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La lumière, la simple lumière du jour, c’est la main immatérielle de l’ange sur notre front saignant...

5 Février 2018, 04:35am

Publié par Grégoire.

La lumière, la simple lumière du jour, c’est la main immatérielle de l’ange sur notre front saignant...

Un seul mur peint en blanc et c’est la neige qui s’invite à la maison et, avec elle, l’ange édenté des éblouissements. Hier, j’ai repeint un mur du salon. C’était dans la nuit, et la lumière des lampes est parfois mensongère comme peut l’être une gentillesse commerciale. Ce matin, je vois quelques imper­fections, mais le mur est si aveuglant que tout s’efface devant la joie donnée. La lumière qui éclate, puissante comme sont les mères dans le rêve de l’abandonné, permet à toutes choses de chanter. Son feu blanc donne à l’air une vibration immobile. L’hiver est encore loin avec son silence et ses cymbales de givre, mais ce mur et les balles de feu qu’il jette partout dans la pièce me parlent de la neige et de Dieu, dont les yeux multipliés par mille, en raison de la réverbération de la lumière crue, crèvent mes yeux.

La neige qui tombe sur notre sommeil, c’est le ciel qui pense à nous, et la lumière, la simple lumière du jour, c’est la main immatérielle de l’ange sur notre front saignant. Pensez que je suis fou mais alors demandez-vous ce que sont les fous, et ce qu’est cette raison qui ne sait qu’analyser, que découper, que désosser. N’aurait-elle donc affaire qu’aux morts? Un pèlerin, ailes dans le dos, bec savamment penché sur la terre, cherche sa nourriture dans le jardin. Ce pèlerin ailé est mon frère. Jai plus de chance que lui: je suis nourri à la petite cuillère par la lumière dun mur repeint à la hâte. Je mange de lair, de la neige et des poèmes. Logiquement – je parle ici dune logique de fou – je ne devrais jamais mourir de faim.

Dieu qui nexiste pas..., Dieu qui a le privilège d’être le seul vivant, Dieu qui a des épaulettes de fougères et des mouchoirs de plâtre blanc, Dieu dont la main de lumière frappe à la porte des roses, Dieu dont l’haleine blanchit les prés en automne, Dieu qui sort tous les soirs en smoking pailleté, Dieu qui s’endort sous la grande table de nos raisonnements, Dieu qui lance un juron et le regarde ricocher sur les eaux de la nuit étoilée, Dieu qui est matière et esprit, qui triomphe en diva par son absence, n’oublie pas ses enfants. Il les aime. Il vient chaque nuit repeindre en blanc les parois de leur cœur endormi. C’est un artiste, un grand, et même le seul. Il travaille avec ce que nous sommes. La perfection n’est pas son souci mais le vif, le vivant, le radieux. J’écris comme on écarte de deux doigts les lamelles d’une persienne, pour qu’un peu de jour explose dans la chambre noire. La poignée en cristal rose de la porte du paradis, en écrivant, j’arrive presque à la tourner. Presque. C’est assez beau, cette vie où on ne peut rien faire qu’échouer, vous ne trouvez pas? La joie se mariait ce matin en blanc froissé, cassé, et de la voir passer je suis devenu fou.

Christian Bobin.

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