? Que le danger le plus terrible qui nous guette serait de nous toucher, et finalement de nous aimer ?

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Penser aux gestes-barrières, penser sans barrière

1 Avril 2020, 01:45am

Publié par Grégoire.

Penser aux gestes-barrières, penser sans barrière

Il y a 3 mois à peine nous nous souhaitions une belle année et une bonne santé. 

-Qui aurait alors songé qu’une dissuasion bien plus inquiétante que des forces de l’ordre et de tirs de LBD ferait plier des gilets jaunes manifestant depuis une année ? 

-Quel urgentiste en grève depuis de nombreux mois, sur banderoles mais pas sur le terrain, aurait osé penser que malgré le manque de moyens, il vivrait une situation bien pire que celle dénoncée tout en étant pourtant mieux compris ? 

-Quel laissé pour compte par la société aurait imaginé la double peine d’être abandonné à la fois par l’Etat et par les associations bénévoles ? 

-Enfin, quel citoyen aurait cru qu’au nom du civisme, à défaut de tout autre moyen mobilisable, il aurait l’obligation de s’enfermer en s’autorisant cependant à sortir sous conditions ? Qui aurait pu imaginer que le respect du confinement « confinerait » au courage et qu’on enverrait, nous défendant en première ligne, un corps médical d’autant plus héroïque que désarmé ? 

-Quel gouvernement aurait osé penser plier devant un ennemi invisible remettant en cause en quelques jours ses choix et ses principes fondamentaux ? 

 

On nous parle de situation de guerre, de médecine de guerre. L’utilisation de la sémantique guerrière accentue la dramaturgie communicante et le communautarisme patriotique, ce n’est pas nouveau. Les médecins humanitaires savent la différence entre opérer sous les bombes ou dans les décombres et soigner dans des conditions dégradées directement issues des choix d’une économie ultra-libérale, délocalisée et mondialisée, de priorités financières spéculatives (pardon pour le pléonasme), de flux tendus et d’imprévoyance. 

Nous ne sommes pas en situation de guerre mais de catastrophe. Nous sommes dans un pays en paix, contrairement à d’autres oubliés, qui peine à protéger sa population tout en figurant parmi les plus puissantes au monde, bien présente notamment sur le podium des ventes d’armes…Là, il est permis de parler d’effort de guerre ! 

Le préambule de la Constitution Suisse stipule que : « La force d’une communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres ». Ça y est nous y sommes, nous sommes arrivés à l’heure du tri des plus faibles. Qu’en auraient pensé les rescapés des camps, les échappés du tri, s’ils avaient été aujourd’hui, dans leur grand âge, hospitalisés ? Dieu merci, à quelques années près ils n’auront pas à vivre cette situation. 

Les curseurs des notions de soins palliatifs doivent-ils être révisés en fonction des moyens quantitatifs et qualitatifs plus ou moins accordés à la médecine ou définis éthiquement à une limite thérapeutique optimale et décente au-delà de laquelle on verse dans l’acharnement ? Autrement dit, celui qui aurait été sauvé hier sans acharnement thérapeutique, est-il acceptable qu’il bénéficie aujourd’hui de soins palliatifs, eux-mêmes au rabais pour cause d’urgence de libération de lits, sans même l’accompagnement de familles ou d’associations, au nom de l’imprévoyance ? Faut-il rappeler que « gouverner, c’est prévoir » ? 

L’état déclaré de guerre peut réclamer l’unité et l’obéissance. L’état de catastrophe réclame l’unité, la solidarité et la capacité à s’interroger. 

Alors je ne fais que poser des questions. On nous dit qu’il sera temps après d’analyser, qu’il pourrait être indécent de le faire maintenant... On voit où mène le manque d’analyses avant. Après les drames, la place est à la résilience et à l’oubli le plus souvent, voire au révisionnisme et au négationnisme, comme le montrent les expériences passées. Sans misanthropie, je ne nourris pas trop d’illusions sur la nature humaine. 

Lorsqu’il s’agit de vie ou de mort, réfléchir, se questionner et interroger le monde est un droit immédiat et inaliénable. Et pas uniquement dans les cas d’urgence sanitaire, mais également environnementale ou sociétale. Sans doute certaines questions portent en elles clairement les réponses. 

D’autres interrogent sur la place de l’homme, variable d’ajustement d’une finalité économique ou au cœur d’une société respectueuse de sa place et de son environnement, en commençant par les plus faibles? 

 

Jean-François Debargue 

28 mars 2020

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J'ai téléphoné juste pour entendre une voix .. je suis déjà tombé amoureux d'un sourire ..

31 Mars 2020, 06:59am

Publié par Grégoire.

J'ai téléphoné juste pour entendre une voix .. je suis déjà tombé amoureux d'un sourire ..

 

Je suis désolé, mais je ne veux pas être empereur, ce n'est pas mon affaire. Je ne veux ni conquérir, ni diriger personne. Je voudrais aider tout le monde dans la mesure du possible, juifs, chrétiens, païens, blancs et noirs. Nous voudrions tous nous aider si nous le pouvions, les êtres humains sont ainsi faits. Nous voulons donner le bonheur à notre prochain, pas lui donner le malheur. Nous ne voulons pas haïr ni humilier personne. Chacun de nous a sa place et notre terre est bien assez riche, elle peut nourrir tous les êtres humains. Nous pouvons tous avoir une vie belle et libre mais nous l'avons oublié.

 

L'envie a empoisonné l'esprit des hommes, a barricadé le monde avec la haine, nous a fait sombrer dans la misère et les effusions de sang. Nous avons développé la vitesse pour nous enfermer en nous-mêmes. Les machines qui nous apportent l'abondance nous laissent dans l'insatisfaction. Notre savoir nous a fait devenir cyniques. Nous sommes inhumains à force d'intelligence, nous ne ressentons pas assez et nous pensons beaucoup trop. Nous sommes trop mécanisés et nous manquons d'humanité.

 

Nous sommes trop cultivés et nous manquons de tendresse et de gentillesse. Sans ces qualités humaines, la vie n'est plus que violence et tout est perdu.

 

Les avions, la radio nous ont rapprochés les uns des autres, ces inventions ne trouveront leur vrai sens que dans la bonté de l'être humain, que dans la fraternité, l'amitié et l'unité de tous les hommes.

 

En ce moment même, ma voix atteint des millions de gens à travers le monde, des millions d'hommes, de femmes, d'enfants désespérés, victimes d'un système qui torture les faibles et emprisonne des innocents.

 

Je dis à tous ceux qui m'entendent : Ne désespérez pas ! Le malheur qui est sur nous n'est que le produit éphémère de l'habilité, de l'amertume de ceux qui ont peur des progrès qu'accomplit l'Humanité. Mais la haine finira par disparaître et les dictateurs mourront et le pouvoir qu'ils avaient pris aux peuples va retourner aux peuples. Et tant que des hommes mourront pour elle, la liberté ne pourra pas périr.

 

Soldats, ne vous donnez pas à ces brutes, à une minorité qui vous méprise et qui fait de vous des esclaves, enrégimente toute votre vie et qui vous dit tout ce qu'il faut faire et ce qu'il faut penser, qui vous dirige, vous manœuvre, se sert de vous comme chair à canons et qui vous traite comme du bétail.

 

Ne donnez pas votre vie à ces êtres inhumains, ces hommes machines avec une machine à la place de la tête et une machine dans le cœur.

 

Vous n'êtes pas des machines.

 

Vous n'êtes pas des esclaves.

 

Vous êtes des hommes, des hommes avec tout l'amour du monde dans le cœur.

 

Vous n'avez pas de haine, sinon pour ce qui est inhumain, ce qui n'est pas fait d'amour.

 

Soldats ne vous battez pas pour l'esclavage mais pour la liberté.

 

Il est écrit dans l'Evangile selon Saint Luc « Le Royaume de Dieu est au milieu de vous », pas dans un seul humain ni dans un groupe humain, mais dans tous les humains, mais en vous, en vous le peuple qui avez le pouvoir, le pouvoir de créer les machines, le pouvoir de créer le bonheur. Vous, le peuple, vous avez le pouvoir, le pouvoir de rendre la vie belle et libre, le pouvoir de faire de cette vie une merveilleuse aventure.

 

Alors au nom même de la Démocratie, utilisons ce pouvoir. Il faut tous nous unir, il faut tous nous battre pour un monde nouveau, un monde humain qui donnera à chacun l'occasion de travailler, qui apportera un avenir à la jeunesse et à la vieillesse la sécurité.

 

Ces brutes vous ont promis toutes ces choses pour que vous leur donniez le pouvoir : ils mentaient. Ils n'ont pas tenu leurs merveilleuses promesses : jamais ils ne le feront. Les dictateurs s'affranchissent en prenant le pouvoir mais ils font un esclave du peuple.

 

Alors, il faut nous battre pour accomplir toutes leurs promesses. Il faut nous battre pour libérer le monde, pour renverser les frontières et les barrières raciales, pour en finir avec l'avidité, avec la haine et l'intolérance. Il faut nous battre pour construire un monde de raison, un monde où la science et le progrès mèneront tous les hommes vers le bonheur.

Soldats, au nom de la Démocratie, unissons-nous tous !

 

Charlie Chaplin 

 

 

"J'ai pardonné des erreurs presque impardonnables, j'ai essayé de remplacer des personnes irremplaçables et oublié des personnes inoubliables. J'ai été déçu par des gens que j'en croyais incapables, mais j'ai déçu des gens aussi. J'ai tenu quelqu'un dans mes bras pour le protéger. Je me suis fait des amis éternels. J'ai ri quand il ne le fallait pas. J'ai aimé et je l'ai été en retour, mais j'ai aussi été repoussé. J'ai crié et sauté de tant de joies, j'ai vécu d'amour et fait des promesses éternelles, mais je me suis brisé le coeur, tant de fois !

J'ai pleuré en écoutant de la musique ou en regardant des photos. J'ai téléphoné juste pour entendre une voix, je suis déjà tombé amoureux d'un sourire. J'ai déjà cru mourir par tant de nostalgie. J'ai eu peur de perdre quelqu'un de très spécial (que j'ai fini par perdre). Mais j'ai survécu ! Et je vis encore ! Et la vie, je ne m'en lasse pas. Et toi non plus tu ne devrais pas t'en lasser. Vis ! Ce qui est vraiment bon, c'est de se battre avec persuasion, embrasser la vie et vivre avec passion, perdre avec classe et vaincre en osant... parce que le monde appartient à celui qui ose ! La vie est beaucoup trop belle pour être insignifiante!"

Charlie Chaplin 

 

 

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«Ecrire sur la fin d’un monde»

30 Mars 2020, 00:50am

Publié par Grégoire.

«Ecrire sur la fin d’un monde»

 

Une fois prononcé, le mot devient une parole. Une voix, ou même une langue. Une fois dit, le mot évolue. Il se transforme, s’adapte, transmue. Il se propage. Tout simplement le mot devient un virus de communication. Un virus qui a besoin de l’oreille de quelqu’un pour prospérer. Mais une fois écrit, le mot peut devenir tout et n’importe quoi: la déclaration des droits de l’homme, Don Quichotte, une recette «simplifiée» de tartiflette, une lettre d’amour, Magna Charta Libertatum ou un rapport policier… Une chose est sûre. Posé sur le papier, le mot reste. Tel un signe graphique de notre émotion. Une fois écrit, notre mot sort du silence et de sa solitude. Il devient alors une expérience collective, appelée aussi lecture.

 

***

J’ai 55 ans et par un malentendu géopolitique je suis né en Yougoslavie. Je ne suis pas mort à la guerre, ni dans les camps. Je suis survivant. Réfugié. J’ai eu la chance d’échanger la fin du communisme pour le crépuscule du capitalisme. De passer de l’éducation collective à l’individu. Du nous au moi. A posteriori, je me demande quelle aurait été la réaction du pouvoir yougoslave face à la propagation du Covid-19. Pour les pays, disons, démocratiques, les résultats sont aussi discutables. Avouons-le, c’est très compliqué en France, comme en Suisse. Je simplifie un peu mais il me semble que pour la première fois l’homme occidental doive réfléchir collectivement. Faire le chemin opposé au mien, du moi aller vers le nous.

Notre société si moderne et connectée est très, très fragile. Arrêtée net par le coronavirus. Un grand coup de pied dans notre univers peuplé de citoyens du monde. Une société dans laquelle, soudainement, le mot partager commence à devenir synonyme de contagion. Le Village Global de Marshall McLuhan est fiévreux et éternue. Et nous n’avons pas l’antidote, pour l’instant.

***

 

Les différences entre totalitarisme et démocratie sont essentielles. Dans un pays totalitaire, nous n’avons aucune information sur rien. En démocratie, nous en avons, mais trop. Sous les dictatures, la réponse à toute question politique ou sociale est: je ne sais rien. Ici en Occident: tout le monde sait tout. Quel enfer est-il plus insupportable? Vivre sans ou avec trop d’informations? Dans le silence et les non-dits ou dans la cacophonie? Le vrai ou faux?

Notre monde est à l’arrêt. Démocratie et pandémie sont-ils compatibles? La sacro-sainte liberté – de sortir, de circuler, d’aller voter – ou le confinement dur à la chinoise? Ici, nous avons l’impression que nos élites nous mentent. En attendant, notre macrocosme et notre macroéconomie sont confinés. Les requins de l’ultralibéralisme triomphant et sans bornes sont claustrés dans un tout petit bocal d’aquarium. Chez nous en Bosnie, on dit: un petit marécage et beaucoup de crocodiles.

Avec un vrai danger.

Que notre mémoire ne devienne celle des poissons rouges.

Une dizaine de secondes environ.

***

Alors, certes, il nous reste la littérature. Mais comment écrire en temps de pandémie? Un blog, un post sur Facebook, un tweet, un journal (au secours!!!!) d’écrivain confiné? Quoi dire?

Par sa forme et son essence la littérature refuse la modernité. Les vrais écrivains demandent du temps et du silence tandis que l’écriture dans l’urgence ou sur la Toile réclame immédiatement la scène, la foule, le bruit et la fureur, le sang et les larmes, les likes et les dislikes… Faire une littérature grossiste qui distille les émotions collectives, les peurs, les joies. Une écriture d’affirmation et pas de questionnements.

Celui qui croit en tout est fou. Identique à celui qui ne croit en rien. Les temps cruels nous imposent un vocabulaire particulier, urgent et sérieux. Les grandes pensées et les mots savants. Les phrases «définitives». Dans le genre: la fin de l’humanité ne signifie pas la fin du monde. Ou: la repentance est bonne, mais l’innocence est encore meilleure.

Il n’y a rien de pire que la prise de conscience ultérieure. Alors écrire ou pas dans un monde malade? Rester romancier ou devenir chroniqueur? S’inscrire dans le durable ou l’éphémère?

Tant de questions sans réponses pour un «homme de lettres».

Une chose est certaine.

Les histoires durent plus que les hommes.

***

Le monde malheureusement, dixit l’aveugle clairvoyant Borges, est réel, et moi malheureusement je suis Borges. La pandémie actuelle ne nous apprend rien de nouveau. L’homme est un être étonnant. Il a besoin des mots et d’un vaccin en même temps. De se sentir bien et d’une voix rassurante qui lui dise: eh oui, tout va bien.

Plus que jamais, un écrivain a une tâche responsable. Trouver le bon, le vrai mot. Tout en sachant qu’il n’y a rien de plus discutable que nos certitudes. Souvenons-nous, pendant plusieurs siècles l’homme marchait sur une terre plate. Et c’était une certitude, claire et sûre, de celles que vous n’avez pas besoin de vérifier.

Comme nous tous, j’ai plus souvent regretté la parole que le silence. Tout est possible sauf deux choses. Remettre le dentifrice dans le tube. Et retirer la parole prononcée. Ce qui a été dit.

Il faut alors, dans les limites de notre intelligence et de nos possibilités, faire attention aux mots. A la parole. Les manipuler comme quelque chose de beau et de précieux. Et de dangereux comme de la nitroglycérine. Avec précaution. Mais pas avec peur. Juste de la Prudence.

Sur la Toile comme dans la vraie vie.

Devant les êtres vivants et encore plus devant un écran.

La prudence ne signifie pas nécessairement l’intelligence. Juste faire attention. Et ne jamais oublier que la littérature ne peut pas être meilleure que la planète. Plus belle, mieux conçue et mieux «réalisée» oui. Mais pas meilleure. Le monde, malheureusement, est réel.

Enfin, même le bon Dieu a écrit deux fois son testament.

Velibor Čolić

P.-S.: C’est une femme qui dit à son mari: «Ecoute Raymond, on va poster sur Facebook qu’on a le coronavirus. Comme ça les voisins vont croire qu’on est allé à Venise.»

Velibor Čolić est né en Bosnie en 1964. Il vit en France depuis 1992. Il a écrit plusieurs romans en bosniaque avant de choisir le français. «Manuel d’exil, réussir son exil en 35 leçons» lui a valu un large succès. Dernier titre paru: «Le Livre des départs» (Gallimard, 2020).

https://veliborcolic.wordpress.com

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La peur, cette maladie des adultes .. !

7 Mars 2020, 01:52am

Publié par Grégoire.

La peur, cette maladie des adultes .. !

" Elle ne vous fait plus peur. Elle est toujours dangereuse, imprévisible dans son calme. Mais la peur s’en est allée, la peur ne fait plus partie de sa substance profonde, impénétrable. La peur s’est défaite en une seconde. Evaporée, dissoute, partie comme peut venir la lassitude dans un amour : en un instant. En un instant pour toute la suite des temps.

 

Jusqu’à ce jour, entre elle et vous, il y avait la peur. Elle était là comme une loi non écrite, souveraine dans le silence. Toutes les peurs viennent de l’enfance, pour la châtier, l’empêcher d’aller son cours. Tous les enfants connaissent la peur d’une connaissance intime, personnelle (mais pendant longtemps, elle  ne les atteint pas dans leur enfance. Ils la contournent, ils la frôlent et même ils jouent avec. Tu as peur des insectes et des uniformes, des mauvaises notes et des chiens, tu as peur des revenants. La peur est comme une avancée de l’âge adulte dans ton enfance. Elle a sa place, elle a ses heures, elle a ses lieux. Mais elle ne t’arrête pas. Tu tombes, tu as peur de tomber ce qui fait que tu tombes, puis tu te relèves, tu pleures et la seconde d’après tu éclates de rire. La joie est encore plus forte. Le goût de vivre pour vivre. La peur, c’est la nuit, la joie, c’est le jour. 

 

L’enfant compose avec la peur comme il compose avec la nuit, avec les ombres, avec l’insuffisance des parents, comme il compose avec tout. La peur est une donnée matérielle du monde, parmi des dizaines d’autres. Il faut savoir que la nuit noire accélère les battements du cœur rouge. Etre seul dans un chagrin ou dans le vert d’une forêt, c’est effrayant. Il faut le savoir mais cela ne concerne pas l’esprit, le dedans, cela donne une information sur le monde. Alors tu l’apprends et puis tu l’oublies, comme dans l’enfance, on oublies aussitôt ce qu’on sait pour aller jouer un peu plus loin, pour continuer de perdre son temps, de jouir du grand bonheur de perdre son temps .

 

C’est une chose que les parents ont du mal à comprendre, cette jouissance-là. Ne reste pas désœuvré, fais quelque chose, prends un livre.  Même le jeu, ils voudraient que ce soit éducatif (pas que pour jouer, pas que pour rien). C’est que les parents sont des adultes et que les adultes sont des gens qui ont peur, qui se soumettent à leur peur, qui la connaissent d’une connaissance servile, sombre.

 

La peur n’est plus comme hier dans le monde, à certains endroits du monde, dans les dorures d’une légende ou dans les recoins d’une rue. Elle est maintenant dans l’esprit des adultes. Dans le sang de leur sang, dans le cœur de leur cœur. Elle les mène de part en part, elle est enfin venue à bout de l’enfance infatigable. Elle fait les mariages tristes, par peur de la solitude. Elle fait les travaux de force, par peur de la pauvreté. Elle fait les vies absentes, par peur de la mort, ce repos dont on ne sait rien que la frayer qu'il nous donne.

 

Quand elle descend sur l’enfance, la peur s’évapore aussitôt. Quand elle descend sur les adultes, elle reste, elle s’entasse. On dirait de la neige, une neige qui ne tomberait pas sur le monde, mais sur l’esprit.

Christian Bobin

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Comment ne pas entendre cet homme dont l’honneur est de ne jamais chercher son intérêt ?

5 Mars 2020, 05:52am

Publié par Grégoire.

Comment ne pas entendre cet homme dont l’honneur est de ne jamais chercher son intérêt ?

 

La parole du pape François va plus vite que la balle qui le menace. C’est assez facile somme toute de dire ce que cet homme a d’extraordinaire. Ce n’est pas son royaume d’opérette. On dirait un éclat du rocher de Monaco en plein milieu de Rome, une miette tombée de la tartine d’un ange – de la confiture de marbre. Ce ne sont pas non plus ses ancêtres, les précédents chefs de bureau. Leur lignée, dit-on, remonte à saint Pierre. L’éternité est une gamine qui joue aux osselets avec les reliques des saints. Ce n’est pas plus ses costumes époustouflants de blancheur, ni ceux crème de framboise des cardinaux qui parfois l’encerclent, rêvant de l’étouffer.

Écartons tout pour bien voir la magie de cet homme, sa manière incroyable de mordre le réel, de nous mordre le cœur pour qu’il se remette à battre. L’Église catholique est une rentière avec à son cou plissé de jaune (trop de bons repas, trop de cholestérol) le collier des notes de Jean-Sébastien Bach, et à ses doigts les bagues de Rembrandt : ambre et mystère. Siestes théologiques, double anniversaire à Pâques et à Noël, la vieille dame est gâtée, gâteuse. Pour voir ce que l’héritier, le plus que jeune François, a de sublime, enlevons toutes ces images, faisons un feu de jardin avec toutes ces richesses. Voilà : ce qu’il reste c’est la parole de cet homme. Ce qu’elle a d’unique c’est qu’elle est humaine dans un monde qui ne sait plus ce qu’est l’humain. Le prodige est aujourd’hui d’être doué de bon sens, et d’un cœur rayonnant.

 

Au premier soir de son élection il souhaite une bonne soirée aux milliards d’incrédules qui le regardent sur leur écran. La plupart n’ont pas eu droit à une bienveillance aussi vraie (la vérité s’attrape à l’oreille) depuis leurs premiers jours sur terre. Il fait aussi cette chose héroïque : il demande qu’on prie pour lui puis se tait une minute, imposant au monde assourdissant une minute de suspension de souffle, de silence angélique. Tels furent ses débuts : un peu de calme aux enfers. Une toute petite fleur blanche sur la place Saint-Pierre. Depuis il n’arrête pas d’être ordinaire et profond – un homme très simplement, à lui seul une espèce en voie de disparition. Voyez les visages des politiques : ils fuient comme de l’eau et du mensonge. Voyez son visage à lui : un sourire un brin voyou, le treizième apôtre qui traverse un champ de blé à la suite de son maître insensé. Il a dans les yeux une joie soucieuse. Il sait que, pour obéir à l’essentiel, il faut rompre avec les lois. Une des lois puissantes de notre monde c’est la révérence envers le nombre et l’argent. La mafia italienne (et pas seulement elle : toutes les mafias de l’économie) ne veut pas seulement régner, elle veut qu’on la bénisse. Les tueurs vont à la messe cachés parmi les pauvres. Les tueurs veulent un nimbe d’or, une approbation du Dieu qu’ils imaginent tout-puissant et un peu gras – leur modèle en somme, l’architecte milliardaire du paradis. Et de passage dans une ville tuméfiée par la mafia, ce pape dit très crûment, très clairement : la mafia pue. Il n’accorde pas de bénédiction à ceux qui font rentrer la drogue dans les veines, et la peur dans les âmes. Hoquets de scandale, étouffement des mafieux. Personne ne se scandalise mieux qu’un bourgeois.

 

Un « réseau » couvre le monde. Une « toile ». Nous devrions faire plus attention aux mots. Cette « toile », est-ce celle de l’araignée ou est-ce celle de l’oiseleur qui attrape les migrateurs, les âmes de passage ? Tout parle à personne, jour et nuit. Les réseaux sont plus enflammés que des reins malades. La toile a des mailles de plus en plus serrées. La lumière passe de moins en moins. Quelqu’un qui nous parle, c’est très rare. Quelqu’un qui nous parle c’est quelqu’un qui nous arrête et soudain change notre vie. Cet homme sur son balcon, ce tout-blanc, par sa parole il déchire les écrans, les voiles. La toile. C’est inoubliable, une vraie parole. Elle seule peut changer le monde. L’Église, cette vieille dame sur sa fin, riche et puante de morale – voilà que par la gaieté de ce pape elle récupère une jeunesse, ressemble de plus en plus à une gitane deux fois millénaire, prête à danser. Des cardinaux méchants, véreux, assoupis, ont élu à leur tête un poète – car c’est être poète que toucher les cœurs par quelques mots lancés comme du pain aux moineaux. Cet homme est un poète. Ce poète est un penseur. Il parle aux enfants et aux génies. Il est de la même race dure.

Il n’y a que le pape pour être pape. Le lieu, la fonction et le nom qu’il habite sont les plus conventionnels du monde. Chaque fois qu’il parle ou même qu’il sourit, il pulvérise cette convention mortifère. Aux cardinaux congestionnés, rouges verrues sur le visage du Christ, il reproche leur « Alzheimer spirituel », la maladie de leurs « mornes visages », la lèpre de leur science inutile. Comment ne pas croire celui qui, à chaque mot qu’il prononce, fait trembler son propre pouvoir ? Comment ne pas entendre cet homme dont l’honneur est de ne jamais chercher son intérêt, sa parole qui, sur notre mort mondialisée, fait passer le souffle purifiant de Palestine, le vent léger et bleu du lac de Tibériade ? 

 

Christian Bobin

 

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« Une société sans oubli est une société tyrannique »

14 Janvier 2020, 02:21am

Publié par Grégoire.

« Une société sans oubli est une société tyrannique »
"La prescription interdit à l’homme mortel de conserver une haine immortelle". Homère.

 

 

C’est un mot que les amoureux des droits de l’homme, jadis, chérissaient, mais qui suscite aujourd’hui de fortes réserves chez ceux qui s’en réclament. Par un étrange mouvement de balancier, la prescription, qui était autrefois considérée comme un pilier incontournable des droits de la défense, est devenue, aux yeux de certains militants contre les violences sexuelles, une entrave intolérable à l’œuvre de justice : dans l’affaire Polanski comme dans celle du père Preynat, elle est perçue comme « un abandon par la justice de ses devoirs, un signe d’indifférence envers les victimes et un manquement au devoir de mémoire », résume l’avocat Jean Danet dans la revue Archives de politique criminelle (n° 28, 2006).

 

La prescription, qui interdit au procureur de la République de poursuivre un délinquant au-delà d’un délai fixé par la loi, vient du latin praescribere – tracer, par un acte écrit, une limite dans le temps. Comme l’amnistie ou la grâce, elle appartient à la grammaire de l’oubli. « La prescription suspend automatiquement le cours de la justice au bout d’un certain temps, souligne Mathieu Soula, professeur d’histoire du droit à l’université Paris-Nanterre. Elle est distincte de la grâce, qui est un geste personnel de pardon émanant d’un souverain ou un président, mais aussi de l’amnistie, qui consiste à effacer volontairement certaines infractions par la loi. »

 

L’emportement d’une société tout entière

 

Parce qu’elle garantit, au terme de longues années, l’oubli du crime, la prescription est aujourd’hui accusée d’être l’alliée voire la complice des délinquants – au point que certaines associations de victimes plaident en faveur de l’imprescriptibilité de la délinquance sexuelle. Cette idée qui aurait été spontanément associée, il y a quelques années, à la droite, voire à l’extrême droite, séduit une figure de la gauche comme Ariane Ascaride. « Pourquoi y aurait-il prescription ?, s’insurgeait l’actrice, le 22 novembre, sur France Inter, en évoquant la délinquance sexuelle. Je ne suis pas d’accord. Il ne faut pas qu’il y ait prescription, c’est tout ! »

L’emportement d’Ariane Ascaride est celui d’une société tout entière. « Depuis une trentaine d’années, un mouvement d’opinion très puissant cherche à faire mémoire en remettant en cause les délais, voire le principe de la prescription », observe le magistrat Denis Salas, président de l’Association française pour l’histoire de la justice. Au fil des ans, ce mouvement a fini par déplacer les frontières légales de l’oubli. « S’il est une tendance essentielle à relever en droit comparé, en France comme dans le monde entier, c’est le recul de la prescription », résumait en 2018 le magistrat Jean-Paul Jean dans la revue Histoire de la justice.

 

En 2017, le législateur a en effet doublé les délais de prescription inscrits en 1808 dans le code d’instruction criminelle de Napoléon : le procureur peut désormais poursuivre les délits pendant six, et non plus trois ans ; les crimes pendant vingt, et non plus dix ans. A cette réduction générale de la prescription, s’est ajoutée une foule d’« exceptions en tous genres », selon le mot de l’avocat Jean-Pierre Choquet. Pour protéger la parole des mineurs, les viols peuvent ainsi être poursuivis trente ans après la majorité de la victime : un enfant agressé peut porter plainte jusqu’à l’âge de 48 ans.

 

Cette refonte du calendrier de l’oubli a permis au législateur de définir une nouvelle échelle de gravité du crime : en allongeant la prescription de la délinquance sexuelle, il a placé ces infractions au sommet de la hiérarchie du mal. « La force symbolique du droit permet de réagencer les catégories de l’excusable et de l’inexcusable, souligne le juriste Mathieu Soula. Au cours des dernières décennies, le législateur a installé les infractions sexuelles sur les mineurs au bord de l’inoubliable : ce geste politique permet de proclamer haut et fort que la défense de l’enfance structure désormais notre ordre social. »

 

« Empilement indigeste d’exceptions »

 

Les exceptions sont cependant devenues si nombreuses que les juristes rivalisent de métaphores pour décrire le capharnaüm de la prescription : le magistrat Christian Guéry le compare à un cauchemar de Kafka, le professeur de droit Michel Véron à la cour chaotique du roi Pétaud – expression qui a inspiré le terme de « pétaudière ».

 

« Depuis quelques années, cet empilement indigeste d’exceptions nous a fait perdre de vue la raison d’être de la prescription, regrette Carole Hardouin-Le Goff, maître de conférences en droit privé à l’université Paris-II-Panthéon-Assas. Nous refusons de l’abolir mais nous faisons tout pour l’empêcher d’advenir : nous avons oublié le rôle salutaire et salvateur de l’oubli. »

 

Si la justice est mémoire – le procès consigne le souvenir du crime, le casier judiciaire celui de la condamnation –, elle ne peut en effet se concevoir sans éclipses.

 

« Le système de la vengeance privée et la justice privée ont longtemps permis à la victime, parfois même à ses descendants, de poursuivre l’agresseur jusqu’à la fin des temps, poursuit la juriste Carole Hardouin-Le Goff. L’Etat de droit a mis un terme à ce cycle infini de la vengeance : si le trouble engendré par l’infraction a disparu, si le climat social s’est apaisé, il n’y a aucune raison de rouvrir les plaies en déclenchant l’action pénale. Le droit répressif moderne est un droit raisonné : il n’est pas là pour punir à tout-va. Une société sans oubli est une société tyrannique. » 

 

Le pouvoir de devenir meilleur

 

Au nom de cette philosophie, le juriste et homme de lettres italien Cesare Beccaria (1738-1794) défendait au XVIIIe siècle le principe de la prescription – même s’il la réservait alors aux délits « ignorés et peu considérables ». « Il faut fixer un temps après lequel le coupable, assez puni par son exil volontaire, peut reparaître sans craindre de nouveaux châtiments. En effet, l’obscurité qui a enveloppé longtemps le délit diminue de beaucoup la nécessité de l’exemple et permet de rendre au citoyen son état et ses droits, avec le pouvoir de devenir meilleur. » Un siècle plus tard, le jurisconsulte Faustin Hélie (1799-1884) proposait d’étendre la prescription aux infractions les plus graves. « Le temps amène l’oubli et la miséricorde, et la peine trop longtemps attendue prend quelque chose de cruel, et même d’injuste. »

 

Plus près de nous, le doyen Jean Carbonnier (1908-2003) aimait, lui aussi, célébrer les vertus de la prescription. Si l’oubli est encadré, il ne met pas en péril l’ordre social, affirmait-il en 1969 dans Flexible droit. « C’est défigurer la réalité humaine qui s’exprime dans les systèmes juridiques modernes que de n’en retenir qu’un besoin d’ordre, de régularité, partant de ponctuelle et totale effectivité des règles de droit. » Au bout d’un certain temps, il n’est plus temps, résume Denis Salas : il faut que la société respire. « La fatigue de trop punir creuse les sommeils de la justice, estime-t-il. Dans La Mémoire, l’histoire, l’oubli (Seuil, 2000), Paul Ricœur souligne très justement que la société ne peut pas être en colère contre elle-même en permanence. »

 

A cet éloge de l’apaisement du temps, se sont ajoutées, pour justifier la prescription, des considérations procédurales. Certains ont affirmé que le dépérissement des preuves et la fragilité des témoignages pouvaient, dans un procès trop tardif, engendrer des erreurs judiciaires. D’autres ont souligné que la prescription permettait de sanctionner la négligence du ministère public, qui n’avait pas su exercer les poursuites en temps et en heure. D’autres, enfin, ont estimé que le temps passant, la personnalité du délinquant changeait, voire qu’il purgeait, avec les années, une peine « naturelle » nourrie par le remords et la crainte d’être démasqué.

Parce que la justice a toujours été pensée en relation étroite avec l’oubli, la prescription est très ancienne : elle apparaît pour la première fois, dans le droit romain, au début de notre ère. Sous le règne d’Auguste, la loi julia de adulteriis (en 18 ou 17 avant Jésus-Christ) instaure ainsi une prescription pour certains delicta carnalia (« délits de la chair ») comme l’adultère. En France, au Moyen Age, la prescription relève plus des coutumes que de la loi – même si la charte d’Aigues-Mortes, renouvelée par Saint Louis en 1246, interdit à la justice d’enquêter sur un crime après une période de dix ans.

 

Il faut attendre la Révolution pour que le principe de la prescription figure dans la loi. « Cette idée qui imprègne le droit de l’Ancien Régime est inscrite pour la première fois dans le code pénal de 1791, raconte le juriste Mathieu Soula. Les révolutionnaires estiment alors que la justice doit assurer la stabilité de l’ordre politique et social, mais qu’elle doit aussi être la gardienne des libertés individuelles. La prescription permet de protéger les citoyens des poursuites ad vitam aeternam : c’est une manière de limiter l’action de l’Etat. Les révolutionnaires veulent éviter que la justice exerce une emprise sans fin sur les individus. »

 

Une vingtaine d’années plus tard, le code d’instruction criminelle de Napoléon (1808) consacre un chapitre entier à la prescription. « La paix sociale semble demander que la vindicte publique ne demeure pas irrévocablement armée et agissante, qu’elle se calme et s’arrête dans certains cas, après un cours de temps plus ou moins long selon les circonstances, estime, en 1808, le rapporteur Louvet en soulignant les bienfaits du temps, ce « grand modérateur des choses humaines ». « De là vient, Messieurs, que les peuples les plus renommés par leur sagesse ont, en général, et après un temps donné, consacré l’oubli des injures dont la répression appartient à la loi. »

 

Une quête permanente du souvenir

 

Ces considérations paraissent aujourd’hui bien lointaines. Eloge du devoir de mémoire, multiplication des journées commémoratives, organisation de marches blanches : nous vivons, affirme la juriste Carole Hardouin-Le Goff, dans un monde « hypermnésique ». « Nos sociétés se mobilisent autour d’une quête permanente du souvenir : elles considèrent, notamment dans le domaine de la justice, que la mémoire est vertueuse et l’oubli détestable, estime-t-elle. C’est dans ce contexte que l’espace public a ouvert grand ses portes aux résurgences de la mémoire : les victimes y prennent de plus en plus souvent la parole. Elles affichent leur histoire, elles suscitent la compassion, elles deviennent des icônes. »

 

La prise de parole des victimes est le fruit d’une petite révolution : depuis le milieu du XXe siècle, la justice accorde de plus en plus de place à cette figure longtemps négligée du droit pénal. « Le procès était jadis centré sur l’accusé et la défense de l’ordre social, constate Mathieu Soula. Mais depuis une quarantaine d’années, l’Etat, en France comme dans beaucoup de pays occidentaux, a été confronté à une demande de reconnaissance émanant des victimes. Il a donc voulu construire une justice plus conforme aux aspirations sociales. Aujourd’hui, elles peuvent se porter partie civile, prendre un avocat, avoir accès au dossier et demander des investigations. »

 

 

Pour le magistrat Denis Salas, ce sacre de la victime est lié à l’avènement de la « société des individus ». « Notre époque est caractérisée par une attention à ce que le sociologue et historien Pierre Rosanvallon appelle la “particularité souffrante”. Aujourd’hui, le crime ne se réduit pas à sa matérialité : les magistrats qui jugent un braqueur s’intéressent autant, voire plus, à la dévastation psychique de l’employé qu’au montant du butin. Selon Rosanvallon, cette valeur accordée à la souffrance de chacun est le signe d’une mutation de la société démocratique : aujourd’hui, la solidarité est à la fois un principe d’organisation sociale et une promesse d’attention à la vulnérabilité des individus. »

 

Cette nouvelle donne a bouleversé le débat sur l’oubli judiciaire. Les victimes contestent en effet les vertus apaisantes du temps invoquées, depuis le XVIIIe siècle, par les partisans de la prescription : nombre d’entre elles racontent au contraire la permanence du traumatisme, la lenteur de la guérison, l’impossibilité de l’oubli. « Elles remettent en cause le sens traditionnel de la prescription : pour elles, le temps attise la souffrance au lieu de la calmer, constate Denis Salas. Voyez les affaires de prêtres pédophiles : le fait que l’autorité chargée de la protection des enfants ait assuré l’impunité au criminel a souillé plus encore les victimes. Avec les années, le scandale, loin de s’atténuer, s’est finalement accru. »

 

La question de l’imprescriptibilité

 

Les victimes accusent en outre la prescription d’entraver leur droit au procès. Parce que l’amnésie, la culpabilité, la peur, la sidération ou la honte freinent l’émergence de la parole, beaucoup de femmes et d’enfants violés trouvent porte close lorsqu’ils se tournent vers la justice car les délais de prescription sont dépassés. Une situation d’autant plus inacceptable que les progrès de la police scientifique permettent aujourd’hui de conserver les preuves pendant de très longues années. Au nom de la protection des victimes, certaines associations demandent donc que les crimes et les délits sexuels deviennent imprescriptibles : l’agresseur pourrait, dans ce cas, être poursuivi jusqu’à sa mort.

 

Si nul ne conteste que les victimes de délinquants sexuels ont besoin de temps pour énoncer le crime, cette demande laisse bien des avocats perplexes. Beaucoup craignent en effet que l’imprescriptibilité, en bousculant la savante horlogerie du procès pénal, finisse par menacer les droits de la défense. Le droit pénal français, soulignent-ils, a mis longtemps à se défaire de son héritage inquisitorial et policier : en prolongeant indéfiniment les procédures, le législateur pourrait mettre en péril le droit de l’accusé à un procès « équitable » dans un délai « raisonnable », selon les termes de la Convention européenne des droits de l’homme de 1950.

 

« La justice pénale ne doit pas devenir le bras armé des victimes, résume Carole Hardouin-Le Goff, auteure de L’Oubli de l’infraction (LGDJ, 2008). Elle est au service de la société tout entière. »

 

Bien des juristes mettent en outre en garde contre la symbolique de cette nouvelle morale politique. Aucun d’entre eux ne nie l’horreur des agressions sexuelles, tous se félicitent de la prise de parole salutaire des victimes, mais beaucoup redoutent que l’imprescriptibilité fasse des violeurs des condamnés à part. « Une catégorie criminelle échapperait désormais au droit commun de l’oubli, souligne le juriste Mathieu Soula. Les délinquants sexuels seraient donc considérés à jamais, non pas comme des condamnés qui peuvent un jour se racheter, mais comme des monstres incorrigibles et inamendables – comme si, en matière de viols ou d’attouchements, le temps ne pouvait en aucun cas faire son œuvre. »

 

L’exception du crime contre l’humanité

 

Une seule infraction échappe aujourd’hui à l’implacable loi de l’oubli : le crime contre l’humanité. En vertu d’une loi adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale en 1964, il a été solennellement déclaré imprescriptible par « nature ». Les coupables ne se contentent en effet pas d’assassiner, de déporter ou d’asservir leurs semblables : ils nient leur humanité en les excluant à jamais de la communauté des hommes. « L’imprescriptibilité a forgé un ordre commun autour de la condamnation de ce crime situé loin, très loin, au-dessus de tous les autres », précise Mathieu Soula.

 

Si la délinquance sexuelle échappait à la prescription, elle serait, elle aussi, consacrée par cette « atemporalité » qui permet de penser « un exceptionnel voué à ne jamais pouvoir devenir normal », selon le mot de l’historienne Sophie Wahnich. Les viols et les agressions sexuelles s’installeraient au sommet de la hiérarchie du mal aux côtés des déportations de masse de la seconde guerre mondiale et des génocides du XXe siècle. Ce compagnonnage quelque peu étrange ne choque pas la présidente de l’Association nationale pour la reconnaissance des victimes, Marie-Ange Le Boulaire-Verrecchia : il ne faut pas, estime-t-elle, créer une « échelle de valeurs » entre les crimes contre l’humanité et les autres.

 

Cette profession de foi méconnaît cependant le sens même de l’imprescriptibilité. « Les agressions sexuelles, aussi abjectes soient-elles, sont des atteintes à la personne, constate Carole Hardouin-Le Goff. Les crimes contre l’humanité sont en revanche des atteintes à l’espèce humaine, ce qui est très différent : les victimes des génocides sont déportées, violées ou exterminées parce que leurs oppresseurs contestent leur appartenance même à l’humanité. C’est pour cette raison que ces crimes qui s’inscrivent à jamais dans la mémoire collective ont un régime de prescription singulier. » Cette distinction n’enlève rien à l’horreur des crimes sexuels : elle énonce simplement que les criminels contre l’humanité sont des ennemis, non seulement des victimes, mais aussi du genre humain.

 

Anne Chemin

 

https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/01/10/la-prescription-ou-les-limites-de-l-oubli_6025372_3232.html

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Appel en faveur des chrétiens d'Orient

6 Mars 2015, 12:07pm

Publié par Grégoire.

ISIS (« Islamic State in Irak and Syria ») crucifie huit chrétiens pour « Apostasie de l’Islam »

ISIS (« Islamic State in Irak and Syria ») crucifie huit chrétiens pour « Apostasie de l’Islam »

 

Pétition lancée par Jacques Julliard et Jean d'Ormesson

en faveur des chrétiens d’Orient

 

Nous avons tous été des Juifs allemands. Nous avons tous été des dissidents au temps des Sakharov et des Soljenitsyne. Nous avons tous été des Charlie. Nous devons tous être aujourd'hui des chrétiens d'Orient. 

Tout a commencé en Irak où la communauté chrétienne, une des plus anciennes du monde et qui se sert encore de l'araméen, qui était la langue la plus courante du temps de Jésus, a été soudain la proie de persécutions violentes. Ces persécutions n'ont pas tardé à s'étendre à la Syrie où l'État islamique s'est solidement établi. En Égypte, en Libye, partout dans le Proche-Orient et dans de nombreuses régions d'Afrique. Les enlèvements, les viols, les meurtres,les scènes d'horreur se sont multipliés. Chacun a pu assister à des actes de barbarie insoutenables. En Europe, en Asie, en Afrique, nous avons connu, depuis trois quarts de siècle, beaucoup d'abominations. Au moins les assassins tentaient-ils de dissimuler leurs forfaits. Jamais le crime ne s'était donné en spectacle avec une telle violence. La volonté d'éradication du christianisme par Daech et ses satellites dans toute une région du monde ne peut plus être mise en doute. Il est impossible de la voir se développer dans l'indifférence générale.

Jacques Julliard, qui a toujours été à la pointe des combats pour la liberté d'expression et pour les droits de l'homme, a rédigé un projet de pétition qui est en train de réunir un certain nombre de grandes signatures.

 

Le texte de Jacques Julliard a été signé par Alain Juppé, Michel Rocard, Robert Badinter, Alain Decaux, Claude Lanzmann, Mgr Claude Dagens, Luc Ferry, Alain Finkielkraut, Jean-François Colosimo, Jean-Luc Marion, Pierre Nora, Marcel Gauchet, Michel Onfray.

Les chrétiens d'Orient vont-ils disparaître jusqu'au dernier? Il n'est plus possible d'ignorer l'entreprise de purification ethnique et culturelle qui les vise et qui se traduit par une persécution généralisée de la part des islamistes.

 

Tout récemment, vingt et un coptes ont été enlevés d'Égypte et égorgés en Libye dans l'indifférence générale. Quelques jours plus tard, c'est deux cents chrétiens assyriens qui ont été enlevés en Syrie par l'organisation de l'État islamique.Leur sort inspire les plus vives inquiétudes. On ne compte plus dans l'ensemble du Proche-Orient les enlèvements, les meurtres,les viols, les destructions d'églises,les déplacements massifs de populations qui sont sur place depuis deux mille ans.

 

Une telle situation constitue un déni d'humanité qui regarde l'humanité tout entière. La paix ne régnera jamais dans cette région si le fanatisme et l'intolérance y font la loi.C'est pourquoi nous nous adressons à la conscience universelle. Et nous demandons au gouvernement français d'intervenir pour obtenir une réunion spéciale du Conseil de sécurité de l'ONU afin que soit mis un terme au génocide culturel qui est en train d'être commis.

 

Jacques Julliard, historien, ancien directeur délégué de la rédaction du Nouvel Observateur, aujourd'hui éditorialiste à Marianne, est l'auteur de nombreux ouvrages sur les cultures politiques. Notamment “Les gauches françaises. 1762-2012, Histoire, politique et imaginaire”, (Ed. Flammarion), Prix Jean-Zay 2012 ; et, paru récemment, “La Gauche et le Peuple”, avec Jean-Claude Michéa (Ed. Flammarion).

Jean d'Ormesson est écrivain. Il est membre de l'Académie Française.

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