La crise du milieu de vie (3ème partie)
Cet attachement aux pratiques et aux principes religieux vise à dissimuler notre crise intérieure et à camoufler la peur qu’elle déclenche en nous. C’est en fin de compte la peur que Dieu lui-même pourrait m’arracher des mains les images que je me suis fabriquées de moi et de Lui et qu’il pourrait m’ébranler au point de faire s’écrouler l’édifice que je me suis construit pour abriter mon existence…..Tauler qualifie d’idoles les principes auxquels on s’agrippe. IL estime que beaucoup de gens sont assis dessus comme jadis Rachel sur ses faux dieux et qu’ils s’y cramponnent obstinément pour éviter la rencontre avec le vrai Dieu. Cette personne se défend contre tout ce que Dieu pourrait utiliser pour l’interpeller directement et pour la mettre en question. Elle se cramponne à ses pratiques et les brandit entre elle et Dieu. Sa sécurité, ses convictions religieuses sont plus importantes pour elle qu'une rencontre personnelle avec Lui. Elle maintient Dieu à distance. Car Il pourrait bien la fragiliser en lui révélant ce qu'il en est de son véritable état, ce qu'il en est des vrais motifs de sa pratique religieuse. Il se pourrait bien que Dieu démasque celle-ci comme relevant de l'autodéfense, qu'Il lui mette devant les yeux ses intentions et ses désirs douteux, ses tentatives pour refouler sa peur. Aussi se barricade-t-elle derrière son activité pieuse au lieu d'être pieuse. Elle s'adonne à des actes de piété pour ne pas devoir apprendre de Dieu qu'en réalité elle n'est pas pieuse du tout, mais que, dans sa pratique, elle ne fait que se chercher elle-même, chercher sa sécurité, sa justification, sa valeur spirituelle. Elle se raidit sur des rituels sans remarquer que ceux-ci ne peuvent la rendre pieuse par eux-mêmes. Elle se durcit dans l'illusion de sa valeur, mais reste inaccessible à l'appel direct de Dieu qui voudrait l'appeler à la vérité.
Cette attitude est typiquement celle des pharisiens. Elle se retrouve aussi chez beaucoup de soi-disant bons chrétiens qui n'osent pas s'engager dans la foi au vrai Dieu et se laisser transformer par lui en permanence. Tauler dit de ces hommes qu'ils se contentent de citernes closes au lieu de goûter à la source vive de Dieu.
Par l'activité extérieure, par l'ardeur dans la piété et par l'activisme religieux, on veut camoufler son absence de contact avec ce lieu du cœur qui est tout au fond de nous, on veut oublier que Dieu lui-même nous reste, en fin de compte, étranger. On s'imagine Le posséder en satisfaisant à des exercices religieux bien précis. On veut Le forcer à cadrer avec sa pratique religieuse. C'est la peur du Dieu vivant qui explique cette attitude. Dans la crainte qu'Il démolisse l'édifice des assurances et des justifications de soi, vous laissant tout nu devant ce qu'Il est en vérité, on essaie d'ériger autour de soi, par une conduite irréprochable, un mur de protection que Dieu lui-même ne peut franchir. Le fidèle accomplissement du devoir ne jaillit pas alors d'un cœur aimant qui a été atteint et touché par Dieu, mais d'une fixation anxieuse sur soi. On se justifie par ses œuvres, de peur de s'en remettre au jugement de Dieu, de crainte de se laisser tomber plein de confiance dans ses bras aimants. En se cramponnant à soi, on refuse la foi dans laquelle on devrait se remettre à Dieu.
Tauler ne conseille pas de renoncer aux exercices spirituels. Mais celui qui, après quarante ans, tient trop à ses pratiques, celui qui les fait passer avant la recherche du fond de son âme, celui-là se transforme en citerne vide. Il est accaparé par son activité extérieure, sans percevoir les sollicitations que Dieu lui adresse
La crise du milieu de vie, d' Anselm Grün