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QUE CHERCHEZ-VOUS ?

mon visage et le sien -4-

27 Décembre 2018, 02:52am

Publié par Grégoire.

mon visage et le sien -4-

Dans un village du Mâconnais absolument désert en plein midi, mon vélo appuyé contre le portail, mon corps lentement se calmant, séchant de la sueur qui s'en était écoulée comme s'il fuyait, je plongeais dans le déjà-là, dans ceci qui est là et peut entendre ce que je dis, et je peux entendre ce qui est dit, sans qu'il soit besoin de rien prononcer, et cette possibilité seule, en forme d'accueil, est une bienveillance profonde qui me maintient en vie.

Je ne peux dire à quoi ceci ressemble, je ne peux en donner d'image, car si le moi-tout-autre-que-moi me constitue à son image, je ne le perçois que selon ma forme, donc assez mal, car je sais mes limitations. Quelque chose est là que je ne vois pas, mais que je peux percevoir si je fais silence, et dans ce silence ceci a toute la place pour venir jusqu'à moi, et dans ce vide qui n'est pas rien, je me déploie et m'agrandis de ceci qui vient. La vie éternelle est déjà là.

Ce jour d'été, entre les pattes de trois éléphants de pierre qui soutenaient la voûte, je sentis la vie éternelle autour de moi et en moi, la vie éternelle et sa lumière qui est dans les interstices entre les objets, qui leur donne naissance et les maintient dans l’existence.

Ceci qui est là se montre à peine, il faut pout le percevoir baisser la lumière, ne faire presque aucun bruit, et c'est là, c'était là depuis toujours, et on ne le savait pas parce qu'on était trop bruyant. Maître Eckhart raconte cela, dans un commentaire de l'épi_ sode des Évangiles où le Christ chasse les marchands du temple : « Enlevez-moi ça! Débarrassez-moi ça!» dit-il. Il se fait d'une corde un fouet, et il chasse du temple tous les marchands d'animaux, qui attendent là qu'on leur achète de quoi faire un sacrifice. Mais Eckhart n'accuse pas les marchands de faire du commerce là où ne devrait avoir lieu que la prière, peu lui importe : ils ne faisaient rien de mal, ils vendaient des tourterelles qui sont belles choses, et agréables à Dieu. Il n'a rien contre les tourterelles et le Christ les chasse. Il dit : « Débarrassez-moi ça!» Pourquoi? Ce n'est pas mauvais, mais cela dresse des obstacles à la vérité limpide. L'âme est un temple, et il veut qu'elle soit vide pour l'accueillir, lui. Il veut débarrasser l'âme des dix mille êtres qui l'encombrent dès qu'elle s'agite, comme une étendue d'eau que l'on trouble, et le reflet qu'elle portait se fragmente en mille reflets qui en voilent la transparence, que l'on ne retrouvera que lorsque l'eau aura retrouvé son calme, et dans ce silence, l'image apparaîtra.

J'ai entendu les mêmes paroles dites par des gent vivants, ô combien vivants, par des carmélites qui devant moi décrivaient leur vie avec les mêmes mots les mystiques médiévaux. Elles parlaient du silence, qui est la vie même qu'elles ont choisie, qui est la condition pour elles de l'accueil de cette vie. «Le Christ ne parle pas fort, disaient-elles. Il faut faire silence pour l'entendre. » Par le silence consenti, elles débarrassent leur coeur de ce qui l'encombre, et en font une église romane vide où par de fines fenêtres peut entrer la lumière. « Le silence agrandit notre espace intérieur, disaient-elles, et permet d'accueillir la présence de Dieu qui est murmure. » Elles choisissent de ne pas parler pour entendre ; elles écoutent. 

Alexis Jenni, mon visage et le sien.

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