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Les clés du ciel. Le livre errant

30 Avril 2017, 03:16am

Publié par Grégoire.

Les clés du ciel. Le livre errant

Si c'était un tableau, ce serait une peinture de Soutine : le boeuf écorché du langage, suspendu christiquement à un croc de lumière froide. Si c'était une saison, ce serait le printemps, avec les yeux fous des oiseaux et la grande croix qui brûle au fond des rivières. Si c'était une preuve de l'existence de Dieu - mais c'est déjà une preuve, par son humanité, sa douceur, ses désespoirs. Et une musique, si ce livre était une musique ? Incontestablement : une guitare au ventre couturé, rafistolé avec du Scotch, et les doigts gitans tirant sur les cordes pour réveiller les soeurs des anges. Une tombe ? Il est vrai que les livres ressemblent à des tombes que nos yeux fleurissent. Alors ce serait la tombe d'un enfant et l'enfant en sortirait devant nous, lavé de toutes ses fièvres, prêt à sauter à la corde. On a vu dans une ville bombardée des enfants jouer au milieu des gravats. Ce sont les seuls vrais théologiens. 

 

Mais revenons à ce livre. Le coeur est la matière la plus dure au monde. Parfois, un nuage le brise. Oui, c'est ça : ce livre est un nuage. Vous le prenez, vous l'emportez chez vous. Il ne prend pas de place. Juste le coeur. Et vous mangez avec ce nuage, et vous dormez avec lui et on vous dit : qu'est-ce qui se passe, tu as l'air bizarre. Et vous répondez : rien, rien, il ne se passe rien, je viens juste de lire un livre qui n'est pas un livre mais une parole ivre d'être sainte et de s'en moquer. C'est une pierre même pas précieuse qui m'a parlé. Un caillou des chemins. Il tenait le ciel et ses majordomes serrés dans son ventre.

Ou bien, si vous préférez : au Moyen Âge, on dévorait Dieu des yeux. Il était partout, dans les cathédrales aériennes, dans la mort violente donnée comme un trésor, dans les yeux de loup des pauvres, sur chaque page du ciel naïvement bleue, partout. Puis les siècles ont passé. Prétentieux, chargés d'argent et de machines. Dieu s'est éloigné. Il était l'air qu'on respirait. Il est devenu une morale, le chagrin des enfants, le contraire du soleil. Et le revoilà, vivant et contradictoire, par la grâce de ce livre qu'on croirait venu du Moyen Âge.

En 1350, Marguerite Porete est tuée pour avoir écrit Le Miroir des âmes simples et anéanties. Une cantate à trois voix avec le coeur, l'âme, l'esprit. Elle est amoureuse de son Dieu, Marguerite. Elle lui passe la main dans les cheveux. Elle s'invente sa romance avec l'éternel. Je vous mets au défi de distinguer un texte saint d'une lettre d'amour - colère comprise. Pour ça, on la brûle. Un peu plus tard un anonyme anglais écrit Le Nuage de l'inconnaissance. Les chapitres sont brefs. Chacun est une vitre avec la neige qui tombe sans bruit de l'autre côté. Au vingt-et-unième siècle, une âme simple et anéantie invente le frère de ce miroir et de ce nuage.

L'âme est celle de Jean-Marie Kerwich. Son miroir-nuage s'appelle Le Livre errant. Le Mercure de France est son carrosse bleu. Génie français du Verbe brut, ce gitan balaye actuellement pour vivre les feuilles autour de la Cité des Arts, à Paris, près du Sacré Coeur. 

Christian Bobin, 

http://www.lemondedesreligions.fr/papier/2017/83/les-cles-du-ciel-le-livre-errant-25-04-2017-6298_235.php

Je suis le livre errant, le livre sans auteur. J’écris avec l’aide du vent qui tourne mes pages, avec l’aide du sang pourpre des feuilles des arbres. Je suis l’errance, l’errance qui sait tout. En fait je n’écris pas, je me promène, mes deux cœurs en chaque main, comme des valises spirituelles. Les pays sont devenus si proches qu’il est plus difficile d’enjamber une flaque d’eau que de voyager jusqu’aux Indes. 

Jean-Marie Kerwich est né à Paris en 1952 dans une famille de gitans piémontais. Yehudi Menuhin a fait l’éloge de ses premiers poèmes et Jean Grosjean a comparé son recueil L’ange qui boite aux prières de François d’Assise. De L'Évangile du gitan, son précédent livre, Christian Bobin écrivait : «Un va-nu-pieds nous redonne les clés du ciel que l’on pouvait croire à jamais perdues.»

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