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QUE CHERCHEZ-VOUS ?

L’éternité reçue

25 Août 2018, 00:34am

Publié par Grégoire.

L’éternité reçue
Le fil rouge qui traverse ce livre tient en quelques lignes. La mort est inéluctable, mais c’est la vie qui est première. Comment alors y donner sens à la mort? Les «petites morts» qui jalonnent la vie – échecs, maladies, limites de toutes sortes – peuvent être le lieu d’une croissance, d’un surplus de vie, d’une ouverture à un réel qui nous dépasse. Et la mort, par laquelle notre vie s’achève, peut alors être comprise comme le franchissement de la limite ultime, au-delà de laquelle nous pouvons recevoir ce que Dieu seul peut donner: la vie en plénitude.
 
Cependant, résumer ainsi le propos de l’auteur, c’est perdre la riche réflexion à travers laquelle il nous conduit. Essayons de voir comment, en quatre étapes, il propose «une autre lecture de notre finitude». La démarche de Martin Steffens est philosophique, inspirée par la phénoménologie, mais elle est aussi éclairée par la foi en un Dieu-amour. Il cite ou évoque de nombreux auteurs, en particulier Simone Weil, dont les intuitions trouvent chez lui un large écho.
 
Vivre d’abord
 
Un constat, au départ: «La mort est pour la vie chose impossible, certes, mais elle est. Nous n’avons d’autre choix que d’apprendre ce que nous pouvons en faire». Aussi, pour pouvoir dire quelque chose de la mort, il faut «vivre d’abord», mais sans évacuer cette «impossibilité» de la mort. Dans la première partie du livre, Martin Steffens évoque diverses attitudes possibles face à la mort, et il en montre les limites. La sagesse «stoïcienne» des philosophes pas plus que la «sagesse de camomille (…) que les hommes concoctent pour obtenir, dès cette vie, un sommeil (…) pour s’habituer à mourir et laisser pénétrer la mort au cœur de la vie» ne sont une vraie réponse. Car, «de même que justifier le mal, c’est contaminer le bien, de même tenter de comprendre la mort, cela ne se peut sans prendre le risque de contaminer la vie».
 
Aux consolations un peu faciles de certains discours pieux, il faut préférer la douleur révoltée de Rachel, «qui pleure ses enfants et ne veut pas être consolée» (Jr 31,15 et Mt 2,18). Martin Steffens récuse également les pensées qui voient dans la mort d’une personne une sorte de mécanisme «naturel», qui s’inscrit dans un «Tout» cohérent. «Puisque ce n’est jamais une partie du Tout qui meurt, mais toi, lui, moi, alors toute mort est unique (…) La mort révèle le caractère insubstituable de la personne. A la lettre, chaque mort est inconsolable».
 
Mourir parfois
 
Ayant ainsi «marché à reculons» devant diverses manières insatisfaisantes d’expliquer ou comprendre la mort, Martin Steffens fait vers elle «un premier pas qui [est] celui d’un vivantOr, ce que le vivant va rencontrer, bien avant la mort qui le tuera, ce sont des ‘petites morts’, épreuves et blessures. Le paradoxe étant que, plus il est vivant, moins les épreuves lui seront épargnées». Dans cette deuxième étape, l’auteur se demande ce que l’homme, qui est «fait pour la vie» peut faire de ces «petites morts», en repérant, dans notre vie, «ces épreuves qui, n’étant certes pas encore la mort, ont d’elle le trait distinctif d’être ‘comme une chose impossible’».
 
Cet impossible, nous le rencontrons d’abord dans le rapport à autrui et, en particulier, dans l’amour. «Quand, par exemple, j’aime un être de toute ma force, je le veux pour moi (…) tout entier… mais l’absorption de cet être par l’amour que je lui porte serait aussi sa négation (…) Aimer, c’est en même temps aspirer et renoncer à posséder». De sorte que la relation avec l’être aimé est sans cesse, bien qu’inconsciemment, «travaillée par le deuil de sa perte».
 
C’est aussi dans notre rapport au monde que nous sommes mis face à nos «petites morts». Ainsi «le désir de faire de sa vie quelque chose rencontrera l’imprévu qui, indésirable et inconnaissable comme tel, est pourtant déjà inscrit dans le projet». En effet, le réel «résiste à ce qu’on veut en faire». Cette limite se manifeste de manière particulièrement évidente dans le projet politique. Enfin, le rapport à soi-même n’échappe pas à ses limites. L’auteur cite ici le mystique rhénan Angelus Silesius qui écrit: «Ce que je suis, je ne le sais pas. Ce que je sais, je ne le suis pas».
 
Ainsi, l’homme est confronté à de continuels renoncements, à des contradictions, à des obstacles, qui sont autant de «petites morts». «La question n’est pas de savoir comment [les] éviter, mais ce qu’on peut en faire…». Car ces impossibilités auxquelles se heurte notre désir sont «l’occasion d’une plus grande ouverture de la vie au réel». Mais la Modernité, dont nous sommes partie prenante, ne voit en la vie qu’une lutte pour l’existence, une affirmation de soi. Au contraire, «l’usage de la contradiction» nous fait percevoir qu’il y a dans notre vie plus que ce que nous nous efforçons d’y enfermer.
 
Nous ne sommes pas tout, et en prendre conscience est «un bienfait». Faire l’expérience de la beauté, par exemple, est consentir à se laisser traverser par plus grand que soi, «à recevoir, mais sans jamais pouvoir posséder ce qu’on a reçu». Ou, dans un autre registre, «patienter au cœur de la souffrance – ce qui ne signifie pas se rendre insensible à elle –, c’est faire dans le ‘moi’ une incise pour qu’il lui arrive autre chose que soir ».
 
Mourir
 
Nos «petites morts» sont donc l’occasion de s’ouvrir à un réel que nous ne comprenons pas mais que nous pouvons apprendre à aimer. Alors, «la mort n’est-elle pas aussi, elle surtout, l’avènement à une vie d’autant plus parfaitement donnée qu’elle sera plus radicalement déprise d’elle-même?» Prendre ce chemin, c’est, pour Martin Steffens, «posséder par la dépossession», car «on ne reçoit que ce qui ne nous appartient pas». Evoquant Maître Eckhart, il ajoute: «Si donc, d'une part, aimer c'est laisser être une chose pour elle, ou bien savoir que la jouissance que j'ai d’elle ne m’est jamais ni acquise ni due; si d'autre part mourir, c'est être empêché de toute jouissance et laisser le monde aller sans moi; alors peut-être y a-t-il un lien entre l'amour et cette mort ultime qui nous enlèvera tout».
 
Mourir serait donc être vide pour tout recevoir, «posséder la totalité de l’objet aimé, parce qu’on le reçoit d’ailleurs». Les petits renoncements, les petites morts, sont de «petites grâces» qui nous préparent au dessaisissement total, qui sera une «grâce parfaite». «Quand ma vie ne m’appartiendra plus, elle pourra m’être absolument redonnée. Je pourrai ressusciter (…) je serai pour Dieu l’occasion de faire de moi ce qu’Il veut. Or, ce que Dieu veut, c’est ce qu’Il est. Et ce qu’Il est, c’est la Vie».
 
Ressusciter
 
Accueillir la résurrection comme une promesse, c’est aussi découvrir que l’éternité commence «à l’instant où nous commençons de distinguer ce qui, en notre vie ne mourra pas». Mais en quoi consistera notre résurrection? On peut d’abord dire ce qu’elle ne sera pas: «ni un commencement absolu, ni la parfaite continuité de la vie présente, ni l’advenue d’un monde totalement différent de notre ici-bas». Martin Steffens développe alors ce qui constitue la partie la plus originale de l’ouvrage. Pour lui, le «jugement» par lequel s’inaugure la résurrection n’est autre que le «récit que Dieu fera de la vie que, par ma mort, je lui ai remise». Cette mort, il l’a accueillie comme un cri que je lui adresse. Alors, «me ferait-il ressurgir de la mort si c’était seulement pour mettre au jour mes secrets minables?» Car le jugement de Dieu est un jugement de salut. Il sera «rencontre de moi-même à travers l’écoute de Celui qui me sauve».
 
Refermons le livre sur ce que nous dit l’auteur du regard nouveau que nous ouvre la résurrection: «Quand alors on sera définitivement libéré de cette peur de perdre, quand devant soi il n’y aura plus que la vie reçue en Dieu, on prendra doucement le temps d’y regarder de plus près: ces liens invisibles qu’on appelle amitié, amour, affection, confiance, on verra comme ils soutenaient discrètement le monde. On s’émerveillera. Voyant enfin à l’endroit ce qu’on voit ici-bas à l’envers, on s’étonnera: malgré tout le mal qu’on introduit dans le monde, comme tout cela est bien fait!»
 
Fiodor
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