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QUE CHERCHEZ-VOUS ?

De l'imperfection de Dieu.

25 Janvier 2019, 01:50am

Publié par Grégoire.

De l'imperfection de Dieu.
Cet homme était comme moi: il n'existait pas. Il portait un feutre cabossé sur la tête, un costume froissé par des nuits passées dehors. Collée à ses lèvres, une cigarette. Il l'oubliait puis la ranimait en tirant dessus au bord de l'abîme, alors qu'elle allait s'éteindre. Ce vagabond était tout entier précipité dans ses yeux. Sa voix poussait les nuages. Les mots qui passaient ses lèvres faisaient trembler de joie le mégot blanchâtre. Il parlait brutalement comme font les sages, sans songer à ménager qui que ce soit.
 
Il y a quelque chose, me dit-il , qui ne va pas avec les religieux. Ils assurent que Dieu est parfait- mais il ne peut l'être s'il est vivant : vivre c'est toujours plus ou moins échouer, manquer, trembler. Et il est vivant, Dieu, nous en sommes bien d'accord,  monsieur,  il est vivant et même le seul à l'être, n'est-ce pas? J'acquiesçai, ma seule certitude étant cette vie sauvage du divin, en nous et au dehors dans ses apparitions concrètes,  inapprivoisables. Eh bien cher ami, poursuivit-il , franchissons un seuil : si Dieu, grâce à Dieu, n'est pas parfait,  par contre le diable l'est. Il est même le seul à l'être. La preuve est sous nos yeux : nos technologies lisses, arachnéennes, et nos morales aiguisées comme des sabres - ici le bien, là le mal -,  témoignent de ce que je dis : le diable est épris de perfection. Le diable est le sans reproche, le tout-blanc en baskets, le très efficace bâtisseur d'une vie nouvelle dans laquelle,  croyez-le bien, je n'entrerai pour rien au monde. J'habite une forêt. Les arbres sont de grands croyants. Leur respiration est mon maître. Tant de puissance alliée à tant de délicatesse. Dans une forêt la modernité arrive en lambeaux. Dans les métropoles elle explose plein centre. Rien n'y subsiste, que des visages affairés. Ce ne sont plus des visages mais des calculs avec deux yeux au milieu. Puis il se tut, sembla soudain mélancolique. Un rire le traversa, secouant sa cigarette toujours soudée à ses lèvres. Je ris, dit-il il, de ma propre idiotie. Comme si je savais quoi que ce soit ! Qu'est-ce qui me prend  de vous parler du monde et de ses technologies? C'est ajouter du bruit au bruit. Plutôt vous dire ceci, autrement plus décisif : hier j'ai entendu le vent rouler dans les feuillages, près d'une barrière. Au début c'était puissant, déterminé. Le convoi de l'éternel avec ses trente tonnes de lumière qui passaient. Puis ça c'est adouci en murmure. Je pense que vous ne me croirez pas mais j'ai entendu le chuchotement des morts aimés : la plus belle preuve de Dieu jamais donnée. C'était à la lisière de la parole et du silence. Une écoute absolue de nos angoisses. Vous comprenez? Quelqu'un qui nous écouterait vraiment. Ce souffle passait à  l'intérieur de mon coeur. Quelqu'un me recueillait ( n'est-ce pas le vrai sens d'écouter ?) avec toutes mes stupidités, mes paresses, mes sommeils, pour me rappeler à la catastrophique merveille de vivre. Puis cette rumeur est partie. Les arbres, c'étaient des trembles. Je vous raconte ceci avant de l'oublier. Le propre d'une révélation c'est d'être très vite effacée.
 
Idiots que nous sommes, dit-il en riant! Tout est dans le creux de nos mains vides et nous allons chercher au fond de nos poches ou dans la poche du voisin! Il riait et son rire effaçait peu à peu ses traits, son corps, son chapeau. C'est la cigarette qui a disparu en dernier. Un feu rouge dans l'infini. 
 
C.Bobin 
De l'imperfection de Dieu.
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F
Merci pour ce texte magnifique, pour l'interview et pour l'image dansante de joie !
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