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Dignité et misère

20 Novembre 2013, 08:59am

Publié par Fr Greg.

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Pas de dehors pour l’homme dont l’existence économique n’est pas assurée. Pas de donnée stable. Rien, jamais, ne lui apparaît comme une chose : il ne saisit de l’environnement que ce qui est proie éventuelle ou possibilité d’assouvissement. Se nourrissant pour vivre, vivant pour se nourrir, il est englouti dans un processus cyclique, répétitif, sans commencement ni fin. « Le misérable, écrit Péguy, n’a plus qu’un seul compartiment de vie et tout ce compartiment  est occupé désormais par la misère ; il n’a plus qu’un seul domaine et tout ce domaine est irrévocablement pour lui le domaine de la misère ; son domaine est un préau de prisonnier ; où qu’il regarde, il ne voit que la misère ; et puisque la misère ne peut évidemment recevoir une limitation que d’un espoir au moins, puisque tout espoir lui est interdit, sa misère ne reçoit aucune limitation ; littéralement elle est infinie. » La vie dans la misère, c’est l’impossibilité faite aux individus de décoller de l’espèce, c’est la soumission uniformisante aux normes du biologique ; c’est la vie tout court, ce n’est jamais la vie de quelqu’un.  Il faut un monde à la vie pour qu’elle devienne individuelle. Le socialisme selon Péguy répond à cette exigence préjudicielle : « il suffit qu’un seul homme soit tenu sciemment, ou ce qui revient au même, sciemment laissé dans la misère pour que le pacte civique tout entier soit nul ; aussi longtemps qu’il y a un homme dehors, la porte qui lui est fermée au nez est une porte d’injustice et de haine. »

Ouvrir et même si besoin est, forcer cette porte afin que nul ne soit maintenu en exil dans la misère : telle est la tâche qui requiert Péguy. Il n’adhère pas, en effet, à une promesse d’abondance (« quand tout homme est pourvu du nécessaire, du vrai nécessaire, le pain et le livre, peu nous importe la répartition du luxe ») mais une promesse de mémoire et une promesse de cité. Il n’apporte pas la solution définitive du problème humain ; il réclame l’accès de tous à la condition humaine et à ses problèmes insolubles. Loin de vouloir l’unité du peuple, il aspire au déploiement de sa pluralité constitutive. « Plus je vais, écrit Péguy en 1901, plus je découvre que les hommes libres et les événements libres sont variés. Ce sont les esclaves et les servitudes et les asservissements qui ne sont pas variés, ou qui sont le moins variés. Les maladies qui sont en un sens des servitudes qui sont beaucoup moins variées que les santés. Quand les hommes se libèrent, bien loin qu’ils s’avancent dans je ne sais quelle unité, ils s’avancent en variations croissantes. (…) les ouvriers écrasés de fatigue sont en général bien plus près d’une certaine unité. »

 

                                                           Alain Finkielkraut, Nous autres, modernes

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