Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
QUE CHERCHEZ-VOUS ?

Sympathie pour le diable

21 Janvier 2020, 11:09am

Publié par Grégoire.

Ce diable est une drogue dont on ne peut se défaire. La vie des gens heureux paraît ensuite si fade.

Ce diable est une drogue dont on ne peut se défaire. La vie des gens heureux paraît ensuite si fade.

 

 

Il fait froid, il n’y a ni électricité ni eau courante. Surtout, dès que l’on sort dans la rue, ou même que l’on s’approche d’une fenêtre, on est à la merci d’un tireur embusqué. Pourquoi alors venir s’enfermer dans une ville quotidiennement bombardée, sans avoir été conscrit, sans être né dans le camp des assiégés ? Sympathie pour le diable voudrait percer ce mystère, mettant en scène les dernières semaines du séjour de Paul Marchand, journaliste français, à Sarajevo, pendant le premier hiver du siège de la ville par les forces serbes.

 

 

 

 

Entre portrait du reporter de guerre en gloire et réflexion sur la place d’un observateur en enfer, ce premier long-métrage du réalisateur canadien Guillaume de Fontenay cherche avec opiniâtreté la juste distance face à son fascinant sujet, des réponses convaincantes aux interrogations légitimes que suscite le scénario. A l’image de la vanité du travail des journalistes, qui n’ont jamais mis fin à une guerre, le travail du cinéaste reste inabouti, mais après tout, de prestigieux aînés l’ont précédé dans cette impasse – Oliver Stone ou Michael Winterbottom.

 

 

Sympathie pour le diable a été tourné en hiver, à Sarajevo, dans des couleurs froides, en un format qui inspire la claustrophobie, le 4:3 des images télévisées de l’époque. Dans les rues dévastées de la ville, on reconnaît la voiture de Paul Marchand : non seulement elle arbore les lettres « TV » mais aussi un autocollant qui proclame l’immortalité du conducteur. Et la silhouette de Paul Marchand est tout aussi identifiable, bonnet de marin enfoncé sur la tête, cigare cubain au bec. On dirait qu’il a accordé à sa mise le soin qu’une costumière mettrait à définir un personnage de cinéma.

 

 

Avec un photographe (Vincent Rottiers), avec ses collègues américains et européens, il cavale de charnier en barrages de miliciens, recevant en cours de film le renfort de Boba (Ella Rumpf), une jeune Serbe qui a choisi de rester à Sarajevo. Elle l’aide à passer les lignes, il l’aide à survivre au dénuement quotidien. Cette routine périlleuse et absurde (dès les premières séquences, l’indifférence du monde à ce qui se passe à Sarajevo est établie) est entrecoupée de heurts entre le protagoniste et ses collègues : refusant de faire un pas en arrière pour mieux voir, Paul Marchand défend un engagement qui le conduit non seulement à aider les nécessiteux, mais à choisir, en actions, son camp dans le conflit en cours.

 

 

Tout, dans la mise en scène, dans le jeu fiévreux, teinté de dandysme, de Niels Schneider, veut amener le spectateur à se rendre aux arguments de Paul Marchand. On peut prendre tel quel ce plaidoyer pour un journalisme d’aventure, exercé comme un sport de l’extrême, puisque la voix qui le porte est séduisante. Mais au lieu de l’inscrire dans une dialectique fructueuse, qui s’interrogerait entre autres sur la place que s’arrogent les journalistes dans la vie (et la mort) de ceux qu’ils observent, qui sont ici à peine représentés, Sympathie pour le diable emprunte la voie du thriller. La trajectoire du héros prend le pas sur le tragique de l’histoire.

 

https://www.lemonde.fr/international/article/2019/11/26/paul-marchand-reporter-en-guerre_6020502_3210.html

 

 

Commenter cet article