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Le syndrome des faux souvenirs

10 Juillet 2020, 14:25pm

Publié par Grégoire.

Le syndrome des faux souvenirs

« Représentez-vous votre esprit comme une bassine pleine d’eau claire. Imaginez chaque souvenir comme une cuillerée de lait versée dans l’eau. Chaque esprit adulte contient des milliers de ces souvenirs mélangés… Qui parmi nous pourrait prétendre séparer l’eau du lait ?» 

Elizabeth Loftus, Le syndrome des faux souvenirs.

 

Cette psychologue américaine, professeure à l’Université de Californie (Irvine) a démontré combien la mémoire était incertaine et malléable. 

Les travaux de la professeure Loftus ont contribué à considérer la mémoire humaine non plus comme une caisse enregistreuse fidèle à la réalité, mais plutôt comme un système dit «reconstructionniste». «La mémoire se modifie avec le temps. (…) Avec chaque événement ultérieur qui se produit, avec chaque information nouvelle, la mémoire incorpore des faits et des détails nouveaux, et le souvenir originel se métamorphose petit à petit», explique-t-elle.

 

Le faux souvenir de Piaget

 

La mémoire nous joue donc des tours. «Cette idée nous dérange profondément», admet la spécialiste, qui a mis en évidence le concept du «faux souvenir». Elizabeth Loftus elle-même en a fait l’expérience. A l’âge de 14 ans, alors qu’elle est en vacances chez son oncle avec sa tante et sa mère, cette dernière meurt noyée dans la piscine.

  

Trente ans plus tard, Elizabeth Loftus parle avec son oncle de cet épisode tragique. «Ce dernier m’informa que c’était moi qui avais trouvé ma mère dans la piscine. » Elizabeth se défendit: «Non! C’était la tante Pearl. Je dormais, je ne me souviens de rien. » Pourtant, des souvenirs lui apparaissent: «Je pouvais me voir, regardant les reflets bleu et blanc de la piscine. Ma mère, en robe de nuit, flotte, le visage vers le bas. (…) Pendant trois jours mon souvenir ne cessa de gagner en substance. Puis, un matin, mon frère m’appela pour me dire que mon oncle, après vérification, avait réalisé qu’il s’était trompé. Le corps de ma mère avait été découvert par la tante Pearl. »

 

Elizabeth Loftus cite également le psychologue genevois Jean Piaget, qui a longtemps cru qu’enfant il avait été kidnappé. «J’étais assis dans ma poussette, que ma nurse promenait le long des Champs-Elysées, lorsqu’un homme essaya de me kidnapper. La nurse s’interposa bravement entre le voleur et moi. » Des années plus tard, la nurse éprise de remords, avouait dans une lettre avoir tout inventé.

 

La controverse 

Ces exemples montrent que non seulement le souvenir n’est pas conforme à la réalité, mais qu’en plus il s’élabore sur la base de suggestions et d’influences extérieures à celui ou celle qui le détient.

 

La notion du faux souvenir remet en question la crédibilité donnée au témoignage humain, notamment dans le cadre juridique. Elizabeth Loftus en qualité d’experte est intervenue dans plus de 200 procès. Dans Le syndrome des faux souvenirs, elle revient sur ces affaires, où des parents respectables sont accusés d’avoir commis les pires sévices sur leurs enfants, après que ceux-ci ont retrouvé des «souvenirs enfouis». L’idée que la mémoire serait verrouillée à la suite d’un traumatisme est défendue par certains psychologues qui se proposent de «réveiller» ces souvenirs enfouis dans un but thérapeutique.

 

 Des associations d’aide aux victimes d’abus sexuels et d’inceste se sont élevées contre les recherches d’Elizabeth Loftus. Elle le reconnaît elle-même: «Nous n’aimons pas le flou et l’ambiguïté, surtout s’ils touchent à notre propre identité. (…) Moi-même, comme tout le monde, je préfère me tenir sur un passé stable et inamovible, plutôt que sur du sable mouvant (…). Mon travail, qui consiste à étudier la mémoire, a fait de moi une sceptique. »

 

«Vrais et faux souvenir sont exprimés avec une même conviction»

 

Il y a plus de dix ans lorsque vous avez publié «Le syndrome des faux souvenirs» («The Myth of Repressed Memory»), le débat entre les tenants des «souvenirs refoulés» et les sceptiques, dont vous faites partie, faisait rage.

  

Quelle est la situation aujourd’hui?

  

Les médias ont tellement relayé cette controverse et si intensément, que l’intérêt s’est essoufflé. Il y a toujours des cas mais on en parle moins, sauf lorsqu’il s’agit d’affaires vraiment importantes ou que les accusés sont célèbres. On pense donc que le débat est clos, mais il suffit de faire un tour sur les sites des organismes dédiés au syndrome des faux souvenirs pour voir que la polémique perdure.

  

Vous avez été et êtes encore l’objet de critiques parfois violentes de milieux féministes, mais aussi des défenseurs des enfants abusés qui vous accusent de faire peu de cas des souffrances de ces victimes.

 

Comment vous défendez-vous?

  

J’ai une profonde compassion pour les vraies victimes de souffrances dans leur enfance. Mais j’ai aussi de la compassion pour les familles qui se retrouvent détruites après avoir été l’objet de fausses accusations. Tout le monde ne comprend pas cette position. Dans un avion, un jour une femme m’a frappée avec un journal… C’était il y a déjà quelques années. Aujourd’hui, on m’envoie de temps à autre un mail ou un courrier désagréable.

 

Vous êtes sollicitée dans les tribunaux comme experte dans le cas où des personnes se retrouvent accusées d’abus sexuels par leurs enfants sur la base d’une dénonciation tardive suite à la résurgence d’un souvenir dit «refoulé». Vos recherches ont montré que la mémoire était malléable et que certains psychothérapeutes étaient habiles à faire «remonter» ces souvenirs.

  

Comment faites-vous la différence entre un «faux» et un «vrai» souvenir?

  

Le vrai et le faux souvenir sont très semblables. Les deux sont exprimés avec autant de conviction, de détails et d’émotion. Sans une corroboration indépendante, il n’y a pas de moyen infaillible de distinguer le vrai du faux.

 

Vous-même, n’avez-vous jamais craint d’être manipulée par des accusés d’abus ou d’inceste qui trouveraient dans votre présence à leur procès un gage de leur innocence, alors qu’en réalité ils sont coupables?

 

Qu’un coupable puisse se servir de la science de la mémoire pour réfuter une accusation avérée m’est une idée désagréable. Même si cela peut arriver, nous ne devons pas renoncer à tenter de disculper les innocents et confondre les coupables.

 

Doutez-vous parfois de l’innocence d’un accusé et comment gérez-vous cette situation?

 

Cela est arrivé une fois. J’étais convaincue que certains délits mineurs avaient probablement été commis. Mais j’avais de gros doutes quant aux accusations graves d’abus et de rituels sataniques qui étaient avancés. Ce n’est pas mon rôle de dire si un souvenir est véridique ou non. Je suis là seulement pour informer qu’il peut y avoir des explications alternatives à ce souvenir.

 

Dans votre ouvrage publié en 1994, vous avouez être submergée par les demandes d’aide, de parents qui se disent injustement accusés. Est-ce encore le cas aujourd’hui?

 

Je reçois toujours beaucoup de demandes d’aide, mais il y a désormais des associations vers lesquelles ces personnes peuvent se tourner. 

 

Comment votre propre expérience d’avoir été abusée enfant influence-t-elle vos recherches, ou non?

 

Je pense que cela n’influence pas mon travail. Ce n’était là qu’un épisode désagréable de ma vie, parmi d’autres. Certains événements ont été beaucoup plus pénibles, comme la mort de ma mère.

 

Sur quoi travaillez-vous actuellement?

  

Je m’intéresse à ces questions: quelles sont les personnes qui seraient plus susceptibles d’avoir des souvenirs déformés et quelles sont celles qui se montrent plus résistantes?
Les faux souvenirs résultant d’un abus dont vous auriez été victime, sont-ils identiques ou différents des faux souvenirs issus de l’abus dont vous auriez été l’auteur? Ce dernier cas survenant lorsqu’il y a de faux aveux.

 

Un nombre de plus en plus important d’enfants se retrouvent dans une situation d’otage quand la séparation de leurs parents se transforme en guerre familiale. Victimes d’un conflit de loyauté insupportable, ils peuvent être amenés à proférer des fausses allégations à l’encontre du parent rejeté, pour soutenir la cause du parent ravisseur qui les maintient sous son emprise. Ces fausses allégations deviennent très rapidement des « vrai faux souvenirs » pour ces enfants prisonniers du piège de l’aliénation parentale.

Les « faux souvenirs » concernent généralement des adultes de 30-40 ans trompés par des thérapeutes qui travaillent sur la base de souvenirs refoulés de prétendus abus sexuels subis par les patients dans leur petite enfance.

Les « fausses allégations » dans un contexte d’aliénation parentale concernent des enfants mineurs qui sont amenés à accuser de façon mensongère l’un de leur parent de maltraitance ou d’abus sexuels, lors de séparation parentale très conflictuelle.

Elisabeth Loftus, le syndrome des faux souvenirs

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