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QUE CHERCHEZ-VOUS ?

Ce que j’appelle printemps

16 Novembre 2013, 08:00am

Publié par Fr Greg.

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Ce que j’appelle printemps, n’est pas affaire de climat ou de saison. Certes, je ne suis pas insensible à la résurrection du mois de mai, à cette candeur nouvelle de l’air qui rend le cœur si rouge et les filles si moqueuses. Mais on peut toujours objectiver que cette résurrection sera bientôt suivie par un nouvel hiver, un goutte- à-goutte de la mort froide. Ce que j’appelle le printemps brise ce cercle-là, comme tous les autres. Cela peut surgir au plus noir de l’année. C’est même une de ses caractéristiques : quelque chose qui peut venir à tout moment pour interrompre, briser – et au bout du compte délivrer.

 

Je vois votre étonnement. Je vois que vous ne me comprenez pas. Je vous rassure : le printemps n’est rien de compréhensible- c’est même ce qui lui permet de tenir dans trois fois rien- un bruit, un silence, un rire : à l’école où je travaillais, il y avait une petite fille dont la mère était morte dans un incendie. J’aimais regarder son visage pendant les récréations. Dans ses yeux il y avait un peu de gravité et beaucoup de rires. Elle n’avait connu sa mère que quatre ans et ces quatre ans avaient été à l’évidence, plus gorgés d’amour que quatre siècles. Telle était ma pensée devant ce visage : la mère, de son vivant, a versé une coupe de champagne dans l’âme de son enfant- d’où le pétillement dans les yeux de la petite fille. Cette pensée que j’avais alors était une pensée printanière. Il n’y a rien a en conclure. Le printemps se moque de conclure. Il ouvre et ne se termine jamais. Il est dans sa nature d’être sans fin.

 

Ce que j’appelle le printemps ne va pas sans déchirure. Cette une chose douce et brutale. Nous ne devrions pas être surpris de ce mélange. Si nous le sommes, c’est que la vie nous rend distraits. Nous ne faisons pas assez attention.. Si nous regardions bien, si nous regardions calmement, nous serions effrayés par la souveraineté de la moindre pâquerette : elle est là, toute bête, toute jaune. Pour être là, toute menue, elle a dû traverser des morts et des déserts. Pour être là, toute menue, elle a dû livrer des guerres sans pitié. Ce que j’appelle printemps est  une chose du même ordre, une chose qui brille comme une pâquerette ou comme un lutteur couvert de sueur. Rien de tranquille ni de gagné d’avance.

 Christian Bobin, L’équilibriste. 

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