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QUE CHERCHEZ-VOUS ?

Ce que j'appelle printemps...

27 Mai 2018, 01:51am

Publié par Grégoire.

Ce que j'appelle printemps...

(...) Le printemps n’est rien de compréhensible -c’est même ce qui lui permet de tenir dans trois fois rien : un bruit, un silence, un rire...  à l’école où je travaillais il y avait une petite fille dont la maman était morte dans un incendie. J’aimais regarder son visage pendant les récréations. Dans ses yeux il y avait un peu de gravité et beaucoup de rires.  Elle n’avait connu sa mère que quatre ans et ces quatre ans avaient été à l’évidence plus gorgés d’amour que quatre siècles. Telle était ma pensée devant ce visage : la mère de son vivant a du versé une coupe de champagne dans l’âme de son enfant  -d’où le pétillement dans les yeux de la petite fille cette pensée que j’avais alors était une pensée printanière; Il n’y a rien à en conclure. Le printemps se moque de conclure…  

Ce que j’appelle printemps ne va pas sans déchirure Si nous regardions bien si nous regardions calmement nous serions effrayés par la souveraineté de la moindre pâquerette : elle est là  toute bête toute jaune Pour être là toute menue elle a dû traverser des morts et des déserts  Pour être là,  toute menue, elle a dû livrer des guerres sans pitié ce que j’appelle printemps est une chose du même ordre  une chose qui brille comme une pâquerette ou comme un lutteur couvert de sueur... 

Les esprits grincheux vont encore dire : « c’est mièvre : Pourquoi l’éloge d’une marguerite dans un pré ? 

Mais la réponse est très simple : nous n'avons que ça ! Nous n'avons que la vie la plus pauvre la plus ordinaire la plus banale : Nous n'avons en vérité  que ça !  De temps en temps parce que nous sommes dans un âge plus jeune ou parce que la fortune, les bonnes faveurs du monde viennent à nous nous revêtons un manteau de puissance et nous nous moquons de cette soi-disant "mièvrerie" Mais le manteau de puissance va glisser de nos épaules  tôt ou tard... Non  je ne suis pas mièvre, je parle de l'essentiel  tout simplement Et l'essentiel,  c'est la vie la plus nue,  la plus rude,  celle qui nous reste quand tout le reste nous a été enlevé : La marguerite dans son pré, le plâtrier qui siffle, les planètes lointaines : voilà  au contraire  quelque chose qui est rude, émerveillant, parce que ces choses résistent à tout.

 

Christian Bobin.

 

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